Berthe Kayitesi

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>> M.M. : … Parle-moi de toi, de tes parents, de la commune où tu as grandi [inaudible]. >> B.K. : « … » Mon nom c’est Berthe Kayitesi « … » originaire de Gisenyi au Rwanda. Je suis née à Gisenyi, mais j’ai passé une partie de mon enfance chez ma grand-mère maternelle dans l’ancienne préfecture de Kibuye « … » ancienne commune de [inaudible]. « … » mon père s’appelait [inaudible], ma mère s’appelait Spéciose Mukabilima, ma grand-mère s’appelait [inaudible] Valérie. Je pense que c’est [inaudible], je pense que c’est tout. >> M.M. : Est-ce que tu peux me dires quand tu es née? >> B.K. : « … » je suis née le 11 novembre ‘78 … >> M.M. : À Gisenyi? >> B.K. : À Gisenyi. >> M.M. : Avant que j’aille plus loin j’aimerais « … » te demander [inaudible] >> B.K. : [Rires] [coupure] >> M.M. : … Tu peux me parler de tes parents, quels souvenirs gardes-tu de tes parents? >> B.K. : « … » de ma mère, je garde son courage vis-à-vis des difficultés de la vie, en tout cas c’était une femme très combative. Elle était là pour que tout aille bien à la maison, mais elle était aussi très sévère, donc c’est le côté que je n’aimais pas, mais je garde son coté de lutte, et de courage, de combattante. C’est quelque chose qui me reste et je me rappelle par exemple, tous les jours, elle se levait presque à cinq heures, cinq heures et demi et puis, tout commençait et elle avançait « … » assez rapidement dans la vie quoi. Elle avait aussi des regrets de ne pas avoir pu pousser plus loin ses études à chaque fois enfin, elle me répétait toujours : « Tu sais, moi j’étais intelligente, mais je n’ai pas eu de chance alors « … » vous vous devez… » [Rires].  Donc c’était toujours : « Moi j’étais la première de classe. Comment est-ce que vous vous permettez de ne pas être « … » en fait, d’échouer? » Donc, [rires] fallait qu’on soit parmi les premiers quoi. Quand ce n’était pas le cas, c’était « … » la bagarre [rires] si je peux dire. Et c’était une très belle femme aussi. >> M.M. : Et de ton papa? >> B.K. : « … » de mon père « … » mon père avait un caractère très doux et « … » c’était quelqu’un qui dans son passé avait vécu des difficultés, mais qu’il n’extériorisait presque jamais. C’était quelqu’un de très chaleureux, de très, de très accueillant, «…» comment dirais-je «…» c’est difficile vraiment de décrire mon père, mais «…» en fait c’est «…» la tranquillité d’esprit, donc il avait une certaine sévérité, mais il avait «…» en fait, il avait la bonté qui «…» contrebalançait toute cette sévérité et donc on garde de lui ; et même les gens qui l’ont connu c’est cette image qu’ils ont gardée de quelqu’un qui était très bon, quelqu’un qui ne se plaignait jamais, je pense que son père avait été emprisonné pendant de longues années et injustement, mais jamais il n’en parlait. Il avait laissé « … » enfin, il avait gardé ça et puis il vivait avec, mais sans que ça affecte la famille en tant que tel. Donc aujourd’hui, je pense que ça aurait été bien s’il avait pu partager avec nous davantage qu’est-ce qu’il vivait à l’intérieur de lui-même, mais il avait opté pour garder ça. >> M.M. : Et qu’est-ce qu’ils faisaient dans la vie finalement les deux parents? >> B.K. : «…» mon père était tailleur, c’était un des premiers tailleurs de la région où il était né à Kibuye, à Gishyita, mais il avait quitté pour aller s’établir à Gisenyi donc il avait continué enfin c’est ce qu’il avait continué à faire jusqu’en ‘94 et ma mère quant à elle, elle a fait plusieurs choses, à un certain moment on avait un bar enfin, à plusieurs moments on avait un bar, c’est elle qui s’en occupait et peu de temps avant ‘94 elle «…» elle avait des choses qu’elle vendait au marché, des vivres. >> M.M. : De toutes les façons j’entends que papa n’était pas souvent à la maison, il avait son travail et maman aussi. « … » si tu essayes de voir en arrière, comment est-ce qu’ils s’arrangeaient pour contribuer, pour concilier le travail qui se fait quand même à l’extérieur de la maison et l’éducation des enfants? >> B.K. : « … » les enfants aussi participaient donc je pense que c’était un travail de « … » un travail d’ensemble donc disons si ma mère se levait à cinq heures et demie des fois c’était pour chercher « … » comment on dit ça en français « … » puisque dans le bar il y avait aussi Urwagwa, il y avait des Mutzig et des Primus… >> M.M. : De la bière de banane. >> B.K. : Oui la bière de banane par exemple. Il fallait qu’elle en trouve très tôt le matin. >> M.M. : Donc elle l’achetait ailleurs. >> B.K. : Oui en fait ce qu’on dit : aller kurangura « … » donc là ça faisait qu’elle se levait très tôt le matin vers cinq heures et demie et moi quand je me levais, elle me dit donc, avant d’aller à l’école par exemple, il faut que tu ailles acheter « … » des vivres pour midi. Donc moi je me réveille vers six heures donc je vais acheter « … » ce qu’on va manger à midi donc après que j’allais à l’école et quand elle revenait, elle faisait à manger avant de se rendre à son bar. >> M.M. : À son travail. >> B.K. : Et donc quand je rentrais le soir donc, je m’occupais du reste pour [inaudible] >> M.M. : Quand tu regardes est-ce qu’il y en a « … » entre papa ou maman, est-ce qu’il y en a un qui était plus dans l’éducation à la maison que l’autre? Ou bien c’était à part égale? >> B.K. : « … » je pense que ce qu’ils nous disaient tous les deux, je pense que la part était égale, mais en grande partie, pour ce qui est du ménage, c’est ma mère et moi. >> M.M. : On a parlé des parents, je ne t’ai même pas demandé les sœurs, les frères, combien vous étiez à la maison? >> B.K. : « … » à l’époque en ‘94 enfin quand je suis retournée à la maison « … » après le séjour chez ma grand-mère « … » on était « … » cinq. Plus tard, ma mère enfin nos parents ont eu deux enfants donc on était sept, mais j’ai une petite sœur qui est morte juste peu de temps avant le génocide et donc on a eu la chance de « … » nous les enfants de survivre. On a survécu à six, mais mon père avait eu un autre mariage avant de « … » >> M.M. : Avant votre maman? >> B.K. : Oui. Donc de ce mariage, il avait eu trois enfants : deux sœurs jumelles qui sont mortes en ‘94 et leur mère aussi, mais il y a une sœur qui a survécu. Donc, avec cette sœur, et avec son frère du côté de sa mère, on s’est retrouvés après c’est comme si on était une famille de huit. >> M.M. : Combien de garçons? Combien de filles? >> B.K. : Trois filles et cinq garçons [rires] >> M.M. : [Inaudible] J’aimerais encore poser encore un regard en arrière sur l’éducation des filles et des garçons. « … » quand tu regardes en arrière, est-ce que vous étiez éduqués de la même façon? Est-ce qu’on vous donnait des tâches différentes? Des instructions différentes? Ou bien c’était la même chose garçons et filles? Ou bien il y a un parent qui était plus du côté des filles ou des garçons et vice-versa? 00 :10 :00 >> B.K. : « … »  je pense que la culture rwandaise de l’époque « … »  privilégiait non seulement à travers l’éducation mais aussi à travers le discours social. Donc c’est comme si l’enfant garçon avait plus d’importance que l’enfant fille [rires]. Je me rappelle c’est quelque chose qui m’avait fâchée. Mais c’est déjà fini maintenant. Quand je suis née, donc ma grand-mère paternelle enfin mes grands-parents paternels ont eu cinq garçons donc ils n’ont jamais eu de filles. Mon père c’était leur fils ainé donc jusqu’à moi ce n’était que des filles [rires] qu’ils mettaient au monde. À ma naissance, je pense donc j’étais la première fille du deuxième mariage donc ma grand-mère a dit : « Oh encore une fille! » [Rires]. Ça, ça m’avait fâchée parce que ça a échappé ma mère donc je l’ai capté donc ça m’avait fâchée un peu. Dans la famille aussi, en tant qu’aînée, en tant que fille, j’avais plus sur ma tête que mon frère qui me suivait donc si par exemple, il pouvait juste aller chercher de l’eau, le reste c’était beaucoup plus moi « … » et donc il y avait un déséquilibre, mais il n’y avait pas de « … » comment dirais-je « … » donc ça allait de soi ; donc tu es une fille et donc le ménage c’est à toi. « … » c’est comme ça que je voyais les choses et puis « … » si mon frère allait jouer « … » c’est bon donc il peut aller jouer, il peut aller nager, moi je ne peux pas aller nager « … » [rires] je dois être… >> M.M. : Une fille à la maison. >> B.K. : Oui. >> M.M. : Avec un regard d’adulte maintenant, est-ce que tu essayes de comprendre? Est-ce que c’est toujours la même chose? Comment est-ce que tu vois ça maintenant avec un regard d’adulte? >> B.K. : Ce n’est pas seulement un regard d’adulte mais aussi un regard d’ailleurs de la société rwandaise. « … » Je pense qu’il y a quelque chose que j’apprécie ici c’est qu’on essaye de [rires] porter un même regard sur l’enfant garçon et sur l’enfant fille. Au Rwanda, je ne sais pas si c’est quelque chose qui a nécessairement disparu, mais au moins il y a une promotion. Je ne sais pas qu’est-ce qui se passe nécessairement dans les ménages, mais au moins dans le discours social, on essaye de favoriser aussi l’enfant fille donc je pense que ce regard partant du discours social peut aussi changer les choses au sein des familles. Je ne sais pas où est-ce qu’on en est, mais je pense si j’avais des enfants j’essayerais de porter un regard plus ou moins équilibré. Bien que, un enfant garçon peut faire des choses qu’un enfant fille ne peut pas nécessairement faire, mais je pense qu’il est question de promouvoir « … les possibilités que l’enfant a, enfin l’aider à savoir qu’est-ce qu’il veut faire. >> M.M. : En fait, tu trouves que de ton temps, les filles avaient plus à faire que les garçons? >> B.K. : « … » En tout cas dans la ville où j’étais. Peut-être que dans les campagnes ce n’était pas le cas, je ne sais pas. Je pense que les femmes par exemple, les filles n’allaient pas « … » construire des briques pour faire des maisons, donc ça c’était les garçons, mais là je parle de « … » à l’âge que j’avais de 15 ans ce qui se présentait, je trouve que c’était plus la fille, mais ailleurs peut-être c’est plus les garçons donc je… >> M.M. : Qui était à autre choses aussi. >> B.K. : Mais disons par exemple, outre ce qui me concernait, quand je menais des entrevues au Rwanda, il y a une fille qui m’a dit : « Ma mère a dit les garçons peuvent aller étudier, mais pas moi, parce que j’étais une fille. » Ça ce n’est pas une expérience qui est mienne, mais « … » >> M.M. : Des autres… >> B.K. : Des autres, mais « … » >> M.M. : Mais parmi les six chez vous, est-ce qu’ils ont tous pu aller à l’école? >> B.K. : Oui. >> M.M. : Ils ont continué, ils ont pu travailler ou ils sont toujours à l’école? >> B.K. : « … » Il y en a un qui a fini l’université qui travaille à la Banque de Kigali. Il y a une autre qui travaille pour un privé, une entreprise privée et les autres sont à l’école. Et même avant pour ce qui est de l’école, nos parents « … » c’était pour tous les enfants ; donc ma mère me poussait à étudier comme elle poussait mon frère, donc là il n’y avait pas vraiment de déséquilibre. C’était beaucoup plus « … » le côté ménage, mais pour ce qui est de l’éducation scolaire en tant que telle, c’était nous tous donc on était tous poussés à faire des études. >> M.M. : Avant que j’aille plus loin, j’aimerais qu’on parle de tes grands-parents surtout que tu me dis qu’il y a une tranche de ta vie que tu as vécue chez ta grand-mère « … » Je ne sais pas si tu as connu les deux côtés : maternel et paternel. Quel souvenir gardes-tu de tes grands-parents? Si c’est possible des deux côtés, si un n’est pas possible, du côté que tu te souviens le plus. >> B.K. : « … » Je n’en garde pas personnellement beaucoup de mes grands-parents paternels, mais de ma grand-mère maternelle. En fait, quand je suis allé vivre avec elle, je ne sais pas quel âge j’avais, donc je pense deux ans ou moins je ne sais pas. Et donc je m’en rappelle, c’est elle qui me donnait du lait maternel, enfin, de son sein jusqu’à même très tard. Et « … » ma grand-mère ce que je me rappelle c’est que c’était quelqu’un de très sociable. Elle avait déjà perdu son mari donc je n’ai pas connu mon grand-père maternel, mais il y a deux de ses enfants donc mon oncle et ma tante qui habitaient dans le coin, donc j’ai grandi avec mes cousins et cousines, les enfants de mon oncle et de ma tante et pendant les fins de semaine, je me rappelle que on prenait de très longues distances pour aller rendre visite au frère « … » de ma grand-mère. Sinon, elle était cultivatrice, donc on avait des petits champs tout autour de la maison et donc ça m’occupait et c’est ce qui nous faisait vivre, mais aussi ses enfants qui étaient tout près d’elle. >> M.M. : À quel âge que tu es retournée à la maison? >> B.K. : « … » à neuf ans. >> M.M. : Neuf ans, quand même c’est une grande part de ta vie. L’affinité que tu avais avec ta grand-mère pendant les sept ans, comment est-ce que tu compares les deux « … » vivre avec ta grand-mère puis après revenir vivre avec les parents. Ou est-ce que « … » Est-ce que on se sent pareil quand même des deux côtés ou bien on a une préférence ou bien c’est… >> B.K. : Si j’avais un préféré [rires], mais à cet âge-là. Je me rappelle quand ma mère venait, je disais toujours : « J’ai envie d’aller vivre avec mes parents. » Et donc, ma mère me disait : « La prochaine fois. » Donc, c’était toujours «la prochaine fois », mais je voulais aller vivre avec mes parents « … » Mais quand je suis arrivée, j’ai « … » Je me suis sentie étrangère. >> M.M. : Dans ta famille. >> B.K. : Dans ma famille. Et donc je pense même que [rires] je le suis restée dans un certain sens [rires]. Tu sais de sortir de la campagne, tout à coup se retrouver dans une grande ville où « … » tu passais du temps dans les champs ou dans la forêt en train de chercher du bois pour ma grand-mère. Et donc d’arriver dans une ville où « … ». Donc je me suis sentie déphasée je pense ?ouais. >> M.M. : Tu as dû intégrer une nouvelle vie. [B.K. essuie une larme?] Ce n’était pas si évident que ça j’imagine. >> B.K. : Ben quand on est enfant, je ne pense pas que c’est évident ou pas. Je pense qu’on vit donc aujourd’hui, c’est un regard que je peux y jeter mais à l’époque, je ne pensais pas que c’était pas évident ou pas et d’ailleurs, les deux premières années je me suis très bien adaptée. Donc c’est comme si je voulais vraiment « … » la nostalgie que j’avais de la famille, je l’ai vraiment investie. Ouais. >> M.M. : Justement, je vais « … » je suis curieuse de savoir « … » Peut-être que tu vas me donner un regard [B.K. essuie larme?] posé sur les deux côtés. Tu as grandi à la 00 :20 :00 campagne puis quand même tu venais à la ville. Je veux que tu me parles de l’environnement, comment tu vivais avec les voisins « … » Soit avec les parents, soit avec la famille chez la grand-mère. >> B.K. : Chez la grand-mère… >> M.M. : Comment est-ce qu’on voit le voisinage finalement? >> B.K. : Le voisinage chez ma grand-mère, c’était « … » c’est ce qu’on dit aussi en Afrique, l’enfant appartient à tout le village, donc j’étais ici ou là donc ma grand-mère ne s’inquiétait pas. Il y avait des familles où je pouvais aller donc j’étais toujours à l’extérieur avec les autres enfants derrière les vaches ou ensemble en train de chercher du bois et « … » donc c’était ça la vie à la campagne dans le village de ma grand-mère mais une fois chez mes parents, c’était : « Tu ne dois pas aller « … » dans tel « … ». Donc c’est des gens qui ne nous connaissent peut-être pas nécessairement donc je ne peux pas aller chez le voisin comme j’allais chez « … » comme quand j’étais chez ma grand-mère. Il y a une restriction « … ». Mais heureusement aussi que des fois aussi c’est plusieurs maisons dans un « … » enfin dans « … » comment dirais-je [parle en Kinyarwanda]. C’est comme plusieurs appartements… >> M.M. : C’est comme un ensemble de… >> B.K. : Oui un ensemble de maisons et donc on a aussi une « … » une socialisation, mais c’est vraiment différent je pense que si j’avais un préféré, en fait j’apprécie que j’aie eu les deux « … » Mais si j’avais un préféré, je préférerais la campagne, il y avait une certaine liberté [rires] qu’on n’a pas nécessairement dans la ville. >> M.M. : Je vais rester encore sur le passé. Parfois, on se regarde, puis on se dit tel caractère, ou bien tel défaut, tel qualité, je retiens de mes parents. Quand tu te regardes et que tu regardes tes parents, tes grands-parents, est-ce que tu penses qu’il y a un à qui tu ressembles le plus dans tes caractères? Ou qui t’as influencée le plus dans ta vie? >> B.K. : « … » Je ne sais pas. Je ne sais pas. J’ai appris plus tard puisqu’enfin, j’ai fait un court passage chez mes grands-parents paternels, mais je ne les ai pas connus beaucoup mais plus tard en conversant avec les gens qui les ont connus, on m’a dit que ma grand-mère paternelle était très courageuse. Quelqu’un qui était aussi « … » très combattante pendant des longues années. Quand son mari était en prison, elle a su garder en tout cas la famille unie. Elle a fait que tout soit comme si « … » comme si de rien était alors que c’était quand même un drame familial. Elle a dû s’occuper des enfants de son frère qui venaient de perdre leurs parents. Et elle était paraît-il aussi très sévère [rires]. « … » et donc il y a ce courage de ma grand-mère paternelle, il y a aussi cette sévérité. Et donc je ne sais pas si on peut dire que c’est de ceci ou de cela, je pense que j’ai quelque chose de mon père j’ai aussi beaucoup de ma mère mais je ne sais pas si j’ai été encouragée par ce qu’ils étaient ou si c’est la force des choses donc c’est difficile de vraiment dire « … ». On est influencé par plusieurs choses dans la vie. Donc, probablement j’ai gardé certaines choses venant d’eux, mais aussi ce qui nous est arrivé c’est un très grand événement qui fait qu’il y a des choses qui ressortent et qui ne seraient jamais sorties si on n’avait pas traversé ces événements-là. Donc, il m’est difficile de dire alors « … » de vraiment dire c’est mon caractère vient d’ici ou de là, je pense que c’est un peu de tout. >> M.M. : Tu as quand même cette combativité comme tu dis de ta grand-mère mais aussi que tu as dit de ta mère. Donc si tu te décris de combattante et courageuse, il y a la vie mais il y a aussi les antécédents que tu gardes en arrière de toi. >> B.K. : Oui, ou c’est peut-être de penser que c’était comme ça qu’ils étaient donc je ne sais pas [rires]. >> M.M. : Et puis de tes frères et sœurs qui sont encore en vie, quand tu essayes de les voir, comment ça se fait la connectivité entre vous? J’imagine que tu es la plus âgée? >> B.K. : « … » Je ne suis pas la plus âgée, mais je suis comme la plus « … » c’est moi qui a pris la relève. >> M.M. : [Rires] Pourquoi cette « … » Pourquoi on a l’impression justement que tu es la plus âgée alors que… >> B.K. : « … » En fait je pense que déjà ma demi-sœur je l’ai retrouvée plus tard après le génocide. Je pense deux ou trois ans, je ne m’en rappelle pas exactement mais c’est deux ou trois ans après le génocide. Donc j’avais déjà vécu avec chez mes parents en étant l’ainée de la famille et je pense que c’est ça qui est resté. >> M.M. : Une complicité? C.K. : C’est ça « … » est-ce qu’avant le génocide, tes demi-sœurs et ton demi-frère si j’ai bien compris… >> B.K. : Mes demi-sœurs. C.K. : C’est ça tes demi-sœurs. Est-ce que vous aviez des liens? Est-ce que vous viviez ensemble ou « … » vous les connaissiez? Comment c’était? >> B.K. : « … » Je connaissais les deux jumelles qui sont mortes. Mais l’autre que j’ai retrouvée plus tard après le génocide, je ne la connaissais pas en ‘94. Donc, c’est « … » Mais j’avais déjà le nom puisque un jour j’ai regardé la carte d’identité de mon père puis j’ai vu qu’il y avait un nom, mais je ne connaissais pas la personne puis j’avais gardé le nom et plus tard quelqu’un m’a dit, « Ah tu sais quoi? » Il y a une de tes sœurs qui a survécu. Donc je suis allée la chercher. C.K. : Donc avant ça vous ne saviez pas que vous aviez des demi-sœurs sauf celles que vous… >> B.K. : Sauf les deux. Les deux venaient de temps à autre à la maison. Mais elle non. >> M.M. : Maintenant, elles sont tous ensemble à Kigali? >> B.K. : « … » Non ma demi-sœur travaille à Gisenyi, mais les autres sont ensemble à Kigali, puis il y a Marie-Ange qui est ici avec moi. >> M.M. : Avant que je quitte cette période de votre vie, « … » tu as grandi chez tes parents finalement tu es venue faire le primaire si je comprends bien à neuf ans tu étais encore au primaire. « … » Comment est-ce que tu te vois à l’école? Encore une fois la relation avec les élèves, avec les enseignants, essaye de le décrire. Comment tu me décrirais la vie d’une jeune fille de neuf ans à l’école? Qu’est-ce qui te motive? Qu’est-ce qui t’influence? Qu’est-ce que tu détestes? >> B.K. : Je pense que je n’avais pas « … ». Je ne me rappelle pas ce que je détestais mais je sais que j’aimais l’école. « … » J’aimais beaucoup l’école. Donc les relations avec les autres enfants on jouait ensemble. Et puis, je me rappelle simplement la compétition, qui va être la première de la classe donc étudier beaucoup comme si on voulait vraiment occuper les premières places. Je faisais de mon mieux pour être parmi ces première d’autant plus qu’il y avait une pression de ma mère et je pense qu’il y avait aussi quelque chose de naturel. J’apprenais assez rapidement et je pense que, quand on est bon élève, les relations sont plus ou moins faciles parce que autant l’enseignant porte un bon regard sur vous, mais aussi les autres camarades « … » enfin on a un certain respect pour les élèves plus ou moins intelligents et donc je pense que ça [rires] ça a joué, ça m’a permis de « … » >> M.M. : D’aller de l’avant finalement. >> B.K. : Oui d’aller de l’avant. >> M.M. : Les enseignants étaient motivants? >> B.K. : Oui. Oui en tout cas à mon encontre ils ont toujours été «…» ils ont été bons même si des fois, ils nous disaient de nous lever en tant que Hutu, Tutsi donc tout le monde se levait mais on était tout le temps une petite minorité des Tutsi donc des fois, [inaudible] donc les autres nous regardaient un peu bizarrement, mais sans plus, donc on savait qu’il y avait quelque chose, mais ce n’était pas quelque chose d’explicite dans ce regard là et puis ça se passait «…» donc après qu’on se soit levé et que on se soit assis on savait que tel aussi était Tutsi et puis ça s’arrêtait là et puis on continuait. >> M.M. : Et puis après le primaire vous avez continué le secondaire? >> B.K. : Oui « … » Non. Oui et non. [Rires] Quand j’ai passé mon examen pour le secondaire, ma mère m’a dit : « De toute façon tu es Tutsi, donc ça m’étonnerait que tu aies une place à l’école secondaire au Rwanda. » Elle a demandé à son frère, à mon oncle qui habitait à Bukavu de me chercher une place à Bukavu comme ça je pourrais aller étudier là-bas. Donc je me suis rendue là-bas et mon oncle m’a remise en sixième primaire de Bukavu et quelques mois plus tard « … » donc je pense que quand j’ai quitté, je ne me rappelle pas exactement, mais je pense que quand j’ai quitté, on venait de sortir les listes et je n’étais pas sur la liste de ceux qui avaient réussi l’examen national. Mais plus tard, chez mon oncle, ma mère a envoyé une lettre comme quoi il fallait que je revienne, qu’il y avait une deuxième liste qui est sortie et que je suis là-dessus. Donc, je me rappelle que j’ai commencé le secondaire, enfin, je suis revenue je suis allé à Nyundo et je pense qu’il y avait un mois et demi ou deux mois que les autres avaient commencé et donc j’ai embarqué avec. >> M.M. : Donc si je comprends bien déjà au primaire et au début du secondaire à votre âge, vous sentiez une discrimination entre les ethnies dans le pays. Comment est-ce qu’un enfant de cet âge arrive à savoir, quand vous devez vous lever en tant que Hutu et Tutsi, comment est-ce qu’un enfant de cet âge le sait et comment est-ce qu’on grandit avec ça? >> B.K. : Je pense que on le sait, mais on ne le comprend pas et on ne s’y attarde pas. Donc, j’ai l’impression aujourd’hui quand j’essaye d’interpréter comment je vivais les choses, je pense que je le savais « … », mais je fermais les yeux, donc je pense que je pense que je vivais dans le déni. Donc, « … » en ‘90 déjà, il y a eu une opération qu’on appelle l’opération Zulu à Gisenyi on l’a appelée l’opération Zulu, donc il y a des familles de Tutsi, mais surtout des familles qui étaient plus ou moins aisées qu’on a menacées et qu’on a lancé des grenades. Je me rappelle que de ma famille, j’ai été la seule à partir, donc je suis allée me cacher chez les religieuses tout près de mon école primaire avec quelques enfants des familles Tutsi, puis plus tard on a quitté. Donc, on voyait les « … » c’est difficile d’interpréter ça aujourd’hui. Je pense que c’était là, mais on a « … » dans la famille on n’en parlait pas, donc ça arrivait, ça se passait et puis le silence et donc on ne savait plus « … ». Mais pourquoi est-ce qu’on a jeté des grenades à tel endroit? Donc, on savait où, mais pas discussion là-dessus, donc la vie continuait. Et donc c’est comme s’il y avait une expérience et puis par après c’est le silence et donc je pense qu’on savait on savait mais sans le comprendre seulement ou sans nécessairement y accorder l’importance qui… Puis on avait nos parents, puis nos parents essayaient de vivre dans ça donc on suivait. C.K. : En parlant de ça justement vous avez parlé de votre mère, qui était intelligente à l’école, qui était parmi les premières, qui n’a pas été à l’école, qui n’a pas pu avoir accès à l’école secondaire. Est-ce que ça a un rapport avec ça? Et puis votre grand-père, vous avez dit qu’il était en prison « … » est-ce que ça a un rapport avec les ethnies ou en rapport avec un autre délit qu’il avait commis? >> B.K. : En fait, pour mon grand-père, d’après les renseignements « … » j’ai demandé aux personnes qui en savent le plus et ils m’ont dit : « quelqu’un a tué une personne et on l’a mis dans le champ de ton grand-père et c’est des Hutu du village qui ont fait ça. » Donc, c’était en rapport avec les ethnies. Pour ma mère aussi c’était pareil, mais elle n’en parle pas tant que ça. On ne peut pas savoir comment elle a vécu ça, ce qui s’est passé réellement, mais c’était en rapport avec ça. >> M.M. : Donc c’était quelque chose d’assez évident, mais qu’on gardait sous silence en famille pour les enfants finalement. >> B.K. : Oui je pense que c’était peut-être pour nous protéger. Mais c’est ça c’est « … ». Aujourd’hui, c’est juste de regarder en arrière puis se demander pourquoi on n’en parlait pas? Et « … ». En fait pourquoi on n’a pas su plus? Pourquoi on n’a pas discuté de ça pour avoir au moins une vision claire de la réalité, mais on reste dans ce pourquoi. Pourquoi pas de révolte? Pourquoi on n’a pas dit « Ben on va tous suivre mon oncle. ». Donc, pourquoi on a accepté tout ça? >> M.M. : Bon « … » là tu es rendue à l’école secondaire de Nyundo. Comment ça se passe le secondaire? C’était en quelle année que tu étais au secondaire? >> B.K. : En ‘92 « … » ‘92-‘93. >> M.M. : Puis tu as terminé le secondaire à Nyundo aussi? >> B.K. : Oui plus tard. Il y a une année, après le génocide, que j’ai fait dans une école privée à Gisenyi. Mais plus tard je suis revenue à Nyundo. >> M.M. : Et tu as terminé en?... >> B.K. : En ‘98. >> M.M. : Tu avais une carrière déjà de choisie? Ou bien il fallait continuer avant de choisir une carrière? >> B.K. : Avant ‘94, j’étais dans l’option littéraire. Plus tard j’ai fait un peu de normal, puis je suis revenue dans l’option littéraire, mais ce n’était plus du littéraire comme tel. >> M.M. : Puis après le secondaire? >> B.K. : Après le secondaire, j’ai fait l’université en psychopédagogie. >> M.M. : Ça fait beaucoup de [inaudible] [rires]. Est-ce que tu as fini l’université en psychologie là-bas? >> B.K. : En psychopédagogie, mon BAC, oui. Pas à Nyundo, mais à Kigali [inaudible]. >> M.M. : Et maintenant, tu es toujours aux études, donc tu es encore dans le domaine? >> B.K. : Oui presque. Je suis en sciences de l’éducation, j’ai fait une carrière d’étudiante. >> M.M. : C’était ton choix de « … » toutes ces choses-là que tu as fait, la littérature, la psychologie. >> B.K. : Non ce n’était pas mon choix. >> M.M. : Comment est-ce que justement ça se faisait pour orienter ou choisir? >> B.K. : On était orienté d’avance. Donc, quand je suis allée à Nyundo, on m’a dit tu es dans la section littéraire donc ce n’est pas vraiment moi qui a décidé quoi faire. Plus tard, je suis retournée dedans, mais c’est parce que c’est ce que je connaissais. Mais à l’université, j’aurais aimé beaucoup plus aimé faire du droit. Quand j’étais en quatrième année secondaire je pensais faire le droit, mais je n’ai pas eu les notes pour aller à l’université à Butare là où je pouvais faire du droit plus facilement et puis l’ULK (Université Libre de Kigali), ça venait de commencer ; donc je voulais pas aller à l’ULK (Université Libre de Kigali), donc c’est comme ça que je suis allée en psychopédagogie. >> M.M. : Donc, c’était ton deuxième choix en fait. >> B.K. : Oui c’était mon deuxième choix. >> M.M. : Avant que j’aille plus loin, dans tout ce qu’on a dit tu es revenue beaucoup de fois sur ‘94. Si je comprends bien, après ‘94, vous vous retrouvez justement avec les enfants, les six ou huit. J’aimerais que tu me parles de ‘94. Comment est-ce qu’on a pu, comment est-ce que tu as vu venir ça. >> B.K. : « … » En fait je pense qu’il y avait déjà dans la région de Gisenyi. Il y a cette période qu’on appelait Zulu. Je ne me rappelle pas de l’année, mais c’est entre 80… je pense que c’est ‘93. Mais à l’école contre, au secondaire à Nyundo, là où j’étais « … » tout près de la cathédrale, l’évêque de Nyundo à cette époque-là, Monseigneur avait donné refuge aux Bagogwe qui avaient été chassés de leur région là où « … » en fait de chez eux. Et donc, quand on allait à la messe à Nyundo, on voyait ces réfugiés qui étaient réfugiés à l’intérieur de leur propre pays et qui étaient juste là et parce que ils n’étaient pas mauvais, mais parce qu’ils étaient Tutsi. Et donc, à Gisenyi dans cette opération Zulu, je me rappelle qu’après cette période beaucoup de Tutsi qui avaient des moyens ont quitté Gisenyi pour aller s’installer à Kigali. Et à l’école secondaire où j’étais, il y avait des enfants déplacés. Donc, déplacés par la guerre du FPR et qui au fur et à mesure « … » montraient la haine pour les camarades Tutsi. Ma salle de classe a été « … » enfin ma promotion en tant que tel il n’y avait pas vraiment « … » je ne voyais rien dans ma salle de classe. Mais comme on était à l’internat, donc on voyait qu’il y a des petits groupes qui se formaient. Je me rappelle une fois, j’étais avec deux autres filles, on passait devant un petit [groupe?] d’enfants dont certains avaient été déplacés par la guerre et je me rappelle qu’on les a vus cracher par terre. Mais c’était juste « … » pour nous c’était une insulte en notre encontre. Au petit séminaire, il y a des choses…, qui était à côté, il y a des choses qui se passaient de la même nature, donc il y a des gens qui partageaient enfin, des élèves qui partageaient le soir, un peu le soir. Enfin, donc, le climat commençait à être tendu à cause de ça et donc je pense qu’aujourd’hui lorsque je jette un regard, ce sont des événements qui présageaient le pire. Mais en même temps, je ne m’y attardais pas. Je ne sais pas si à un certain moment on s’habitue à vivre dans des choses comme ça. Mais aussi ce n’était pas tous les enfants Hutu, je me rappelle dans un de mes groupes il y avait une fille, enfin, plusieurs filles avec qui on était souvent ensemble mais on n’avait vraiment jamais remarqué qu’il y avait une animosité en notre encontre. Donc, c’était des choses qui étaient « … » qui étaient là qui n’étaient pas encore très répandues, mais qu’on pouvait vraiment « … » qu’on pouvait vraiment saisir si on voulait vraiment voir les choses. Mais, encore une fois il fallait fermer les yeux et tu sais « … » avancer. ’94, quand ça arrive j’ai une chance et une malchance, enfin une chance, j’ai la chance de ne pas être chez moi. Donc, à un certain moment donc, j’avais fugué, j’avais rencontré des religieuses enfin des auxiliaires de l’apostolat et de retour à la famille, donc de temps en temps j’y passais encore les vacances. Et c’était Pâques, donc j’étais allée passer ma deuxième semaine de vacances chez ces religieuses. Je suis partie de ma famille lundi de Pâques, donc le génocide a commencé le 7. Mais ce que je me rappelle c’est que déjà le 6, la nuit du 6, il y avait un prêtre qui était venu saluer une de ces amies parmi les auxiliaires. Et donc, comme il était là, on nous a dit « … » puisque le matin on se levait et on allait à la messe donc c’était l’habitude dans ce couvent. Donc tous les matins, on allait à la messe et donc le hasard fait que ce prêtre est là et ce prêtre dit, enfin la religieuse me dit : « Comme le prêtre est là, il va célébrer la messe ici, donc vous n’avez pas besoin d’aller demain matin, donc la messe va avoir lieu ici. ». Donc, on se lève puis on part à la messe et la première chose que le prêtre dit : « l’avion du président a été abattu. » Donc, tout le monde se « … » enfin, j’étais entourée seulement de personnes adultes et plus tard donc à la table on continue de parler de ça et je me rappelle que j’ai dit : « C’est fini. » Donc, aujourd’hui, tout le temps quand je pense à pourquoi j’ai dit : « C’est fini. » je ne comprends pas pourquoi j’ai dit : « C’est fini. » et que c’était fini. Donc, je ne sais pas si c’était un emmagasinage de tout ce que j’avais vu et puis à Gisenyi, il y avait un autre événement qui se passait. Il y avait des gros bus qui « … » enfin, des gros bus de transports… >> C.K. : De miliciens. >> B.K. : Mais c’était des miliciens, je me rappelle, mais je pense qu’il y avait un euphémisme bizarre qu’il y avait ce jour-là, on les appelait les magiciens. Donc c’était des gens qui « … ». Donc, ils étaient toujours remplis de bus et des fois, ils étaient au-dessus des bus et ils dansaient tu sais il y avait toujours du bruit, ils chantaient. Donc, ça j’avais aussi vu à plusieurs reprises dans ma ville natale, donc… >> M.M. : Ça c’était avant ‘94. >> B.K. : Oui c’était avant ‘94 et puis des fois on les regardait passer quoi et on applaudissait, c’était des magiciens. Donc, je pense que c’est tout qui fait que « Ok, c’est fini. ». Quelques minutes plus tard, des téléphones que les religieuses ont reçus c’était pour dire que des prêtres de tel endroit, des religieuses de tel endroit, la situation est comme ça dehors, donc depuis ce jour-là « … » ça a commencé quoi, le génocide a commencé. >> M.M. : Et comment tu l’as vécu? Tu as vécu chez les religieuses… >> B.K. : Oui. >> M.M. : Tu n’as pas pu aller chez les parents finalement. >> B.K. : Non je suis restée là. >> M.M. : Et comment vous l’avez vécu chez les religieuses? >> B.K. : [Inaudible] [rires]. >> M.M. : Avec les autres qui étaient avec toi? >> B.K. : En fait, encore une fois, j’ai dit « C’est fini. », mais en même temps je ne saisissais pas vraiment l’ampleur de ce c’est fini. » et de ce qu’on disait. Je me rappelle qu’il y avait une telle peur que j’ai fini par ne plus avoir peur. Donc, autour de moi il y avait « … » [rires] il y avait vraiment un sentiment de terreur tout le monde bougeait dans tous les sens. >> M.M. : Tu paniquais? >> B.K. : Il y avait une panique « … » tu parles à quelqu’un et puis il s’en va. Donc, il y avait un mouvement. J’essaye de visualiser ça je dis, ce n’est pas possible! ». Donc, les gens vont aller dans un plafond, je les vois descendre, ils vont aller chercher Félicité. « Hey maman, qu’est-ce qui se passe? Est-ce que tu as des nouvelles de tel? ». Et puis, tout à coup, les autres vont dans la chambre, ils vont dans… s’enfermer et puis vont se parler à voix basse, les autres vont écouter la radio « … » ils vont essayer de capter ? pour savoir ce qui se passe. Et puis, les autres vont passer plus de temps dans la chapelle et donc c’était dans ce climat là, mais comme j’étais habituée de la maison en fait, plus tard il y a aussi les étudiantes de l’université Saint-Fidèle qui sont venues se réfugier et puis quelques autres personnes de la ville qui ont pu arriver jusqu’au centre Saint-Pierre. Et comme j’étais, comme je connaissais du moins, l’endroit plus que les autres, j’ai continué d’aider. Donc, j’aidais à faire la cuisine, à faire tout le ménage quoi. Comme je participais avant, j’ai continué de participer, donc « … » je suis restée occupée que je n’ai pas eu vraiment le temps de m’arrêter. C’est aujourd’hui où je m’arrête, puis je deviens figée « … » à cette époque-là, j’étais beaucoup plus dans l’agir. Donc, Félicité a fait toujours en sorte que je sois dans l’agir, mais m’a empêchée d’aller ouvrir la porte quand quelqu’un sonnait j’aimais toujours aller ouvrir la porte, mais elle m’avait empêchée de retourner. >> M.M. : Félicité c’était la religieuse que tu étais allée voir? >> B.K. : Oui, enfin, j’étais allée voir plusieurs, mais c’était elle la religieuse responsable des autres. Mais, je m’inquiétais pour mes parents et surtout pour mon père parce que une semaine plus tôt il avait été agressé par les miliciens et les militaires dans un bar et en rentrant à la maison on avait été le voir ma mère avait apporté de l’argent et donc j’ai « … » tout de suite je ne sais pas pourquoi, mais j’ai eu peur pour mon père. Et puis ma mère c’était quelqu’un de sociable et elle avait beaucoup d’amis je trouvais. J’étais toujours eu l’impression que peut-être « … » Puis elle avait pris la carte de MRMD, mais mon père avait la carte de FPR. Je me rappelle mon oncle m’avait dit, quand j’étais au Congo : « Vraiment ta mère a pris la carte de MRMD, elle est vraiment forte! » [Rires]. Donc, je pensais peut-être que ça va la sauver. Parce que, plus tard, quand j’ai eu peur pour tout le monde, mais dès le premier jour, pour mon père j’ai désespéré. [Essuie ses larmes] >> M.M. : Puis dans la panique pendant que vous viviez chez les religieuses, est-ce que c’est tout le monde qui était concerné? Est-ce que c’est « … » il y avait « … ». Est-ce qu’on est resté solidaire chez les religieuses? Vous organisiez quelque chose de commun, comment est-ce que?... >> B.K. : Non la vie a continué, enfin, dans les communes, c’est difficile pour moi de savoir toute les relations qui se déroulaient là, mais on savait que les Tutsi étaient concernés, c’était les Tutsi qui étaient concernés, mais je ne me rappelle avoir été bousculée par n’importe qui parmi les Hutu qui étaient là. Même que à un certain moment, Félicité et Nathalie sont allées, en fait, grâce à ces étudiantes de Saint-Fidèle, je me rappelle qu’elles sont allées prendre une étudiante de Saint-Fidèle qui avait été blessée, qu’on a amenée à l’hôpital et qu’on a amenée au couvent et qu’on soignait à la maison et puis Félicité avait envoyé deux religieuses Hutu pour aller chez mes parents donc quand elles sont arrivées, elles ont su que mes parents avaient été tués, mais au retour elles ne me l’ont pas dit. Donc je ne sais pas si elles voulaient essayer de les sauver ou quelque chose, mais je sais que le lendemain, Félicité m’a dit : « Est-ce que tu connais quelqu’un au Congo? Est-ce que tu aurais une famille par hasard? ». Je lui ai dit oui, là c’était aux environs du 19-20 avril. Je lui avais dit et elle m’avait ok. Je pense que c’est la nuit du 19 au 20 avril, elle m’a dit : « Tu ne dors pas. ». Mais avant cela mon frère avait « … » enfin, mon frère est venu, mon frère, qui me suit, Jean-Baptiste, est arrivé au couvent. Et puis, elle m’avait dit que le 7, le 7 avril, un camarade de l’école primaire, qui a eu un frère génocidaire qui avait dit : « Tu sais quoi? Tous les Tutsi vont mourir. ». Et puis, mon frère avait dit à mes parents : « Moi je m’en vais. » et puis, ma mère avait dit « Ok tu vas dans telle famille. » Ma mère avait une cousine qui avait un mari qu’on ne sait pas s’il était Hutu ou Tutsi. Par après, je reçois des informations qui étaient écrits qu’il était Tutsi, mais à cette époque on savait qu’il était Hutu. Donc, ma « … » puis ma mère avait dit : « Donc, si tu vas là-bas va avec Marie-Ange. » Donc, là « … » >> M.M. : Marie-Ange, ta sœur. >> B.K. : Oui ma sœur. Et donc, Jean-Baptiste va avec Marie-Ange chez Jacqueline, mais arrivé là-bas, le mari de Jacqueline dit à Jean-Baptiste : « On va garder Marie-Ange, mais on ne peut pas vous garder tous les deux, est-ce que tu sais où est Berthe? », puis Jean-Baptiste dit oui : « Ok, vas-y. ». Donc, Jean-Baptiste est venu chez moi, mais en cours de route, il croise quelqu’un qui lui dit : «Toi tu es l’enfant d’Alexis, n’est-ce pas?». Mon frère dit «Non, je ne suis pas l’enfant d’Alexis.» Donc, il arrive chez les religieuses. Donc, on reste là, enfin, une nuit, Félicité nous dit de ne pas dormir, mais, plus tard vers minuit, elle vient nous dire : « Ok, vous pouvez dormir, on vient de nous dire qu’il y a des miliciens un peu partout et vous ne pouvez pas traverser. ». Elle voulait nous faire traverser, mais avant cela elle avait pu envoyer une quinzaine de personnes au Congo donc elle voulait tenter une deuxième chance, mais ça n’a pas marché. Donc, jusqu’au 21, où les miliciens sont venus au couvent, donc vers 15h-16h, j’étais dans la cuisine, puis Félicité vient en courant : « Dites à tout le monde de se cacher, les génocidaires sont là. ». Je cours, je dis : « Cachez-vous, cachez-vous! ». Au moment où je n’ai pas encore fini de le dire, les génocidaires étaient là et je disais que je n’étais pas Tutsi. On nous a conduits, enfin, un génocidaire m’a pris avec d’autres personnes et il y avait « … » ils étaient un peu partout, donc ils avaient fait sortir plusieurs personnes de leurs cachettes. Donc, j’arrive là à la porte de sortie et je vois qu’il y a plusieurs personnes agenouillées avec un « … » un tueur avec un fusil tourné vers leur direction, donc on nous a dit de nous agenouiller et on s’est agenouillé et puis par après ils avaient deux minibus parqués derrière la porte et on nous a dit d’entrer dans le bus. Donc, je me suis débattue pour ne pas entrer dans le bus. Un des génocidaires était en train de faire entrer « … » je lui dis : « Ne me frappez pas. » Et puis, il y avait Félicité qui n’avait pas rentré dans le bus et qui est rentrée par force et donc là on est partis dans le premier bus et ils nous disaient qu’ils allaient nous amener à la commune rouge. À l’intérieur du bus, il y avait une chanson qu’une des religieuses nous apprenait, donc je l’ai entonnée et puis après, on nous a fait taire parce que vous aviez tué le président Habyarimana, donc vous n’avez pas à chanter. La seule Hutue qui est dans le bus peut continuer de chanter. Donc, on prend « … » le chauffeur prend la route vers le cimetière. >> M.M. : C’était ça la commune rouge? >> B.K. : C’était ça la commune rouge et en cours de route, on voit que les autres la vie est vraiment « … » a continué. Tu es dans le bus vers la mort et puis à côté « … » en tout cas pour les Hutu ça n’a pas changé, le marché fonctionne et tu vois les gens dans la rue au moment où tu as peur de sortir de la cachette et on va jusqu’à « … » jusqu’au cimetière. Puis, là-bas, quand on arrive, il y plusieurs personnes qui «…» qui sont venues pour assister et quand on arrive aussi je vois plusieurs milices sortir de la [inaudible] avec des machettes même des anciennes machettes traditionnelles un peu «…» et dans le bus j’avais «…» j’avais appris le nom d’un des «…» enfin, du chauffeur du bus, enfin, le nom de «…» de mon tueur et donc d’un milicien et il y a quelqu’un qui disait «…» qui était en train de dire : «Mais Thomas, est-ce que tu ne me connais pas? Tu ne connais pas que je suis de chez tel? ». Moi j’ai retenu ça, mais j’ai retenu aussi qu’on ne voulait pas vraiment nécessairement tuer Félicité, parce qu’en cours de route on disait : « La sœur du colonel ne doit pas entrer dans le bus. ». Mais elle avait dit : « Si vous allez tuer ces gens, je vais y aller avec eux. ». Mais en même temps, même si la sœur du colonel devait quitter le bus, ils n’ont jamais arrêté pour la faire sortir de force, mais c’était juste quelque part les mots. Donc, quand on arrive au cimetière je me dis : « Peut-être qu’on ne va pas la tuer. », donc moi je sors du bus et je prends sa main et on sort. Les autres sortent en allant tout de suite par terre et puis il y a un homme d’une trentaine d’années qui essaye de s’échapper, mais il y a des génocidaires qui courent derrière lui et qui l’attrapent. C’est vraiment une des mauvaises images que j’ai gardées de là. Donc, on l’attrape et puis il est entre deux génocidaires et deux génocidaires qui « … » en train de « … » de le couper et ces gens qui sont là qui regardent. Donc, dans l’entretemps, Félicité, qui ne veut pas vraiment regarder toute la scène j’imagine « … » me laisse, donc va tourner « … » le cimetière se trouve en bas d’une montagne, donc elle va tourner les yeux vers la montagne dans une position de prière. Donc, quand elle me lâche « … », je prends les mains de Thomas, le chauffeur du bus. Et Thomas prend ma main aussi. J’avais vu parmi la foule, un ancien camarade de l’école primaire à qui j’avais fait comme ça [appelle avec ses mains] pour demander de l’aide et qui m’avait fait comme ça [signe d’impuissance] comme quoi il ne pouvait rien faire et puis au moment où Thomas me tient, il y a un génocidaire qui vient m’arracher de ses mains et Thomas lui donne un coup de pied. Mais, dans l’entretemps on a su, Omar qui est aujourd’hui à Arusha est en train de fusiller ceux qui étaient par terre. À un certain moment, il y avait une enfant d’à peu près deux ans et Thomas, qui me tenait la main, me dit de prendre l’enfant et de retourner dans le bus. Et dans le bus, il y avait aussi quelques génocidaires, qui étaient restés et aussi une autre fille, qui était la tante de l’enfant, mais qui n’a pas voulu révéler son identité, enfin, sa tante… >> M.M. : De l’enfant que tu tenais dans les mains. >> B.K. : Oui la tante de l’enfant, la tante maternelle de l’enfant que je tenais dans les mains. Enfin, on dit que le père de l’enfant était Hutu, mais les miliciens n’avaient pas voulu l’entendre à ce moment-là, donc au moment où je prends l’enfant pour entrer dans le bus, je vois aussi Félicité tomber et au même moment je vois le prêtre, le prêtre qui nous a fait la messe le premier jour, donc qui était resté avec nous au centre Saint-Pierre, je le vois venir avec trois gendarmes pour sauver Félicité, mais il était trop tard, donc on retourne dans le bus et « …» donc c’est fini. Omar retourne dans le bus avec Thomas le chauffeur, donc on prend le chemin du retour et en cours de route, Omar demande à Thomas, mais qu’est-ce que « … » qu’est-ce que je fais dans le bus et Thomas lui répond : « Elle vient de me mentir qu’elle est Tutsi. ». Omar lui dit : « Il faut que tu arrêtes le bus, je dois la tuer aussi. ». Mais, Thomas n’a pas « … » n’a pas arrêté le bus. On est allé déposer Omar à un des grands hôtels de Gisenyi, au Palm Beach, là aussi j’ai vu des gens « … » des gens qui buvaient, qui mangeaient, donc Omar les a rejoints et Thomas est allé me déposer au centre Saint-Pierre. >> M.M. : Le centre Saint-Pierre c’est…? >> B.K. : C’est le couvent, ça s’appelle comme ça. >> M.M. : Où ce que vous étiez avant de partir? >> B.K. : Où est-ce qu’on était avant de partir et quand j’arrive, je vois qu’il y a deux gendarmes, puis je vois Nathalie, qui secondait Félicité, Nathalie qui demande : « Alors, Félicité est morte? » et le chauffeur Thomas qui dit : « C’est moi qui vient de sauver ces deux enfants. » comme si… >> M.M. : Pour ne pas répondre à la question de Félicité [veut dire Nathalie]. >> B.K. : Pour ne pas répondre à la question ou comme si, même si Félicité est morte, il a sauvé deux personnes. Sûrement, puisque Nathalie était fâchée et « … » elle était en train de le chamailler, il lui a dit : « Mais c’est moi qui vient de sauver… ». Plus tard, le soir, les gendarmes, qui sont là, paraît-il qui sont venus maintenant me protéger « … » et qui m’ont dit et il y avait quelques autres personnes qu’on n’avait pas pu sortir de leurs cachettes, ils ont dit : « La prochaine fois, ça sera le feu. Les génocidaires ont dit qu’ils vont brûler. » et là, je commence à regretter de ne pas être morte « … » morte par balle au cimetière. Mais, ça ne s’est pas fait, le lendemain, enfin, la même soirée, il y a plusieurs militaires qui sont venus pour demander comment Félicité était morte et c’était comme si c’était la seule personne qui était morte. J’essaye de leur dire ce qui s’est passé, mais je ne sais pas qu’ils ont capturés certains génocidaires et puis le lendemain, le frère de Félicité et quelques amis sont allés déterrer Félicité pour l’enterrer dignement, parmi des milliers de cadavres. Et donc, les gens, les sœurs hutu qui sont restées là, plus tard, nous apprennent que tous les corps étaient nus et la même soirée du 22 avril, on « … » s’est réfugiés au Congo, on a décidé « … » on a décidé de partir avec les quelques personnes qui étaient restées, mais dans l’entretemps, mon frère est parti à l’extérieur, puis il est revenu et quand on lui dit d’aller au Congo, lui, il refuse, il dit : « Je n’y vais pas ». Parce qu’on l’a réveillé vers minuit et donc il a dit « Moi je ne vais nulle part». Et donc, moi je connais l’erreur grave, mais heureusement qu’il a survécu, …de partir. >> M.M. : En le laissant. >> B.K. : Oui donc lui il a dit « Moi je ne vais nulle part. » et donc je l’ai laissé. >> M.M. : On ne réfléchit pas dans ces moments-là. >> B.K. : C’est donc je ne sais pas, peut-être qu’on l’aurait pris par force, nous qui partions puisqu’on était pas mal un petit groupe, mais il a refusé et nous tous on l’a laissé. Ça a laissé une culpabilité, mais j’ai la chance qu’il ait survécu, donc ça diminue un peu la teneur. >> M.M. : Je n’ai pas une idée de la distance entre Saint-Pierre et l’autre côté. >> B.K. : Je pense que c’est cinq minutes. >> M.M : C’est donc une traversée qui se fait facilement. >> B.K. : Ça se fait facilement, mais la distance, pendant un génocide, ça devient énorme. Donc, aujourd’hui, quand j’y pense, je me demande que : « On n’a même pas pu traverser avant que tous les 14 jours ont passé » on était là et on voit au Congo, donc c’était… >> M.M. : C’était l’autre côté. >> B.K. : Je ne sais pas, je pense que dans dix minutes, on y est. C’est vraiment trois minutes pour la frontière normale, mais si tu passes par les champs, c’est peut-être dix minutes, mais c’était vraiment très proche, mais la distance pendant un génocide, ça devient énorme. C.K. : Mais vous partez avec « … » les religieuses qui sont là? Vous partez… >> B.K. : Non c’était quelques Tutsi qu’on n’avait pas pu sortir des cachettes. Sinon, les religieuses et tous ceux qui n’étaient pas concernés sont restés. C.K. : Mais vous partez toute seule sans… >> B.K. : Non, je suis avec quelques autres. >> C.K. : Oui, mais toute seule… >> M.M. : Les Tutsi qui étaient restés dans le couvent parvenaient à aller de l’autre côté au Congo? >> B.K. : Oui on y arrive dans quelques instants et puis, on dort par terre dans « … » et on s’assoit en tout cas sur l’herbe pour attendre que le soleil se lève un tout petit peu. Vers cinq heures du matin, on se dirige vers les maisons de Birere à Goma et on arrive à une Église, je pense que c’est l’Église pentecôtiste. Donc, on entre à l’intérieur et puis « … » les gens nous, ils voient qu’on est des gens qui sortent de la mort. Il y a une femme qui vivait au Congo et qui est Tutsi, qui décide de me prendre en charge et c’est comme si chacun avait une destination, donc il y avait quelques étudiantes de Saint-Fidèle «…» de Saint-Fidèle, il y en avait une qui était à l’université adventiste de l’époque et qui dit : «Moi je vais là-bas avec les adventistes.» et moi j’ai, enfin, quand Félicité m’avait demandé si je connaissais quelqu’un au Congo, elle avait pensé m’envoyer d’abord à Goma chez une consœur qui était partie dans le premier groupe, parmi les personnes … Donc j’ai dit : « Est-ce que vous pouvez m’amener à l’évêché ou est-ce que vous connaissez Adria? » et donc c’est comme ça que plusieurs d’entre nous sont dispatchés et j’étais avec une des religieuses qui était Tutsi, Immaculée, et Adria, enfin, la personne nous a amenés à l’évêché de Goma là où Adria et les autres consœurs sont venues me voir. Et nous sommes allées dans la famille d’Adria à Goma, donc on était plusieurs du centre Saint-Pierre. Et le 3 mai, l’orphelinat de Nyundo a été évacué et après notre départ, Nathalie avait amené mon frère et trois autres enfants d’une mère qui était partie dans le premier groupe à l’orphelinat [inaudible], donc quand l’orphelinat arrive à Goma, mon frère est dedans. Et donc, je revendique d’aller aussi à l’orphelinat et donc on quitte cette famille et on va à l’orphelinat. Et plus tard, au mois de mai, « … » mon oncle qui était à Bukavu, qui venait d’être informé, a envoyé sa femme pour venir me récupérer, donc il savait que c’était seulement moi, puis sa femme arrive et je suis avec mon frère et dit : « Ok, je vous amène à Bukavu. » « … » et elle me fait sortir de l’orphelinat pour nous amener à Bukavu. Et le même jour où tout est signé pour qu’on sorte de l’orphelinat et on sort de l’orphelinat, la première nuit qu’on a passé à Goma pour partir le lendemain à Bukavu « … », mes amis de l’orphelinat sont venus me dire : « Il y a tes trois frères qui viennent d’arriver à l’orphelinat avec la Croix-Rouge. ». Et donc, maintenant, je quitte pour retourner à l’orphelinat, ce n’est pas facile parce qu’il y a beaucoup d’enfants et si on a la chance, il y a des enfants qui partent et moi je dis je ne pars pas « … » on essaye de me convaincre qu’il faut que je parte puisque la directrice qu’on ne pouvait pas « … » qu’on ne pouvait pas retourner maintenant, il faut que « … » il faut que ce soit le HCR qui règle l’affaire. Et donc, on fait des aller et retour au « … » au HCR et « … » ce n’est pas « … » c’est vraiment une course où les gens essayent, enfin, là je fais [inaudible] qui avaient d’autres choses à faire et qui me disent : « Mais vas-y! Les enfants vont rester à l’orphelinat et toi tu « … » toi tu vas aller chez ton oncle. » et je dis que c’est impossible, donc je [inaudible] [rires]. Et donc, à un certain moment, il y au prêtre qui intervient l’abbé Martin « … » abbé Martin qui connaissait quelqu’un au HCR [Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés] je pense à un certain moment, c’était avec des religieuses qu’on était en train de le faire et avec la femme de mon oncle et puis Martin intervient et après son intervention, donc le HCR… m’ont fait retourner à l’orphelinat et donc on reste là, puis plus tard, on rentre au Rwanda avec l’orphelinat. >> M.M. : Finalement, vous êtes cinq enfants qui restent ensemble à l’orphelinat. >> B.K. : Oui, donc là c’est le cas de Marie-Ange avec la vague des réfugiés hutu qui arrivent au Congo, une des religieuses hutu va dans un camp je ne sais pas si elle était dans ce camp ou pas, elle vient me dire à l’orphelinat : « Tu sais quoi? Je viens de voir ta petite sœur dans un camp de réfugiés, le camp de réfugié [inaudible] ». Donc, je vais avec cette religieuse et puis elle me montre là où Marie-Ange est et la famille qui l’avait gardée pendant le génocide. Et donc, quand j’arrive, Jacqueline me dit : « Il faut que tu sois très discrète. ». Donc, on retrouve Marie-Ange qui se portait « … » pas bien, donc l’enfant était bousculée. On prend Marie-Ange dans « … » dans la foule de réfugiés, puis on rentre ensemble dans l’orphelinat. Donc, c’est comme ça qu’on est tous réunis. >> M.M. : Est-ce que parmi ceux qui vous ont rejoints à l’orphelinat, finalement, est-ce que vous avez pu avoir l’histoire des parents? >> B.K. : Oui, les trois qui sont venus avec le HCR, étaient avec nos parents quand les génocidaires sont venus les prendre. Donc, ils se sont juste cachés derrière notre bar, mais ils ont vu les génocidaires partir avec nos parents. Ils ne les ont pas vus mourir, mais ils les ont vus partir avec. Puis, ils avaient essayé de trouver refuge chez les voisins, mais les voisins les avaient repoussés et ils ont essayé de rejoindre l’église, l’église de Gisenyi et en cours de route ils croisent des génocidaires, les génocidaires qui les capturent et puis je ne sais pas qui d’entre eux, je ne me rappelle pas qui d’entre eux, je pense qui c’est Gaétan, qui dit : « On vient de voir les autres en train de piller un magasin. ». Puisqu’ils les avaient capturés en leur disant : « Venez, vous allez nous montrer chez vous, vous allez nous montrer où sont vos parents. ». Et puis, les enfants ont eu juste l’idée de mentir qu’il y a un endroit où ils sont en train de piller et les génocidaires les laissent [rires]. Ils vont piller, ils vont chercher là où les autres sont en train de piller et les enfants arrivent à rejoindre l’église, puis le couvent des Bizeramariya qui était à côté de l’église. Mais, dans l’entre-temps, les génocidaires sont venus tuer les religieuses qui étaient là et je ne sais pas qui parmi les religieuses les a amenés à la préfecture et c’est de la préfecture que la Croix-Rouge les a pris pour les amener à Goma. >> M.M. : Donc, c’est tout ce que vous avez su sur les parents, finalement, c’est qu’on les a sortis de la maison. Vous n’avez pas eu… >> B.K. : Oui, c’est ce qu’ont su du moins mes frères. Plus tard, quand j’étais à l’école secondaire « … » enfin, dans l’après-génocide avant de retourner à Nyundo, je suis allée à une école secondaire des « … » Pentecôtistes à Gisenyi, l’École normale primaire de Gacuga [?] Et c’est là où j’ai croisé quelqu’un qui les a vus mourir, donc cette fille qui m’a dit : « [inaudible] j’ai vu ta mère, on l’a battue jusqu’à ce qu’elle meure, ton père a été découpé à la machette. ». C’était « … » paraît-il que c’était dans son avenue et qu’il y avait quelques musulmans qui étaient en train de jouer au gisoro qui avaient essayé de plaider pour ma mère, mais « … » ça n’avait rien apporté ou ils avaient juste fait semblant, je ne sais pas c’est ce qu’elle m’a raconté. >> M.M. : Donc, vous restez à l’orphelinat jusqu’à?... >> B.K. : Jusqu’en ‘98, enfin, disons « … ». Je n’ai jamais aimé l’orphelinat, je n’ai jamais… >> M.M. : Toi qui t’es battue tant pour rester dedans? >> B.K. : [rires] Je suis une éternelle rebelle, je me suis dit : « Je ne reste pas. ». Tu sais tu rentres dans un orphelinat, et puis tu vas « … » donc après j’ai quitté ? quand le lycée Notre-Dame a ouvert à Nyundo. Comme c’était tout près de l’orphelinat, je suis retournée pour être plus près de mes frères et sœurs, mais tu entres dans l’orphelinat et puis après tu entres au lycée et tout est encerclé, donc tu es vraiment « … » c’est comme si c’était deux prisons et donc des fois je partais, j’allais chez mon oncle et puis mon oncle: « Mais où est-ce que tu vas? Tu dois rester à l’orphelinat. » Je dis « Ok. ». Et donc, mon idée depuis la troisième année, c’était sortir de l’orphelinat, donc je pensais qu’il y aurait une magie comme quoi après le secondaire, [rires] donc j’ai étudié comme une folle quand j’étais en troisième année, je n’ai jamais travaillé à l’école comme cette année-là. Après le génocide, donc, j’ai dit : « J’étudie vite et puis après je sors de l’orphelinat. », donc je pensais qu’automatiquement j’aurais un travail et que tout irait de soi. Et donc, je fais des contacts à l’extérieur et puis, plus tard quand on me dit qu’il y a une demi-sœur, donc elle vivait chez sa tante maternelle à Kigali donc je suis allée la chercher à Kigali et puis quand je suis allée la chercher elle dit : « Ah, j’ai une grande amie il faut que tu la voies avant de retourner à Nyundo. ». Et donc, on [inaudible] qui est amie de ma sœur et qui est vraiment très chaleureuse et qui me dit : « Si tu veux venir chez moi en vacances, les portes sont ouvertes. ». Quelqu’un que je ne connais pas! [Rires] Donc je dis « ok ». Donc, de temps en temps pendant les vacances, donc je « … » je maintiens le contact avec elle et puis, il y a là « … » la période des infiltrés, la période où c’était vraiment encore grave dans les années ‘97-‘98 à Gisenyi. Il y avait des bus qu’on brûlait, donc c’était vraiment une autre guerre. Alors, je me dis : « On ne peut pas encore mourir! », donc je frappe sur la porte des gens, je ne vois pas vraiment « … » je vais chez mon oncle maternel à Bukavu je dis : « On ne peut pas rester là-dans ce brouhaha de tirs, vous craignez très peu, mais il ne faut pas que si on meurt, on meurt tous. » Mon oncle essaye de trouver un orphelinat. Puis ça marchait pas et les amis, enfin, les familles de mes camarades à l’école essayent aussi de trouver un orphelinat SOS à Kigali, mais quand on fait l’erreur de dire qu’on quittait l’autre orphelinat, il y a le SOS qui nous dit : «On ne prend pas les enfants qui viennent d’un autre orphelinat.» et donc je ne sais pas quoi faire, mais j’ai gardé quand même contact avec cette femme et cette femme qui me dit : «Mais, en fait, tu peux faire venir tes trois sœurs, enfin, Marie-Ange, enfin, du moins ceux qui sont encore plus jeunes.». Et là, ça n’existe pas chez nous, c’est une famille « … », enfin, tout peut exister après un génocide, mais quand je dis ça à mon oncle, il dit : « Mon Dieu!» [Rires] il dit à mes deux autres frères : « Est-ce que vous pensez que votre sœur va bien? ». Mais moi je m’en fous, donc « … » je m’en fous de ce qu’on va dire. Je dis avec mon frère qui me suit : « Toi tu vas signer comme si… » là j’avais aussi des relations avec la directrice de l’orphelinat avec ces vas et viens n’étaient pas bonnes, donc ça c’était clair, donc moi je n’ose pas me présenter et mon frère qui me suit : « Donc, toi tu vas signer comme si c’était mon oncle, tu vas dire que c’est mon oncle qui «… » >> B.K. : Oui. Ou alors, on a forcé mon oncle à signer, donc je ne me rappelle pas exactement. En tout cas, c’est au nom de mon oncle qu’on a quitté l’orphelinat, enfin, que mes « … » mes deux derniers frères et Marie-Ange ont quitté l’orphelinat pour aller dans cette autre famille. Donc, moi je reste à Nyundo, mais ce n’est pas grave, si soit on arrivera à finir le secondaire ou pas, mais je sais qu’il va avoir quelques autres de la famille qui vont survivre. Et donc, moi, Jean-Baptiste et Gaétan on reste à Nyundo puisqu’eux aussi étaient au secondaire à l’école d’art, moi j’étais au lycée. Et donc, Marie-Ange et Jean-Yves et Yvan sont [inaudible] l’école primaire de Muhima et rentrent à la [inaudible] dans cette famille qu’on venait de rencontrer [rires]. Et donc, pendant les vacances, je rejoins mes derniers frères et ma sœur et puis je retourne à Nyundo jusqu’à ce que je finisse. >> M.M. : Tu fais la navette entre l’école et la nouvelle famille. >> B.K. : Oui « … » et après [inaudible] [rires]. >> M.M. : C’est vrai que tu es une combattante. >> B.K. : Il y avait une sorte de folie aussi, je ne pense pas que si je retourne dans la même situation je ferais la même chose. >> M.M. : Ben « … » peut-être que ça a apporté des fruits positifs, finalement, dans ce que tu traversais. Là vous avez fini le secondaire et… >> B.K. : Et puis on est resté dans cette famille un bout. Mais, on était plusieurs dans cette famille, elle avait ses cinq enfants, il y avait deux autres enfants du côté de son mari et on était là quatre ou cinq par occasion de notre famille. Il y a Jean-Baptiste et Gaétan qui restaient à l’orphelinat ou qui allaient chez mon oncle, mais les autres on restait dans cette famille, donc ça devenait de plus en plus dur et d’autant plus que c’était beaucoup plus la mère de famille qui s’occupait un peu de tout. Et puis, j’ai appris qu’il y avait le FARG [Fonds d’Assistance pour les Rescapés du Génocide] et j’ai commencé à aller au FARG. >> M.M. : Qu’est-ce que c’est le FARG? >> B.K. : Fonds d’Assistance pour les Rescapés du Génocide [rires]. Je suis allée « … » j’ai commencé d’abord à Ibuka et une belle-sœur de la famille qui nous avait accueillis, Pauline, qui travaillait dans la AVEGA [Association des Veuves du Génocide/Agahozo] et donc qui nous a introduits à Ibuka pour que les enfants puissent étudier gratuitement. Donc, c’est là aussi qu’on a commencé à exposer notre problème qu’on était « … » qu’on avait presque sans toit. Donc, j’ai commencé les démarches et à cette époque-là, au début du fonctionnement du FARG, j’avais eu une camarade à l’école secondaire et sa cousine était secrétaire au FARG, donc secrétaire, qui, plus tard, a épousé le secrétaire général du FARG de cette époque. Donc, on fait introduire le dossier et puis on dit : « Ok, on peut vous payer un loyer d’une maison. ». Donc, avec cette famille, on s’entend que tu vas chercher une maison tout près de nous comme ça on ne sera pas loin et on saura ce qui se passe. On a cherché une maison tout près de là où ce qu’on était chez une amie de « … », enfin, chez l’amie de Donatille qui nous avait accueillis. Et donc, on a commencé en ‘99 à vivre dans « … » >> M.M. : Dans une maison que vous louez. >> B.K. : [rires] C’est à ce moment qu’on peut vraiment dire qu’on est devenu des enfants, enfin, des enfants et un chef de ménage. On s’installe là, on a le loyer, mais c’est tout [rires]. >> M.M. : Justement, c’était ça ma prochaine question. C’est tout. >> B.K. : Oui, le reste c’était des acrobaties, c’est vraiment difficile à expliquer, mais ça a marché [rires]. Enfin, on nous a dit : « Prenez une maison qui ne dépasse pas 25 000 FRw [Franc rwandais], nous, on a pris une maison de 15 000 FRw, de 15 000 francs et donc, là il y a 10 000 qu’on gagne, mais c’est de la tricherie, donc ce n’est pas « … » enfin, par après je m’en suis foutue puisqu’on l’a fait aussi sans « … » l’entente du propriétaire de la maison, donc je l’ai fait juste avec Donatille qui nous avait accueillis et « … » une autre maman qui était dans « … » le coup. >> M.M. : C’était pour vous aider à avoir un peu de sous pour manger finalement. >> B.K. : Et puis, plus tard, la propriétaire de la maison l’a su et puis est allée au FARG. Puis, j’ai dit au FARG : « Je m’en fous. Vous saviez vous-même que vous nous aviez donné une maison. ». Ses plaintes n’ont rien apporté puisque de toute façon elle avait ses 15 000FRw. Mais, la vie dans cette maison c’est là que les choses sont devenues vraiment dures et que je me suis dit : « Pourquoi on a quitté l’orphelinat finalement? ». C’est le moment où j’ai eu des regrets quand on a commencé à vivre seuls. C.K. : Donc, vous avez commencé à vivre seuls, finalement c’est toi qui étais responsable de tout. >> B.K. : Oui. Des fois j’allais chez mon oncle « … » qui nous a aidés, mais on était nombreux, donc ça n’était pas vraiment « … » c’était plus ou moins régulier mais ne c’était pas suffisant. Alors, d’autres moments c’était des amis, c’était des lettres que j’envoyais aux étrangers, aux correspondants que j’avais eu à l’orphelinat qui portaient ou qui ne portaient pas de fruits. [Rires] Aujourd’hui, c’est une période que j’évite de penser parce que c’est une période que je ne sais pas comment elle s’est déroulée. Mais, en même temps, enfin, quand on est dans la situation ce n’était pas alarmante, ça veut dire que mon cerveau travaillait tout le temps et « … » où est-ce que je vais? Je vais à Ibuka encore et une fois, ils m’envoient à [inaudible] demain je vais « … » Donc, c’était toujours… >> M.M. : Toujours demander quelque part. >> B.K. : et c’était une expérience qui… >> M.M. : Est-ce que en même temps vous alliez quand même à l’école ou bien c’était une situation où vous ne pouviez même pas aller à l’école? B.K : Non on continue d’aller à l’école. >> M.M. : C’était pendant l’université j’imagine? >> B.K. : Donc, c’était la même période où j’ai commencé l’université, donc il fallait aussi les frais de transport pour l’université. Mes frères étaient encore à l’internat, enfin, il y a encore ceux qui étaient au primaire, mais on a eu un très bon voisinage, donc il y avait aussi des [inaudible], enfin, il y avait une famille d’orphelins aussi chef de famille, mais leurs parents étaient morts de maladie et on était vraiment solidaires. Et il y avait des champs, on plantait des choses, des fois, on partageait. Mais, ce n’était pas « … » tu sais la période des récoltes c’est à ce moment-là, donc il n’y a aucun jour où on a dormi sans manger. Mais, au moment où va manger c’était « … » comment dirais-je « … » ça n’était pas le hasard, mais c’était aussi le hasard. >> M.M. : C’est difficile à expliquer. >> B.K. : Oui. Après, je pense que mon cerveau a travaillé comme « … ». Aujourd’hui, il est figé, mais à cette époque-là c’était ouf. >> M.M. : Ça c’était une situation qui a duré plus ou moins combien…? >> B.K. : Là, je pense que ça a duré à peu près un an, puisque là je « … » je savais aussi que mes tantes avaient survécu, mes tantes maternelles avaient des maris hutu et donc je suis allée les chercher. Et au moment où je suis allée les chercher, j’étais aussi en train de « … » poursuivre un projet de [inaudible] que le FARG avait « … », enfin, à un certain moment le FARG nous a dit : « Mais on ne peut pas juste continuer à vous donner, il faut que vous fassiez un projet. ». Donc on a fait un projet « … » pour que ça puisse nous aider, mais en même temps je suis allée chercher nos tantes maternelles et une de nos tantes avait une bonne situation à cette époque-là, donc là quand elle est venue nous voir elle a dit : « Ok, mais on est quand même trois de la famille pourquoi ne pas vous partager comme ça tout va être simple? ». Et donc « … » et puis, Donatille me dit : « Ça ce n’est pas bien. », mais moi je suis dans l’enthousiasme de retrouver les membres de la famille et je pense que c’est une erreur grave que j’ai commise en tout cas à mes frères cadets. Donc, j’ai dit : « Ok, on peut se disperser dans la famille. ». On s’est dispersé je pense que c’était en 2001, donc de ‘99 jusqu’à 2001 on était « … » ou au milieu de 2000 on était seuls, donc les tantes, donc nous sommes dispersés, donc moi je suis allée vivre tout près de l’université avec les autres camarades de l’université et mes frères ont été dans les familles d’accueil, donc chez mes tantes. Mais, il y avait une des tantes qui avait le Sida donc on ne le savait pas et peu de temps après elle «…» elle est morte et c’était elle, du moins financièrement, qui «…» elle avait un caractère difficile, mais financièrement elle aidait beaucoup, elle subvenait au besoin d’à peu près tout le monde et donc c’est à ce moment que ça devient difficile puisque c’est l’autre tante qui s’en occupe, la tante qui a un mari en prison, donc qui a ses propres problèmes et qui prend aussi autant mes frères que les enfants de ma tante qui venait de mourir. Aussi, des enfants rescapés qui vont vivre avec les enfants qui vont vivre avec les enfants qui ont un père en prison même si c’est de la famille ce n’est pas évident et mes deux frères cadets Jean-Baptiste, Jean-Yves et Yvan, ils ont beaucoup souffert. Et donc, ils sont restés là jusqu’à ce que je finisse l’université et qu’encore une fois je retourne au FARG. À un certain moment, c’est comme si je travaillais au FARG ; je ne sais pas combien de fois j’y ai été et donc par après, après l’université je suis retournée au FARG et donc j’ai pu obtenir la maison où on est aujourd’hui à Kimironko. >> M.M. : Donc tu les as pris des différentes familles pour les amener ensemble. >> B.K. : Oui. >> C.K. : Et comment les jeunes, les plus jeunes, tes frères surtout, qui ont vécu dans ces familles, comment ils ont réagi? Comment ils ont « … » est-ce qu’ils parlent de cette situation? Comment ils vivaient? Est-ce que « … » >> B.K. : Oui il y en a un qui même « … » le dernier, a souvent fugué de cette famille, puis il disait : « Je veux soit vivre avec toi, soit vivre avec mon oncle. » et donc, j’avais promis, enfin, quand il fuguait je le prenais, des fois, il passait du temps avec mes camarades à l’université puisque moi je ne pouvais pas à l’époque « … » on m’avait mise dans une chambre de l’université, je ne pouvais pas. Mais, les autres ont été très affectés, mais on en rit beaucoup aujourd’hui. À cette époque, ça n’allait pas du tout, l’avant-dernier, Jean-Yves, ça l’a beaucoup bousculé tandis que mon dernier « … » le dernier frère, qui fuguait, aujourd’hui il en rigole, mais il en a beaucoup souffert aussi, donc je ne sais pas si ça va avoir des conséquences plus tard, mais aujourd’hui, on en rigole quand on en parle, mais on en parle de temps en temps. >> M.M. : À un certain moment, vous vous êtes, encore une fois, retrouvés, j’ai une question : comment est-ce que tu décris maintenant cette famille qui après tant d’années, après tant de dispersion, on se dit maintenant on est là, comment est-ce que tu peux décrire cette famille? Comment est-ce qu’on s’organise? Comment on vit? >> B.K. : On est là, mais on a évolué différemment. Donc, c’est « … » je pense que les années où on a été dispersé, il y a des choses qui sont arrivées dans la vie de chacun et je pense que ça a « … » comment dirais-je « … », donc on s’aime beaucoup, mais c’est comme si « … » c’est comme si chacun avait fait son chemin. Donc, de dire qu’il y a des moments de famille qu’on a partagés, c’est quelque chose qui manque [elle pleure] « … » et même aujourd’hui, chacune et en train de se chercher, donc c’est « … » c’est encore le moment de « … ». >> M.M. : Maintenant, justement, toi tu es ici, mais ceux qui sont là-bas, où est-ce qu’ils sont rendus dans leur parcours? >> B.K. : C’est ça il y en a un qui travaille dans,… à la [inaudible], il y en a un autre qui travaille chez un pétrolier et il y a un autre qui attend d’être à l’université et il y a le dernier qui a eu un très grand retard à l’école qui fait la quatrième secondaire maintenant. Il y a ma demi-sœur, donc ils se retrouvent, me disaient « … », les garçons préfèrent aller sortir que de juste aller s’asseoir à la maison avec le dernier, mais ça se passe « … » il n’y a pas de comparaison par rapport aux années d’avant, ça se passe beaucoup « … » ça s’annonce bien. >> M.M. : Tu n’as pas la responsabilité de tout le monde sur toi au moins. >> B.K. : Oui j’ai essayé de « … » elle est là mais elle ne pèse pas comme avant. >> M.M. : [inaudible] que tu as compris le grand âge. >> B.K. : Oui j’essaye maintenant de me dégager, mais pour l’enfant qui est en troisième année secondaire et « … » en tout cas pour les deux derniers frères, j’essaye toujours d’être là comme avant. C.K. : Mais maintenant tu parles beaucoup de cette situation, depuis l’orphelinat, depuis que vous étiez au centre Saint-Pierre, passé par le Zaïre l’orphelinat les études…quel regard tu portes sur tes responsabilités d’enfant et parent en même temps, toi tu étais une enfant et tu étais parents, tu étais « … » on dit chef de ménage, mais je trouve que ce n’est pas le terme approprié, mais tu étais enfant tu étais parent aussi. >> B.K. : Oui et je refuse aussi le terme de parent puisqu’on ne peut pas vraiment être parent comme ça se doit. >> C.K. : Non parent dans le sens de responsabilité, de responsabilité parentale. >> B.K. : En fait, je pense que ça sert une sorte de[inaudible] dans l’identité de quelqu'un j’ai du mal à me situer comme sœur ou comme parent comme [inaudible] c’est « … » je nage entre les deux. C’est paradoxal aussi, maintenant que je n’ai pas toutes ces responsabilités, c’est comme si je deviens enfantin, à certains moments je me sens plus « … » [Rires]. >> M.M. : Je pense que ma question allait dans ce sens, j’allais te dire après tout ça tu te dis : « J’en sors fortifiée, maintenant je me sens combattante ou je me sens fragilisée? » >> B.K. : Je pense que c’est les deux c’est une situation qui fragilise, donc maintenant que je n’ai pas à agir ou des fois, je fais des choses et je dis : « Mais c’est vraiment enfantin! » [Rires], mais en même temps je dis : « Permets-toi de l’être, enfin, si tu peux. Mais, en même temps si tu es avec d’autres personnes, ils vont trouver ça bizarre que tu es cet âge et que tu réagisses comme un enfant. » Et donc, c’est « … » j’y réfléchis mais c’est des choses qui sont spontanées et donc ce n’est pas « … » c’est délicat. Je pense que j’ai une identité subdivisée. >> M.M. : Qui nage entre les deux. >> B.K. : Oui qui nage entre les deux. >> C.K. : Ça a contrarié beaucoup de gens « … » que tu « … » des amis, des gens de la parenté, tout à l’heure, au début Monique t’as demandé qui t’a influencé ton père ou ta mère, ce n’est pas seulement les parents qui t’ont influencée, mais parmi les personnes que tu as côtoyées dans tout ça, quelles sont les personnes qui t’ont Backer positivement d’abord et peut-être négativement, mais positivement? >> B.K. : « … » En fait, je pense qu’il y en a plusieurs et « … » à différents moments. Je pense par exemple avant ‘94, quand j’ai rencontré Félicité et ses consœurs, c’est d’abord sa consœur qui m’a introduit chez elle et qui avait à peu près 60 ans, à l’époque je n’avais que 11 ans et j’étais en train de me remettre de situations familiales que je n’acceptais pas et qui m’accueille et qui prend le temps de me parler comme si elle parlait à une personne égale qui porte « … » qui porte sur moi un regard très positif, un regard humain et accueillant. Et surtout, de « … » de voir aussi comment elle traitait tout le monde, ce n’est pas seulement moi, c’est quelqu’un qui « … » qui savait « … » qui s’occupait de certaines personnes vulnérables dans la ville. Je me rappelle d’une dame âgée qui ne sortait de chez elle et c’est elle qui s’en occupait, c’est elle qui payait quelqu’un pour rester avec elle, enfin, je pense que c’est une des religieuses qui restait avec elle, mais, elle, elle subvenait à ses besoins. Et donc, c’est sa simplicité et surtout ce regard qu’elle portait envers les autres et au moment du génocide où rien ne change dans ce comportement-là, je pense que du moins, malgré la fragilité de cet autre événement, « … » je pense que ça m’a donné la confiance en la vie, c’est comme si peu importe ce qui se passe, je ne vais pas m’attendre nécessairement au pire, je pense qu’il y aura quelqu’un parmi des milliers, quelque chose de lumineux qui pourra apparaître. Et puis, plus tard aussi, que ce soit à l’orphelinat, que ce soit à l’école, j’ai eu la chance d’avoir des enseignants qui m’ont toujours écoutée, qui m’ont toujours appréciée en tant qu’élève, enfin, je voyais qu’ils m’aimaient bien, je pense que ça m’a poussé et aussi les camarades, même pour sortir de l’orphelinat, même quand « … » plusieurs personnes dans l’entourage disaient : « Cette enfant-là n’ira nulle part. Là, maintenant, elle sort ses petits frères de l’orphelinat. Qu’est-ce qu’elle va devenir? Elle va devenir mayibobo, elle va devenir ikirara, enfant de la rue. » Donc, malgré ça, mes camarades, qui me connaissaient, même les membres de leur famille, que je connaissais à travers eux, ils étaient soutenants. Et puis, il y a eu Donatille et son mari Fénariel qui nous ont accueillis sans nous connaître. Donatille c’était vraiment quelqu’un d’exceptionnel c’était « … » quelqu’un qui avait beaucoup de bonté, qui était très généreuse et qui dans la période difficile vraiment a été là. Et on « … » c’est comme si on était des sœurs, on ne se connaissait pas mais elle me prenait comme sa petite sœur et puis elle aimait mes petits frères comme elle aimait ses enfants. Donc, il y a eu beaucoup de positif, aujourd’hui, en fait, quand on sort de la situation, on la regarde et puis on réalise qu’elle nous a fragilisés mais il y a pas mal de choses qui « … » qui ont fait que malgré la fragilité de la situation, on arrive là où on est aujourd’hui. Donc, je pense que c’est ça, même dans ces courses ici et là, enfin, « … » je vivais la situation, mais je ne peux pas dire que « … » que c’était dramatique. Donc, c’était dramatique peut-être pour les gens qui me regardaient, pour les gens extérieurs qui regardaient la situation, mais pour moi je n’ai jamais vécu ça. La situation était ce qu’elle était, je ne pouvais pas m’arrêter et analyser ça, donc je vivais dans la situation et je continuais. Mais, c’est vraiment grâce à « … » à toutes ces rencontres et puis quand je suis arrivée ici, vous étiez là, Emmanuel et Callixte étaient là. >> M.M. : C’était ma prochaine question, comment ça se fait que maintenant on se parle, au Canada? Quand est-ce que tu es arrivée? Et comment? >> B.K. : « … » En fait, après mes études au Rwanda, j’ai eu un travail dans [inaudible] à Kibuye, « … » mais j’aimais étudier, donc j’avais conservé l’idée que si l’occasion se présente, je vais continuer. Donc, j’ai appris qu’il y avait des bourses de la Francophonie, j’ai postulé et j’ai eu la chance de l’avoir, donc la destination c’était ici. Donc, c’est comme ça qu’on s’est « … » [Rires] >> M.M. : Tu es venue comme étudiante? >> B.K. : Oui je suis venue comme étudiante, puis arrivée à Trois-Rivières, je pense que c’est à ce moment-là que j’ai commencé à regarder derrière et à voir que ce n’était pas « … » une situation normale et ordinaire. Et c’est « … » ainsi que j’ai pu entrer en contact avec Emmanuel et avec Callixte avec qui j’avais parlé je pense les premiers mois de mon arrivée au Canada. 01 :50 :00 Et donc, ça a continué, Emmanuel et Callixte m’ont même demandé de partager cette expérience en public et donc je suis avec vous! [Rires] >> M.M. : Comment « … » comment on arrive dans un autre pays, qui est si loin en plus après tout ce parcours on laisse ses frères et sœurs là-bas. Comment est-ce que tu vis la nouvelle vie? Comment tu t’intègres finalement? Tu te dis je suis là. Comment tu concilies être ici et là-bas, puis étudier et [inaudible] >> B.K. : « … » Je pense qu’une grande partie est toujours là « … », donc je pense que je vis ici physiquement tout en vivant là-bas souvent mentalement. Et même si ce n’est pas là-bas en tant que lieu, c’est là-bas en tant qu’expérience. Donc, « … » toutes les années passées au Rwanda ça « … » ça a fait ce que je suis. Donc, ici je suis venue comme étudiante, dans des conditions « … » dans des bonnes conditions par rapport à tout ce que j’avais connu. Ça m’a replongé beaucoup plus, enfin, ça m’a donné le temps de penser à ce que j’avais vécu là-bas. Ces dernières années, toutes ces années que je viens de passer au Canada c’est beaucoup plus des années de réflexion, je ne sais pas si je m’intègre vraiment au pays [rires] ou si je suis dans ma coquille. Enfin, mais en même temps, c’est un pays où je commence à avoir une structure sociale, donc j’ai quelques amis à Trois-Rivières, j’ai des gens avec qui j’ai fait la maîtrise, là où je travaille l’été, là où j’enseigne le français l’été, donc je rencontre beaucoup de gens, donc où j’embrasse « … » où j’embrasse plus ou moins la culture d’ici, la culture occidentale. Je pense que aussi le fait d’avoir eu à partager mon expérience à plusieurs moments « … » je pense que ça m’a aussi permis de « … » de m’adapter dans un certain sens, aussi de m’adapter en assumant « … » qui je suis. Bien que je ne doive pas rester dans cet état de témoignage, puisque c’est aussi des temps qui fragilisent, mais en même temps je « … » ça a aussi été comme un tremplin, « … » le fait d’y être comme étudiante. >> M.M. : Justement je me demandais, quand tu arrives, tu as eu la communauté qui t’aide, est-ce que c’est plus la communauté canadienne que tu as retrouvée à Trois-Rivières qui t’a aidé à t’intégrer? Ou bien, il y a eu des Rwandais? Ou bien tu as eu les deux en même temps? >> B.K. : C’était les deux en même temps. Enfin, il y avait « … » Emmanuel quand je suis venue, il n’était pas vraiment là, il m’a mise en contact avec Callixte. Mais, c’est surtout avec un couple d’amis français qui étaient étranger au pays que j’ai lié une très forte amitié dès nos premiers mois de nos études au Canada et c’est des amis qui plus tard sont venus au Rwanda et plus tard j’ai été chez eux en France. Et donc, avec eux ça a été «…» avec aussi un autre amis québécois et aussi des amies québécoises qui se sont ajoutées vers la fin de la maîtrise et donc c’était «…» ça a été beaucoup plus la communauté «…» je pense que c’est les deux, c’est la communauté canadienne, enfin, la communauté occidentale, mais aussi une grande partie de la communauté rwandaise, bien qu’il n’y avait pas une communauté à Trois-Rivières, mais j’ai été en contact avec Page-Rwanda, ce n’était pas régulier et puis j’ai fait la connaissance de Josée, Josée Gicali qui a connu mes grands-parents paternels, que moi je n’ai pas connus, mais ça a été ça a fait qu’on a eu un lien très fort. Donc, elle aussi elle a aidé à mon intégration les premiers mois et donc après j’ai volé ailleurs. >> M.M. : À t’entendre, tu es quelqu’un qui a côtoyé parallèlement les deux milieux, canadiens et rwandais. Comment tu compares la conversation que tu peux avoir dans un milieu où tu n’es qu’avec des canadiens finalement, des Montréalais, des Québécois, des Ontariens et quand tu te retrouves dans une conversation avec des Rwandais? >> B.K. : Je pense que, enfin, je n’ai jamais eu à comparer, c’est une question qui est un peu difficile, mais je pense que c’est différent. Donc, si c’est des Rwandais, dans la plupart du temps, c’est des rescapés donc « … » ça va de soit quoi? Donc, « … » [Rires] on parle « … » déjà notre langue. Je me rappelle la première fois que j’ai été à Québec avant de rencontrer d’autres Rwandais, c’était « … » c’était magnifique de voir, « … » j’ai été quelque part puis c’était les danses culturelles, je pense que ça m’a émerveillée de retrouvée ma culture à Québec. Dans la plupart du temps, entre Rwandais, « … » on parle, des fois, comme si on était au Rwanda « … » on parle aussi de nos expériences par rapport au génocide, enfin, on parle un peu de tout. « … » Avec la communauté canadienne, c’est un peu de tout aussi, donc on partage nos expériences, mais nos expériences sont très différentes aussi. Donc, on va me parler des vacances, donc je vais leur parler du Rwanda. Peut-être je vais glisser des mots par rapport à mon expérience «…» les premiers mois, ça me submergeait que je parlais que de ça, donc aujourd’hui je n’en parle pas beaucoup, mais à l’époque, j’en parlais beaucoup même aux Canadiens et à mes amis Français donc ce n’était pas… mais, eux étant distants par rapport à mon expérience, donc ça donne une autre forme de conversation, donc ce qu’ils me disent et ce que je leur dis, il y a un très grand décalage, mais ils étaient à l’écoute, ils étaient très «…» en tout cas, ils ne m’ont pas bousculée, enfin, j’ai eu à être bousculée, mais pas «…» pas avec ces amis-là. >> M.M. : Qu’est-ce que tu aimerais que les Canadiens connaissent de toi? >> B.K. : Je ne sais pas [rires]. « … » En fait, c’est une question d’acceptation réciproque. Donc, des fois, on peut se méfier, mais les Canadiens n’ont pas vécu grand-chose, mais « … » ils en ont aussi des choses à partager « … » je pense que c’est une question de « … » s’ouvrir à l’expérience de l’autre, mais cela ne doit pas seulement aller dans un sens unique parce que notre expérience est douloureuse, il faut qu’ils l’accueillent forcément sans que nous on soit à l’écoute. Je pense que l’histoire du Canada renferme certains drames et des fois aussi, je pense que, il faut aussi accepter de s’ouvrir à des expériences positives et surtout, en tout cas, par rapport au génocide je pense que c’est une question, c’est un phénomène qui concerne tout le monde, donc à ce moment-là, ce n’est pas porter un regard ou accepter mon expérience, c’est beaucoup plus utiliser cette expérience pour les autres, puisque je pense que, jusqu’à présent, les génocides se répètent, mais ils ne se répètent pas chez qui l’a vécu, ça va toujours vers un autre peuple, un autre lieu. Donc, je pense que non seulement les Canadiens, mais tout le monde doit entrer en contact avec notre expérience c’est beaucoup plus pour que ça puisse servir pour protéger ailleurs dans la mesure du possible. >> M.M. : Et qu’est-ce que tu aimerais que les Rwandais, ta communauté sache de toi, peut-être qu’on ne le sait pas, peut-être qu’on [inaudible]. S’il fallait que… >> B.K. : [Rires] « … » Je ne sais pas c’est difficile « … ». Je ne sais pas puisque en tout cas «...» je pense que tous les Rwandais, enfin, chaque Rwandais a sa propre expérience et je ne sais pas si je peux demander qu’on me regarde comme ça c’est peut-être aussi me demander comment entre nous devrions nous regarder. Donc, je pense que chacun a vécu son expérience à sa propre manière, c’est peut-être d’essayer de s’écouter. Éviter de nous juger, puisque je pense que ce qui m’a le plus bousculée c’est d’être jugée, « Ah tu vas être Mayibobo. » et ce regard que la société jette sur l’autre ça peut vraiment la fragiliser et l’autre va se dire : « Ah peut-être que « … » je suis vraiment ça. » Je pense que nous sommes dans une société, malheureusement en tout cas, c’est une chose négative que je « … » que j’ai remarquée souvent dans notre communauté, je pense qu’on regarde toujours ce qui est apparent et « … » pas tout le monde, mais en tout cas en général j‘ai l’impression qu’on veut surtout relever ce qui va mal chez l’autre. Donc, dans le cas [inaudible] c’est toujours de travailler à vraiment relever ce qui peut amener l’autre à avancer, pas ce qui va la mettre par terre. On m’a suffisamment mis par terre que je ne vois pas souvent peut-être la raison de s’asseoir par exemple et se mettre, tu sais, à critiquer négativement l’autre « Tu sais quoi? Ah maintenant [inaudible] ne font que boire. Mais pourquoi elles boivent? C’est « … » [Inaudible] des enfants orphelins, c’est catastrophique! Ils ne font que mettre au monde et prendre de la drogue. Pourquoi est-ce qu’ils prennent de la drogue? ». Pourquoi ne pas aller d’abord chercher qu’est-ce qui ne va pas au lieu, enfin, qu’est-ce qui va. >> M.M. : En fait, d’après toi, on regarde toujours de manière négative? >> B.K. : Je ne veux pas dire toujours, je ne veux pas dire tout le monde, c’est quelque chose, en tout, cas que je remarque de temps à autre. >> M.M. : Qu’on oublie de relever le positif. >> B.K. : C’est normal aussi que ce qui ne va pas nous attire davantage, mais c’est juste une question d’aller plus loin, c’est « … » de ne pas vraiment s’arrêter « … » tu peux « … ». Le village d’orphelins où mes frères et sœurs habitent, disons, il y a deux jeunes ou trois jeunes mères. Quand on va la voir enceinte, on va penser que ce n’est que les orphelins par exemple, qui tombent enceintes. Mais ce n’est pas vrai! Ce n’est pas seulement les orphelins qui boivent beaucoup. Il y en a aussi, qui ont des parents, qui le font aussi. Pour moi c’est « … » >> M.M. : [Inaudible], il y en a aussi qui ont pu étudier, puis travailler. >> B.K. : Voilà, donc on va voir et donc, moi ça m’a souvent mise en colère et comme je n’avais pas où déverser cette colère, mais ça m’a mise en colère. >> M.M. : Je sais que tu es déjà retournée au Rwanda après que tu sois arrivée ici, comment est-ce que tu te sens? Comment est-ce que tu vis ce retour? >> B.K. : Enfin, je suis très nostalgique des lieux, des gens. Au Rwanda, j’ai toujours peur, parce que je sais qu’il y a des tueurs qui marchent dans la rue. Enfin, des gens qui ont tué à l’époque, je ne sais pas s’ils ne tueront pas encore, mais j’ai toujours peur, mais c’est avec aussi une grande joie que je retrouve les lieux que j’ai côtoyés presque la grande majorité de ma vie. >> M.M. : Est-ce que tu visites les lieux où tu as grandi? >> B.K. : « … » Pas chez ma grand-mère, je n’ai pas pu retrouver, retourner, mais à chaque fois que j’y vais je retourne à Gisenyi, je retourne à Nyundo et je retourne à l’orphelinat et je suis à Kigali. >> M.M. : Vous avez pu finalement retrouver les corps de vos parents? >> B.K. : Non puisque, en ‘94, lorsqu’on les a tués, on allait tout de suite jetés dans la fausse commune qui était au cimetière, donc on ne sait pas où et puis comme c’était dans un cimetière, on n’a pas pu les déterrer. >> M.M. : As-tu pu savoir qui a participé vraiment directement à la mort de tes parents? >> B.K. : Non. J’ai appris, mais je ne sais pas si c’est vrai, qu’une des personnes est morte au Congo. Dans l’après génocide, il y a un monsieur qui est venu me voir pour que j’aille témoigner contre quelqu’un qu’on venait d’emprisonner, qui avait participé. Mais, quand on est venu me voir, je n’étais pas là quand mes parents mouraient, donc c’était difficile pour moi d’aller témoigner contre qui « … ». Je ne le connaissais pas, je ne l’avais pas vu. Mais pour le moment, on est en train de chercher les corps de mes deux sœurs jumelles, elles sont mortes à Bisesero, mais on n’a pas encore trouvé le lieu, mais on est en train de chercher. >> M.M. : Tu n’as pas eu à côtoyer, finalement, ces personnes qui ont participé à la mort de ta famille. >> B.K. : Non je ne pense que je le veuille, en tout cas, pour le moment, là où j’en suis, je ne pense pas que j’ai envie de les rencontrer, de les côtoyer. Je sais que mes frères, parfois, retournent là, enfin, même si je retourne à Gisenyi je « … » n’arrive pas à « … » je suis arrivée une fois là où on a, enfin, deux fois, une fois pour voir si on avait des photos, une autre fois avec mes amis français pour aller leur montrer. Mais, on n’a pas « … » je ne suis pas resté longtemps, enfin, je vois les gens qui étaient voisins qui sont toujours là, mais je ne cherche pas vraiment à « … » à les côtoyer. >> M.M. : Justement, je sais qu’il y a aussi les institutions Gacaca, où les rescapés essayent d’affronter, confronter, ceux qui ont tué leurs familles, puis il y en a qui apprennent finalement, là-bas. Qu’est-ce que tu en penses? >> B.K. : C’est ça comme moi je ne cherche pas à les côtoyer, donc je ne sais pas si j’aurais la force d’aller dans les Gacaca, mais un de mes frères a été, enfin, les gens du quartier où on habitait étaient en train de nier qu’on a habité là, donc là ils disaient qu’ils ne savaient pas qui étaient nos parents alors mon frère a été obligé d’y aller et puis quand il était là les gens se sont lancés des mots, qui n’avaient pas vraiment de sens. Ils disaient : « Ah oui c’est vrai tu es le fils de [inaudible]. Ah quand le génocide a eu lieu moi je n’étais pas ici, j’étais « … ». Je ne sais pas où ils disaient qu’ils étaient et donc ils ont commencé à accepter que nos parents aient habité, qu’on a habité là, mais à aussi dire que, quand ils sont morts, tout le monde avaient déménagé. C’est délicat, je pense qu’il y a certaines parties que les rescapés aimeraient savoir par rapport à ce qui s’est passé. Où est-ce que se trouvent les corps, mais je ne pense pas que ça soit vraiment, je ne sais pas si ça apporte plus de remède, je pense que quelqu’un qui a vécu l’expérience « … » qui pourrait en dire davantage. Donc, comme moi je n’ai jamais participé au Gacaca, je ne peux pas donner « … » >> M.M. : Ce n’est pas quelque chose qui t’interpelle personnellement? >> B.K. : Ça m’interpelle personnellement et collectivement parlant, donc « … » si j’essaye de comprendre la politique « … » je ne comprends pas vraiment « … » je ne trouve pas les mots, mais « … » je ne suis pas pour le pardon, je ne suis pas pour la réconciliation personnellement. Cela ne veut pas dire que j’ai de la haine, que j’aimerais que les tueurs soient tués, non. Mais, j’ai l’impression que je préfère, en tout cas, « … » vivre avec qui je vis que ce soit Hutu ou Tutsi, mais que je choisis. Donc, en ce moment, si on se choisit, on sait qu’on va jongler avec ça, c’est un choix personnel, mais je ne me vois pas rencontrer quelqu’un qui a tué mon père qui l’a machetté et qui me dit : « Je l’ai machetté, pardonne-moi.». Donc, je pense « … » je pense que, je ne vais pas vraiment plus loin dans « … » dans le Gacaca. Je vois ça comme une politique où il n’y a peut-être pas de choix. Si j’avais à donner des choix, il faudrait prendre les gens et aller les mettre, qu’ils aillent vivre ailleurs, les gens qui ont touché la machette, qui ont massacré pendant des mois et des mois. En tout cas, je pense que les rescapés du Rwanda sont une génération sacrifiée, des gens qui sont en train de côtoyer leurs tueurs, au jour le jour. Je crois que c’est comme « … » ça peut renforcer la négation sans que les gens le veuillent nécessairement. Avec un tel crime, « … » il faut qu’il y ait d’abord justice et Gacaca je ne sais pas si ça rend vraiment justice. Donc, là aussi ce n’est pas vraiment à moi de le dire puisque ce n’est pas moi qui le vis directement. >> M.M. : Maintenant, tu es venue pour étudier, tu as fini la maîtrise, tu es en doctorat quand même, quel message donnerais-tu « … » j’allais dire aux rescapés, mais je veux surtout aux jeunes rescapés qui ont traversé presque les mêmes situations ou pire ou moins, un message que tu donnerais aux jeunes rescapés. >> B.K. : Je ne sais pas si je m’adresserais plus aux jeunes rescapés puisque cette expérience chacun la vit différemment, donc je ne peux pas me mettre en tant que conseillère. Mais, c’est beaucoup plus à travers l’expérience qui est mienne que je partage avec certains autres, c’est beaucoup plus adresser un message « … » à l’entourage de ces jeunes rescapés, bien sûr, aux rescapés « … » je pense que chaque rescapé doit être entendu dans sa singularité, donc je ne peux pas me présenter comme un exemple ou un modèle. Si c’est le cas, que ça vienne de ce jeune là et pas de moi. Donc, je pense que c’est l’option, mais c’est beaucoup plus, pour moi, un message à [inaudible] autour du rescapé. C’est vraiment de « … » d’aller plus loin dans l’écoute, d’essayer de comprendre. Donc, les expériences que nous avons vécues, « … » peuvent changer notre regard sur la vie, peuvent changer nos manières de « … » nos façons de nous comporte; alors c’est beaucoup plus à ceux qui nous entourent d’essayer de se dire : ce qui se passe…, puisque ce qui se passe ce n’est pas, des fois « … » nécessairement contrôlé, tu sais, et donc je pourrais encourager les rescapés à dire nanana mais « … » [Coupure] >> M.M. : On parlait des messages aux jeunes et aux rescapés en général. >> B.K. : C’est vraiment une question d’être solidaire et d’être « … », enfin, d’appréhender l’expérience de chacun en tant qu’expérience particulière, bien que ce soit une expérience qui rejoint l’expérience commune des rescapés « … », enfin, je pense. >> M.M. : Et tu comptes, à la fin de tes études, plus tard, retourner t’installer au Rwanda? >> B.K. : M’installer je ne sais vraiment pas, jusqu’à là, je fais des allers retours je pense que ça va continuer, je ne sais pas où ce que je vais m’installer dans ce monde [rires]. >> M.M. : Tu as des critères qui ne sont pas encore déterminés? >> B.K. : « … » Je pense que j’ai encore besoin de me ressaisir. J’aime beaucoup le Rwanda, donc j’y retourne à chaque fois que je le peux, mais aller vivre je ne pense pas pour le moment, mais ça n’exclut pas que j’y penserais demain ou dans l’avenir. >> M.M. : Est-ce que tu connais ou tu côtoies des personnes, qui vivaient ici puis qui sont retournées vivre là-bas? >> B.K. : Non pas vraiment. Mais, c’est juste une question de comment je me sens quand je suis là-bas et de comment je me sens quand je suis ici, donc c’est ce qui va déterminer mon retour ou mon installation ailleurs. >> M.M. : Qu’est-ce que tu aimerais que je te demande que je ne t’aie pas demandé? >> B.K. : Je n’ai pas pensé aux questions [rires]. Je n’ai pas pensé vraiment aux questions. >> M.M. : C’est comme une question ouverte. >> B.K. : Oui je sais, mais non je pense que « … » je pense qu’on a fait le tour. « … » Merci [rires] >> M.M. : Merci à toi. [Coupure] Je sais que j’ai déjà vu ton entrevue quelque part et j’aimerais savoir qu’est-ce que c’est d’en parler comme quelqu’un qui a traversé des situations comme ça? >> B.K. : « … » En fait, par moment, ça fait du bien, mais disons la phase préparatoire quand on sait qu’on va en parler ce n’est pas vraiment facile et surtout quand on en parle souvent et qu’on est un certain moment sur « … » sur-sollicité, donc c’est « … » c’est comme si on [inaudible] puisqu’on y revient toujours. Bien qu’il y ait des variations on revient souvent sur les mêmes choses, mais en même temps c’est à moi de décider de ne pas en parler et des fois, à force de le faire on n’arrive pas vraiment à dire non. Mais, « … » à un certain moment, ça épuise, mentalement parlant.

Nom de l’interviewé(e) : Berthe Kayitesi(B.K.)

Nom de l’intervieweur(e) : Monique Mukabalisa(M.M.)

Nom du vidéographe : Callixte Kabayiza(C.K.)

Nombre de sessions : 1

Durée de l’entrevue : 133 min

Lieu de l’entrevue : Canada

Date de l’entrevue : 30 décembre 2009

Langue de l’entrevue : Français