Benita Hakiba

S.G.:: Alors est-ce que tu pourrais te présenter?
C'est-à-dire ton nom, ta date de naissance,
ton âge, ta nationalité... te présenter. B.H.:: [un court silence] Qui suis-je? Très bonne question. Hmm, je m'appelle Benita Hakiba,
j'ai 23 ans. Je suis née mardi, je pense, à midi [rires]. Hmm, en République Démocratique
du Congo... hmm c'est quoi les autres questions? [Sourire]
S.G.:: C'est-à-dire ton âge, qu'est-ce que tu fais?
B.H: Je suis étudiante en Commerce international, John Molson et c'est ma deuxième année.
S.G.:: Tu es de quel pays d'origine? B.H:: Je suis originaire du Rwanda. S.G. :: Alors je vais commencer par te demander quelles sont tes souvenirs les plus anciens de ton enfance; genre qu'est-ce qui est le souvenir le plus lointain qui te viens à
l'esprit quand je te pose cette question? B.H:: Ça dépend [en regardant vers le bas], souvenirs familiaux ou souvenirs...
S.G.:: Oui ça peut être familial, j'imagine c'est... que ça devait être avec ta famille...
N'importe quoi qui te vient à l'esprit; genre de ta maison, de ton premier quartier, de
tes amis, de tes voisins; quelque chose qui te... le plus loin que tu te rappelles. B.H.:: Le plus loin... [Sourit en regardant autour] S.G.:: Tu avais quel âge? [inaudible] B.H.:: Voir deux ans trois ans... juste toi en me posant cette question, quel est mon souvenir le plus lointain sans nécessairement penser à une catégorie spécifique, je me
rappelle... je pense à un serpent, le premier serpent que j'ai rencontré. [Rire] S.G:: T'es sérieuse? B.H:: Ouais, bah tu m'as dit mon premier souvenir. S.G:: Oui, oui oui c'est ça, je suis curieuse. B.H:: Hmm, j'avais... j'avais j'avais, j'avais 5 ans. J'étais retournée pour la première
fois au Congo dans ma ville natale, Beni. S.G:: Quand tu dis que tu étais retourné... B.H:: Parce que je suis née à Beni, en 88, ensuite on a quitté la ville, on est allé
dans une autre ville du Congo; fait que... j'étais pas retournée... bah c'est la première
fois que je suis retournée à Beni et que je m'en souviens en fait, parce que j'ai quitté Beni quand j'étais vraiment bébé, je pense, j'avais deux mois. Donc voilà on est retourné
à Beni et j'allais jouer avec une amie, fait que j'ai dit au revoir à maman, j'ai dit...
c'était juste la maison à côté j'ai ouvert la porte, je l'ai refermée et là je suis
tombée nez-à-nez avec un serpent. Et pourquoi je m'en rappelle, c'est parce que ces serpents,
au début j'ai cru qu'ils avaient deux têtes et pendant plusieurs années j'ai cru qu'ils avaient deux têtes, parce que certains serpents ont des motifs sur leurs queues pour éloigner
les prédateurs, ce qui fait que si un oiseau essaie de l'attaquer, il va penser que...
il a deux têtes en fait c'est comme s'il a des yeux sur sa queue ou quelque chose.
Bref, on m'a expliqué ça plus tard, mais pendant plusieurs années j'étais persuadée que j'avais rencontré un serpent à deux têtes. S.G:: Qu'est-ce qui s'est passé? B.H:: Alors j'ai passé 30 secondes sans rien dire; j'étais complètement stupéfaite et
tétanisée et finalement... aucun son ne sortait de ma bouche et là j'ai crié:: " maman "!
mais le " maman " sortait du fin fond de mes tripes et elle a compris qu'il y avait quelque chose. Elle est sortie en courant, elle est venue, hmm, en ouvrant la porte elle m'a vue avec un serpent devant moi qui était déjà en position pour attaquer et c'est
là qu'elle m'a dit:: "ne bouge pas "! Elle a appelé le cuisinier, je pense, qui s'appelait
Musubao et il est venu; je pense que c'est ça le nom du cuisinier; il est venu, il a
tué le serpent; bref, d'un seul coup... S.G:: Devant toi? B.H:: Ouais devant moi. Je ne pouvais pas bouger, parce que c'était ça le truc; le serpent me fixait. Donc, je devais rester où je suis pendant que le cuisinier venait
de l'arrière, eh ouais de l'arrière pour l'assommer avec un bâton. Puis voilà, il
l'a tué, il l'a brûlé, il m'a montré; bah il l'a pris avec une branche et ils l'ont
mis dans un imbabura, comment on appelle ça? [Rire] C'est une espèce de réchaud... comment on explique un imbabura ? S.G:: Je ne sais pas. B.H:: C'est un truc, bref c'est du charbon...dans un...feu fait avec du charbon, voilà! S.G:: Wow ok, alors on va revenir, tu m'as dit plusieurs choses. Donc tu es née à Beni, ensuite tu es partie dans un village qui s'appelle... B.H:: Pas dans un village, dans une ville qui s'appelle Bukavu. S.G:: Donc Bukavu, ensuite tu es revenue à Beni. B.H:: Ouais. S.G:: Ensuite, est-ce que tu es allée à l'école? B.H:: Oh ouais, ouais, ouais, j'allais à l'école belge de... S.G:: Mukana. B.H:: Ouais, de Mukana. S.G:: Et c'était en? Ta première année à l'école c'était...?
B.H:: Ouf. S.G:: Tu avais trois ans? Quatre ans?
B.H:: Ouais sûrement. J'ai fait les maternelles, jusqu'en première primaire.
S.G:: Ok, et si on continue on remonte, quelles sont tes souvenirs à Beni, de ton école
euh de Bukavu pardon, de ton école, de tes amis? Qu'est-ce que tu gardes un peu de ton
enfance, comment tu la décrirais? B.H:: Souvenir de mon école. Je me rappelle de... bah mes...j'ai deux frères et deux sœurs, on allait tous à la même école. [00:06:20.00] S.G:: Ok, quel âge, différence d'âge... B.H:: Ouf! S.G:: ...entre tes frères et sœurs et toi? B.H:: Bah on est cinq et le quatrième...; je suis la cadette, le quatrième a sept ans
de plus que moi, donc tu imagines que les autres [ricanement] ont beaucoup plus que ça. Ce qui fait qu'ils étaient déjà au secondaire quand j'étais au primaire. J'étais le bébé de la famille, tout le monde s'occupait de moi et je me rappelle que mes sœurs, ma
mère me faisait du pain perdu pour, comme goûter, mais c'était vraiment lundi, mardi,
mercredi [rires] ce qui fait qu'après un certain moment, j'en avais marre [rire] du
pain perdu, alors ce que je faisais, mes sœurs savaient que je n'aimais pas le pain perdu,
ce qui fait que ma mère me mettait ça dans ma boîte, mais vu que je ne protestais pas,
j'amenais ça à l'école et pendant la récré mes sœurs venaient me voir avec leurs amis
[ricanement] pour me demander mon goûter [rires] et je m'en débarrassais avec joie. Fait que ça faisait le bonheur des deux parties et quand je rentrais à la maison je montrais
à ma mère la boîte vide:: " maman j'ai fini le pain perdu ". [Rires] Je pense qu'elle
ne connaît pas cette histoire, mais bon:: " Maman, tes autres enfants mangeaient mon
pain perdu " [Rires] S.G:: Oh mon Dieu, Ok! Quel genre de petite fille tu es à l'école? Tout le long de maternelle
ou primaire, comment tu te décrirais comme petit enfant? B.H:: Maternelle, je m'en rappelle, je n'ai pas beaucoup de souvenirs de maternelle, mais je sais que mes parents ont gardé une photo de mon premier jour d'école et j'ai eu les
cheveux coupés pendant longtemps jusqu'à mon âge, jusqu'à quel âge? Je pense facilement
jusqu'à dix ans, non, hmm non, facilement six-sept ans. Fait que le coiffeur venait
à la maison et il coupait les cheveux de mon père, ensuite j'étais la deuxième qui passait sous la tondeuse; donc la photo de mon premier jour d'école, je portais un pull
blanc avec un panda dessus. J'étais assez... disons que j'avais l'air...quand je regarde
cette photo je me dis " hmm ", j'avais l'air d'un enfant qui ne se laissait pas faire,
j'étais prête à conquérir le monde et mes parents étaient vraiment impressionnés
par mon premier jour, parce que hmm, c'est ce qu'ils me disent, cette photo leur rappelle beaucoup de choses:: mon premier jour d'école, j'étais prête à affronter et je suis devant
la caméra et je fais mes bras comme ça devant, tu vois [ démonstration de ses bras sur la photo] fait que c'est marrant. Juste à voir, j'ai un petit sourire malicieux et les bras comme ça, de genre... [démonstration de ses bras sur la photo] voilà quoi, je suis prête à affronter toutes ces années! Je suis toujours à l'école en plus là, fait que... voilà. Sinon au primaire... S.G:: Tu étais toujours à Bukavu au primaire? B.H:: Ouais. Oh, je me rappelle que ma mère me donnait cours. S.G:: Cours? B.H:: Ouais. S.G:: C'était une prof? B.H:: Hmm hm [hochement de la tête] Ouais ma mère est professeure de primaire et un moment, à une certaine époque, la classe de première et celle de deuxième année
primaire étaient ensemble, on les a combinées. Ce qui fait que je me suis retrouvée dans
la classe de ma mère parce qu'elle donnait cours de deuxième primaire et on lui a donné la première. Bref, ce qui fait, on penserait que c'est un avantage d'avoir cours avec sa
mère, mais j'étais là pour montrer exemple aux autres. Fait que j'ai toujours été une
très grosse parleuse à l'école et donc j'étais toujours la première à me faire
punir. Alors quand on rentrait à la maison, je demandais:: " mais maman, pourquoi est-ce que tu me punis tout le temps? " Elle me disait: " écoute, d'abord parce que tu le mérites et deuxièmement pour montrer l'exemple "; pour montrer qu'il n'y a pas de favoritisme et tout. Mais voilà c'est quand même de beaux souvenirs.
S.G:: Tu étais une bavarde. B.H:: Ouais, pas une bavarde... socialement très ouverte [Rires]. S.G:: ... qui dit ça, tu embellis le mot. B.H:: [Rires] S.G:: Est-ce que tu as connu tes grands-parents? B.H:: Grands-parents, voyons voir, commençons par du côté maternel. Je n'ai pas connu
ma grand-mère, parce qu'elle est décédée lorsque ma mère était au secondaire. Fait que je n'existais pas, aucune, aucun de mes frères et sœurs n'existait, donc je l'ai
pas connue. La première fois que j'ai rencontré mon grand-père, la première fois, dont je
me rappelle où j'étais vraiment consciente que c'était mon grand-père c'était en 94 [Mille-neuf-cent-quatre-vingt-quatorze]. Ensuite du côté paternel, je n'ai pas connu mon grand-père paternel même si mon père
dit que je l'ai déjà rencontré quand j'étais bébé; je ne le connais pas, parce qu'il vivait au Rwanda et il a quitté ma grand-mère il y a longtemps. Donc on vivait dans deux
pays séparés et puis il a été assassiné pendant le génocide de 94 [Mille-neuf-cent-quatre-vingt-quatorze]. Donc je n'ai pas eu l'occasion de le rencontrer. La seule personne avec qui j'avais vraiment
une relation proche et dont je me rappelle vraiment très bien, c'est ma grand-mère
paternelle qui vivait à Goma, mon père l'avait fait venir au Congo et voilà! Donc c'est
la seule que j'ai connue. J'allais en vacances là-bas, je m'en rappelle. Chaque fois j'allais lui rendre visite [...elle me donnait ?] du thé sans lait, donc c'était du thé noir.
Il n'y a que chez ma grand-mère que ça arrivait, à la maison on buvait du lait et chaque fois
que je venais en vacances, elle allait, elle voulait faire quelque chose de spécial, elle
savait que j'aimais les beignets; fait qu'elle allait acheter des beignets tout chauds chez la voisine qui en vendait. Donc ça c'est mon souvenir de mes vacances chez ma grand-mère. [00:13:26.00] S.G:: Oh wow, quel beau souvenir! Puis donc voilà, tu dis que tu étais au Congo, est- ce que tout ton primaire tu étais au Congo? B.H:: Non, non, j'ai quitté en 95 [Mille-neuf-cent-quatre-vingt-quinze]; j'allais en deuxième primaire. S.G:: Deuxième primaire tu es partie où? B.H:: Je suis retournée au Rwanda. S.G:: Tu es retournée. Ce n'était pas la première fois pour toi que tu allais au Rwanda?
B.H:: Je me rappelle que j'ai été au Rwanda une seule fois avant 95 [Mille-neuf-cent-quatre-vingt-quinze],
mais j'ai juste traversé la frontière Bukavu pour aller dans une ville à côté qui s'appelle
Cyangugu. Je ne sais pas pourquoi j'y suis allée, j'y suis allée avec mes parents,
mais c'est ça. J'y suis allée une seule fois. S.G:: Ok, 95 [Mille-neuf-cent-quatre-vingt-quinze] c'est la période que tu vas vraiment t'installer. À Kigali même? B.H:: Exactement. C'est le retour, c'est vraiment une période où tout le monde retournait
au Rwanda. S.G:: Donc tu étais avec tes frères et sœurs, tes parents... tout le monde!
B.H:: Non. J'étais avec ma mère, mon frère; en fait ce qui est arrivé, c'est que mes deux sœurs, mes deux grandes sœurs ont été envoyées avant. Elles ont commencé l'université
à l'Université de Butare. Ensuite je me rappelle que j'ai suivi avec maman et mon
grand frère Christian. On a laissé Victor à Bukavu, parce qu'il était en sixième
secondaire, fait que mes parents voulaient qu'il finisse sa sixième secondaire à l'école belge, afin qu'il puisse avoir son diplôme, pas perdre l'année, parce qu'il n'y avait
pas encore de secondaire ... d'école vraiment établie après le génocide, donc c'était mieux qu'il finisse pour qu'il puisse commencer l'université. Mon père je sais [hésitation],
bizarrement je n'arrive pas à le situer, je ne sais pas où il était... Bref, c'est
ça. S.G:: Ok, tu arrives au Rwanda, tu as sept ans.
B.H:: Ouais, j'ai eu mes sept ans au Rwanda. Décembre 95 [Mille-neuf-cent-quatre-vingt-quinze]
S.G:: Ok, puis est ce qu'à cette période ... comment tu trouves le Rwanda? Tu arrives là-bas du Congo, le changement, c'était quoi tes impressions du Rwanda à sept ans? B.H:: Un rejet total. Pour moi, je n'étais pas Rwandaise. Les personnes qui osaient m'appeler Rwandaise, je devenais littéralement folle. Je rejetais tout ce qui s'appelait Rwandais
et Rwanda, parce que je suis née au Congo, je ne parlais pas la langue, la langue n'était
pas parlée à la maison et donc la première langue que j'ai apprise à parler c'est le
français, ensuite le swahili qui est une des langues du Congo et je me rappelle que
les premières fois j'ai entendu le kinyarwanda, je pouvais entendre des mots, mes parents parlaient entre eux, mais je me rappelle que c'était vraiment ... que c'était vraiment interdit de parler kinyarwanda d'une sorte de façon. Mes parents à l'époque de la
libération du Rwanda par le FPR [Front Patriotique Rwandais], mes parents, je m'en rappelle qu'il
y avait beaucoup de va et vient dans la maison; et mes parents commençaient à écouter des
chansons qui étaient étrangères pour moi, parce que c'était une langue que je ne connaissais
pas, mais c'était des chansons tellement rythmées que je les appréciais. Alors, je
me rappelle, une fois j'ai augmenté le volume pour écouter cette chanson et ma mère a
sauté sur moi en me disant que personne ne devait savoir qu'on écoutait ce genre de
chansons. Donc, il n'y avait aucun côté rwandais pour moi. Je ne voulais pas aller
au Rwanda, je ne trouvais pas que c'était un pays intéressant:: le Congo, c'était ma place, mais maintenant je suis vraiment contente et fière d'être Rwandaise. S.G:: On va bien parler de comment tout a bien changé comme ça; mais en 95 c'est le rejet, mais bon ... tu es obligée d'y être; et comment tu trouves la vie... genre, qu'est-ce que tu vois autour de toi, le Rwanda c'était comment, post-génocide 95? Les gens peut-être,
même l'école; est-ce que tu as commencé l'école bientôt ou il n'y avait pas d'école
établie? B.H:: Il y avait une école où tout le monde allait, ça s'appelait:: La Colombière. C'était
là où tout le monde a commencé à aller, puis il y a eu aussi l'École Belge, mais avant que j'obtienne mon inscription à l'École Belge, j'ai commencé à La Colombière. Ma
mère a pu commencer à travailler directement à l'École Belge. Tu veux savoir les premières
impressions du Rwanda? S.G:: Oui. B.H:: Déjà que je n'accueillais pas facilement l'idée d'être au Rwanda, je trouvais que
c'était un pays sous-développé comparé d'où je venais. Un pays détruit, parce que
je savais qu'il venait d'y avoir une guerre. S.G:: Tu savais? [00:19:02.00] B.H:: Ouais. Mes parents me l'ont dit et en même temps quand on a quitté le Congo, en
fait quand on était au Congo, il y avait des gens, des gens de ma famille qui fuyaient,
qui arrivaient à trouver un moyen pour traverser une rivière, ou je ne sais pas quoi, et venaient
à la maison. Ce qui fait que tout l'arrière de la maison était rempli de réfugiés. C'est comme ça que le père de ma mère a pu être sauvé, mais il amenait avec lui,
bien sûr des membres de la famille:: cousins, cousines, mais des voisins, également des
voisins. Donc il trouvait un enfant à gauche qui était, je m'en rappelle, qui était criblé
d'éclats de grenade; quand j'ai vu toutes ces personnes qui étaient ensanglantées,
j'ai demandé à mes parents qu'est-ce qui se passe et ils m'ont expliqué ce qui est arrivé:: qu'il y avait une guerre au Rwanda et ta- ta- ta.... Quelques temps plus tard, on déménage au Rwanda. Je n'étais pas très contente. Bref, pour revenir à ma première
impression, un pays qui m'était inconnu, un pays où je ne pouvais pas sortir toute
seule ou me promener dans un quartier que je ne connaissais pas, parce qu'il y avait des mines partout, donc il fallait vraiment marcher sur des sentiers tracés, là où
tout le monde passait, parce qu'on disait tout le temps qu'il y avait des campagnes qui passaient à la télévision qui disaient que si tu veux prendre un raccourci pour aller
derrière ta maison, tu risques de tomber sur une mine. Donc, déjà ça, ce n'était pas sécuritaire. Ensuite je me rappelle qu'on retrouvait des morceaux d'habits ensanglantés,
j'ai trouvé un crâne une fois... voilà, ce dont je me rappelle quand je suis retournée.
S.G:: Et là tu es installée à l'école La Colombière; est-ce que tu te fais des amis ou c'est difficile parce que tu ne parles pas kinyarwanda? Comment ça se passe vers l'intégration pour la première école et même la deuxième:: École Belge?
B.H:: La Colombière je pense que j'ai fait trois mois, mais trois mois qui étaient vraiment
horribles, parce que c'était la première fois que je me retrouvais dans un système
diffèrent; parce que j'ai toujours été dans une école belge, donc avec un système belge. Là, j'étais dans un système rwandais où mon premier choc était qu'on était plus
de 40 élèves par classe. Ce qui fait que le bruit était insupportable. Ensuite je
me suis fait voler mon matériel; je suis allée dire au professeur, elle ne pouvait rien faire, donc je trouvais qu'on ne soutenait pas les élèves. Ensuite, je me rappelle
qu'entre les classes, le mur n'était pas fini donc le mur n'arrivait pas jusqu'au plafond,
ce qui fait que tu entendais ce que le prof à côté disait à ses élèves:: la cacophonie totale. Ensuite, je ne parlais pas la langue, je ne connaissais personne! Ça ce n'était
pas trop un problème. Ah ouais, la partie la plus incroyable c'est que devant la classe,
c'est une école qui a dû être érigée vraiment rapidement pour accueillir toutes les familles qui revenaient, donc devant la classe il y avait une crevasse; et un jour
il a plu, on était en classe, quand on est sorti pour rentrer à la maison, on ne pouvait même pas sortir parce qu'il y avait une espèce de rivière qui venait de se former. Ce qui fait qu'il fallait attendre que des adultes - j'avais six ans- il fallait attendre que des adultes nous portent pour nous faire sauter cette grosse flaque qui était vraiment impressionnante.
Ensuite, je devais marcher pour aller à l'école avec mes cousins, ce qui ne me plaisait pas;
j'avais l'habitude de me faire déposer par mes parents, mais j'ai su plus. Pourquoi mes parents ne pouvaient pas me déposer? On venait juste d'arriver et le temps de s'habituer
et s'adapter. Heureusement, j'ai pu aller à l'école belge et voilà. [00:23:37.00] S.G:: C'était donc trois mois après. Est-ce que là cette fois-ci tu te sentais plus dans ton élément? B.H:: Ouais tout à fait. C'était exactement comme à l'École Belge de Bukavu.
S.G:: Et les élèves? B.H:: Les élèves, exactement la même chose:: toutes les nationalités. Alors qu'à la Colombière c'était que des rwandais, alors que pour moi les rwandais c'étaient des inconnus. S.G:: Est-ce que tu commences à parler kinyarwanda à cette période? Tu commences à apprendre un peu, tu commences à un peu aimer le Rwanda peut-être? B.H:: En fait ce qui est arrivé, c'est que de toute ma famille c'est moi qui parle le
mieux kinyarwanda, parce que je suis arrivée là-bas j'étais encore assez jeune; ce qui fait que je jouais avec des enfants dans le quartier, j'ai pu apprendre la langue plus rapidement que mes frères et sœurs qui étaient déjà adolescents et l'approche n'est pas la même, donc ouais j'ai appris la langue assez facilement. Mes parents étaient vraiment
impressionnés. Ils ont essayé aussi en m'achetant des livres, je ne sais pas si ça s'appelle...
c'est comme... je ne sais pas si je peux appeler ça un poème, mais c'est un truc qui allait::
so ni nde, Kazitunga, gira so tunga, tunga gege, gira so gege, gege amahina, gira so
mahina, mahinabyavu, gira so byavu, byavu quelque chose ça, bref. C'était vraiment
des mots qui allaient ensemble qu'ils allaient [...fallait ?] répéter jusqu'à ce que tu finisses. Et la première phrase en fait; je pense c'est une façon de...; so ninde?
En kinyarwanda ça veut dire:: qui est ton père? Alors l'histoire ou la poésie commence
en disant qui est ton père:: So ni nde? Rép:: Kazitunga; gira so tunga, tunga gege... Ça remonte de génération en génération, je ne sais pas c'est la famille de qui, mais c'est un livre que mes parents m'avaient acheté et c'est la première chose que j'ai apprise et c'était vraiment un plaisir pour moi d'apprendre et d'aller le réciter devant mes parents. Donc, c'est comme ça que le kinyarwanda et moi nous avons commencé à rentrer en contact.
S.G:: Donc École Belge, tu commences à un peu plus t'intégrer au Rwanda et puis qu'est-ce
que tu faisais dans ton temps libre, même à l'école? B.H:: Qu'est-ce que je faisais? Il n'y avait pas grand-chose à faire franchement. Revenait
[Je revenais?] à la maison; la sœur de mon père vivait au Rwanda, elle est arrivée
au Rwanda avant nous, elle avait des enfants. Donc elle habitait près de chez nous, je pense... On a déménagé trois fois au Rwanda. Bref, mes parents ont acheté une maison et
c'était dans le même quartier que ma tante, donc c'est comme ça que j'ai commencé à
sortir de la maison, à voir des activités, c'était ça des activités en dehors de la maison:: c'était aller chez ma tante, jouer avec mes cousines et mes cousins et les autres enfants du quartier. Sinon c'était l'école... S.G:: Vous alliez à la même école? B.H:: Toujours, c'est toujours le cas [Rires] S.G:: Donc après, tu grandis un peu plus, tu commences peut-être le secondaire?
B.H:: Ouais, le secondaire. S.G:: Comment était cette expérience pour toi?
B.H:: Ouf, secondaire! C'était en quoi...? Je ne sais même pas quand ...2000...
S.G:: Comment c'était? B.H:: J'étais déjà dans mon élément franchement, je ne pense pas qu'il y ait grand-chose à raconter sur mon secondaire. Euh ouais, secondaire, de belles années.
S.G:: De belles années. Et là est-ce que tu commences à te sentir un peu plus rwandaise?
B.H:: Oh ouais! S.G:: Ça a commencé plus tôt, ça a commencé avant ça? B.H:: Ouais. S.G:: Qu'est-ce qui tu fais dire:: oh tiens, peut-être que
je ne suis pas congolaise? B.H:: Je ne sais pas comment la transition a eu lieu, mais je sais qu'après quelques
temps; peut-être parce que les gens que je voyais ressemblaient plus à moi, plus de
traits, je me reconnaissais en eux. La famille, j'avais des cousins à côté de chez moi,
ce qui n'était pas le cas avant. Je pouvais dire que je vais chez ma tante, mais cette femme était la sœur de mon père tu vois? Franchement, je ne sais pas comment c'est
arrivé, mais ça a quand même disparu assez rapidement. Ce qui m'a aussi étonné. S.G:: Et [à?] quelles valeurs [te?] dirais-tu rwandaise? Quelles sont les valeurs rwandaises à ton avis que tu as apprises? Peut-être parce qu'elles sont différentes de celles
du Congo, les gens, maintenant que tu le vois avec plus de recul. Qu'est-ce qui était différent
du Congo que du Rwanda? B.H:: Différent du Congo... Rwanda, Congo. Quelle est la différence? S.G:: Des gens ou au niveau de la culture, quoi que ce soit que tu aies remarqué quand
tu étais plus jeune ou que tu remarques même maintenant.
[00:29:48.00] B.H:: Franchement ça serait dur à comparer. S.G:: Tu étais là à l'époque où le Rwanda était beaucoup plus sous-développé? B.H:: Ouais! S.G:: Et que les gens te ressemblaient moins là-bas qu'au Rwanda.
B.H:: En fait, en rentrant au Rwanda, j'ai appris à découvrir un milieu auquel j'aurais
dû appartenir depuis longtemps avant, tu vois? Je suis arrivée juste après le génocide,
donc je savais déjà ce qui était arrivé là-bas.
S.G:: Qu'est-ce que tu en savais? On t'avait dit qu'il y avait eu une guerre, est-ce que
tu en savais plus que ça? B.H:: En fait c'est plusieurs choses que j'ai connectées. C'est tout d'un coup, la maison dans la maison, mes parents pleurent. Tout d'un coup, mes parents sont accrochés à
leur radio. Tout d'un coup, des étrangers viennent à la maison. Tout d'un coup, lorsque
les interahamwe ont commencé à fuir le Rwanda, ils venaient vers le Congo, je me rappelle
qu'on entendait des coups de feu. Donc tout d'un coup, on mettait nos matelas par terre,
mes parents voulaient qu'ont dorment parterre pour s'assurer qu'au cas où il y aurait des
tirs près de la maison, on ne soit pas touché par ça. Donc c'était une aventure pour moi.
Je ne sais pas. Tout enfant aime bien tout ce qui est excitant, tout ce qui sort de l'ordinaire.
Donc c'était excitant au point où on se cachait, on écoutait des chansons vraiment
avec; un moment donné, on habitait à côté, je peux appeler ça une gendarmerie, et c'est
dans cette maison qu'on ne pouvait pas écouter de la musique à fond, parce qu'il y avait
des militaires congolais à côté. Donc pour une certaine raison, mes parents ne voulaient
pas qu'on soit associé à tout ce qui est rwandais, tu vois? Donc ce sont pleins de
choses qui se sont connectées. Ensuite, là où j'ai commencé à comprendre que c'était grave, c'est lorsque j'ai vu mon grand-père arriver, ma mère courir vers lui, elle commençait
à pleurer et là... je vois des gens arriver avec des blessures ouvertes. Un enfant qui
était plus jeune que moi, comme j'ai dit qui était criblé d'éclats de grenade, certains
étaient brûlés. Donc ma cour arrière s'est transformée en camp de réfugiés en fait.
C'est là que j'ai demandé la question à ma mère:: " mais maman c'est quoi ça? " Et
c'est qu'elle me disait:: " voilà il s'est passé ça, ça, ça et ça, il y a une guerre ",
donc... c'était quoi la question déjà? S.H:: Non c'est ça, je voulais savoir ce que tu savais de la guerre.
B.H:: Ouais. S.G:: Donc tu commençais à recoller les morceaux... B.H:: Ouais. J'ai commencé à recoller les morceaux; histoire des ethnies, je ne connaissais
pas ça avant d'arriver au Rwanda. Donc j'ai appris ça plus tard, voilà quoi. Donc, pour
moi génocide c'était Congo, FPR, organisation de tout. En fait, après, mes parents m'ont
expliqué que les gens qui débarquaient chez nous, ils avaient créé des cellules pour
appuyer le FPR. Donc toutes familles rwandaises qui étaient à l'étranger un peu partout
dans le monde se réunissaient pour récolter de l'argent et envoyer au FPR et voilà. Ils
m'ont expliqué ça un peu plus tard. Encore récemment on a eu une discussion à propos
de ça où mes parents disaient que j'ai compris que ça a été une espèce de vague. Le FPR
a permis à nous tous de rentrer au Rwanda, mais en même temps, j'ai compris plus tard
que c'est une vague qui s'est répartie, et il y a des enfants de familles que je connaissais
ou de familles normales qui fuguaient, qui fuyaient leurs maisons pour rejoindre le FPR.
Donc le but des cellules dont mes parents faisaient partie c'était de trouver un moyen
de faire, d'aider ces jeunes qui voulaient partir rejoindre l'armée d'une façon sécuritaire,
d'une façon voilà quoi. Donc et souvent mes parents disaient:: Dieu merci nos enfants,
bien que mes deux frères étaient trop jeunes pour rejoindre l'armée à ce moment-là,
parce qu'ils se disent qu'ils seraient allés. Ils auraient rejoint le FPR. Ils ont [connu?]
beaucoup, beaucoup, beaucoup d'enfants de familles amies qui ont rejoint le FPR pour
libérer le pays. [00:35:00.00] S.G:: Et donc après tu nous parles de l'histoire de l'ethnie que tu as commencé à comprendre
au Rwanda... B.H:: Ouais. S.G:: Est-ce que tu sais comment un peu c'est arrivé? Ou soit quelqu'un t'a dit ou si toi-même
tu as commencé à encore coller les morceaux. C'est un peu ça, des fois c'est...
B.H:: Je ne pourrais pas te dire la première fois où j'ai entendu parler de mon ethnie
ni comment c'est arrivé, mais je sais que dans la culture rwandaise c'est quelque chose qui est vraiment tabou. C'est quelque chose que j'ai remarqué directement. Et pour moi
j'ai comparé avec d'autres pays où la première question qu'ils vont se poser est:: " de
quelle ethnie es-tu? " Et les Rwandais, ils ne posent pas la question. Donc, comment j'ai
su quelle ethnie je faisais partie? Sûrement mes parents me l'ont dit, mais je ne pourrais
pas te dire à quel moment. Quand on est retourné, c'est sûr. Mais le reste, srement à la télévision. S.G:: Donc tu ne sais pas comment tu t'en es aperçue, mais est-ce que par exemple à
l'école, il y avait une division, quelque chose que tu remarquais ou bien tu dirais
que tout le monde étaient égaux?
B.H:: Non, à l'école j'étais dans une école belge, je n'ai jamais été vraiment confrontée
de voir qui est de quelle tribu, mais je sais que c'est quelque chose que la génération
de mes parents, c'est quelque chose sur quoi ils se basent encore- tu vois? Donc, c'est
comme ça que par exemple pour savoir si un ami était d'une autre ethnie que moi, c'est
quelque chose que j'aurais entendu de mes parents ou alors d'une personne qui est de
la génération de mes parents, tu vois? Parce que moi je n'arrivais pas à faire la différence;
alors que mes parents ils ont grandi dans ça. Ils ont grandi dans la division où ils ont été persécutés, bref tout ça c'est quelque chose qu'ils ont continué de trimbaler
avec eux, alors que pour moi quand on est arrivé, on m'a dit tu es ça, ton voisin est ça, ok; mais je n'ai rien contre mon voisin d'une façon, tu vois? Euh ouais, c'est
ça je pourrais dire. S.G:: Et donc là, ça y est tu es intégrée au Rwanda etc., tout va bien. Hum tu sais qu'il y a eu une grosse guerre et puis chaque année en avril, comment est-ce que tu décrirais
l'atmosphère du Rwanda ou Kigali? B.H:: [Pause] tout s'arrête. Déjà la plus grosse chose que j'ai remarquée qui changeait, c'est le programme à la télévision. TVR, la télévision rwandaise comme ça s'appelait
à l'époque. Euhm chaque année, il remettait des épisodes, pas des épisodes, des images
[de ce ?] qui s'est passé, du génocide. Ehum, ensuite, les chansons vraiment macabres
et morbides, c'est vraiment des sons... tu ressens la douleur dans ce genre de chansons.
Donc dès que je suis arrivée, déjà c'est quelque chose que je voyais souvent. Au début,
je regardais, parce que je voulais [bégaiement] savoir ce qui était arrivé, mais après
quelque temps, ça te plonge dans une certaine tristesse, tu sais chaque année, tu te dis
c'est encore avril, tu vois? C'est encore avril, le programme à la télévision va changer, les gens, certaines personnes que tu connais vont changer d'humeur, tomber dans
la dépression, donc c'est ça que j'ai remarqué. Un moment où tout s'arrêtait. Ouais je peux
dire ça comme ça. [00:40:36.00] S.G:: Et puis quelque temps après tu décides de venir ici?
B.H:: Hmm hmm. [Hochement de tête] S.G:: Comment tu te sens de quitter? B.H:: Oh, déjà j'ai quitté il y a super, bah ça va faire cinq ans? Mais avant de venir
ici, donc j'ai fini école secondaire, je suis allée à l'université au Kenya, j'ai
commencé au Kenya. S.G:: Pourquoi au Kenya? B.H:: Euh parce que mes parents voulaient renforcer mon anglais et c'était le pays
le plus proche du Rwanda [rires]. Donc, ouais. Puis mes frères aussi ont étudié là-bas.
Donc, voilà j'étais prête à quitter le Rwanda, poursuivre mes études et voilà quoi?
Disons [que] j'étais plus intéressée de découvrir un monde extérieur.
S.G:: Et puis, combien d'années au Kenya? B.H:: Une année environ. S.G:: Comment se passe ton intégration là-bas? Comment tu trouves par rapport au Rwanda le
Nairobi, Nairobi, j'imagine? B.H:: Ouais. Nairobi. Bah 45 minutes de Nairobi, fait que c'est là où il y avait mon école et puis pendant le weekend je rentrais chez une famille amie, des Kenyans. Euh ouais,
ça s'est super bien passé. C'était ma première fois loin de mes parents.
S.G:: Ok, et puis un an au Kenya et puis qu'est-ce qui se passe?
B.H:: Un an au Kenya, ensuite euh bah voilà je suis venue ici! S.G:: Et comment tu trouves le Canada? B.H:: Bah je suis venue directement à Montréal.
S.G:: Toute seule? B.H:: Non non non, avec mes parents. Franchement, je suis contente du choix que j'ai fait. Bah
ce n'est pas moi qui ai fait le choix, je suis contente du choix que mes parents ont fait. S.G:: Est-ce que tu sais pourquoi ils ont choisi Montréal? B.H:: Non je ne sais pas pourquoi, mais je peux dire qu'au début je voulais aller à
Ottawa [rires], mais maintenant que je connais les différences entre les [rires] deux villes, je suis vraiment contente parce que Montréal c'est un peu de Toronto avec un côté français.
C'est le meilleur des deux mondes en fait, français-anglais avec un style, les bâtiments
sont... il y a de l'espace déjà entre les bâtiments, ce qui est différent de Toronto. Je me sens [...], bref Montréal est parfait pour moi. S.G:: Et donc tu viens ici pour les études et tu t'intègres? B.H:: Ouais, ouais. S.G:: Est-ce qu'il a une communauté rwandaise à laquelle tu te rattaches directement?
B.H:: Est-ce que je me suis rattachée aux Rwandais? S.G:: Ou tes parents? B.H [Soupir] S.G:: Des activités rwandaises? B.H:: Non. Activités rwandaises, non pas vraiment, mais j'ai retrouvé des amis que
je connaissais au Rwanda. Donc bien sûr, sont les premières personnes vers qui je suis allée qui m'ont aidé à m'intégrer au Canada, mais euh j'ai de tout, j'ai des
amis rwandais, tout comme j'ai des amis qui ne sont pas rwandais. S.G:: Ok et comment trouvez-vous les gens au Canada? C'est la première fois j'imagine que tu quittes l'Afrique? B.H:: Ouais; l'Afrique ouais. Ouf, ouais c'est vrai. S.G:: Le choc culturel, y a eu ou peut-être pas eu de choc?
B.H:: Non, il n'y a pas eu de choc. Je pense que le fait que j'ai été dans un système
belge pendant très longtemps m'a un peu... non, il n'y a pas eu de choc. J'étais vraiment
dans mon élément tout de suite. Après, c'est que les gens que je rencontrais ici me demandaient:: " ça fait combien de temps que tu es ici? " Quand je leur disais:: " ça fait moins d'un an ", ils me disaient:: " comment ça, tu as l'air d'être du milieu "; tu vois? Donc non, c'était vraiment comme un poisson dans l'eau. [00:44:45.00] S.G:: Et les gens d'ici, toi comment tu les trouvais? Enfin c'est peut-être les Québécois
ou même les immigrants. [inaudible] B.G:: Super sympa! Franchement n'y a rien n'à dire. Mon expérience au Canada, la meilleure
qui puisse, donc je n'ai pas à me plaindre.
S.G:: Et donc tu me dis que tu n'as pas l'impression que tu étais particulièrement rattachée
à la communauté rwandaise? [inaudible] B.G:: Comme je dis franchement, vu que je suis rwandaise, j'arrive dans un pays où je ne connais personne, les premières personnes vers qui je suis allée sont des rwandais que je connaissais déjà depuis le Rwanda et c'est eux qui m'ont un peu présentée à d'autres personnes de leur milieu. Mais c'est vrai que mes horizons, bah mes connexions,
si on peut appeler ça comme ça, sont encore plus élargies quand j'ai commencé l'école; donc quand j'ai commencé à travailler aussi en fait. S.G:: Et c'est à quelle période tu as commencé à travailler? B.H:: J'ai commencé à travailler quelques temps avant de commencer l'école. J'ai commencé à travailler quelques temps et ensuite je suis retournée à l'école S.G:: Et est-ce que c'est important pour toi de garder des liens avec la communauté rwandaise,
d'y être. Est-ce que pour toi; est-ce que c'est important de faire partie de cette communauté-là? B.H:: Ouais. S.G:: Je ne sais pas; forcément, ouais? B.H:: Oh ouais, ouais. Je pense que c'est important. S.G:: Pourquoi tu dirais? Qu'est-ce que ça représente pour toi la communauté rwandaise et d'être avec la communauté?
B.H:: Sont mes semblables c'est... je ne sais pas; comme je dis, quand je vois un Rwandais,
je me vois en eux- tu vois? On se ressemble tellement! C'est comme si c'est un élément
familier dans un élément que tu viens à peine de rejoindre, tu vois ? Chaque fois
je vois un Rwandais, il y a toujours un [bruit de sursaut], tu sais ? Je me dis:: ah une
personne de chez nous! Je suis contente de rencontrer quelqu'un avec qui je ne [me?]
connais peut-être pas, mais on a un point en commun.
S.G:: Qu'est-ce qui t'a le plus marqué, manqué pardon, manqué du Rwanda quand tu es arrivée
ici ou même maintenant après, combien d'années tu as passée au Canada?
B.H:: Cinq ans bientôt. S.G:: Cinq ans bientôt, qu'est-ce qui te manque le plus du Rwanda? B.H:: [Soupir] La chaleur, il fait beau, [sourire] il fait beau à longueur, bah tout au long de l'année. L'hiver ici dure super longtemps; hum qu'est-ce qui me manque? La nourriture, oh mon Dieu, les brochettes! Qu'est-ce que je ne ferais pas pour manger des brochettes? [Rires] Le jus de maracuja, ça ce sont des souvenirs que j'ai. Quoi encore? Le Rwanda?
Ouais c'est ça. S.G:: Est-ce que tu es retournée depuis que tu es ici?
B.H:: Est-ce qu'on peut passer à une autre question? S.G:: Oui bien sûr! B.H:: Ok [Sourire] S.G:: Si on parle du Rwanda en tant que, enfin j'allais dire, en tant que pays; qu'est-ce que tu penses du Rwanda maintenant? Tu es fière d'être Rwandaise, mais qu'est-ce que
tu entends dire du Rwanda? Qu'est-ce qui fais que tu es fière d'être Rwandaise?
B.H:: Le Rwanda, pourquoi je suis fière d'être Rwandaise, parce que je peux dire que c'est
un pays que j'ai vu évoluer. C'est un pays qui m'était encore inconnu avant 95 [Mille-neuf-cent-quatre-vingt-quinze],
un pays auquel, dans lequel, je suis allée vivre contre mon gré, mais que j'adore maintenant.
Pourquoi je l'adore? Parce que... [soupir], je ne sais pas, l'esprit de [...] on vient
de loin! Comme dirait Corneille, parce qu'on vient de loin! Je pense qu'il n'y a pas de
meilleure façon de mettre ça et ce courage, j'ai l'impression qu'il y a une force qui
pousse le peuple rwandais à toujours faire mieux. Donc, depuis que je suis partie, ça
n'arrête pas de se développer, voilà quoi! Je suis vraiment fière, c'est comme un enfant
qui grandit, pour moi c'est ça l'image que j'ai. Un enfant qui grandit et tu as vu toutes
les étapes de son développement et tu espères encore le meilleur pour cet enfant, tu vois?
C'est la meilleure façon que je pourrais comparer. [00:50:37.00] S.G:: Adorable! Est-ce que pour toi, c'est un endroit où tu aimerais faire ta vie, si
on parlait de futur lointain ou même prochain? B.H:: Faire ma vie? L'idéal pour moi serait d'avoir un pays [un pied ?] au Canada, un pied au Rwanda. C'est deux endroits où je me plais bien, donc ouais le Canada et le
Rwanda sont une partie de moi maintenant.
S.G:: Et qu'est-ce que je pourrais te demander d'autre? Humm est-ce que quand on te demande
tu viens d'où? Que ce soit un Québécois, un Canadien ou quelqu'un d'autre part, et tu dis " le Rwanda ", quelle réaction dirais-tu le plus souvent, ou quels sont les préjugés ou peut-être pas forcément des préjugés, mais l'impression que les gens ont du Rwanda? B.H:: Un classique, je n'ai jamais compris pourquoi:: - " Tu viens d'où? " - " Du Rwanda "; - " Tu as déjà [vu] le film Hôtel Rwanda? " Ouais. Ça c'est quelque chose que j'ai tout le temps. Hôtel Rwanda, ce film est super connu; pourtant il y en a d'autres qui
sont sortis qui traitent du même sujet. D'ailleurs, le film que je pourrais dire qui m'a le plus
marqué et dont personne ne parle, on dirait que pas beaucoup de gens connaissent ce film
qui s'appelle... bah je peux dire le film en anglais? Sometimes in April. L'histoire commence , je pense, des élèves sont en classe et puis il pleut; et cette jeune fille
dit:: " C'est encore avril et comme il y a... " et puis elle dit le nombre d'années,
tout dépendamment de quand le film a été tourné, le sept avril [le 7/4/1994], apparemment il pleuvait quand le génocide a commencé. Donc c'est comme ça que le film commence,
tu vois? Juste le début m'a vraiment marqué, parce que je ne savais pas qu'il pleuvait ce jour-là et depuis je sais qu'il a plu et je pense que c'est arrivé une fois où
il a plu un sept avril, et je me suis rappelé et toutes ces émotions sont venues avec, parce que dans ce film j'ai appris qu'il pleuvait ce jour-là. Donc de simples choses qu'un
rescapé peut allier à ce qui lui est arrivé, comme la pluie et s'il pleut le jour où c'est
la commémoration du début du génocide, ça change beaucoup -tu vois? Donc je trouve, c'est vraiment dommage, que beaucoup, la plupart des gens ne connaissent pas ce film. Il a été tourné au Rwanda en plus, alors que "Hôtel Rwanda'' a été tourné apparemment en Afrique du Sud, mais voilà quoi! [00:53:50.00] S.G:: Et cette question, si tu as vu Hôtel Rwanda, [inaudible] qu'est-ce que tu réponds ? B.G:: Je dis ah ouais, je connais Hôtel Rwanda, ça pas été tourné au Rwanda et puis voilà à partir de là on parle d'autre chose. Humm des fois, des gens vont me poser la question::
" tu viens de quelle ethnie? " Ou alors ils vont essayer de deviner, la plupart du
temps ils tapent juste, mais sinon je sais qu'un moment donné il m'est arrivé de dire::
" je suis rwandaise ". Je ne voulais pas répondre à la question, mais après je me
suis dit...::" bon écoute, voilà quoi, on va leur dire, c'est pas [...] tant que c'est juste une ethnie et que il n'y a rien de rattaché à ça ", voilà quoi. S.G:: Est-ce que tu penses que c'est juste une ethnie et qu'il n'y a rien de rattaché à ça,
maintenant ? B.G:: Maintenant la raison pour laquelle je dis ça, c'est que... hum quand j'étais au Rwanda, je m'en rappelle de cette campagne qu'il y avait à l'église:: Le prêtre appelait
ça le synode, il voulait que je ne sache même pas ce que ça veut dire Synode franchement,
mais je m'en rappelle que pendant l'église, il n'arrêtait pas de prêcher en disant::
" Nous devons faire le synode, le synode, le synode, le synode. " Et c'était la paix
entre les deux ethnies pour ce qui est arrivé. Donc la raison pour laquelle je dis qu'il
n'y a rien rattaché à ça, c'est qu'au Canda, que je dise que je suis Tutsi ou Hutu, ce
n'est pas, je ne serai pas persécutée pour ça, tu vois? Et puis la plupart, tout le
monde essaie de mettre ça derrière nous, avancer, aller de l'avant. Hopefully, j'espère
que ça n'aura pas de conséquence pour les générations qui suivent, tu vois? Et je
pense qu'il n'y en aura pas, parce que le gouvernement s'attelle tellement à intégrer les deux parties, voilà quoi. Comme je disais, c'est moins ancré en moi que ça n'est ancré
en mes parents ou les générations de mes parents, si tu vois ce que je veux dire. [00:56:18.00] S.G:: Et pour toi, disons si tu avais des enfants, est-ce que tu vas leur parler de
ça? B.G:: Ouais c'est clair. Ouais, parce que c'est important de savoir comment tout a commencé,
comment leurs grands-parents ont grandi. Ça fait partie de moi, parce que mes parents
ont vécu ça, donc ce n'est que légitime que mes enfants et que les enfants de mes
enfants sachent ce que leurs arrières grands-parents ou grands-parents ont vécu- tu vois? Et la
plus belle partie dans tout ça, c'est qu'on pourra dire:: " il y a plusieurs années de cela, il y a eu cela au Rwanda, mais heureusement, voyez où on est arrivé ", tu vois? " On
a pu surmonter tous ces obstacles ". C'est que ça devient une fierté de dire qu'on a pu surmonter tous ces obstacles et construire un meilleur environnement pour vous par exemple.
Ouais. S.G:: Et qu'est-ce que je peux te dire? Humm... Donc pour toi, c'est important de transmettre
la mémoire du génocide quand même ? B.G:: Ouais. S.G:: Si je te parle de la notion du pardon par rapport à ça, est-ce que tu penses que
c'est quelque chose dans la communauté rwandaise aujourd'hui dans les choses que tu entends,
on va de l'avant? B.G:: On va de l'avant; humm ouais. On va de l'avant, on essaye de montrer qu'il n'y
a pas de différence, mais... pour les générations futures c'est beaucoup plus simple. On va
de l'avant, on habite en harmonie avec les autres ethnies, mais une chose est sûre,
je pense que la génération de mes parents, c'est quelque chose qui ne partira jamais.
Qui ne partira pas dans le sens que [...] tu peux avoir un ami d'une autre ethnie ou...
mais je sais que ça restera tabou. Tant le fait de poser la question:: " quelle ethnie
es-tu? " reste tabou, et tant que les mariages interethniques restent tabou, je sais que
c'est quelque chose de vraiment tabou dans ma famille. C'est pour ça que je dis que
pour la génération de mes parents et tout ça c'est moins facile, tu vois? Hmm ouais.
S.G:: Les mariages interethniques, est-ce que pour toi c'est quelque chose d'envisageable
? B.G:: Je ne sais pas. Franchement ça dépend de l'homme que je rencontrerai. Disons que
si l'homme de ma vie est d'une ethnie différente que la mienne et que je décide de me marier
avec, la seule chose dont je suis sûre c'est que mon environnement ne l'accueillerait pas
d'une façon... d'une façon souple. Je devrais expliquer pourquoi j'ai choisi cette personne.
En fait, je devrais vraiment plaider ma cause tu vois?
S.G:: Est-ce que ce n'est pas forcément un mariage interethnique ou bien marier quelqu'un
d'un autre pays ou c'est plus rattaché aux ethnies?
B.H:: C'est plus rattaché aux ethnies. Mon environnement, pour être honnête, j'y pense
souvent et j'ai remarqué en regardant les personnes avec qui c'est arrivé, l'environnement
l'accueille toujours d'une façon négative. Le mariage va avoir lieu, mais le nombre de
discussions que ça va entrainer, la déception que ça peut apporter aux parents de la personne
qui va le faire... Là je le dis, parce que j'ai vu des gens le faire et j'ai vu la réaction
de leurs parents, c'était catastrophique. Je me dis qu'au Rwanda on peut évoluer, vivre
en harmonie, mais il y aura toujours une génération pour laquelle ça sera lourd de devoir accepter
un mariage interethnique, tu vois? [01:02:16.00] S.G:: Comment tu trouves ça, qu'est-ce que tu en penses de tout ça? D'un côté le Rwanda
qui essaie d'évoluer et stagne ? B.H:: C'est malheureux, mais ça fait partie de notre histoire, tu vois? Humm, si je comprends,
humm...ce que les parents de cette personne ressentiraient, parce que c'est quelque chose
avec quoi ils ont grandi, ils ont grandi dans la persécution, certains. D'autres pas, mais
c'est un sentiment légitime, tu vois, qu'ils ressentent que leur enfant décide de faire
ce choix-là. Au début ils vont appréhender la chose, mais à la fin ils vont l'accepter,
tu vois? Donc c'est toujours un choc en premier, ensuite le mariage va avoir lieu. Je ne dis
pas que ces familles-là ne vont pas être heureuses, elles vont parfaitement être heureuses, mais tu trouveras toujours soit les parents directs des deux côtés, soit une tante,
soit un oncle, un membre de la famille qui ne sera pas content. Qui va dire:: " tu as
trahi notre partie ", tu vois? Ça c'est vraiment des deux côtés, parce que la troisième ethnie on n'en parle pas beaucoup, mais je connais plusieurs familles où c'est arrivé. Il y a toujours quelqu'un, quelque part qui va dire plusieurs années plus tard:: " ohhh cette personne a fait ceci! ", tu vois? Et j'ai grandi en entendant ce genre de commentaire
de mes voisins ou des gens de mon milieu et je me dis:: " écoute, c'est vraiment malheureux,
mais on doit faire avec ". S.G:: Et si vous aviez des enfants et que vous étiez dans cette situation-là, Comment
vous réagiriez à cela? B.H:: Je n'ai pas compris la question. S.G:: Vos enfants veulent se marier avec une personne d'une autre ethnie ou même le fréquenter.
B.H:: Oh! Si mes enfants à moi veulent... ohh! Je n'ai jamais pensé à ça. Ça dépend
de ce que mon mari sera. Mais... ouais franchement, je n'y ai pas pensé. Quand j'y pense, j'y
pense par rapport à moi, si l'homme de ma vie n'était pas de mon ethnie, qu'est-ce
que ça pourrait faire? Mais je n'ai jamais pensé à mes enfants. C'est une très bonne
question. S.G:: Est-ce qu'idéalement tu te vois avec quelqu'un de ton pays? B.H:: On ne sait jamais! Je ne sais vraiment pas. S.G:: De manière générale, comment vous vous sentez aujourd'hui? Comment tu te sens, oh mon Dieu je n'arrête pas de te vouvoyez! Comment tu te sens aujourd'hui, comment tu
vas aujourd'hui? Je sais, c'est une question très vague, mais...
[01:05:36.00] B.H:: Comment je vais... S.G:: Tu m'as parlée de plusieurs évènements, ta jeunesse et tout ça. Tu as vraiment un
parcours que j'ai beaucoup entendu aussi. Quand je parle, je pense à ma propre famille qui a vécu exactement la même chose. Mais comment tu te sens aujourd'hui? Tu as quel âge aujourd'hui ? B.H:: J'ai 23 ans. S.G:: 23 ans, bien à l'aise à Concordia. Tu as grandi au Congo, au Rwanda. Qu'est-ce que tu tires avec toi? Si tu avais à regarder cette vidéo dans 25 ans, tu lui dirais quoi à Benita 45 ans? B.H:: Je lui dirais, wow dans 45 ans? S.G:: Non, tu aurais 45 ans. B.H:: Oh ok, ouf. Je me dirais que mes cheveux étaient différents [rires], je me dirais
que je n'avais pas de rides; si je vois ça dans 45 ans franchement! Je passerais plus de temps à me comparer à ce que j'étais à cette époque, tu vois? [Rires] À quoi
je penserais? Je penserais à comment ça a commencé, comment mon amie Stéphanie m'a
demandé ça, comment j'ai accepté, mais euh ... S.G:: Quel bilan est-ce que tu tires un peu de cette expérience de raconter ta vie?
B.H:: Qu'est-ce que j'en tire? J'en tire que je suis une personne [soupir] En fait, ça
me, comment dire? Quelle expérience que j'en tire ?
S.G:: Même si tu [inaudible], tu te considères comme une personne comment aujourd'hui?
B.H:: Chanceuse. Chanceuse, parce que ça me permet de réaliser que je fais partie
d'une génération qui a pu retourner dans un pays qui lui avait été refusé. Qui a
été refusé à ses parents et à partir de là tout ce qui est sorti n'est que positif.
J'ai vu un pays aller comme ça [signe de main montrant la croissance] et j'en tire
aussi que je suis extrêmement fière d'être rwandaise. Parce que ça vient avec un bagage,
le passé, mais un futur qui est super brillant. Le Rwanda est comme une vague, je pense que
ça arrive à tous les gens de ma génération, notre président est une personne que j'admire
vraiment. Il a pu aider un pays à se relever et aspirer à être le meilleur, à s'améliorer,
à se démarquer des autres pays africains, ne pas utiliser notre peine nous [pour ?] être
ramolli par ce qui nous est arrivé, nous abattre sur notre sort. Tout au contraire,
se relever, être droit et redévelopper, tu vois? Donc ce que je vois beaucoup depuis
que je suis venu ici au Canada, j'entends beaucoup de belles choses à propos du Rwanda,
comment il a évolué, comment le Rwanda se démarque par la propreté de ses rues. Il
y a toujours quelque part un article qui parle du Rwanda d'une façon positive. Il y a des
investisseurs qui retournent au Rwanda, tous les secteurs évoluent. Donc, c'est une vague
qui me donne envie de faire partie de ce développement, parce que tout ce qui arrive au Rwanda tu
peux être le premier à le ramener, donc voilà quoi. C'est une expérience vraiment-vraiment-vraiment
intéressante, parce que tu peux avoir un gros impact sur un pays qui va être super
connu dans les années à venir, donc voilà. [01:10:44.00] S.G:: Et tu aimerais faire partie de ça? B.H:: Ah ouais c'est clair. Je ne sais pas comment, mais je ressens en moi, comment on
dit, j'ai envie de faire partie de cette vague qui va mener le Rwanda vers un futur prometteur,
qui l'amène déjà! Faut que je coure, il faut que je coure et que j'attrape la vague,
c'est ça. S.G:: [Inaudible] ...aimerais prendre la vague, qu'est-ce que tu aimerais faire? B.H:: Idéalement, je voudrais développer une coopération entre le Rwanda et le Canada.
Comme j'ai dit, c'est deux pays qui font partie de moi maintenant. Donc il y a pleins de choses
que j'ai vues au Canda que j'aimerais ramener au Rwanda, parce qu'il y a tellement d'opportunités,
il y a tellement de choses qui n'existent pas [là-bas ?], qui existent ici. L'idéal c'est que le Rwanda devienne aussi développé que le Canada. Je ne sais pas comment ça
va arriver, mais on fait déjà un super beau boulot en ce moment donc [...] ça serait
l'idéal. Arriver à attirer des investisseurs canadiens au Rwanda, créer... je ne sais
pas, ouvrir une branche de la banque Scotia au Rwanda. Tu sais des trucs comme ça qui
partent du Canada qui viennent au Rwanda, parce que le Rwanda a tellement de choses à offrir et si je peux faire partie de ça, wow ça serait super. S.G:: Wow! Je te souhaite ça! Est-ce que là tu m'as parlé de [inaudible] il a plu, mais la commémoration approche. B.H:: Ouais. S.G:: Qu'est-ce tu sens? Est-ce que pour toi c'est une période de... pour toi c'est quel
genre de sentiment tu as en tant que Rwandaise, en tant que personne qui a grandi là? Qu'est-ce
que tu ressens toi pendant cette période? B.H:: Heum, avril au Canada franchement, je compare toujours l'environnement au Rwanda où c'est beaucoup plus maussade et euh vu que c'est au Rwanda c'est... Ça rentre vraiment,
tu sens que c'est avril, tu vois? Alors qu'ici ce n'était pas vraiment, bien sûr tu t'en
rappelles, tu te dis:: " oh, on est en avril, ça fait autant d'années c'est arrivé ",
mais chacun a sa façon de vivre le mois d'avril. Disons que ma façon de vivre le mois d'avril,
une pensée... une pensée pour les membres de famille qui ont été assassinés, la plupart
dont je ne me rappelle pas, parce que j'étais trop petite. Mais voilà, quand avril approche,
vu que je peux m'associer à ça directement, je pense plus à mes parents, à ce que mes
parents peuvent ressentir. Je pense plus à mes cousins, cousines que je ne me rappelle
pas avoir rencontrés. Voilà, je n'en parle pas beaucoup avec mes parents, mais [longue
pause] c'est... voilà, c'est le moment où je pense à ces personnes. Je pense pendant
le reste de l'année, mais voilà ça revient, je me dis:: " qu'est-ce que mon père [pense
?] au fond de lui? " Parce que je sais qu'il m'a toujours répété des fois..., tout d'un
coup il va dire:: " j'aurai pu sauver ma sœur ". Parce qu'il a perdu sa sœur pendant
le génocide, mais il n'a pas pu l'évacuer. Donc son mari a pu s'en sortir, mais elle,
et je pense qu'elle avait quatre enfants, ils sont morts, tu vois? Donc je me demande...
pendant le mois d'avril, ça revient plus. Qu'il a ce sentiment d'impuissance, mais on
n'en parle pas. S.G:: Est-ce que tu voudrais que ça change? B.H:: Dans quel sens?
S.G:: Tu trouves que les parents ne nous en parlent pas assez? B.H:: Ils en parlent dans le sens qu'ils vont te dire..., ils m'ont déjà dit des gens de ma famille qui sont morts pendant le génocide, la première fois que je les ai rencontrés.
Comme j'ai dit, j'étais trop petite, 80% d'eux, j'avais deux ans, donc je ne m'en rappelle
pas. Mais je pense que ce n'est pas trop leur truc, exposer leurs sentiments. Ouais.
S.G:: Donc c'est quelque chose de rwandais ? B.H:: Je pense que c'est quelque chose rwandais franchement! Ouais. S.G:: Pour toi, quelles valeurs rwandaises sont importantes pour toi, que tu aimerais
transmettre à tes enfants, que tes parents t'ont transmis?
B.H:: Ouf, il y a une tonne S.G [Inaudible] [01:17:43.00] B.H:: Qu'est-ce que, wow! Je ne sais pas si je pourrais dire quel genre de valeurs je voudrais transmettre à mes enfants, mais je sais que ces valeurs-là qui m'ont été transmises par mes parents vont venir naturellement. Je vais les transmettre naturellement à mes enfants. Et eux ils s'en rendront compte que ce sont des valeurs typiquement rwandaises,
parce qu'ils pourront les comparer avec d'autres valeurs du milieu dans lequel ils seront.
Mais je sais qu'on a, bizarrement, je ne trouve pas d'exemple, là sur le coup. Mais... [Pause
et sourire] S.G:: Toi qui es dans le milieu québécois, canadien [inaudible], est-ce que tu vois une différence entre les valeurs québécoises et les valeurs rwandaises peut-être? [inaudible]
B.H:: Oh oui! Bien, je ne pourrais pas dire que c'est juste les valeurs rwandaises, il
y a déjà aussi les valeurs africaines juste en général qui sont, tu vois; la différence
première qui me saute à l'esprit:: le respect. Le respect des personnes plus âgées que
nous. Je pense c'est plutôt une valeur africaine, on accorde beaucoup de respect à nos aînées,
ce qui n'est pas forcément toujours le cas dans d'autres sociétés ou d'autres cultures,
dans les cultures occidentales. Un exemple, quelque chose que je trouve inimaginable,
mais qui est tout -à- fait naturel ici:: Que tes parents qui t'ont élevé, qui se
sont sacrifiés pour toi, arrivent à un âge où ils ont besoin de toi et que tu les mettent
dans un centre pour aînés, pour personnes âgées, tu vois? C'est quelque chose qui
n'arriverait pas en Afrique, d'abord ça n'existe pas "centre pour personnes âgées" En général,
lorsqu'une personne vieillit, elle se retrouve entourée de sa famille, la présence familiale est vraiment importante. Donc [pause], c'est déjà une différence que j'ai trouvée,
je ne sais pas si c'est africain [rwandais?] ou plus africain tu vois? Ici il y a tellement
de personnes âgées qui sont seules. Il y a des cas..., à la télé tu peux entendre
parler d'une vieille personne qui a été retrouvée décédée trois jours plus tard,
une semaine plus tard. Ce n'est pas quelque chose qui arriverait en Afrique, tu vois? Tu as des voisins, les relations entre les voisins sont beaucoup plus développées en
Afrique qu'ici. Ici il y a beaucoup de "tu vis pour toi-même" et on court partout, tu
vois? Donc c'est quelque chose que je ne voudrais pas adopter. Je voudrais être en mesure de
[longue pause] qu'est-ce que je disais?
S.G:: Je t'ai parlé de valeurs, tu ne voulais pas adopter ces valeurs-là, individualistes.
B.H:: Oh ok ouais. Donc voilà quoi! C'est la première qui me vient à l'esprit.
S.G:: D'accord. Ok, on arrive à la fin. B.H:: C'est fini? S.G:: J'ai peut-être une dernière question… [01:21:56.00]
ton âge, ta nationalité... te présenter. B.H.:: [un court silence] Qui suis-je? Très bonne question. Hmm, je m'appelle Benita Hakiba,
j'ai 23 ans. Je suis née mardi, je pense, à midi [rires]. Hmm, en République Démocratique
du Congo... hmm c'est quoi les autres questions? [Sourire]
S.G.:: C'est-à-dire ton âge, qu'est-ce que tu fais?
B.H: Je suis étudiante en Commerce international, John Molson et c'est ma deuxième année.
S.G.:: Tu es de quel pays d'origine? B.H:: Je suis originaire du Rwanda. S.G. :: Alors je vais commencer par te demander quelles sont tes souvenirs les plus anciens de ton enfance; genre qu'est-ce qui est le souvenir le plus lointain qui te viens à
l'esprit quand je te pose cette question? B.H:: Ça dépend [en regardant vers le bas], souvenirs familiaux ou souvenirs...
S.G.:: Oui ça peut être familial, j'imagine c'est... que ça devait être avec ta famille...
N'importe quoi qui te vient à l'esprit; genre de ta maison, de ton premier quartier, de
tes amis, de tes voisins; quelque chose qui te... le plus loin que tu te rappelles. B.H.:: Le plus loin... [Sourit en regardant autour] S.G.:: Tu avais quel âge? [inaudible] B.H.:: Voir deux ans trois ans... juste toi en me posant cette question, quel est mon souvenir le plus lointain sans nécessairement penser à une catégorie spécifique, je me
rappelle... je pense à un serpent, le premier serpent que j'ai rencontré. [Rire] S.G:: T'es sérieuse? B.H:: Ouais, bah tu m'as dit mon premier souvenir. S.G:: Oui, oui oui c'est ça, je suis curieuse. B.H:: Hmm, j'avais... j'avais j'avais, j'avais 5 ans. J'étais retournée pour la première
fois au Congo dans ma ville natale, Beni. S.G:: Quand tu dis que tu étais retourné... B.H:: Parce que je suis née à Beni, en 88, ensuite on a quitté la ville, on est allé
dans une autre ville du Congo; fait que... j'étais pas retournée... bah c'est la première
fois que je suis retournée à Beni et que je m'en souviens en fait, parce que j'ai quitté Beni quand j'étais vraiment bébé, je pense, j'avais deux mois. Donc voilà on est retourné
à Beni et j'allais jouer avec une amie, fait que j'ai dit au revoir à maman, j'ai dit...
c'était juste la maison à côté j'ai ouvert la porte, je l'ai refermée et là je suis
tombée nez-à-nez avec un serpent. Et pourquoi je m'en rappelle, c'est parce que ces serpents,
au début j'ai cru qu'ils avaient deux têtes et pendant plusieurs années j'ai cru qu'ils avaient deux têtes, parce que certains serpents ont des motifs sur leurs queues pour éloigner
les prédateurs, ce qui fait que si un oiseau essaie de l'attaquer, il va penser que...
il a deux têtes en fait c'est comme s'il a des yeux sur sa queue ou quelque chose.
Bref, on m'a expliqué ça plus tard, mais pendant plusieurs années j'étais persuadée que j'avais rencontré un serpent à deux têtes. S.G:: Qu'est-ce qui s'est passé? B.H:: Alors j'ai passé 30 secondes sans rien dire; j'étais complètement stupéfaite et
tétanisée et finalement... aucun son ne sortait de ma bouche et là j'ai crié:: " maman "!
mais le " maman " sortait du fin fond de mes tripes et elle a compris qu'il y avait quelque chose. Elle est sortie en courant, elle est venue, hmm, en ouvrant la porte elle m'a vue avec un serpent devant moi qui était déjà en position pour attaquer et c'est
là qu'elle m'a dit:: "ne bouge pas "! Elle a appelé le cuisinier, je pense, qui s'appelait
Musubao et il est venu; je pense que c'est ça le nom du cuisinier; il est venu, il a
tué le serpent; bref, d'un seul coup... S.G:: Devant toi? B.H:: Ouais devant moi. Je ne pouvais pas bouger, parce que c'était ça le truc; le serpent me fixait. Donc, je devais rester où je suis pendant que le cuisinier venait
de l'arrière, eh ouais de l'arrière pour l'assommer avec un bâton. Puis voilà, il
l'a tué, il l'a brûlé, il m'a montré; bah il l'a pris avec une branche et ils l'ont
mis dans un imbabura, comment on appelle ça? [Rire] C'est une espèce de réchaud... comment on explique un imbabura ? S.G:: Je ne sais pas. B.H:: C'est un truc, bref c'est du charbon...dans un...feu fait avec du charbon, voilà! S.G:: Wow ok, alors on va revenir, tu m'as dit plusieurs choses. Donc tu es née à Beni, ensuite tu es partie dans un village qui s'appelle... B.H:: Pas dans un village, dans une ville qui s'appelle Bukavu. S.G:: Donc Bukavu, ensuite tu es revenue à Beni. B.H:: Ouais. S.G:: Ensuite, est-ce que tu es allée à l'école? B.H:: Oh ouais, ouais, ouais, j'allais à l'école belge de... S.G:: Mukana. B.H:: Ouais, de Mukana. S.G:: Et c'était en? Ta première année à l'école c'était...?
B.H:: Ouf. S.G:: Tu avais trois ans? Quatre ans?
B.H:: Ouais sûrement. J'ai fait les maternelles, jusqu'en première primaire.
S.G:: Ok, et si on continue on remonte, quelles sont tes souvenirs à Beni, de ton école
euh de Bukavu pardon, de ton école, de tes amis? Qu'est-ce que tu gardes un peu de ton
enfance, comment tu la décrirais? B.H:: Souvenir de mon école. Je me rappelle de... bah mes...j'ai deux frères et deux sœurs, on allait tous à la même école. [00:06:20.00] S.G:: Ok, quel âge, différence d'âge... B.H:: Ouf! S.G:: ...entre tes frères et sœurs et toi? B.H:: Bah on est cinq et le quatrième...; je suis la cadette, le quatrième a sept ans
de plus que moi, donc tu imagines que les autres [ricanement] ont beaucoup plus que ça. Ce qui fait qu'ils étaient déjà au secondaire quand j'étais au primaire. J'étais le bébé de la famille, tout le monde s'occupait de moi et je me rappelle que mes sœurs, ma
mère me faisait du pain perdu pour, comme goûter, mais c'était vraiment lundi, mardi,
mercredi [rires] ce qui fait qu'après un certain moment, j'en avais marre [rire] du
pain perdu, alors ce que je faisais, mes sœurs savaient que je n'aimais pas le pain perdu,
ce qui fait que ma mère me mettait ça dans ma boîte, mais vu que je ne protestais pas,
j'amenais ça à l'école et pendant la récré mes sœurs venaient me voir avec leurs amis
[ricanement] pour me demander mon goûter [rires] et je m'en débarrassais avec joie. Fait que ça faisait le bonheur des deux parties et quand je rentrais à la maison je montrais
à ma mère la boîte vide:: " maman j'ai fini le pain perdu ". [Rires] Je pense qu'elle
ne connaît pas cette histoire, mais bon:: " Maman, tes autres enfants mangeaient mon
pain perdu " [Rires] S.G:: Oh mon Dieu, Ok! Quel genre de petite fille tu es à l'école? Tout le long de maternelle
ou primaire, comment tu te décrirais comme petit enfant? B.H:: Maternelle, je m'en rappelle, je n'ai pas beaucoup de souvenirs de maternelle, mais je sais que mes parents ont gardé une photo de mon premier jour d'école et j'ai eu les
cheveux coupés pendant longtemps jusqu'à mon âge, jusqu'à quel âge? Je pense facilement
jusqu'à dix ans, non, hmm non, facilement six-sept ans. Fait que le coiffeur venait
à la maison et il coupait les cheveux de mon père, ensuite j'étais la deuxième qui passait sous la tondeuse; donc la photo de mon premier jour d'école, je portais un pull
blanc avec un panda dessus. J'étais assez... disons que j'avais l'air...quand je regarde
cette photo je me dis " hmm ", j'avais l'air d'un enfant qui ne se laissait pas faire,
j'étais prête à conquérir le monde et mes parents étaient vraiment impressionnés
par mon premier jour, parce que hmm, c'est ce qu'ils me disent, cette photo leur rappelle beaucoup de choses:: mon premier jour d'école, j'étais prête à affronter et je suis devant
la caméra et je fais mes bras comme ça devant, tu vois [ démonstration de ses bras sur la photo] fait que c'est marrant. Juste à voir, j'ai un petit sourire malicieux et les bras comme ça, de genre... [démonstration de ses bras sur la photo] voilà quoi, je suis prête à affronter toutes ces années! Je suis toujours à l'école en plus là, fait que... voilà. Sinon au primaire... S.G:: Tu étais toujours à Bukavu au primaire? B.H:: Ouais. Oh, je me rappelle que ma mère me donnait cours. S.G:: Cours? B.H:: Ouais. S.G:: C'était une prof? B.H:: Hmm hm [hochement de la tête] Ouais ma mère est professeure de primaire et un moment, à une certaine époque, la classe de première et celle de deuxième année
primaire étaient ensemble, on les a combinées. Ce qui fait que je me suis retrouvée dans
la classe de ma mère parce qu'elle donnait cours de deuxième primaire et on lui a donné la première. Bref, ce qui fait, on penserait que c'est un avantage d'avoir cours avec sa
mère, mais j'étais là pour montrer exemple aux autres. Fait que j'ai toujours été une
très grosse parleuse à l'école et donc j'étais toujours la première à me faire
punir. Alors quand on rentrait à la maison, je demandais:: " mais maman, pourquoi est-ce que tu me punis tout le temps? " Elle me disait: " écoute, d'abord parce que tu le mérites et deuxièmement pour montrer l'exemple "; pour montrer qu'il n'y a pas de favoritisme et tout. Mais voilà c'est quand même de beaux souvenirs.
S.G:: Tu étais une bavarde. B.H:: Ouais, pas une bavarde... socialement très ouverte [Rires]. S.G:: ... qui dit ça, tu embellis le mot. B.H:: [Rires] S.G:: Est-ce que tu as connu tes grands-parents? B.H:: Grands-parents, voyons voir, commençons par du côté maternel. Je n'ai pas connu
ma grand-mère, parce qu'elle est décédée lorsque ma mère était au secondaire. Fait que je n'existais pas, aucune, aucun de mes frères et sœurs n'existait, donc je l'ai
pas connue. La première fois que j'ai rencontré mon grand-père, la première fois, dont je
me rappelle où j'étais vraiment consciente que c'était mon grand-père c'était en 94 [Mille-neuf-cent-quatre-vingt-quatorze]. Ensuite du côté paternel, je n'ai pas connu mon grand-père paternel même si mon père
dit que je l'ai déjà rencontré quand j'étais bébé; je ne le connais pas, parce qu'il vivait au Rwanda et il a quitté ma grand-mère il y a longtemps. Donc on vivait dans deux
pays séparés et puis il a été assassiné pendant le génocide de 94 [Mille-neuf-cent-quatre-vingt-quatorze]. Donc je n'ai pas eu l'occasion de le rencontrer. La seule personne avec qui j'avais vraiment
une relation proche et dont je me rappelle vraiment très bien, c'est ma grand-mère
paternelle qui vivait à Goma, mon père l'avait fait venir au Congo et voilà! Donc c'est
la seule que j'ai connue. J'allais en vacances là-bas, je m'en rappelle. Chaque fois j'allais lui rendre visite [...elle me donnait ?] du thé sans lait, donc c'était du thé noir.
Il n'y a que chez ma grand-mère que ça arrivait, à la maison on buvait du lait et chaque fois
que je venais en vacances, elle allait, elle voulait faire quelque chose de spécial, elle
savait que j'aimais les beignets; fait qu'elle allait acheter des beignets tout chauds chez la voisine qui en vendait. Donc ça c'est mon souvenir de mes vacances chez ma grand-mère. [00:13:26.00] S.G:: Oh wow, quel beau souvenir! Puis donc voilà, tu dis que tu étais au Congo, est- ce que tout ton primaire tu étais au Congo? B.H:: Non, non, j'ai quitté en 95 [Mille-neuf-cent-quatre-vingt-quinze]; j'allais en deuxième primaire. S.G:: Deuxième primaire tu es partie où? B.H:: Je suis retournée au Rwanda. S.G:: Tu es retournée. Ce n'était pas la première fois pour toi que tu allais au Rwanda?
B.H:: Je me rappelle que j'ai été au Rwanda une seule fois avant 95 [Mille-neuf-cent-quatre-vingt-quinze],
mais j'ai juste traversé la frontière Bukavu pour aller dans une ville à côté qui s'appelle
Cyangugu. Je ne sais pas pourquoi j'y suis allée, j'y suis allée avec mes parents,
mais c'est ça. J'y suis allée une seule fois. S.G:: Ok, 95 [Mille-neuf-cent-quatre-vingt-quinze] c'est la période que tu vas vraiment t'installer. À Kigali même? B.H:: Exactement. C'est le retour, c'est vraiment une période où tout le monde retournait
au Rwanda. S.G:: Donc tu étais avec tes frères et sœurs, tes parents... tout le monde!
B.H:: Non. J'étais avec ma mère, mon frère; en fait ce qui est arrivé, c'est que mes deux sœurs, mes deux grandes sœurs ont été envoyées avant. Elles ont commencé l'université
à l'Université de Butare. Ensuite je me rappelle que j'ai suivi avec maman et mon
grand frère Christian. On a laissé Victor à Bukavu, parce qu'il était en sixième
secondaire, fait que mes parents voulaient qu'il finisse sa sixième secondaire à l'école belge, afin qu'il puisse avoir son diplôme, pas perdre l'année, parce qu'il n'y avait
pas encore de secondaire ... d'école vraiment établie après le génocide, donc c'était mieux qu'il finisse pour qu'il puisse commencer l'université. Mon père je sais [hésitation],
bizarrement je n'arrive pas à le situer, je ne sais pas où il était... Bref, c'est
ça. S.G:: Ok, tu arrives au Rwanda, tu as sept ans.
B.H:: Ouais, j'ai eu mes sept ans au Rwanda. Décembre 95 [Mille-neuf-cent-quatre-vingt-quinze]
S.G:: Ok, puis est ce qu'à cette période ... comment tu trouves le Rwanda? Tu arrives là-bas du Congo, le changement, c'était quoi tes impressions du Rwanda à sept ans? B.H:: Un rejet total. Pour moi, je n'étais pas Rwandaise. Les personnes qui osaient m'appeler Rwandaise, je devenais littéralement folle. Je rejetais tout ce qui s'appelait Rwandais
et Rwanda, parce que je suis née au Congo, je ne parlais pas la langue, la langue n'était
pas parlée à la maison et donc la première langue que j'ai apprise à parler c'est le
français, ensuite le swahili qui est une des langues du Congo et je me rappelle que
les premières fois j'ai entendu le kinyarwanda, je pouvais entendre des mots, mes parents parlaient entre eux, mais je me rappelle que c'était vraiment ... que c'était vraiment interdit de parler kinyarwanda d'une sorte de façon. Mes parents à l'époque de la
libération du Rwanda par le FPR [Front Patriotique Rwandais], mes parents, je m'en rappelle qu'il
y avait beaucoup de va et vient dans la maison; et mes parents commençaient à écouter des
chansons qui étaient étrangères pour moi, parce que c'était une langue que je ne connaissais
pas, mais c'était des chansons tellement rythmées que je les appréciais. Alors, je
me rappelle, une fois j'ai augmenté le volume pour écouter cette chanson et ma mère a
sauté sur moi en me disant que personne ne devait savoir qu'on écoutait ce genre de
chansons. Donc, il n'y avait aucun côté rwandais pour moi. Je ne voulais pas aller
au Rwanda, je ne trouvais pas que c'était un pays intéressant:: le Congo, c'était ma place, mais maintenant je suis vraiment contente et fière d'être Rwandaise. S.G:: On va bien parler de comment tout a bien changé comme ça; mais en 95 c'est le rejet, mais bon ... tu es obligée d'y être; et comment tu trouves la vie... genre, qu'est-ce que tu vois autour de toi, le Rwanda c'était comment, post-génocide 95? Les gens peut-être,
même l'école; est-ce que tu as commencé l'école bientôt ou il n'y avait pas d'école
établie? B.H:: Il y avait une école où tout le monde allait, ça s'appelait:: La Colombière. C'était
là où tout le monde a commencé à aller, puis il y a eu aussi l'École Belge, mais avant que j'obtienne mon inscription à l'École Belge, j'ai commencé à La Colombière. Ma
mère a pu commencer à travailler directement à l'École Belge. Tu veux savoir les premières
impressions du Rwanda? S.G:: Oui. B.H:: Déjà que je n'accueillais pas facilement l'idée d'être au Rwanda, je trouvais que
c'était un pays sous-développé comparé d'où je venais. Un pays détruit, parce que
je savais qu'il venait d'y avoir une guerre. S.G:: Tu savais? [00:19:02.00] B.H:: Ouais. Mes parents me l'ont dit et en même temps quand on a quitté le Congo, en
fait quand on était au Congo, il y avait des gens, des gens de ma famille qui fuyaient,
qui arrivaient à trouver un moyen pour traverser une rivière, ou je ne sais pas quoi, et venaient
à la maison. Ce qui fait que tout l'arrière de la maison était rempli de réfugiés. C'est comme ça que le père de ma mère a pu être sauvé, mais il amenait avec lui,
bien sûr des membres de la famille:: cousins, cousines, mais des voisins, également des
voisins. Donc il trouvait un enfant à gauche qui était, je m'en rappelle, qui était criblé
d'éclats de grenade; quand j'ai vu toutes ces personnes qui étaient ensanglantées,
j'ai demandé à mes parents qu'est-ce qui se passe et ils m'ont expliqué ce qui est arrivé:: qu'il y avait une guerre au Rwanda et ta- ta- ta.... Quelques temps plus tard, on déménage au Rwanda. Je n'étais pas très contente. Bref, pour revenir à ma première
impression, un pays qui m'était inconnu, un pays où je ne pouvais pas sortir toute
seule ou me promener dans un quartier que je ne connaissais pas, parce qu'il y avait des mines partout, donc il fallait vraiment marcher sur des sentiers tracés, là où
tout le monde passait, parce qu'on disait tout le temps qu'il y avait des campagnes qui passaient à la télévision qui disaient que si tu veux prendre un raccourci pour aller
derrière ta maison, tu risques de tomber sur une mine. Donc, déjà ça, ce n'était pas sécuritaire. Ensuite je me rappelle qu'on retrouvait des morceaux d'habits ensanglantés,
j'ai trouvé un crâne une fois... voilà, ce dont je me rappelle quand je suis retournée.
S.G:: Et là tu es installée à l'école La Colombière; est-ce que tu te fais des amis ou c'est difficile parce que tu ne parles pas kinyarwanda? Comment ça se passe vers l'intégration pour la première école et même la deuxième:: École Belge?
B.H:: La Colombière je pense que j'ai fait trois mois, mais trois mois qui étaient vraiment
horribles, parce que c'était la première fois que je me retrouvais dans un système
diffèrent; parce que j'ai toujours été dans une école belge, donc avec un système belge. Là, j'étais dans un système rwandais où mon premier choc était qu'on était plus
de 40 élèves par classe. Ce qui fait que le bruit était insupportable. Ensuite je
me suis fait voler mon matériel; je suis allée dire au professeur, elle ne pouvait rien faire, donc je trouvais qu'on ne soutenait pas les élèves. Ensuite, je me rappelle
qu'entre les classes, le mur n'était pas fini donc le mur n'arrivait pas jusqu'au plafond,
ce qui fait que tu entendais ce que le prof à côté disait à ses élèves:: la cacophonie totale. Ensuite, je ne parlais pas la langue, je ne connaissais personne! Ça ce n'était
pas trop un problème. Ah ouais, la partie la plus incroyable c'est que devant la classe,
c'est une école qui a dû être érigée vraiment rapidement pour accueillir toutes les familles qui revenaient, donc devant la classe il y avait une crevasse; et un jour
il a plu, on était en classe, quand on est sorti pour rentrer à la maison, on ne pouvait même pas sortir parce qu'il y avait une espèce de rivière qui venait de se former. Ce qui fait qu'il fallait attendre que des adultes - j'avais six ans- il fallait attendre que des adultes nous portent pour nous faire sauter cette grosse flaque qui était vraiment impressionnante.
Ensuite, je devais marcher pour aller à l'école avec mes cousins, ce qui ne me plaisait pas;
j'avais l'habitude de me faire déposer par mes parents, mais j'ai su plus. Pourquoi mes parents ne pouvaient pas me déposer? On venait juste d'arriver et le temps de s'habituer
et s'adapter. Heureusement, j'ai pu aller à l'école belge et voilà. [00:23:37.00] S.G:: C'était donc trois mois après. Est-ce que là cette fois-ci tu te sentais plus dans ton élément? B.H:: Ouais tout à fait. C'était exactement comme à l'École Belge de Bukavu.
S.G:: Et les élèves? B.H:: Les élèves, exactement la même chose:: toutes les nationalités. Alors qu'à la Colombière c'était que des rwandais, alors que pour moi les rwandais c'étaient des inconnus. S.G:: Est-ce que tu commences à parler kinyarwanda à cette période? Tu commences à apprendre un peu, tu commences à un peu aimer le Rwanda peut-être? B.H:: En fait ce qui est arrivé, c'est que de toute ma famille c'est moi qui parle le
mieux kinyarwanda, parce que je suis arrivée là-bas j'étais encore assez jeune; ce qui fait que je jouais avec des enfants dans le quartier, j'ai pu apprendre la langue plus rapidement que mes frères et sœurs qui étaient déjà adolescents et l'approche n'est pas la même, donc ouais j'ai appris la langue assez facilement. Mes parents étaient vraiment
impressionnés. Ils ont essayé aussi en m'achetant des livres, je ne sais pas si ça s'appelle...
c'est comme... je ne sais pas si je peux appeler ça un poème, mais c'est un truc qui allait::
so ni nde, Kazitunga, gira so tunga, tunga gege, gira so gege, gege amahina, gira so
mahina, mahinabyavu, gira so byavu, byavu quelque chose ça, bref. C'était vraiment
des mots qui allaient ensemble qu'ils allaient [...fallait ?] répéter jusqu'à ce que tu finisses. Et la première phrase en fait; je pense c'est une façon de...; so ninde?
En kinyarwanda ça veut dire:: qui est ton père? Alors l'histoire ou la poésie commence
en disant qui est ton père:: So ni nde? Rép:: Kazitunga; gira so tunga, tunga gege... Ça remonte de génération en génération, je ne sais pas c'est la famille de qui, mais c'est un livre que mes parents m'avaient acheté et c'est la première chose que j'ai apprise et c'était vraiment un plaisir pour moi d'apprendre et d'aller le réciter devant mes parents. Donc, c'est comme ça que le kinyarwanda et moi nous avons commencé à rentrer en contact.
S.G:: Donc École Belge, tu commences à un peu plus t'intégrer au Rwanda et puis qu'est-ce
que tu faisais dans ton temps libre, même à l'école? B.H:: Qu'est-ce que je faisais? Il n'y avait pas grand-chose à faire franchement. Revenait
[Je revenais?] à la maison; la sœur de mon père vivait au Rwanda, elle est arrivée
au Rwanda avant nous, elle avait des enfants. Donc elle habitait près de chez nous, je pense... On a déménagé trois fois au Rwanda. Bref, mes parents ont acheté une maison et
c'était dans le même quartier que ma tante, donc c'est comme ça que j'ai commencé à
sortir de la maison, à voir des activités, c'était ça des activités en dehors de la maison:: c'était aller chez ma tante, jouer avec mes cousines et mes cousins et les autres enfants du quartier. Sinon c'était l'école... S.G:: Vous alliez à la même école? B.H:: Toujours, c'est toujours le cas [Rires] S.G:: Donc après, tu grandis un peu plus, tu commences peut-être le secondaire?
B.H:: Ouais, le secondaire. S.G:: Comment était cette expérience pour toi?
B.H:: Ouf, secondaire! C'était en quoi...? Je ne sais même pas quand ...2000...
S.G:: Comment c'était? B.H:: J'étais déjà dans mon élément franchement, je ne pense pas qu'il y ait grand-chose à raconter sur mon secondaire. Euh ouais, secondaire, de belles années.
S.G:: De belles années. Et là est-ce que tu commences à te sentir un peu plus rwandaise?
B.H:: Oh ouais! S.G:: Ça a commencé plus tôt, ça a commencé avant ça? B.H:: Ouais. S.G:: Qu'est-ce qui tu fais dire:: oh tiens, peut-être que
je ne suis pas congolaise? B.H:: Je ne sais pas comment la transition a eu lieu, mais je sais qu'après quelques
temps; peut-être parce que les gens que je voyais ressemblaient plus à moi, plus de
traits, je me reconnaissais en eux. La famille, j'avais des cousins à côté de chez moi,
ce qui n'était pas le cas avant. Je pouvais dire que je vais chez ma tante, mais cette femme était la sœur de mon père tu vois? Franchement, je ne sais pas comment c'est
arrivé, mais ça a quand même disparu assez rapidement. Ce qui m'a aussi étonné. S.G:: Et [à?] quelles valeurs [te?] dirais-tu rwandaise? Quelles sont les valeurs rwandaises à ton avis que tu as apprises? Peut-être parce qu'elles sont différentes de celles
du Congo, les gens, maintenant que tu le vois avec plus de recul. Qu'est-ce qui était différent
du Congo que du Rwanda? B.H:: Différent du Congo... Rwanda, Congo. Quelle est la différence? S.G:: Des gens ou au niveau de la culture, quoi que ce soit que tu aies remarqué quand
tu étais plus jeune ou que tu remarques même maintenant.
[00:29:48.00] B.H:: Franchement ça serait dur à comparer. S.G:: Tu étais là à l'époque où le Rwanda était beaucoup plus sous-développé? B.H:: Ouais! S.G:: Et que les gens te ressemblaient moins là-bas qu'au Rwanda.
B.H:: En fait, en rentrant au Rwanda, j'ai appris à découvrir un milieu auquel j'aurais
dû appartenir depuis longtemps avant, tu vois? Je suis arrivée juste après le génocide,
donc je savais déjà ce qui était arrivé là-bas.
S.G:: Qu'est-ce que tu en savais? On t'avait dit qu'il y avait eu une guerre, est-ce que
tu en savais plus que ça? B.H:: En fait c'est plusieurs choses que j'ai connectées. C'est tout d'un coup, la maison dans la maison, mes parents pleurent. Tout d'un coup, mes parents sont accrochés à
leur radio. Tout d'un coup, des étrangers viennent à la maison. Tout d'un coup, lorsque
les interahamwe ont commencé à fuir le Rwanda, ils venaient vers le Congo, je me rappelle
qu'on entendait des coups de feu. Donc tout d'un coup, on mettait nos matelas par terre,
mes parents voulaient qu'ont dorment parterre pour s'assurer qu'au cas où il y aurait des
tirs près de la maison, on ne soit pas touché par ça. Donc c'était une aventure pour moi.
Je ne sais pas. Tout enfant aime bien tout ce qui est excitant, tout ce qui sort de l'ordinaire.
Donc c'était excitant au point où on se cachait, on écoutait des chansons vraiment
avec; un moment donné, on habitait à côté, je peux appeler ça une gendarmerie, et c'est
dans cette maison qu'on ne pouvait pas écouter de la musique à fond, parce qu'il y avait
des militaires congolais à côté. Donc pour une certaine raison, mes parents ne voulaient
pas qu'on soit associé à tout ce qui est rwandais, tu vois? Donc ce sont pleins de
choses qui se sont connectées. Ensuite, là où j'ai commencé à comprendre que c'était grave, c'est lorsque j'ai vu mon grand-père arriver, ma mère courir vers lui, elle commençait
à pleurer et là... je vois des gens arriver avec des blessures ouvertes. Un enfant qui
était plus jeune que moi, comme j'ai dit qui était criblé d'éclats de grenade, certains
étaient brûlés. Donc ma cour arrière s'est transformée en camp de réfugiés en fait.
C'est là que j'ai demandé la question à ma mère:: " mais maman c'est quoi ça? " Et
c'est qu'elle me disait:: " voilà il s'est passé ça, ça, ça et ça, il y a une guerre ",
donc... c'était quoi la question déjà? S.H:: Non c'est ça, je voulais savoir ce que tu savais de la guerre.
B.H:: Ouais. S.G:: Donc tu commençais à recoller les morceaux... B.H:: Ouais. J'ai commencé à recoller les morceaux; histoire des ethnies, je ne connaissais
pas ça avant d'arriver au Rwanda. Donc j'ai appris ça plus tard, voilà quoi. Donc, pour
moi génocide c'était Congo, FPR, organisation de tout. En fait, après, mes parents m'ont
expliqué que les gens qui débarquaient chez nous, ils avaient créé des cellules pour
appuyer le FPR. Donc toutes familles rwandaises qui étaient à l'étranger un peu partout
dans le monde se réunissaient pour récolter de l'argent et envoyer au FPR et voilà. Ils
m'ont expliqué ça un peu plus tard. Encore récemment on a eu une discussion à propos
de ça où mes parents disaient que j'ai compris que ça a été une espèce de vague. Le FPR
a permis à nous tous de rentrer au Rwanda, mais en même temps, j'ai compris plus tard
que c'est une vague qui s'est répartie, et il y a des enfants de familles que je connaissais
ou de familles normales qui fuguaient, qui fuyaient leurs maisons pour rejoindre le FPR.
Donc le but des cellules dont mes parents faisaient partie c'était de trouver un moyen
de faire, d'aider ces jeunes qui voulaient partir rejoindre l'armée d'une façon sécuritaire,
d'une façon voilà quoi. Donc et souvent mes parents disaient:: Dieu merci nos enfants,
bien que mes deux frères étaient trop jeunes pour rejoindre l'armée à ce moment-là,
parce qu'ils se disent qu'ils seraient allés. Ils auraient rejoint le FPR. Ils ont [connu?]
beaucoup, beaucoup, beaucoup d'enfants de familles amies qui ont rejoint le FPR pour
libérer le pays. [00:35:00.00] S.G:: Et donc après tu nous parles de l'histoire de l'ethnie que tu as commencé à comprendre
au Rwanda... B.H:: Ouais. S.G:: Est-ce que tu sais comment un peu c'est arrivé? Ou soit quelqu'un t'a dit ou si toi-même
tu as commencé à encore coller les morceaux. C'est un peu ça, des fois c'est...
B.H:: Je ne pourrais pas te dire la première fois où j'ai entendu parler de mon ethnie
ni comment c'est arrivé, mais je sais que dans la culture rwandaise c'est quelque chose qui est vraiment tabou. C'est quelque chose que j'ai remarqué directement. Et pour moi
j'ai comparé avec d'autres pays où la première question qu'ils vont se poser est:: " de
quelle ethnie es-tu? " Et les Rwandais, ils ne posent pas la question. Donc, comment j'ai
su quelle ethnie je faisais partie? Sûrement mes parents me l'ont dit, mais je ne pourrais
pas te dire à quel moment. Quand on est retourné, c'est sûr. Mais le reste, srement à la télévision. S.G:: Donc tu ne sais pas comment tu t'en es aperçue, mais est-ce que par exemple à
l'école, il y avait une division, quelque chose que tu remarquais ou bien tu dirais
que tout le monde étaient égaux?
B.H:: Non, à l'école j'étais dans une école belge, je n'ai jamais été vraiment confrontée
de voir qui est de quelle tribu, mais je sais que c'est quelque chose que la génération
de mes parents, c'est quelque chose sur quoi ils se basent encore- tu vois? Donc, c'est
comme ça que par exemple pour savoir si un ami était d'une autre ethnie que moi, c'est
quelque chose que j'aurais entendu de mes parents ou alors d'une personne qui est de
la génération de mes parents, tu vois? Parce que moi je n'arrivais pas à faire la différence;
alors que mes parents ils ont grandi dans ça. Ils ont grandi dans la division où ils ont été persécutés, bref tout ça c'est quelque chose qu'ils ont continué de trimbaler
avec eux, alors que pour moi quand on est arrivé, on m'a dit tu es ça, ton voisin est ça, ok; mais je n'ai rien contre mon voisin d'une façon, tu vois? Euh ouais, c'est
ça je pourrais dire. S.G:: Et donc là, ça y est tu es intégrée au Rwanda etc., tout va bien. Hum tu sais qu'il y a eu une grosse guerre et puis chaque année en avril, comment est-ce que tu décrirais
l'atmosphère du Rwanda ou Kigali? B.H:: [Pause] tout s'arrête. Déjà la plus grosse chose que j'ai remarquée qui changeait, c'est le programme à la télévision. TVR, la télévision rwandaise comme ça s'appelait
à l'époque. Euhm chaque année, il remettait des épisodes, pas des épisodes, des images
[de ce ?] qui s'est passé, du génocide. Ehum, ensuite, les chansons vraiment macabres
et morbides, c'est vraiment des sons... tu ressens la douleur dans ce genre de chansons.
Donc dès que je suis arrivée, déjà c'est quelque chose que je voyais souvent. Au début,
je regardais, parce que je voulais [bégaiement] savoir ce qui était arrivé, mais après
quelque temps, ça te plonge dans une certaine tristesse, tu sais chaque année, tu te dis
c'est encore avril, tu vois? C'est encore avril, le programme à la télévision va changer, les gens, certaines personnes que tu connais vont changer d'humeur, tomber dans
la dépression, donc c'est ça que j'ai remarqué. Un moment où tout s'arrêtait. Ouais je peux
dire ça comme ça. [00:40:36.00] S.G:: Et puis quelque temps après tu décides de venir ici?
B.H:: Hmm hmm. [Hochement de tête] S.G:: Comment tu te sens de quitter? B.H:: Oh, déjà j'ai quitté il y a super, bah ça va faire cinq ans? Mais avant de venir
ici, donc j'ai fini école secondaire, je suis allée à l'université au Kenya, j'ai
commencé au Kenya. S.G:: Pourquoi au Kenya? B.H:: Euh parce que mes parents voulaient renforcer mon anglais et c'était le pays
le plus proche du Rwanda [rires]. Donc, ouais. Puis mes frères aussi ont étudié là-bas.
Donc, voilà j'étais prête à quitter le Rwanda, poursuivre mes études et voilà quoi?
Disons [que] j'étais plus intéressée de découvrir un monde extérieur.
S.G:: Et puis, combien d'années au Kenya? B.H:: Une année environ. S.G:: Comment se passe ton intégration là-bas? Comment tu trouves par rapport au Rwanda le
Nairobi, Nairobi, j'imagine? B.H:: Ouais. Nairobi. Bah 45 minutes de Nairobi, fait que c'est là où il y avait mon école et puis pendant le weekend je rentrais chez une famille amie, des Kenyans. Euh ouais,
ça s'est super bien passé. C'était ma première fois loin de mes parents.
S.G:: Ok, et puis un an au Kenya et puis qu'est-ce qui se passe?
B.H:: Un an au Kenya, ensuite euh bah voilà je suis venue ici! S.G:: Et comment tu trouves le Canada? B.H:: Bah je suis venue directement à Montréal.
S.G:: Toute seule? B.H:: Non non non, avec mes parents. Franchement, je suis contente du choix que j'ai fait. Bah
ce n'est pas moi qui ai fait le choix, je suis contente du choix que mes parents ont fait. S.G:: Est-ce que tu sais pourquoi ils ont choisi Montréal? B.H:: Non je ne sais pas pourquoi, mais je peux dire qu'au début je voulais aller à
Ottawa [rires], mais maintenant que je connais les différences entre les [rires] deux villes, je suis vraiment contente parce que Montréal c'est un peu de Toronto avec un côté français.
C'est le meilleur des deux mondes en fait, français-anglais avec un style, les bâtiments
sont... il y a de l'espace déjà entre les bâtiments, ce qui est différent de Toronto. Je me sens [...], bref Montréal est parfait pour moi. S.G:: Et donc tu viens ici pour les études et tu t'intègres? B.H:: Ouais, ouais. S.G:: Est-ce qu'il a une communauté rwandaise à laquelle tu te rattaches directement?
B.H:: Est-ce que je me suis rattachée aux Rwandais? S.G:: Ou tes parents? B.H [Soupir] S.G:: Des activités rwandaises? B.H:: Non. Activités rwandaises, non pas vraiment, mais j'ai retrouvé des amis que
je connaissais au Rwanda. Donc bien sûr, sont les premières personnes vers qui je suis allée qui m'ont aidé à m'intégrer au Canada, mais euh j'ai de tout, j'ai des
amis rwandais, tout comme j'ai des amis qui ne sont pas rwandais. S.G:: Ok et comment trouvez-vous les gens au Canada? C'est la première fois j'imagine que tu quittes l'Afrique? B.H:: Ouais; l'Afrique ouais. Ouf, ouais c'est vrai. S.G:: Le choc culturel, y a eu ou peut-être pas eu de choc?
B.H:: Non, il n'y a pas eu de choc. Je pense que le fait que j'ai été dans un système
belge pendant très longtemps m'a un peu... non, il n'y a pas eu de choc. J'étais vraiment
dans mon élément tout de suite. Après, c'est que les gens que je rencontrais ici me demandaient:: " ça fait combien de temps que tu es ici? " Quand je leur disais:: " ça fait moins d'un an ", ils me disaient:: " comment ça, tu as l'air d'être du milieu "; tu vois? Donc non, c'était vraiment comme un poisson dans l'eau. [00:44:45.00] S.G:: Et les gens d'ici, toi comment tu les trouvais? Enfin c'est peut-être les Québécois
ou même les immigrants. [inaudible] B.G:: Super sympa! Franchement n'y a rien n'à dire. Mon expérience au Canada, la meilleure
qui puisse, donc je n'ai pas à me plaindre.
S.G:: Et donc tu me dis que tu n'as pas l'impression que tu étais particulièrement rattachée
à la communauté rwandaise? [inaudible] B.G:: Comme je dis franchement, vu que je suis rwandaise, j'arrive dans un pays où je ne connais personne, les premières personnes vers qui je suis allée sont des rwandais que je connaissais déjà depuis le Rwanda et c'est eux qui m'ont un peu présentée à d'autres personnes de leur milieu. Mais c'est vrai que mes horizons, bah mes connexions,
si on peut appeler ça comme ça, sont encore plus élargies quand j'ai commencé l'école; donc quand j'ai commencé à travailler aussi en fait. S.G:: Et c'est à quelle période tu as commencé à travailler? B.H:: J'ai commencé à travailler quelques temps avant de commencer l'école. J'ai commencé à travailler quelques temps et ensuite je suis retournée à l'école S.G:: Et est-ce que c'est important pour toi de garder des liens avec la communauté rwandaise,
d'y être. Est-ce que pour toi; est-ce que c'est important de faire partie de cette communauté-là? B.H:: Ouais. S.G:: Je ne sais pas; forcément, ouais? B.H:: Oh ouais, ouais. Je pense que c'est important. S.G:: Pourquoi tu dirais? Qu'est-ce que ça représente pour toi la communauté rwandaise et d'être avec la communauté?
B.H:: Sont mes semblables c'est... je ne sais pas; comme je dis, quand je vois un Rwandais,
je me vois en eux- tu vois? On se ressemble tellement! C'est comme si c'est un élément
familier dans un élément que tu viens à peine de rejoindre, tu vois ? Chaque fois
je vois un Rwandais, il y a toujours un [bruit de sursaut], tu sais ? Je me dis:: ah une
personne de chez nous! Je suis contente de rencontrer quelqu'un avec qui je ne [me?]
connais peut-être pas, mais on a un point en commun.
S.G:: Qu'est-ce qui t'a le plus marqué, manqué pardon, manqué du Rwanda quand tu es arrivée
ici ou même maintenant après, combien d'années tu as passée au Canada?
B.H:: Cinq ans bientôt. S.G:: Cinq ans bientôt, qu'est-ce qui te manque le plus du Rwanda? B.H:: [Soupir] La chaleur, il fait beau, [sourire] il fait beau à longueur, bah tout au long de l'année. L'hiver ici dure super longtemps; hum qu'est-ce qui me manque? La nourriture, oh mon Dieu, les brochettes! Qu'est-ce que je ne ferais pas pour manger des brochettes? [Rires] Le jus de maracuja, ça ce sont des souvenirs que j'ai. Quoi encore? Le Rwanda?
Ouais c'est ça. S.G:: Est-ce que tu es retournée depuis que tu es ici?
B.H:: Est-ce qu'on peut passer à une autre question? S.G:: Oui bien sûr! B.H:: Ok [Sourire] S.G:: Si on parle du Rwanda en tant que, enfin j'allais dire, en tant que pays; qu'est-ce que tu penses du Rwanda maintenant? Tu es fière d'être Rwandaise, mais qu'est-ce que
tu entends dire du Rwanda? Qu'est-ce qui fais que tu es fière d'être Rwandaise?
B.H:: Le Rwanda, pourquoi je suis fière d'être Rwandaise, parce que je peux dire que c'est
un pays que j'ai vu évoluer. C'est un pays qui m'était encore inconnu avant 95 [Mille-neuf-cent-quatre-vingt-quinze],
un pays auquel, dans lequel, je suis allée vivre contre mon gré, mais que j'adore maintenant.
Pourquoi je l'adore? Parce que... [soupir], je ne sais pas, l'esprit de [...] on vient
de loin! Comme dirait Corneille, parce qu'on vient de loin! Je pense qu'il n'y a pas de
meilleure façon de mettre ça et ce courage, j'ai l'impression qu'il y a une force qui
pousse le peuple rwandais à toujours faire mieux. Donc, depuis que je suis partie, ça
n'arrête pas de se développer, voilà quoi! Je suis vraiment fière, c'est comme un enfant
qui grandit, pour moi c'est ça l'image que j'ai. Un enfant qui grandit et tu as vu toutes
les étapes de son développement et tu espères encore le meilleur pour cet enfant, tu vois?
C'est la meilleure façon que je pourrais comparer. [00:50:37.00] S.G:: Adorable! Est-ce que pour toi, c'est un endroit où tu aimerais faire ta vie, si
on parlait de futur lointain ou même prochain? B.H:: Faire ma vie? L'idéal pour moi serait d'avoir un pays [un pied ?] au Canada, un pied au Rwanda. C'est deux endroits où je me plais bien, donc ouais le Canada et le
Rwanda sont une partie de moi maintenant.
S.G:: Et qu'est-ce que je pourrais te demander d'autre? Humm est-ce que quand on te demande
tu viens d'où? Que ce soit un Québécois, un Canadien ou quelqu'un d'autre part, et tu dis " le Rwanda ", quelle réaction dirais-tu le plus souvent, ou quels sont les préjugés ou peut-être pas forcément des préjugés, mais l'impression que les gens ont du Rwanda? B.H:: Un classique, je n'ai jamais compris pourquoi:: - " Tu viens d'où? " - " Du Rwanda "; - " Tu as déjà [vu] le film Hôtel Rwanda? " Ouais. Ça c'est quelque chose que j'ai tout le temps. Hôtel Rwanda, ce film est super connu; pourtant il y en a d'autres qui
sont sortis qui traitent du même sujet. D'ailleurs, le film que je pourrais dire qui m'a le plus
marqué et dont personne ne parle, on dirait que pas beaucoup de gens connaissent ce film
qui s'appelle... bah je peux dire le film en anglais? Sometimes in April. L'histoire commence , je pense, des élèves sont en classe et puis il pleut; et cette jeune fille
dit:: " C'est encore avril et comme il y a... " et puis elle dit le nombre d'années,
tout dépendamment de quand le film a été tourné, le sept avril [le 7/4/1994], apparemment il pleuvait quand le génocide a commencé. Donc c'est comme ça que le film commence,
tu vois? Juste le début m'a vraiment marqué, parce que je ne savais pas qu'il pleuvait ce jour-là et depuis je sais qu'il a plu et je pense que c'est arrivé une fois où
il a plu un sept avril, et je me suis rappelé et toutes ces émotions sont venues avec, parce que dans ce film j'ai appris qu'il pleuvait ce jour-là. Donc de simples choses qu'un
rescapé peut allier à ce qui lui est arrivé, comme la pluie et s'il pleut le jour où c'est
la commémoration du début du génocide, ça change beaucoup -tu vois? Donc je trouve, c'est vraiment dommage, que beaucoup, la plupart des gens ne connaissent pas ce film. Il a été tourné au Rwanda en plus, alors que "Hôtel Rwanda'' a été tourné apparemment en Afrique du Sud, mais voilà quoi! [00:53:50.00] S.G:: Et cette question, si tu as vu Hôtel Rwanda, [inaudible] qu'est-ce que tu réponds ? B.G:: Je dis ah ouais, je connais Hôtel Rwanda, ça pas été tourné au Rwanda et puis voilà à partir de là on parle d'autre chose. Humm des fois, des gens vont me poser la question::
" tu viens de quelle ethnie? " Ou alors ils vont essayer de deviner, la plupart du
temps ils tapent juste, mais sinon je sais qu'un moment donné il m'est arrivé de dire::
" je suis rwandaise ". Je ne voulais pas répondre à la question, mais après je me
suis dit...::" bon écoute, voilà quoi, on va leur dire, c'est pas [...] tant que c'est juste une ethnie et que il n'y a rien de rattaché à ça ", voilà quoi. S.G:: Est-ce que tu penses que c'est juste une ethnie et qu'il n'y a rien de rattaché à ça,
maintenant ? B.G:: Maintenant la raison pour laquelle je dis ça, c'est que... hum quand j'étais au Rwanda, je m'en rappelle de cette campagne qu'il y avait à l'église:: Le prêtre appelait
ça le synode, il voulait que je ne sache même pas ce que ça veut dire Synode franchement,
mais je m'en rappelle que pendant l'église, il n'arrêtait pas de prêcher en disant::
" Nous devons faire le synode, le synode, le synode, le synode. " Et c'était la paix
entre les deux ethnies pour ce qui est arrivé. Donc la raison pour laquelle je dis qu'il
n'y a rien rattaché à ça, c'est qu'au Canda, que je dise que je suis Tutsi ou Hutu, ce
n'est pas, je ne serai pas persécutée pour ça, tu vois? Et puis la plupart, tout le
monde essaie de mettre ça derrière nous, avancer, aller de l'avant. Hopefully, j'espère
que ça n'aura pas de conséquence pour les générations qui suivent, tu vois? Et je
pense qu'il n'y en aura pas, parce que le gouvernement s'attelle tellement à intégrer les deux parties, voilà quoi. Comme je disais, c'est moins ancré en moi que ça n'est ancré
en mes parents ou les générations de mes parents, si tu vois ce que je veux dire. [00:56:18.00] S.G:: Et pour toi, disons si tu avais des enfants, est-ce que tu vas leur parler de
ça? B.G:: Ouais c'est clair. Ouais, parce que c'est important de savoir comment tout a commencé,
comment leurs grands-parents ont grandi. Ça fait partie de moi, parce que mes parents
ont vécu ça, donc ce n'est que légitime que mes enfants et que les enfants de mes
enfants sachent ce que leurs arrières grands-parents ou grands-parents ont vécu- tu vois? Et la
plus belle partie dans tout ça, c'est qu'on pourra dire:: " il y a plusieurs années de cela, il y a eu cela au Rwanda, mais heureusement, voyez où on est arrivé ", tu vois? " On
a pu surmonter tous ces obstacles ". C'est que ça devient une fierté de dire qu'on a pu surmonter tous ces obstacles et construire un meilleur environnement pour vous par exemple.
Ouais. S.G:: Et qu'est-ce que je peux te dire? Humm... Donc pour toi, c'est important de transmettre
la mémoire du génocide quand même ? B.G:: Ouais. S.G:: Si je te parle de la notion du pardon par rapport à ça, est-ce que tu penses que
c'est quelque chose dans la communauté rwandaise aujourd'hui dans les choses que tu entends,
on va de l'avant? B.G:: On va de l'avant; humm ouais. On va de l'avant, on essaye de montrer qu'il n'y
a pas de différence, mais... pour les générations futures c'est beaucoup plus simple. On va
de l'avant, on habite en harmonie avec les autres ethnies, mais une chose est sûre,
je pense que la génération de mes parents, c'est quelque chose qui ne partira jamais.
Qui ne partira pas dans le sens que [...] tu peux avoir un ami d'une autre ethnie ou...
mais je sais que ça restera tabou. Tant le fait de poser la question:: " quelle ethnie
es-tu? " reste tabou, et tant que les mariages interethniques restent tabou, je sais que
c'est quelque chose de vraiment tabou dans ma famille. C'est pour ça que je dis que
pour la génération de mes parents et tout ça c'est moins facile, tu vois? Hmm ouais.
S.G:: Les mariages interethniques, est-ce que pour toi c'est quelque chose d'envisageable
? B.G:: Je ne sais pas. Franchement ça dépend de l'homme que je rencontrerai. Disons que
si l'homme de ma vie est d'une ethnie différente que la mienne et que je décide de me marier
avec, la seule chose dont je suis sûre c'est que mon environnement ne l'accueillerait pas
d'une façon... d'une façon souple. Je devrais expliquer pourquoi j'ai choisi cette personne.
En fait, je devrais vraiment plaider ma cause tu vois?
S.G:: Est-ce que ce n'est pas forcément un mariage interethnique ou bien marier quelqu'un
d'un autre pays ou c'est plus rattaché aux ethnies?
B.H:: C'est plus rattaché aux ethnies. Mon environnement, pour être honnête, j'y pense
souvent et j'ai remarqué en regardant les personnes avec qui c'est arrivé, l'environnement
l'accueille toujours d'une façon négative. Le mariage va avoir lieu, mais le nombre de
discussions que ça va entrainer, la déception que ça peut apporter aux parents de la personne
qui va le faire... Là je le dis, parce que j'ai vu des gens le faire et j'ai vu la réaction
de leurs parents, c'était catastrophique. Je me dis qu'au Rwanda on peut évoluer, vivre
en harmonie, mais il y aura toujours une génération pour laquelle ça sera lourd de devoir accepter
un mariage interethnique, tu vois? [01:02:16.00] S.G:: Comment tu trouves ça, qu'est-ce que tu en penses de tout ça? D'un côté le Rwanda
qui essaie d'évoluer et stagne ? B.H:: C'est malheureux, mais ça fait partie de notre histoire, tu vois? Humm, si je comprends,
humm...ce que les parents de cette personne ressentiraient, parce que c'est quelque chose
avec quoi ils ont grandi, ils ont grandi dans la persécution, certains. D'autres pas, mais
c'est un sentiment légitime, tu vois, qu'ils ressentent que leur enfant décide de faire
ce choix-là. Au début ils vont appréhender la chose, mais à la fin ils vont l'accepter,
tu vois? Donc c'est toujours un choc en premier, ensuite le mariage va avoir lieu. Je ne dis
pas que ces familles-là ne vont pas être heureuses, elles vont parfaitement être heureuses, mais tu trouveras toujours soit les parents directs des deux côtés, soit une tante,
soit un oncle, un membre de la famille qui ne sera pas content. Qui va dire:: " tu as
trahi notre partie ", tu vois? Ça c'est vraiment des deux côtés, parce que la troisième ethnie on n'en parle pas beaucoup, mais je connais plusieurs familles où c'est arrivé. Il y a toujours quelqu'un, quelque part qui va dire plusieurs années plus tard:: " ohhh cette personne a fait ceci! ", tu vois? Et j'ai grandi en entendant ce genre de commentaire
de mes voisins ou des gens de mon milieu et je me dis:: " écoute, c'est vraiment malheureux,
mais on doit faire avec ". S.G:: Et si vous aviez des enfants et que vous étiez dans cette situation-là, Comment
vous réagiriez à cela? B.H:: Je n'ai pas compris la question. S.G:: Vos enfants veulent se marier avec une personne d'une autre ethnie ou même le fréquenter.
B.H:: Oh! Si mes enfants à moi veulent... ohh! Je n'ai jamais pensé à ça. Ça dépend
de ce que mon mari sera. Mais... ouais franchement, je n'y ai pas pensé. Quand j'y pense, j'y
pense par rapport à moi, si l'homme de ma vie n'était pas de mon ethnie, qu'est-ce
que ça pourrait faire? Mais je n'ai jamais pensé à mes enfants. C'est une très bonne
question. S.G:: Est-ce qu'idéalement tu te vois avec quelqu'un de ton pays? B.H:: On ne sait jamais! Je ne sais vraiment pas. S.G:: De manière générale, comment vous vous sentez aujourd'hui? Comment tu te sens, oh mon Dieu je n'arrête pas de te vouvoyez! Comment tu te sens aujourd'hui, comment tu
vas aujourd'hui? Je sais, c'est une question très vague, mais...
[01:05:36.00] B.H:: Comment je vais... S.G:: Tu m'as parlée de plusieurs évènements, ta jeunesse et tout ça. Tu as vraiment un
parcours que j'ai beaucoup entendu aussi. Quand je parle, je pense à ma propre famille qui a vécu exactement la même chose. Mais comment tu te sens aujourd'hui? Tu as quel âge aujourd'hui ? B.H:: J'ai 23 ans. S.G:: 23 ans, bien à l'aise à Concordia. Tu as grandi au Congo, au Rwanda. Qu'est-ce que tu tires avec toi? Si tu avais à regarder cette vidéo dans 25 ans, tu lui dirais quoi à Benita 45 ans? B.H:: Je lui dirais, wow dans 45 ans? S.G:: Non, tu aurais 45 ans. B.H:: Oh ok, ouf. Je me dirais que mes cheveux étaient différents [rires], je me dirais
que je n'avais pas de rides; si je vois ça dans 45 ans franchement! Je passerais plus de temps à me comparer à ce que j'étais à cette époque, tu vois? [Rires] À quoi
je penserais? Je penserais à comment ça a commencé, comment mon amie Stéphanie m'a
demandé ça, comment j'ai accepté, mais euh ... S.G:: Quel bilan est-ce que tu tires un peu de cette expérience de raconter ta vie?
B.H:: Qu'est-ce que j'en tire? J'en tire que je suis une personne [soupir] En fait, ça
me, comment dire? Quelle expérience que j'en tire ?
S.G:: Même si tu [inaudible], tu te considères comme une personne comment aujourd'hui?
B.H:: Chanceuse. Chanceuse, parce que ça me permet de réaliser que je fais partie
d'une génération qui a pu retourner dans un pays qui lui avait été refusé. Qui a
été refusé à ses parents et à partir de là tout ce qui est sorti n'est que positif.
J'ai vu un pays aller comme ça [signe de main montrant la croissance] et j'en tire
aussi que je suis extrêmement fière d'être rwandaise. Parce que ça vient avec un bagage,
le passé, mais un futur qui est super brillant. Le Rwanda est comme une vague, je pense que
ça arrive à tous les gens de ma génération, notre président est une personne que j'admire
vraiment. Il a pu aider un pays à se relever et aspirer à être le meilleur, à s'améliorer,
à se démarquer des autres pays africains, ne pas utiliser notre peine nous [pour ?] être
ramolli par ce qui nous est arrivé, nous abattre sur notre sort. Tout au contraire,
se relever, être droit et redévelopper, tu vois? Donc ce que je vois beaucoup depuis
que je suis venu ici au Canada, j'entends beaucoup de belles choses à propos du Rwanda,
comment il a évolué, comment le Rwanda se démarque par la propreté de ses rues. Il
y a toujours quelque part un article qui parle du Rwanda d'une façon positive. Il y a des
investisseurs qui retournent au Rwanda, tous les secteurs évoluent. Donc, c'est une vague
qui me donne envie de faire partie de ce développement, parce que tout ce qui arrive au Rwanda tu
peux être le premier à le ramener, donc voilà quoi. C'est une expérience vraiment-vraiment-vraiment
intéressante, parce que tu peux avoir un gros impact sur un pays qui va être super
connu dans les années à venir, donc voilà. [01:10:44.00] S.G:: Et tu aimerais faire partie de ça? B.H:: Ah ouais c'est clair. Je ne sais pas comment, mais je ressens en moi, comment on
dit, j'ai envie de faire partie de cette vague qui va mener le Rwanda vers un futur prometteur,
qui l'amène déjà! Faut que je coure, il faut que je coure et que j'attrape la vague,
c'est ça. S.G:: [Inaudible] ...aimerais prendre la vague, qu'est-ce que tu aimerais faire? B.H:: Idéalement, je voudrais développer une coopération entre le Rwanda et le Canada.
Comme j'ai dit, c'est deux pays qui font partie de moi maintenant. Donc il y a pleins de choses
que j'ai vues au Canda que j'aimerais ramener au Rwanda, parce qu'il y a tellement d'opportunités,
il y a tellement de choses qui n'existent pas [là-bas ?], qui existent ici. L'idéal c'est que le Rwanda devienne aussi développé que le Canada. Je ne sais pas comment ça
va arriver, mais on fait déjà un super beau boulot en ce moment donc [...] ça serait
l'idéal. Arriver à attirer des investisseurs canadiens au Rwanda, créer... je ne sais
pas, ouvrir une branche de la banque Scotia au Rwanda. Tu sais des trucs comme ça qui
partent du Canada qui viennent au Rwanda, parce que le Rwanda a tellement de choses à offrir et si je peux faire partie de ça, wow ça serait super. S.G:: Wow! Je te souhaite ça! Est-ce que là tu m'as parlé de [inaudible] il a plu, mais la commémoration approche. B.H:: Ouais. S.G:: Qu'est-ce tu sens? Est-ce que pour toi c'est une période de... pour toi c'est quel
genre de sentiment tu as en tant que Rwandaise, en tant que personne qui a grandi là? Qu'est-ce
que tu ressens toi pendant cette période? B.H:: Heum, avril au Canada franchement, je compare toujours l'environnement au Rwanda où c'est beaucoup plus maussade et euh vu que c'est au Rwanda c'est... Ça rentre vraiment,
tu sens que c'est avril, tu vois? Alors qu'ici ce n'était pas vraiment, bien sûr tu t'en
rappelles, tu te dis:: " oh, on est en avril, ça fait autant d'années c'est arrivé ",
mais chacun a sa façon de vivre le mois d'avril. Disons que ma façon de vivre le mois d'avril,
une pensée... une pensée pour les membres de famille qui ont été assassinés, la plupart
dont je ne me rappelle pas, parce que j'étais trop petite. Mais voilà, quand avril approche,
vu que je peux m'associer à ça directement, je pense plus à mes parents, à ce que mes
parents peuvent ressentir. Je pense plus à mes cousins, cousines que je ne me rappelle
pas avoir rencontrés. Voilà, je n'en parle pas beaucoup avec mes parents, mais [longue
pause] c'est... voilà, c'est le moment où je pense à ces personnes. Je pense pendant
le reste de l'année, mais voilà ça revient, je me dis:: " qu'est-ce que mon père [pense
?] au fond de lui? " Parce que je sais qu'il m'a toujours répété des fois..., tout d'un
coup il va dire:: " j'aurai pu sauver ma sœur ". Parce qu'il a perdu sa sœur pendant
le génocide, mais il n'a pas pu l'évacuer. Donc son mari a pu s'en sortir, mais elle,
et je pense qu'elle avait quatre enfants, ils sont morts, tu vois? Donc je me demande...
pendant le mois d'avril, ça revient plus. Qu'il a ce sentiment d'impuissance, mais on
n'en parle pas. S.G:: Est-ce que tu voudrais que ça change? B.H:: Dans quel sens?
S.G:: Tu trouves que les parents ne nous en parlent pas assez? B.H:: Ils en parlent dans le sens qu'ils vont te dire..., ils m'ont déjà dit des gens de ma famille qui sont morts pendant le génocide, la première fois que je les ai rencontrés.
Comme j'ai dit, j'étais trop petite, 80% d'eux, j'avais deux ans, donc je ne m'en rappelle
pas. Mais je pense que ce n'est pas trop leur truc, exposer leurs sentiments. Ouais.
S.G:: Donc c'est quelque chose de rwandais ? B.H:: Je pense que c'est quelque chose rwandais franchement! Ouais. S.G:: Pour toi, quelles valeurs rwandaises sont importantes pour toi, que tu aimerais
transmettre à tes enfants, que tes parents t'ont transmis?
B.H:: Ouf, il y a une tonne S.G [Inaudible] [01:17:43.00] B.H:: Qu'est-ce que, wow! Je ne sais pas si je pourrais dire quel genre de valeurs je voudrais transmettre à mes enfants, mais je sais que ces valeurs-là qui m'ont été transmises par mes parents vont venir naturellement. Je vais les transmettre naturellement à mes enfants. Et eux ils s'en rendront compte que ce sont des valeurs typiquement rwandaises,
parce qu'ils pourront les comparer avec d'autres valeurs du milieu dans lequel ils seront.
Mais je sais qu'on a, bizarrement, je ne trouve pas d'exemple, là sur le coup. Mais... [Pause
et sourire] S.G:: Toi qui es dans le milieu québécois, canadien [inaudible], est-ce que tu vois une différence entre les valeurs québécoises et les valeurs rwandaises peut-être? [inaudible]
B.H:: Oh oui! Bien, je ne pourrais pas dire que c'est juste les valeurs rwandaises, il
y a déjà aussi les valeurs africaines juste en général qui sont, tu vois; la différence
première qui me saute à l'esprit:: le respect. Le respect des personnes plus âgées que
nous. Je pense c'est plutôt une valeur africaine, on accorde beaucoup de respect à nos aînées,
ce qui n'est pas forcément toujours le cas dans d'autres sociétés ou d'autres cultures,
dans les cultures occidentales. Un exemple, quelque chose que je trouve inimaginable,
mais qui est tout -à- fait naturel ici:: Que tes parents qui t'ont élevé, qui se
sont sacrifiés pour toi, arrivent à un âge où ils ont besoin de toi et que tu les mettent
dans un centre pour aînés, pour personnes âgées, tu vois? C'est quelque chose qui
n'arriverait pas en Afrique, d'abord ça n'existe pas "centre pour personnes âgées" En général,
lorsqu'une personne vieillit, elle se retrouve entourée de sa famille, la présence familiale est vraiment importante. Donc [pause], c'est déjà une différence que j'ai trouvée,
je ne sais pas si c'est africain [rwandais?] ou plus africain tu vois? Ici il y a tellement
de personnes âgées qui sont seules. Il y a des cas..., à la télé tu peux entendre
parler d'une vieille personne qui a été retrouvée décédée trois jours plus tard,
une semaine plus tard. Ce n'est pas quelque chose qui arriverait en Afrique, tu vois? Tu as des voisins, les relations entre les voisins sont beaucoup plus développées en
Afrique qu'ici. Ici il y a beaucoup de "tu vis pour toi-même" et on court partout, tu
vois? Donc c'est quelque chose que je ne voudrais pas adopter. Je voudrais être en mesure de
[longue pause] qu'est-ce que je disais?
S.G:: Je t'ai parlé de valeurs, tu ne voulais pas adopter ces valeurs-là, individualistes.
B.H:: Oh ok ouais. Donc voilà quoi! C'est la première qui me vient à l'esprit.
S.G:: D'accord. Ok, on arrive à la fin. B.H:: C'est fini? S.G:: J'ai peut-être une dernière question… [01:21:56.00]