Jacques Rwirangira
>> J.R.: Je m’appelle Jacques Rwirangira.
Je suis rwandais d’origine, actuellement
canadien. Ça fait déjà quatorze ans ; non-
non, quinze bientôt en tout cas. Alors, je
suis arrivé dans le fond en juin, quatre-vingt-quatorze,
à Montréal. Un processus assez spécial
: d’abord réfugié accepté, puis résident
permanent, puis après, citoyen. Puis des
fois je me demande : « Est-ce que bientôt
je vais être autochtone ? » [Hausse les
épaules]
>> A.M.: Est-ce que tu peux parler de ta famille,
maman, papa, combien de sœurs, vous êtes
combien ?
>> J.R.: Une famille relativement nombreuse,
disons « … » : quatre frères et deux
sœurs dont je suis l’aîné. Puis je suis
chanceux quand même parce que je vis à Montréal
avec la majorité de ma famille, à commencer
par mes parents : ma mère, mon père, mes
trois frères, une sœur, l’autre est en
Alberta ; ce n’est pas si loin et un autre
au Rwanda, un autre frère.
>> A.M.: Est-ce qu’ils sont mariés ?
>> J.R.: Ah ! Naturellement… Bon, j’ai
deux frères mariés, un fiancé, un qui est
papa. Mes deux autres, mes deux sœurs sont
mariées. Avec chacun, chacune je devrais
dire un enfant et un garçon pour Stella ma
sœur et puis une petite fille Maya pour ma
sœur Jacqueline. Puis Stella attend un bébé
bientôt. Puis…, il y a Janvier notre cadet
paradoxalement qui est déjà papa, avec son
fils Tsobe. …un cachet particulier parce
qu’il a coupé court, ça vient de notre
clan chez les Rwandais : des Batsobe. Alors,
il a voulu garder la perpétuité, disons
à travers son fils, de notre sous-division :
clan ; chez les Rwandais quoi.
>> A.M.: Ça, c’est intéressant. Et si
tu me parlais un peu de tes grands-parents,
du côté de maman et du côté de papa ? Est-ce
que tu les as connus, tes grands-parents ?
>> J.R.: Oui ! J’ai eu la chance de les
connaître. Du côté de mon père…, il
y a naturellement ma grand-mère, mon grand-père,
ils sont tous morts malheureusement. Un petit
clin [d’œil] en particulier, c’est que
mon grand-père, c’était mon grand chum.
Donc quand il est mort, je pense que je venais
de commencer l’école secondaire, puis j’étais
à l’internat, là, à la maison, ils ne
savaient pas s’ils devaient me le dire ou
ne pas me le dire. Finalement, ils me l’ont
dit ; mais c’était comme quelques jours
après. Là, pour la personne qui est venue
me le dire, c’était comme : ok, je l’ai
regardé d’abord je ne savais pas d’où…
il avait eu cette information parce que ce
n’est pas quelqu’un nécessairement que
je connaissais dans la famille. Après, je
vais apprendre que c’est assez proche. Mais
quand il est venu me voir, j’étais en train
d’écrire une lettre pour prendre de ses
nouvelles, parce qu’en quittant la maison,
il était malade. Et, je ne pourrai jamais
l’oublier, je l’ai déchirée cette lettre
là, mais de façon que tu ne pouvais même
pas voir une lettre. Tellement j’étais
en feu, j’étais fâché contre mes parents.
J’étais comme : « Non, non, non, il
ne peut pas partir sans que je sois là ».
Je n’étais pas, regarde, c’était le
choc. C’était ça, puis ça, c’était
début des années quatre-vingt [1980]. Ma
grand-mère, elle est morte conséquemment
avec le génocide au Rwanda en quatre-vingt-quatorze.
Alors du côté de mes grands-parents maternels,
mon grand-père lui il est mort en quatre-vingt-douze
exactement. Et ma grand-mère, du côté de
ma mère, elle est vivante, elle vit au Canada
à Ottawa.
>> A.M.: Vous vous souvenez un petit peu de
leur occupation quand tu étais plus jeune
? Tout à l'heure tu as dit que tu étais
proche avec ton grand-papa, est-ce que dans
le quotidien, c’était quoi leur occupation
?
00:04 :56
>> J.R.: Dans le quotidien de ce que j’ai
vécu, c’est sûr, parce que mes grands-parents
paternels eux, j’ai vécu avec eux. J’étais
voisin, on était voisins parce que… Là,
je ne sais plus par où commencer en fait
parce que ça vient beaucoup de choses en
même temps. Je ne sais pas s’il fallait
que j’y aille chronologiquement mais on
va prendre des bouts ici et là. C’est que…,
ils étaient voisins avec nous parce que quand
on est venu au Burundi… en soixante-treize,
mes parents en fuyant les tueries du Rwanda
en soixante-treize, j’étais encore un bambin.
… donc, ils étaient voisins avec nous parce
que mon grand-père lui il avait fui le Rwanda
déjà depuis soixante-trois. Très, très
bizarre parce qu'en soixante-trois, il habitait
à ce moment-là à Bugesera où il venait
de passer trois ans à peu près parce que
lui, avant ça il habitait la région de Ruhengeri
où il était agronome. C’était un bonhomme
qui se tenait bien. À l’époque, imaginez-vous,
les années soixante, il avait déjà sa voiture,
ce qui était très, très bien ! Il faisait
un métier d’agronome. Puis quand ils ont
fui Ruhengeri, bon ; ils n’ont pas fui
par…, ils les ont forcés. Ils ont vidé
[pillé] dans le fond, si vous savez certainement
des documents là-dessus, sur l’histoire
du Rwanda pour les tutsi qui habitaient le
Nord, particulièrement la région de Ruhengeri,
ils ont été vidés [pillés]. Puis on a
été déportés dans la région de Bugesera
qui était une région complètement aride,
complètement inhabitable dans le fond, parce
que c’était des marécages, c’était
quasiment …, un lieu, au-delà de la fertilité,
parce que c’était une région quand même
particulièrement sèche. Et puis les marécages
ce n’est pas les meilleures places non plus
pour faire de la culture « … ». Mais
c’était particulièrement un lieu sauvage.
Donc on a été déportés là. Certains ont
été poussés à l’exil. Mais eux, on les
a amenés là. Mais c’était quasiment des
camps de réfugiés à l’intérieur du Rwanda.
Donc, Rwandais réfugiés au Rwanda, aussi
simple que ça peut-être. Alors les années
passent, ils essayent de s’organiser, puis
à un certain moment en soixante-trois [1963],
il y a eu la première attaque de ce qu’on
appelait les inyenzi, qui était une rébellion
constituée de Rwandais la plupart étant
des tutsi qui essayaient de revenir au pays
parce qu’ils étaient tannés d’être
réfugiés puis voilà quoi. Ils venaient
du Burundi et puis la région de Bugesera
est juste limitrophe. C’est ça qui fait
la limite entre le Burundi et le Rwanda. Dans
l’euphorie de voir…: « Oh! Inyenzi sont
rentrés ! » Ils passent par la petite ville
de Bugesera et ils continuent, je parle des
inyenzi, ils continuent vers Kigali. Alors
lui, il était au centre, au petit centre
commercial et là, le bourgmestre qui était
comme le maire du coin là, il était là
et puis il commence à crier aux gens et puis
tout ça, il dit : « Hey ! Toi là, tu vas
arrêter. » Et là, il l’attrapait et
donnait une paire de gifles : « C’est
fini ton affaire-là, c’est régler là.
Vas-t’en à ton bureau et attends ce qui
va t’arriver parce que là, là c’est
fini. » Ça a pas été long, les rebelles
étaient refoulés, il est parti avec eux,
c’est comme ça qu’il s’est retrouvé
au Burundi. En tout cas, donc c’était notre
voisin, mon chum, il a ses occupations, il
était très, très simple vu les circonstances
en tant que réfugié au Burundi. Vieux comme
il était, il ne pouvait plus exercer son
métier. Mais quand même c’était un bonhomme
très très organisé qui avait ses petites
plantations de bananeraies, de café de tout
ça. Et particulièrement ses bananeraies
parce qu’il m’avait donné un rang dans
la bananeraie. Il y avait un rang qu’il
m’avait donné en cadeau et c’était vraiment
les vacances qui précédaient sa mort. Donc,
c’était, c’était une relation assez
particulière, bon voilà… Puis…, ma grand-mère
naturellement était là. Je ne pourrai jamais
oublier…, aussi coquin que ça peut-être
mais tu sais, enfant, oui je sais qu’on
va vivre, en général les africains, on mange
assez épicé mais enfant non. On ne pouvait
pas se risquer à la maison de laisser tomber
du piment dans la nourriture sinon c’est
tout le monde qui ne mangeait pas. Particulièrement,
je ne sais pas pour toi Annie, mais Anita
devrait savoir. Il y avait aussi ce qu’on
appelle imvange donc de la bouffe que ce soit
des patates, des bananes, du manioc, n’importe
quoi mais mélangés, préparés mélangés
avec des haricots. Chez nous à la maison
s’ils faisaient ça, ils savaient très
bien que c’est la grève, les enfants, on
ne touchera pas. On rentrait chez grand-maman,
elle préparait que ça, on dévorait ça
comme des malades. Du piment avec…, c’est
des sortes d’aubergines typique du Rwanda,
Burundi tout ça. On appelle ça intoryi qui
sont aussi amers quand même pour le goût
de l’enfant. Chez nous, personne ne pouvait
toucher à ça. Chez grand-maman, c’est
tout ce qu’il y avait…, et on dévorait
ça comme des malades ! Donc, elle avait ces
touches là pour rendre tout doux, même quand
ce n’était pas bon ailleurs.
>> J.R.: Puis pour mes grands-parents maternels
malheureusement, pour la plus grande partie
de mon enfance je ne les verrai pas. Parce
qu’eux ils avaient fui dans la première
vague des années cinquante-neuf-soixante
[1959-1960], vers l’Ouganda. Donc, je ne
les verrai jamais. Parce que ma mère s’était
mariée avec mon père, parce qu’elle était
restée au Rwanda pour essayer de travailler
et puis aider aussi ses frères et sœurs
qui étaient à l’école. Parce que les
autres étaient rendus complètement réfugiés.
Alors, je ne les verrai pas jusque quand je
fais un petit voyage en quatre-vingt-dix en
Ouganda. C’est la seule fois que j’ai
vu mon grand-père. Un bonhomme très petit
de taille malgré ma grandeur là, mais beaucoup
de leadership, beaucoup de… présence. Je
n’oublierai pas, il y a un petit village,
le premier que j’ai été, c’est vraiment
des petits villages complètement démunis
de réfugiés. Et puis, j’ai dû aller le
voir là parce qu’il était parti, il y
avait un enterrement d’un de leurs amis
qui était là. Alors là, j’arrive au village,
une petite histoire, aussi coquin que ça
peut-être mais vous allez comprendre pourquoi
il avait… Là, j’arrive, puis je l’avais
déjà vu. Non, je n’avais même pas de
photos. Je ne l’avais pas encore vu en photos
à ce moment-là. Là, j’arrive, c’est
des petits, des petites huttes donc faites
vraiment de pailles, même pas de terre où
ils étaient. En tout cas chez ses amis là,
c’est vraiment de la paille de bas en haut,
de haut en bas, en tout cas. Là, ils étaient
assis en avant de la maison, c’était vers
dix-sept heures, il commençait à être un
peu sombre. Et, il y avait comme des nattes
puis des petits bancs et il y avait une chaise
qui était relativement un peu plus haute.
Et en rentrant, je ne sais pas pourquoi dans
l’enclos là, parce que je marchais comme
un bon quinze mètres avant de les…, après
avoir rentré dans l’enclos, dans la clôture
dans le fond. Je me suis dirigé directement
vers le bonhomme qui était assis sur la chaise
la plus haute. Je ne sais pas pourquoi, je
ne l’avais pas encore vu. Puis…, c’était
lui et puis…, là on s’est levé, gros
câlin et tout ça, beaucoup, beaucoup de
larmes.
>> A.M.: Vous aviez quel âge ?
>> J.R.: Moi, je venais d’avoir entre vingt-deux
et vingt-trois. Alors, beaucoup de larmes.
Chez nous, c’est réputé, on pleure beaucoup
plus par exemple pour le plaisir que dans
le malheur. Et puis, non, et puis c’était
particulier. Après ça, je suis parti avec
lui, on est parti au village. C’est là
que j’ai vu ma grand-mère pour la première
fois. Et puis voilà donc on va se perdre
de vue pendant un laps de temps mais quand
même en quatre-vingt-quatorze quand on quittait
pour venir au Canada, on est venu avec notre
grand-mère maternelle, qui est notre grand-parent
qui est resté dans le fond.
>> A.M.: « … » Les souvenirs…, là
tu nous as parlé un petit peu de tes grands-parents
et quelles valeurs ton grand-papa paternel
t’as donné comme…, t’as transmis ? Qu’est-ce
qui t’as marqué ?
>> J.R.: […] Quelque chose de particulier,
il était très aimable, il aimait les gens.
Je pense que je le tiens un peu de lui parce
que s’il y a bien quelque chose qui m’intéresse
dans la vie, c’est bien les gens. Tu pourrais
me dire, on te paye un voyage pour aller voir
les pyramides, c’est bien beau mais si tu
me dis que c’est pour y aller seul, franchement,
je vais te remercier puis te dire garde tes
pyramides, tu les gardes. Mais si tu me dis,
tu vas y aller avec Annie ou avec Anita, là
c’est le fun, là, ça devient intéressant.
Donc, c’est ce côté-là mais particulièrement
c’est… [silence] peut-être : patient,
généreux, gentil, aimer le monde mais il
y a des petites zones qu’il ne faut pas
toucher. C’est ce côté-là, quand tu dépasses
la limite, bon garde là, ça peut-être…,
ça parait pas mais quand c’est rendu là,
ça déborde puis ça, je pense que je le
tiens un peu de lui.
>> A.M.: Et ta grand-maman paternelle ?
>> J.R.: De ma grand-mère paternelle ?
>> A.M.: [Inaudible]
>> J.R.: Oh oui. C’est vrai que je mange
piquant depuis et puis j’aime ça, puis
j’aime beaucoup, beaucoup ! Vraiment franchement
si tu me demandais aujourd’hui ma bouffe
préférée, c’est vraiment la bouffe typique
rwandaise : imvange, ibitoki, ibijumba, ça,
je ne peux rien échanger contre ça, ça
c’est…, et une chance que ma mère est
encore dans les parages. Alors, j’ai la
chance de passer chez elle, des fois c’est
là puis…, en tout cas de ma grand-mère
maternelle, je ne sais pas si on peut retenir
quelque chose de spécial d’une grand-mère.
C’est juste que c’est cette personne-là
spéciale qui aime comme personne ne peut
aimer. Parce que quand on est enfant, on ne
sait pas vraiment que maman aime en particulier,
bien en tout cas. Pour les sociétés occidentales,
c’est peut-être différent ; mais en Afrique,
je pense particulièrement au Rwanda parce
que c’est ça que je sais, les grands-mères
c’est spécial. Tout simplement j’étais
son premier "mari" donc umugabo wanjye. Des
fois je me dis, mon fameux chum de grand-père
là, il se tasse parce que c’est moi le
numéro un. Donc, c’est ce genre d’amour
qui est indestructible, qui est à la maison…,
on va t’engueuler tout ça.…; c’est
quasiment si tu ne regardes pas papa dans
les yeux puis tu lui dis: « Attends que
grand-maman arrive je vais t’accuser. »
Puis c’est ça, c’est sentir cette protection-là
; cet amour infini dans le fond. Pour avoir
eu la chance de vivre avec elle, c’est ça
que ça laisse en fait.
>> A.M.: Et vos grands-parents paternels,
ils ont eu combien d’enfants ?
>> J.R.: Euh, dix, qui ont vécu parce qu’ils
ont eu au milieu de leur progéniture, ils
ont eu des jumeaux qui sont morts. Donc fait
qu’ils auraient pu être douze mais ils
sont morts quasiment à la naissance en tout
cas ou très bébé. Donc, on ne les a pas
connus, on ne connaît même pas les noms
et tout, sinon ils étaient dix. C’est très
spécial. Tu me poses la question puis là
je ne sais pas si c’était la mode de l’époque
mais pourtant mes deux grands-parents, je
veux dire mes deux grands-parents, en fait
mes deux grands-pères ne vivaient pas le
même coin mais ils avaient cette touche là
d’appeler les enfants parce que les prénoms
quand même étaient à la mode. Parce que
mes deux grands-pères quand même avait été
à l’école un peu puis donc ils ont été
baptisés donc ils ont baptisé aussi leurs
enfants. Alors on donnait des prénoms, mais
comme chez…, du côté de mon père, tous
les garçons s’appellent A.: Alfred mon
père, Alphonse son frère, Alexandre, Albert,
Alexis. Du côté de ma mère tous les gars
s’appellent A : Alphonse, Albert, Alexis,
Alexandre ainsi de suite. Du côté de ma
mère toutes les filles s’appellent Rose,
Rosette, Rosalie, etc. Du côté de ma mère
[mon père] c’était plus des Do: Donatilla,
Dorothéa, il y a des Denise aussi. En tout
cas, c’était particulier mais c’était
A, Ro, A, Do. Et c’est gardé. Je ne sais
pas comment il faisait ça mais c’est ça.
Et qu’est-ce que je te dirais encore là-dessus
mais c’est que …
00 :19 :55
>> A.M.: Vous les avez connus ? Vos oncles,
vos tantes ?
>> J.R.: Oui, c’est ça que j’allais dire.
Dans le fond, j’essayais de trouver parce
que j’ai, je ne les ai pas vus tous et toutes,
mais la majorité quand même. Parce qu’eux,
que ça soit pour ceux qui étaient en Ouganda
par exemple, les jeunes avaient plus de mobilité.
Ils pouvaient avoir l’identité d’Ougandais
puis se trouvaient une chance de pouvoir voyager.
Pour mes… oncles du côté paternel et mes
tantes y en a qui…, certains avaient quitté
en soixante-treize [1973] avec mes parents.
Donc…, puis y en a certains qui étaient
partis étudier au Congo, Zaïre à l’époque.
Ils venaient tous parce que mine de rien…,
d’ailleurs toi tu les connais, je ne sais
pas si tu connais cette petite touche au niveau
de la famille mais quand on appelle Mukecuru
maman, ce n’est pas parce que c’est nous,
ce n’est pas nous qui ont donné ce surnom-là,
Mukecuru qui veut dire la vielle, la vielle
mère-là. Elle l’a porté avant que je
naisse. Parce que c’était la grande sœur.
Il y avait donc ses petits frères, les petits
frères à mon père, les petites sœurs à
ma mère, les petits frères…, les petites
sœurs à elle qui vivaient chez nous. Et
puis eux malgré qu’ils étaient aussi jeunes
presque comme eux, mais comme eux, ils avaient
commencé à travailler, mais ils paraissaient
comme les parents mine de rien. Alors, ma
mère on l’appelait Mukecuru et mon père
on l’appelait Mutware. C’est resté comme
ça jusqu’aujourd’hui ; c’est comme
ça qu’on les appelle, même nous les enfants.
Après bon, disons après un laps de temps
quand on est jeune, on les appelait papa,
maman. Mais quand on commençait à grandir
un peu là, c’est ça les noms puis… ; alors
j’ai eu la chance de les connaître, particulièrement
comme Rosalie et Donatille à l’époque
; donc c’est mes deux tantes qui vivaient
à la maison. Quand je venais de naître,
bébé, les premières années, j’étais
choyé là-dessus, j’étais leur chéri
et tout, assez qu’à un certain moment je
ne sais plus quelle bêtise elles avaient
faites et puis là, papa était fâché. Il
a dit : « Je vais vous foutre à la porte,
c’est tout là vous allez prendre vos valises
puis vous en allez ». Bon, une façon de
les intimider un peu. Ok, parfait, là elles
se disent ça a l’air très sérieux. Alors,
elles ont fait les valises mais les valises
de Jacques aussi !
A.M et >> A.M.: [rires]
>> J.R.: Parce que si elles partaient, c’était
avec Jacques. Elles ne pouvaient pas être
elles seules. En grandissant, j’ai eu la
chance de connaître mes oncles, certains
en particulier. Alexandre Kimenyi, du côté
de ma mère, il a vécu chez nous pendant
un bout de temps, je finissais mon école
primaire. Donc on était au Burundi à ce
moment-là, et c’était dur parce que Rwandais,
il fallait que tu passes avec une note de
quatre-vingt pour cent pour passer au secondaire
pendant que les Burundais, les nationaux,
parce qu’on était réfugié dans le fond,
tandis que les Burundais, nationaux, ils passaient
à cinquante, cinquante-deux pour cent. Donc,
ça prenait quand même des notes particulièrement
fortes. Et, Kimenyi était très doué ; et
pendant ce laps de temps, juste avant mes
examens, il était à la maison, fait qu’il
m’a mis vraiment sur le tout droit et puis
il m’a permis de bosser assez que la majorité
des gens au Burundi. En tout cas, si tu arrives
à rencontrer certains c’était rare des
gens qui vont arriver en sixième année primaire
puis qui vont passer automatiquement sans
redoubler, tripler même. Et je l’ai eu
au premier coup et c’était vraiment grâce
à lui. Tout en étant relaxe, mais il avait
cette touche là de pouvoir te mettre à travailler
puis, sur ça, il était intransigeant et
puis il m’a permis de l’avoir vraiment
haut la main. Puis en grandissant, j’ai
eu un autre oncle qui m’a laissé quelque
chose, qui m’a influencé beaucoup. Donc
là…, avec toute la pagaille Burundi-Rwanda
et tout ça, quatre-vingt-quatorze [1994]
on est là puis il y a mon oncle qui venait
de…, non quatre-vingt-douze [1992], il venait
de…, je mélange « … » Non, il quitte
le Rwanda, il a fait la prison avec l’affaire
de…, du fameux coup de théâtre. Donc,
quand les Inkotanyi venaient d’attaquer,
donc ils ont simulé comme quoi, il y avait
des attaques dans Kigali. On a ramassé plein
de Tutsi dont mon oncle. D’ailleurs à cette
époque-là, il y avait trois oncles, deux
tantes et ma grand-mère qui ont étés mis
en prison. En tout cas la petite histoire,
dans les circonstances parce que c’était
avant la grande…, avant qu’il meurt, quatre
ans après. Mais lui, il avait quitté entre
temps. Alors, j’ai vécu avec lui au Burundi
quelque temps. C’était un bonhomme particulier,
avec une vision extraordinaire…, très ambitieux.
Il m’a laissé parce que jusque-là, vraiment
je ne m’étais jamais trouvé ce caractère-là
de leader avant, non ; c’est vraiment quelque
chose qui est venu avec lui, et ce n’est
pas parce qu’il m’a dit qu’il fallait
en être un. Mais il me disait que ce qu’il
voyait dans la façon de faire, dans la façon
de présenter les choses, de… Tu t’en
rends pas compte mais tu guides beaucoup de
choses. Puis, je l’ai réalisé longtemps
après. Tu fais des choses puis là, tu te
rends compte que tu te mets en avant puis
tu dis au monde : « Ok c’est par là
qu’on va aller ». Oui c’est ça. D’autres
tantes mon Dieu, il y a ma tante Donatilla,
on ne s’est pas vu très, très souvent.
C’est elle qui voulait partir avec moi dans
les valises avec Rosalie ma tante, celle de
Montréal. Et puis…, tu sais quand tu rencontres
quelqu’un tu sais, que c’est le fun. Tu
aimes puis tu ne sais même pas pourquoi puis…,
c’est ça, oui. Tu oublies que c’est la
tante, tu oublies que c’est « … » Et
pourtant… [inaudible, doux?], le temps qu’on
a vécu ensemble quand j’étais « … » Quand
on a fui le Rwanda ensemble en soixante-treize,
on vivait ensemble. Je n’ai jamais eu la
raclée de mes parents, je n’ai jamais,
presque jamais. C’est vrai mais elle, je
m’en rappelle. Mais au-delà de ça, c’était
ma chérie, pareille. Je ne sais pas comment
l’expliquer mais c’est ça. Alors oui,
c’est ça mais après bon, rendu au Canada,
j’ai des tontons comme les Tony qui ont
presque le même âge que moi. Les Odette
qui sont quasiment plus jeunes que moi, parce
que comme tu me disais combien d’enfants
ils ont fait de chaque côté… du côté
de mon père c’est dix, du côté de ma
mère c’est onze. J’ai une petite anecdote
qui est très, très bien : c’est qu’ils
avaient les enfants pendant longtemps ; comme
ma grand-mère maternelle, elle a eu son dernier
bébé en même temps que la troisième fille,
le troisième enfant de ma mère, le premier
enfant de mon autre tante Rosalie et tout
ça c’est le même âge, comme Lisa, Jacqueline
et Odette, même année. Et voilà donc c’est
ça. Donc, j’ai connu les autres tantes
surtout du côté maternel parce que la plupart
sont ici au Canada, on partage tellement de
choses. Certaines sont plus copains, copines
que tantes. Il y a Tony qui s’amuse très,
très souvent quand on est ensemble partout
où on passe mu banyarwanda « … » umuhungu
wanjye w’imfura [mon fils ainé], on a le
même âge. Puis de surcroît, il est comme
cinq point huit [de taille] alors que je fais
6.3 [de taille]. Alors ça fait très bizarre
et c’est ça.
>> A.M.: [rires] Et quand tu étais plus jeune
avec tes grands-parents, est-ce que tes grands-parents
t’ont déjà raconté des anecdotes de papa
quand il était plus jeune. Dans les souvenirs,
warakubaganaga [étais-tu turbulent] ? Ton
père était tannant, il était sage ?
>> J.R.: Très, très spéciale celle-là
oui, il faut que je vous la raconte. Mon père
c’est quelqu’un qui ne parle pas, quasiment
pas. Vraiment là, non on ne peut même pas
utiliser le mot bavard. On ne peut pas dire
qu’il est bavard. Non, il parle tout simple.
C’est vraiment dans l’extrême nécessité.
Et ça, c’est depuis qu’il est enfant.
Et là, il est autour de dix ans, non un peu
moins. Il y avait une madame qui vivait chez
eux, qui faisait des travaux, mais je pense
qu’il y avait un lien de parenté aussi.
Et je ne sais pas pour toi Annie mais le [inaudible,
chialé ??] de ma tante ce n’est pas au
Québec seulement. Chez nous c’est encore
terrible.
>> A.M.: [rires].
00 :30 :03
>> J.R.: Ah! Elles étaient là, elles se
plaignaient tout le temps, elles se plaignaient
tout le temps. Ariko rwose jyewe abantu bahangaha
nzabagenza gute muranyanga [Je ne sais pas
quoi faire avec les gens d’ici…personne
ne m’aime]. Là, le fameux silencieux qui
est là, parce que partout, partout où tu
vas, mon père, tu es à un événement, il
ne parle pas, il ne bouge pas. Mais si tu
as la chance de jaser avec lui, il va te dire
quelque chose et tout le monde va être là,
on était tous là, on a jamais vu ça. Mais
effectivement comme il ne parle pas, il observe,
il voit des choses que personne ne voit. Ça
fait qu’il est parmi ceux qui ont fait attention
à ce que la madame disait. Dans le fond,
elle se plaignait en disant : « Ah non,
je suis tannée de cette vie, j’aimerais
ça m’en aller, ce n’est pas là, aië,
aië, ou même mourir ; personne ne m’aime
ici, personne ne veut s’occuper de moi.
Il n’y a même pas personne qui est intéressé,
au moins qui pourrait prendre une machette
puis me couper, puis je meurs, puis je m’en
aille ». Donc le petit bonhomme attentif,
s’est rentré dans son oreille. Quelque
temps après, il va chercher bien, c’est
un enfant, il va chercher une petite serpette
qu’on appelle…, c’est vraiment ce qu’on
utilise pour…
>> A.M.: … couper de l’herbe.
>> J.R.: Oui, mais ce n’est pas le plus
tranchant, c’est celui qu’on utilise pour
enlever les herbes quand on fait le balai
dans la cour en terre cuite et tout ça. Il
est déjà rouillé, il est fini, il n’est
pas tranchant. Mais pour lui, on a parlé
de la serpette. Il est allé chercher la serpette
puis elle avait demandé à ce que ça soit
sur la nuque, fait qu’il s’est approché
avec sa petite force d’enfant, il a frappé
sur la nuque.
>> A.M.: [rires]
>> J.R.: Et là, elle est partie, sinababwiye
[je vous avais dit]. Voilà maintenant même
leurs enfants veulent me tuer…
A.F et >> A.M.: [rires]
>> J.R.: Voilà, donc c’est ce côté-là
qui est spécial mais dans une anecdote. Ça
reflète un peu son caractère jusqu’aujourd’hui
; bonhomme calme dans son coin qui écoute
et observe tout mais il ne fait pas de ces
bêtises ; il a grandi quand même. Mais une
autre là-dessus, c’est que…, il avait
fait des bêtises, je ne sais plus pourquoi
encore. Puis là, il y a ibiseke ; comment
on appelle ça en français? C’est des grosses…,
une grosse sorte de gros panier à l’époque
qui avait…, mais ça vient avec des couvercles.
C’est fait vraiment en triangle. C’est
un peu comme mes chapeaux, c’est comme ça
en tout cas. Là, on le cherche partout parce
qu’il fallait le punir. Là, il dit : là,
je suis fait. Donc, il court, saute dans le
panier, il prend le couvercle, il met par-dessus.
Mais ça ne suffit pas beaucoup parce qu’il
dépasse un peu le panier-là. Puis là, c’est
grand-papa qui tourne partout pour le chercher.
Mais en même temps, il faut qu’il regarde
où est-ce qu’il est rendu au cas où il
viendrait pour enlever ça. Peut-être ce
serait le moment de courir.
>> J.R.: Donc pendant qu’il est là, l’autre
il est en train de chercher partout. Quand
il changeait de direction naturellement lui
aussi il bougeait. Mais c’est parce que
le couvercle bougeait avec parce que ça tenait
sur sa tête [rires de tout le monde]. Alors
tout le monde éclatait de rire de l’autre
côté. Puis mon grand-père s’énervait,
il disait : « Vous riez, il fait des bêtises,
en plus de ça vous riez, vous ne comprenez
pas ? » Mais personne n’osait dire pourquoi
ils sont en train de rire. Fait que c’était
doublement plus drôle ; puis là, il commence
à s’énerver. Puis là, lui où est-ce
qu’il est caché, c’est comme s’il disait :
« Ne riez pas, ne riez pas ». Mais là,
c’était…, à un certain moment il tombe
avec le panier et tout. Puis là, mon grand-père
qui le voit sortir de là, il part à rire
aussi. Puis ça finit là [rires]. En tout
cas.
>> A.M.: [rires] Ça, c’est de très bonnes
anecdotes. C’est très amusant les enfants,
c’est très amusant. Les anecdotes drôles,
cette relation, cet amour-là de la famille
et tout ça. Comment tu décrirais la relation
entre tes parents directement ? La relation
entre maman et toi, et son fils Jacques. La
relation entre ton papa… Est-ce qu’il
manifeste les émotions, est-ce que…?
>> J.R.: … Je ne sais pas comment le dire
[silence]. Papa ce n’est pas quelqu’un
qui parle beaucoup. Papa, il va te dire une
affaire, une fois de temps en temps, peut-être
une fois dans quelques années. Bon sur la
base régulière quand on était enfant c’est
sûr et certain qui il y a des choses qu’il
ne fallait pas faire. Puis pourquoi je dis…,
même pour frapper, c’est pas frapper, je
ne sais pas comment le dire… Même quand
on était enfant, il venait, il voulait dire
quelque chose, tout était bloqué, une baffle,
tu fais comme ça [tourne sa tête du côté
droit], un coup de pied dans le derrière
et puis c’est tout, tu as compris le message… Tu
sais, tu as fait des bêtises mais ce n’est
pas quelqu’un qui fouinait trop, trop dans
les affaires des enfants. Il tenait absolument
à certaines affaires…, des réunions de
l’école, il faisait partie du comité des
parents, c’était des choses comme ça.
Dans le fond, c’est de l’autorité mais… sans
tenir tout le temps, "t’asticoter" si je
peux me permettre l’expression-là. Mais
tu sens que c’est là et ok. Mais là, il
est dans le comité des parents, fait qu'il
connaît même tous les professeurs, le directeur
c’est son chum. Je suis mieux de ne pas
faire des bêtises à l’école aussi simple
que ça, parce que ça va se savoir. Alors
tu choisis où tu vas aller faire… Bien
là, ok partout où tu passes c’est aussi
les amis. À la fin là, c’est comme ça
la prévention en fait. Moi, je dirais qu’il
fonctionne plus de façon préventive que
de la punition comme telle. Je regardais…,
ça n’a rien à voir avec mon histoire,
mais quand on parle de la vitesse au Québec,
au volant et tout ça… Il y a une affaire
qui fonctionne vraiment bien en Europe. Je
ne sais pas s’il y en a déjà qui ont déjà
entendu, qui l’ont vu…, mais ils mettent
des gendarmes en carton sur l’autoroute.
C’est simple, celui qui le voit, il commence
à faire des lumières aux autres, puis ça
ralentit le temps qu’il réalise que peut-être
ah ! C’est dissuasif en fait. C’est à
distance mais c’est un peu ça… Ma mère
ce n’est pas plus punitif mais c’est très
présent. Très, très présent, ok. Très
présent, tu ne peux pas t’en défaire,
gare, non ; tu vas répondre ! On va te demander
pourquoi ci, pourquoi ça. Il faut ouais…,
tu vas rendre des comptes. Et en même temps,
c’est dans le même filon dans le fond…,
étant donné que tu sais que tu vas rendre
des comptes. Il faut t’organiser pour que
les choses marchent bien quelque part.
>> A.M.: Est-ce que ça allait bien lorsque
c’était de l’encouragement ou des petits
câlins ? J’imagine que maman donnait plus
de…
>> J.R.: Ouais… Je ne sais pas comment je
dirais ça. Mes parents ce n’est pas les
parents qui sont du genre à gâter les enfants,
juste pour gâter, gaga non. Mais en même
temps, dans notre enfance même en grandissant
et tout ça, on n’a jamais manqué de rien.
On n’a jamais manqué de rien et puis on
en avait assez. On n’a pas grandi…, je
n’ai pas grandi dans le besoin. Tellement
que je pense que c’est quelque chose qui
influence beaucoup quelque part, et qui peut
même être négatif à un certain moment
parce que je n’envie pas vraiment les gens.
Ok. Et puis ça, je pense vraiment que ça
part de l’enfance, je n’envie pas. Ok,
lui il a fait ça, il a eu ça. Ok, puis c’est
son affaire, j’aurais le mien et puis ça
va venir. Tu sais le genre de trucs, tu sais
vous, vous êtes rendus ici les autres ont
eu ça, les autres ont eu ça. Ok fine, c’est
bon pour eux, félicitations, ça me dérange
pas de féliciter quelqu’un qui a eu son
coup. Mais je ne l’envie pas, je n’ai
pas un brin de jalousie. Puis ça, je pense
que c’est le résultat de m’éduquer,
de nous éduquer parce qu’on n’était
pas dans le besoin. Puis on n’a jamais senti
qu’il fallait avoir comme [ce que] tel autre
a, tel autre a…, tel autre a…. Tu as ce
que tu as parce que c’est ça que nous avons
et c’est bon comme ça.
>> A.M.: Et leurs peurs ou leurs angoisses,
est-ce qu’ils transmettaient leurs sentiments
par exemple lorsqu’ils avaient peur, est-ce
que vous, les enfants, vous le sentiez ? Vous
vous ménagiez ?
>> J.R.: « … » C’est une anecdote
«…» À l’une j’ai assistée, l’autre
non. Alors toujours dans leur jeune couple,
bon enfin, moi j’étais quand même déjà
né, Gilles aussi je pense même, Jacqueline
pas encore, mais avec tous les jeunes frères,
belles-sœurs, beaux-frères qui vivaient
chez eux, chez mes parents. À un certain
moment c’est le soir, c’est la nuit devrais-je
dire, et puis les filles sont là ; maman
traine avec elles, mais mon père, il dort
déjà parce qu’il bosse le lendemain matin
et il se levait très, très tôt, à commencer
parce qu’il devait être debout vers les
cinq heures trente minutes, cinq heures du
matin tous les jours quasiment ; à un certain
moment, il y a du bruit dans le salon, là
c’est insupportable, il se lève. Il sort
de son lit, il arrive au salon, il dit :
« Est-ce que quelqu’un peut m’expliquer
exactement ce qui se passe dans cette maison
? Vraiment il est quoi ? Onze heures de la
nuit.» Je ne sais pas quelle heure il était.
«Je dors, il y a les enfants qui dorment.
Vous criez comme ça, sans dessein, c’est
quoi cette affaire-là ? » Là, tout le
monde se tait dans leur coin puis là, c’est
quand même bizarre, elles ne sont pas assises
comme relaxes dans les sofas là. Non c’est
comme chacune est déjà dans son coin ;
puis peut-être il se dit comme en me levant
je les ai peut-être tassées. Non, je n’ai
tapé [tassé] personne pourtant en tout cas.
Là, il y a une de ses belles-sœurs qui dit :
« Non mais c’est parce qu’il y a la
souris là ! » Il est là, puis il dit
bien là, vraiment là ! « Une souris c’est
ça qui crée cette hystérie qui fait que
tout le monde est terré dans son coin? J’en
vois sur la chaise, c’est incroyable !
Vous criez comme ça et le monde dort, les
enfants tout ça là. Moi je travaille demain
matin. » Pendant qu’il est en train de
faire son discours, de les brasser et tout,
la souris elle sort et traverse la pièce.
Il [papa] n’est pas aussi grand que moi
mais presque là, il a sauté deux pieds joints
sur la table « … »!
A.M et >> A.M.: [Rires]
>> J.R.: Au-dessus, mais d’un mouvement
athlétique. Là, tout le monde était comme
[grimace]. Quoi? Là, plus personne ne parlait,
il est descendu de sa table, il est parti
dormir. Est-ce qu’on peut mettre ça dans
la catégorie des peurs, si tu veux bien.
Mais je pense [rires] qu’au-delà de ça,
oui, on a peur, moi je pense que c’est comme
tous les parents et je les ai vus beaucoup
chez eux, on a beaucoup plus peur pour les
enfants. Je pense que c’est la plus grande
peur que j’ai vu chez eux. C’est des gens
qui ont été très travaillants puis à chaque
fois le souci c’était ah, est-ce que les
enfants ça va bien aller, est-ce que les
enfants ça va bien aller ? Moi je pense que
c’est la grande peur. À part ces bibittes
là parce que notre cadet à un certain moment,
il s’amusait. Ma mère a peur des bibittes,
mais quelque chose d’incroyable.
00 :45 :05
>> J.R.: Alors je ne sais pas si tu connais
les mille-pattes. C’est les mille-pattes
qu’on appelle. Mais les mille-pattes en
Afrique, pas les milles pattes avec… Parce
qu’ici quand on parle de mille-pattes, on
voit celui avec des écailles et des épines
au-dessus. Non, non non, celui qui est lisse
oui. Celui qui est fait en anneau quand tu
le touches, ç’est automatiquement, il se
replie sur lui-même, fait que tu peux le
tenir dans les mains. C’est comme si tu
tenais un morceau de plastique ou quoi là.
Alors nous, on les ramassait, on s’amusait
avec ça. Alors, mon petit frère le cadet,
lui il s’amusait à le ramasser et il venait
confier ça à maman. Ah ! Maman, j’ai quelque
chose pour toi, j’ai quelque chose pour
toi. Et là, maman bonasse, elle tendait sa
main. Elle tendait la main, met ça dans ses…,
check les robes, les pagnes volaient là,
papa… Et il s’amusait avec ça. Alors
quand lui, il était fâché contre elle,
attends…, prochain mille pattes tu vas voir.
En tout cas, des peurs oui de ces bibittes-là,
oui.
>> A.M.: [rires] C’est très amusant, c’est
très agréable l’entrevue. Et lorsqu’on
parle de votre enfance, des parents qui…,
qui s’occupait le plus de votre éducation
? Qui, qui prenait des décisions dans la
maison ?
>> J.R.: Ah, je pense que je l’ai abordé
tantôt. Mon père dans son côté dissuasif
puis tu sais qu’il est là, puis tu sens…,
sans absolument que…, mais ma mère qu’elle
est vraiment présente. Puis ouais je pense
que ça se retrouve dans beaucoup de familles
surtout chez les Rwandais. Mais c’est à
peu près ça. Mais c’est des gens qui ont
toujours été présents. Puis qui…, ouais.
>> A.M.: Est-ce que y avait une différence
d’éducation entre les filles et les garçons
? À la maison surtout avec papa et maman,
est-ce que tu sentais qu’il y avait une
différence avec les garçons et les filles
d’une certaine façon ? …les filles de
la même façon ?
>> J.R.: Vois-tu ? Mon père, je ne l’ai
jamais entendu sortir des expressions classiques
qu’on entend souvent : « Et non tu ne
fais pas ça, tu es un gars, tu es un gars.
Un gars ça doit se tenir comme ça, non. »
Bon c’est vrai qu’il ne disait pas beaucoup
de choses. Mais au-delà de ça, ce n’était
pas son objectif, ce n’est pas le mot classique
qu’il avait pour te permettre, non. C’était
de faire la bonne chose « … » Tiens,
je vais vous faire une comparaison : on avait
une famille amie voisin, le monsieur travaillait
avec mon père, la femme du monsieur collègue
à mon père, bon quasiment son patron là.
Ils étaient presqu’au même niveau mais
il était quand même supérieur à mon père.
Puis sa femme, c’est une cousine mais lointaine
de ma mère. Ce n’est pas une cousine germaine
ou quoi là, c’était vraiment les gens
les plus proches avec qui on a passé la grosse
portion de notre jeune âge. Donc, quand je
parle du primaire, début secondaire tout
ça là. On était dans un coin, on était
un peu en dehors de la ville de Bujumbura
là. Alors où est-ce qu’on vivait, c’était
plus…, parce que mon père est agronome
donc il travaillait dans un projet de Belges,
qui était au Burundi. Et puis, on vivait
en dehors des villages, on était proche de
la Compagnie [campagne ?]. Donc nos voisins
étaient vraiment «…», la famille de son
collègue. Et…, chez nous ça a toujours
été: il faut respecter l’autre, il faut
respecter les gens particulièrement quand
ils sont plus âgés que toi, que ça soit
le petit travailleur des champs qui est son
employé de dernier rang là. Mais, étant
donné que c’est une grande personne, je
devais lui donner le respect de la grande
personne, point à la ligne ; de façon que
les punitions qui pouvaient venir vraiment
chez nous, c’est quand on a manqué de respect
à quelqu’un, quand on a insulté quelqu’un,
quand on a fait des…, tu sais des bêtises
d’enfant qui vont dans ce sens-là, c’est
là qu’on mangeait la raclée chez nous.
Par contre…, dans la famille voisine, amie
tout ça là, ils avaient des enfants qui
étaient vraiment là intraitables, mais complètement
impolis envers le monde et tout. Mais par
contre leur père, un enfant qui cassait un
verre dans la maison, c’était la ceinture
qui sortait. C’était attaché, c’était
battu à mort, à sang quasiment. Donc, si
tu parles d’éducation, c’était ça.
Ça, c’est des comparaisons que j’ai vécues,
tu regardes ça et ok c’est des choix comme
tu dis. C’est des façons de voir mais non,
tu ne peux pas tuer un enfant parce qu’une
maladresse…, parce qu’il a joué avec
un verre ! Mais quand tu insultes quelqu’un
par exemple, des bêtises du genre, il pouvait
lâcher des … Il voit des paysans qui passent
dans le coin puis ils vont lâcher des chiens,
juste pour voir comment… Je l’aurais fait
chez nous, on m’aurait "tué" c’est sûr.
C’est le genre de choses qui seraient complètement
impensables ok. Est-ce qu’on en a fait des
bêtises ? Oui, dans ce sens-là mais pas
vraiment contre les gens. Par exemple je me
rappelle où est-ce qu’on habitait, y avait
un gros passage où les troupeaux de vaches
passaient de tous les gens du village pour
aller brouter. On avait tellement toutes sortes
d’animaux là. Bon les animaux domestiques
normaux. Même les sauvages qu’on avait
pris comme des pintades, des perdrix, des
grues couronnées, un singe avec ça. Fait
qu’on s’amusait quand les troupeaux de
vaches passaient. On amenait le singe dans
les mains là et on le jetait dans le troupeau.
Là faut voir quarante vaches qui partent
en courant en furie. Ça c’était le genre
de nos bêtises mais ce n’était pas pour
insulter le monde. Donc on n’était pas
si saints que ça !
>> J.R.: Mais c’est un peu ça. Si on revenait
par rapport à l’éducation.
>> A.M.: Et à la maison, les filles et les
garçons c’était la même chose ? Est-ce
que y avait des choses, les travaux ménagers
par exemple, est-ce que toi tu lavais la vaisselle
? Vous avez, j’imagine un boy.
>> J.R.: Pendant…, on n’en avait pas un,
peut-être six ou sept, je m’en rappelle
plus ; il y en avait en masse. Mais pendant
les vacances, on avait tout le monde des corvées.
On les [les domestiques] déployait pour faire
d’autres choses mais tu te réveillais le
matin…, non, non c’était égal. C’est
mon tour de balayer la cour, je balayais la
cour. Normalement, traditionnellement on va
dire c’est une tâche pour les filles. Non,
chez nous, tu le faisais : C’est mon tour
de faire le repassage d’habits ? Oui, je
vais repasser. De laver les casseroles après
avoir préparé ? Oui, je vais le faire. Oui,
on faisait tout. Tous les enfants devaient
passer à travers tout. On devait faire tout,
on touchait à tout sans distinction. Mais
c’est sûr et certain… Par contre, dans
nos activités, dans nos jeux, bien les filles
se ramassaient avec leurs poupées puis whatever.
Puis nous, on jouait au ballon puis on allait
lancer le singe dans les troupeaux de vaches
puis, ainsi de suite…
>> A.M.: Et de l’extérieur, comment vos
parents étaient perçus par l’entourage
? Les voisins, collègues…
>> J.R.: Très bien. Très bien, assez que
[silence] même grand, quand
les gens appellent maman par son nom, son
prénom, ça me surprend à chaque coup. Parce
que j’ai grandi, puis c’était toutes
des grandes personnes même des fois des plus
vieux qu’elle l’appelait : Maman. Des
gens, des gens d’ailleurs ou quelque chose
ou les vieilles mamans, comme les rwandaises,
il n’y en n’avait pas beaucoup dans notre
coin, mais c’était umukobwa wanjye [ma
fille], quelque chose comme ça, mukazana
[belle-fille]. … J’ai toujours senti
qu’il y avait une touche de nom, de respect
quand on appelait ma mère. De toute façon
je me rappelle, quand il y avait encore…,
on commençait dans les meetings, les rwandais
essayaient de se rassembler surtout parce
qu’au Burundi, c’était quand même terrible
parce qu’on était pourchassé pour n’importe
quoi. Étant donné que les tutsi au pouvoir
avaient la protection de l’armée et tout
ça, mais quand même les Hutu fâchés, ils
lançaient toujours leur dévolu contre les
Tutsi rwandais. Donc à un certain moment,
il fallait se rassembler, tu sais trouver
des façons de s’organiser. Puis là, quand
il y avait des mamans rwandaises qui venaient
pour faire des petits meetings, j’entendais
: « niko Ro…[Eh Rose] » Ah mon Dieu
: « Niko Roza we ». Ça là, ça m’insultait,
le meeting finissait puis je disais : « Maman
est-ce que tu es obligée de faire des meetings
avec ces gens-là, ils te respectent même
pas ! » Est-ce que tu vois l’image ? « … » Ce
n’est pas parce qu’ils ont manqué de
respect, elles ont le même âge qu’elle,
peut-être même plus vieilles, mais c’est
juste que je n’étais pas habitué d’entendre
ma mère se faire interpeller par son prénom
juste comme ça là. Non ! Pour les gens de
ma famille directe, comme je vous disais,
mes oncles, mes tantes c’était Mukecuru
[La vieille] qui est comme la maman, la tante,
n’importe quoi. Donc c’était des gens
qui étaient appelées par…, qui étaient
considérées avec beaucoup de respect. Mon
père c’était soit Mutware [chef] ou en
général, en dehors, on l’appelait par
son titre de job : Agronome. Je ne voyais
pas les gens qui venaient : Hey Alfred Rwirangira.
Non, non, c’était Agronome, Mutama [vieux],
Mutware [chef]. Tu sais c’est ça donc je
pense que oui on peut appeler les gens comme
ça. Peut-être par hypocrisie ou je ne sais
pas, mais tu ne sentais pas d’hypocrisie.
Je me rappelle quand ça commençait à chauffer
comme 1993, tout ça là, il y avait des gens
qui cherchaient vraiment à avoir notre peau
; assez pousser l’audace jusqu’au point
de dire : « Non, non, non, chez eux, ils
ont logé Kagame là-bas, on va aller attaquer. »
Puis ça, c’était un coin des plus chauds
au Burundi quand on y était. « Ah non,
non, on va y attaquer à la grenade puis au
fusil. Tout ça, on va faire tomber leur grosse
maison qui ressemble à une église. » C’est
comme ça qu’il l’appelait. Et à un certain
moment…, mais il n’y a rien qui pouvait
se dire, et que dans le même après-midi,
que mes parents ne le sachent. Il y avait
toujours, un des leurs qui venait [inaudible:stealer-
révéler ??] tout ce qu’ils ont dit. Donc,
c’est le genre de respect, d’amour qui
n’est pas hypocrite parce que, et c’est
vraiment ça, qui les as sauvés vraiment,
vraiment, vraiment parce qu’il y avait quelqu’un
toujours pour dire : « Il y a de quoi,
il y a de quoi. »
>> A.M.: Est-ce que tu penses que si je retourne,
un petit peu en arrière… Tu as dit que
ta mère et ton papa se sont rencontrés au
Rwanda ; parce que maman était restée au
Rwanda. Ils se sont mariés au Rwanda, ils
ont déménagé au Burundi et vous êtes nés
au Burundi ?
>> J.R.: … exactement. Donc, ils se sont
mariés au Rwanda « … ». Ils se sont
mariés au Rwanda en soixante-six [1966 ?]-
en soixante [1960], bon ils ont continué
à travailler au Rwanda, ils vivaient à Butare.
En soixante-treize, là ça bardait, un peu
à la manière des années soixante [1960],
cinquante-neuf [1959]. Parce que là depuis
quelques années encore, ça c’est dans
les archives de l’histoire du Rwanda. Tout
le monde peut le lire. En fait, il y avait
le problème que quoi les hutu du Sud avaient
pris le pouvoir et ils l’avaient gardé
pour eux. Là cette fois-ci, c’était les
hutu du Nord qui étaient fâchés contre
eux mais il fallait montrer que regardes : « Ça
ne fonctionne pas votre affaire même si les
tutsi y en a beaucoup qui sont partis, tous
leurs enfants, tous leurs jeunes, ils ont
repris tout, vous ne contrôlez rien et tout
ça tout ça, vous partagez avec les Tutsi ».
Donc il fallait prendre des bouc-émissaires
puis… Alors c’est là qu’ils quittent
encore une fois, alors ils s’enfuient au
Burundi. Puis, en tout cas.
>> A.M.: Donc votre éducation ça s’est
passé au Burundi ?
>> J.R.: La grosse portion.
>> A.M.: Et en revenant en avant un peu où
est-ce qu’on était dans l’éducation,
dans le respect des voisins et surtout dans
l’éducation des parents à la maison. Est-ce
que tu penses que ça aurait été différent
au Rwanda ? Est-ce que c’est quelque chose
typique au Rwanda puis tout ?
>> J.R.: Non.
1 :00 :03
>> J.R.: Oui, quand même quelque part, parce
que je ne pense pas qu’ils l’ont puisé
quelque part dans une école spéciale, non.
C’est aussi quand même quelque chose qui
se suit de par l’éducation qu’ils ont
reçue, qui a forgé leur caractère, leur
façon de voir, de penser, de comprendre les
choses. Puis le désir d’éduquer leurs
enfants aussi dans un certain sens. Non, moi
je pense que c’est dans la continuité.
Est-ce que je te dirais que c’est calquer
sur une façon de faire, d’éduquer à la
rwandaise ? Je ne serais te dire. Mais « … ». C’est
tout simplement de dire, je pense c’est
des valeurs universelles. Je pense qu’on
peut retrouver ça partout là. En Islande,
en France, bon si tu enlèves les volcans.
En France, en Italie n’importe quoi là.
Je pense qu’on peut éduquer les enfants
dans ce sens-là. Je ne pense pas que, peut-être
ils vont le faire en kinyarwanda. Les autres
ont leur langue, mais je trouve que ça frise
quasiment des valeurs universelles. Ça dépend
aussi beaucoup du tempérament des gens. De
comment ils veulent faire les choses, puis
voilà quoi.
>> A.M.: [...] De l’amour, de l’éducation
ainsi de suite. Est-ce que dans ton enfance,
jusqu’à maintenant, il y a un frère ou
une sœur, de tes frères et sœurs qui t’a
marqué ? Un caractère qui t’as marqué
particulièrement ? Une influence particulière.
>> J.R.: Oh oui, bon ils m’ont tous marqué
à leur façon. …une chance rien en mal…
Je ne sais pas quoi dire. C’est tellement…
Je ne vois pas de [claque des doigts] que
je pourrais sortir tout d’un coup. Peut-être
ça va venir avec le temps. Mais… J’ai
des frères et sœurs, il y a quelque chose
de très spécial chez nous. Par moment, pour
l’un ou l’autre, on ne va pas être des
frères et sœurs qui sont bras dessus, bras
dessous tout le temps. Et puis, qu’est-ce
que t’as fait ? Qu’est-ce que t’as
mangé cet après-midi ? Non ! Ce n’est
pas comme ça, non. On est fondamentalement
respectueux de la bulle de chacun. Vraiment
très particulièrement. On s’aime beaucoup.
Je pense que tous les frères et sœurs s’aiment.
Mais, je sais qu’on s’aime beaucoup. Naturellement
dépendamment des caractères, il y a des
affinités. Il y a un avec qui tu vas… je
ne sais pas, avoir plus, tu vas être plus
à l’aise de discuter de tel sujet ou de
tel autre. Mais, oui tous les frères et sœurs
dans n’importe quelle famille s’aiment,
s’aiment beaucoup. Mais ils se chicanent
beaucoup. Ils peuvent chicaner. La chicane
est quasi-inexistante chez nous, mes frères
et sœurs. Vraiment c’est non ! Dans l’âge
adulte, je ne peux pas parler de chicane.
Il n’y en a pas. Ok, il peut avoir une dispute
parce qu’on peut parler sur un sujet particulier.
Mais une chicane … puis non… là garde
va falloir que je prenne le téléphone pour
que j’appelle Jacqueline parce qu’elle
est en chicane avec Gilbert pour essayer de
les raisonner. Non ! Il n’y en a pas eu.
Mais ça je pense que c’est une conséquence
directe du respect qui est couplé à cet
amour-là. Du respect de la bulle. Je ne sais
pas d’où ça vient, d’où s’est venu.
Je ne sais pas si c’est dans la fameuse
éducation, comme quoi il fallait respecter
une personne telle qu’elle est. Mais il
y a un fond très, très, très spécial là-dedans.
Mais au-delà de ça, oui les frères et les
sœurs ça te marquent pour plein de choses.
Il y en a qui vont faire des gestes, tu vas
dire quel courage puis tu vas dire c’est
inspirant. Il y en a qui vont faire des choses
puis tu dis c’est très brave. C’est inspirant.
Il y en a qui vont peut-être faire une bêtise
puis tu vas dire, c’est une leçon. Je ne
savais pas que ça existait mais quand tu
le vois dans ta cour, tu le vois que ça existe
puis tu te dis… Mais tout se passe dans
une certaine forme de sérénité quand même…
Je ne sais pas tu connais quand même la plupart
de mes frères et sœurs. J’ai une sœur
qui est mariée à un Béninois, j’ai un
frère qui est marié à une Cambodgienne.
Mon autre frère qui est marié à une Française.
Tu vois c’est sa blonde, sa fiancée. J’ai
mon autre sœur qui son mari c’est un Québécois.
C’est en fait, je pense que c’est à l’image
un peu de ce respect-là de l’autre. Parce
que sinon, si on était là à s’influencer
sur tout, sur tout, peut-être qu’on finirait
: ah ok, tout le monde fait dans le même
filon. Mais je pense que c’est quand même
l’image d’une famille qui écoute. On
respecte les choix de chacun. On le supporte
à cent pour cent dans ses choix. Dans les
bêtises quand même, on peut lui dire :
« Reviens dans le bon chemin. » C’est
aussi notre façon de supporter. Ouais… L’année
passée c’était quand même spécial [joue
avec un stylo] parce que j’ai revu mon frère
que je n’avais pas vu depuis dix-neuf ans
puis c’était dans des moments de se marier,
puis des retrouvailles puis est-ce que ce
n’est pas ça ta question ? Oui ça m’a
marqué mais ce n’est pas cette façon-là
dont tu parlais mais ça m’a marqué [rires].
>> A.M.: … Maintenant que t’es ici, est-ce
que y a des choses qui … Qu’est-ce qui
te manque de…, mettons la maison, l’emplacement,
le quartier, les voisins. Quand tu es ici
maintenant, qu’est-ce qui te manque de ton
enfance ?
>> J.R.: Aussi bizarre que ça peut-être,
ce n’est pas loin des pyramides. Moi les
places là [lève les épaules]. Le monde
autour, intéressant.
>> A.M.: Est-ce que quand vous étiez jeunes,
vous jouiez avec tous les enfants du voisinage
ou c’était plus plusieurs parents qui demandaient
aux enfants de venir à la maison ou c’est
possible que vous alliez jouer avec d’autres
enfants à l’extérieur ?
>> J.R.: Comme je disais tantôt quand je
décrivais notre coin, c’est sûr et certain
que c’est une coïncidence. On se retrouvait
là donc on aurait pu être en ville. Peut-être
ça n’allait pas se passer comme ça, mais
où est-ce qu’on vivait vraiment, on était
une petite classe entre guillemets « à
part ». Oui, on jouait avec les autres enfants
quand on allait à l’école, écoute, moi
je m’en rappelle, on avait des chaussures.
Puis au premier coin de rues, on les enlevait
là, parce que la plupart n’en avaient pas
puis c’est plate parce que t’allais les
salir. Puis quand tu joues dans le sable,
puis à jouer au ballon partout et tout et
tout…
>> A.M.: Dans la poussière.
>> J.R.: … dans la poussière. On va t’engueuler
parce que t’as sali les chaussures, ce n’est
pas compliqué t’enlevais ça. Mais en même
temps je trouve que c’est une façon de
se mettre au même niveau que les autres puis…
>> A.M.: Même en tant que jeunes vous …
>> J.R.: Et …, je ne sais pas, je pense.
Bon, c’était la meilleure façon de faire
parce que si tu les salis, ces chaussures-là,
ou si tu les déchires trop vite, c’est
qu’on va t’engueuler à la maison. Ok.
Alors…, tandis que si tu les enlèves, tu
fais ton affaire comme il faut, en t’amusant
comme il faut avec tes amis. Avant d’arriver,
tu les caches, tu te nettoies, tu les mets.
Ni vu ni connu puis c’est correct. Mais
au-delà de ça, si je reviens à ta question,
plus jeune, ça ne parait pas beaucoup mais,
je le vois plus… rendu dans l’adolescence
un peu, ok, tu commences à avoir tes amis,
tes vrais. Non, j’ai de très, très bons
souvenirs. À chaque degré de mon âge, à
chaque fois, j’ai vraiment des souvenirs
qui sont… oui, j’arrivais à la maison
quand mes amis arrivaient à la maison, ils
sont bien reçus. Ce n’est pas aller courir
dans le coin. Non, non, non ok, c’était,
on les recevait… C’est vrai qu’on était
un peu loin. Mais donc quand il est venu,
on le recevait. Vraiment, il se sentait ah
ok, on a été chez les Jacques puis c’était
bien. On a bien mangé puis maman était là
puis nous a donné ça. Puis c’était tellement,
y avait une affaire spéciale qu’on a mangée
[tousse]. Plus vieux, c’était pareil aussi.
Je me rappelle quand j’ai commencé l’université
puis on descendait avec mes copains de Bujumbura,
[on]allait à Cibitoke, à Rugombo… Ce qui
est à peu près quoi - soixante kilomètres
quand même ! Non, ils sortaient de là et
on retournait sur le campus, ils ont raconté
l’histoire comme quoi la façon dont ils
ont été reçus et tout ça là. Tout le
monde quasiment voulait venir. Est-ce qu’on
peut organiser des pique-niques dans le coin
et tout ça là. Regarde : non, c’était
à la maison. C’est juste pour te dire,
oui nos amis étaient les bienvenus à la
maison. Oui, ils étaient bien reçus. Oui,
ils étaient bien reconnus… Puis sans nécessairement,
non on était là on faisait nos affaires.
Mais le moment venu, le moment de manger,
le moment de boire… Tu sentais que oui,
même si un des enfants partait de là, il
va dire, ok on a été à une famille puis
les parents étaient... sont venus, ils nous
ont parlé puis on a été reçu. Puis ça
c’était vraiment comme ça.
>> A.M.: Si tu me parlais un petit peu de
ton parcours scolaire.
>> J.R.: Ah bon, très décevant. Super brillant,
primaire. Je m’en rappelle quand j’étais
enfant, j’étais second, troisième… catastrophe.
Je fais mon secondaire, je passe dans l’adolescence
comme tout le monde, les notes baissent et
puis tout ça ; mais vers la fin encore très
haut. Mais encore une fois, les systèmes
du Burundi c’était plate. Je finis avec
quand même des bonnes notes en finissant
mon secondaire. Mais je n’ai pas le programme
que je veux qui est… ok, à un certain moment,
j’essaie de traficoter puis il y avait des
gens que tu pouvais dire : « Tu peux m’organiser
ça ?» Puis je suis allé dans la faculté
que je veux. Puis après ça, ça été découvert.
C’était en masse, y avait beaucoup de gens.
On a été arrêté une année. Après j’ai
repris mais c’était quand même bien. Quand
même…, quand, avant que je quitte le Burundi,
je finissais mon Bac, l’équivalent de la
Licence. Je n’avais pas encore fini d’écrire
mon mémoire. Mais fallait qu’on fuie, on
a fui. Alors, j’arrive au Québec, au début,
je m’inscris en disant : « Oh faut continuer,
faut finir ça ». Mais là, tu es rattrapé
par la vraie vie d’ici. Ok, tu n’as pas
encore les bourses. Ah non, ok non. Là faut
arrêter parce que tu n’as même pas de
job. Nous, on est arrivé ici en quatre-vingt-quatorze
[1994]. Je ne sais pas s’il y a des gens
ici qui… vous étiez jeunes vous. Mais c’est
particulier. La chose que je me rappelle de
Montréal quand on est arrivé… Tu ne pouvais
pas faire deux blocs appartements. Non, pas
deux blocs appartements. Tu ne pouvais pas
voir dans un bloc appartement, quand tu faisais
comme ça [lève la tête] les fenêtres,
sans voir à louer. Montréal s’était vidé,
je ne sais pas s’il y avait eu un mouvement,
je ne sais plus quoi économiquement là…,
puis c’était vraiment terrible, puis il
n`y avait pas de job. Moi je m’en rappelle
quand on est arrivé à Montréal, on s’en
allait dans les agences de placement, le matin
à six heures du matin, non, c’est un peu
avant six heures. On restait là en attendant
qu’ils vont nous placer pour une job, journalière
là. Ce n’est pas pour avoir une job complète
non, pour la journée. Oh vers huit heures,
tu étais sûr que les jobs du matin étaient
finies. Donc, ils nous disaient de partir
à huit heures et demie à traîner pour voir
au cas où on rentrait… À treize heures,
on était de retour pour voir les jobs de
l’après-midi, donc les quarts de trois
heures à vingt-trois heures. On attendait
puis des fois on n'avait pas puis on rentrait.
Puis continuellement. C’était quand même
tôt. Donc franchement, mon arrivée au Canada,
ça ne s’est pas passé très bien. Ok,
je ne peux pas prendre ça comme excuse parce
qu’il faut toujours passer à travers puis
trouver des moyens d’y arriver. Mais le
plus important comme tu le disais, c’était
par rapport au truc d’école. Fait qu’à
un certain moment donc, je peux accéder aux
bourses mais j’habite en appartement, je
suis seul, j’y arrive pas. À un certain
moment, les notes ne suivent plus donc tu
dis : « Je vais arrêter. Ça me prendrait
une job. » Franchement, je te dirais sur
ce côté-là, personnel, organisationnel,
mon adaptation n’as pas été facile. Ça
paraissait peut-être bien aller. Même que
je trouve que j’ai aidé énormément de
gens à ce que ça fonctionne. Plutôt que
je ne me suis aidé moi-même. Franchement,
ce côté-là ça n’a pas été fort.
>> A.M.: Mais à la base, à l’université
au Rwanda, c’est quel programme que vous
vouliez faire? Et vous avez finalement fini
par faire quoi ?
>> J.R.: […] Mais je l’ai eu quand même
après au Burundi donc je l’ai fait. J’ai
fait ce qu’on appelle Institut de gestion.
C’était vraiment la vision parce que moi
je voulais être comptable. Genre auditeur,
comptable agréé. Donc, c’est le programme
que j’ai aussi continué ici, c’est juste
que oui après je rentre dans le programme
mais là, tu rentres dans la deuxième année…
Ok, il faut avoir un cabinet de comptable
qui va commencer à te donner des stages parce
que sinon tu n’auras jamais ton titre. Tu
es désillusionné à tout bout de champ.
Tu essaies de parler avec les professeurs.
Ah non ça là, garde, il faut aller frapper
aux portes des cabinets. Je n’en connais
pas un, je n’ai aucune référence. Ok,
mais c’est parce que… À un certain moment
tu dis, en fait, des petites barrières, non,
non, non. Je n’en suis pas vraiment plus
fier que ça parce que je ne l’ai pas réussi.
Ok, j’aurais dû, j’aurais dû trouver
des moyens de passer à travers. Écoute,
quand même on a fui des guerres là, fait
que celle-là je ne l’ai pas gagnée.
>> A.M.: On ne peut pas gagner toutes les
guerres.
>> J.R.: Mais non, on peut ne pas gagner des
batailles mais gagner la guerre. Cette bataille-là,
je l’ai perdue. Et elle pèse lourd dans
la bataille- dans la guerre je veux dire.
Mais quand même, la grosse partie de la guerre,
c’est la vie, je suis vivant, je suis bien,
je suis bien portant. Comme Annie demandait,
à la hauteur de mon âge, je ne m’en plains
pas. Je suis bien portant, j’ai une bonne
santé. Je suis en forme puis…, they must
be more to come. Why not ?
>> A.M.: Est-ce qu’il y a des proches qui
t’ont encouragé, qui t’ont découragé
dans ton parcours scolaire ? Est-ce qu’il
y a certains professeurs qui t’ont…
>> J.R.: Dans la vie ?
>> A.M.: Dans ton parcours scolaire… relation
que t’avais avec tes professeurs, est-ce
que t’étais l’élève préféré, l’élève
numéro un ou c’était… ? C’est quoi
la relation avec tes professeurs ?
>> J.R.: Plus souvent qu’autrement c’était
quand même bien. … Il y en a un…, c’est
à l’adolescence là. Je viens de finir
ma troisième année secondaire, je suis en
train de la finir. Mais lui ce n’était
pas mon professeur mais il venait des fois
pour surveiller, pour faire la discipline
tout ça. Mais là, garde, tu es dans ton
adolescence puis petit bonhomme en forme,
je fais de l’exercice puis je pogne. Puis,
lui c’était un professeur quand même relativement
jeune fait que…, puis je crois que je pense
qu’il était un peu jeune, un peu jaloux,
en tout cas. Là, à un certain moment il
essaie toujours de me pogner dans des situations
pour essayer de me donner des punitions. Puis
j’avais mes tuyaux.
1 :20 :13
Là, à un certain moment je m’en rappelle,
il pogne des gens qui dérangent. Je pense
c’était… moment avant de rentrer en classe,
on faisait des rangs. Et puis là, il pogne
les gens en train de déranger, puis là il
essaie de m’inclure. Là, je dis : « Je
suis désolé, je n’étais pas parmi ceux-là ».
Même s’ils sont honnêtes, ils pourraient
te dire que c’est moi qui les ai signalés
que tu arrivais. Donc, je t’ai vu de très
loin, je n’étais pas parmi ceux-là, pas
pantoute. Les autres étaient comme ok. Là,
il se retourne et fait ok, toi, on va se revoir
l’année prochaine ; parce que l’année
suivante, quand on rentrait en quatrième
année c’est lui qui donnait le cours de
mathématiques et il était réputé pour
être très, très dur. J’étais quand même
relativement bon. Et à l’époque on faisait
le cours parce qu’en Afrique… Je ne sais
pas pour ici… tu fais ton cours de septembre
à juin tout le long. Puis tu fais ton examen
final, si tu le passes c’est bon, si tu
ne le passes pas tu avais une autre chance
de repasser le même examen à la fin de l’été.
Fait qu’il m’a fait couler. Mais vraiment
là, à un point, juste pour que je travaille
l’été puis que je refasse mon examen.
Au retour, j’ai fait mon examen juste pour
vous donner une idée, il m’a fait couler
à quarante-neuf. J’ai fait mon examen à
la fin de l’été puis franchement, je n’avais
même pas beaucoup travaillé mais je l’ai
réussi à quatre-vingt-neuf ou quatre-vingt-dix
ou quelque chose de même. Puis là, j’ai
regardé puis sur le champ c’était un peu
chiant tout ça. Mais après ça, tu regardes
ça puis tu te dis peut-être juste une façon
de dire dans la vie faut pas faire le malin,
il ne faut pas nécessairement challenger
le monde gratuitement. Mais, enfin, pas gratuitement,
regarde tu te mets dans le coin. Parce que
je l’avais un peu nargué à ce moment-là
quand il a dit : « Tu étais parmi ceux-là ».
J’aurais pu accepter la punition. Après
tout, c’était la plupart de mes chums qui
étaient là-dedans puis qui allaient le faire.
Mais c’est parce qu’il avait ce truc-là
puis je savais très bien que des fois il
faisait ses petites rumeurs. Ah non, Jacques
avec ses affaires… puis avec les petites
filles… alors, dans l’adolescence anyway.
Après c’est un autre professeur, toujours
en mathématiques. Il trouvait, en tout cas,
il me faisait pas, il me faisait sentir comme
si je n’étais pas bon. Fait que là, c’était
des cours vraiment d’algèbre, d’analyse
et on faisait les études de fonction et tout
ça, les limites, les dérivées tout ça.
Là, à un certain moment, il pose une question
mais une question de vie courante…genre
: « J’ai une tôle, mais une tôle de
sais pas de telle dimension puis je dois faire
le maximum de boîtes de tôles de telle hauteur
avec des cylindres avec une base de tant…
combien de boîtes je peux faire au maximum ?
Puis j’utilise ces fonctions, ces calculs
les limites, des dérivés puis je trouve
la réponse. Là naturellement, il vient : « Ok
c’est quoi vos réponses ». Là, il ramasse,
les gens qui étaient très bons, les Thomas
et tout ça. Ça ne fonctionnait pas. Là,
il semble ok naturellement puis à un certain
moment il dit : « Est-ce qu’ il y a quelqu’un
d’autre qui a un truc [lève sa main]. « Ok,
vas-y ha, ha qu’est-ce que tu vas faire
? » Je suis au tableau, je descends mon
affaire, et il reste bouche-bée, il reste
bouche bée. Puis à partir de ce moment-
là, c’est vrai c’était la dernière
année de mon secondaire. Mais j’ai tellement
gagné du respect avec ce bonhomme, tellement
que longtemps ça fait trois, quatre ans,
il est venu ici au Canada, il avait une mission
spéciale de je ne sais pas quoi avec…du
Rwanda. Il m’a appelé. Puis moi, je n’ai
pas plus…, pour moi c’était le gars qui
ne me prenait pas au sérieux, qui ne me donnait
pas ma considération. Puis là on était
là, on était en train de parler au téléphone.
Puis là, je vais le voir, on est entre hommes,
on prend une bière cette fois-là. Il me
dit : « Est-ce que tu te rappelles ce que
tu avais fait en classe pour telle affaire,
telle affaire? » Ok. Moi je suis resté
dans mon coin, moi le bonhomme qui ne me considérais
pas. Oui, c’est vrai que ce jour- là, il
m’a lancé des fleurs. Mais voir que vingt
ans quasiment après… Ok, oui il voulait
peut-être du monde qu’il connaissait en
Afrique qui voulait enfin se retrouver à
Montréal. Ce qui est normal mais qu’il
me sorte l’anecdote, ok, en tout cas…
>> A.M.: Ça l’avait marqué.
>> J.R.: Ouais. Puis ça m’a marqué aussi
mais moi c’est juste qu'après bon… Sur
le champ, je me sentais fier parce que je
me disais, je peux prendre cette affaire-là…,
complètement absurde. Puis quand on le met,
parce que c’est ça, que j’ai toujours
détesté des mathématiques. Je trouvais
que c’était complètement absurde. Mais
de voir que c’est complètement absurde,
j’avais trouvé une façon afin d'un problème
réel que j’avais pu transposer là-dedans.
Puis non, c’était bien, anyways…
>> A.M.: En parlant des mathématiques, est-ce
qu’il y avait une matière en particulier
que t’aimais à l’école ?
>> J.R.: C’est complètement complexe mon
affaire. Les mathématiques, il y a ce côté
absurde que je n’ai jamais aimé. Qui fait
que même avec mes cours d’économie quand
c’était le moment de faire les probabilités…
Parce que, je trouve que, garde : « Pourquoi
tu me demandes de calculer de la probabilité.
Ok c’est probable, ça peut arriver mais
ça finit là. Pourquoi tu me demandes ?
Si ça arrive, ça va arriver ». Je ne sais
pas, ce côté-là qui peut… Mais au-delà
de ça, j’ai beaucoup toujours, toujours
aimé la géographie et la biologie. Ça c’était
mes cours préférés, ça n’a rien à voir
; un côté tu es quasiment proche des lettres,
l’autre tu es dans la science. Mais au contraire,
ne me parle pas de chimie qui est très, très
proche de la biologie. En tout cas, absurde,
le suis-je? Peut-être, mais là, garde…
>> A.M.: Si on parle de ta vie sociale, de
ta vie professionnelle. C’était quoi ton
premier emploi lorsque t’étais plus jeune
? Est-ce que c’était ici au Canada ou c’était
quand même en Afrique, ton premier emploi
?
>> J.R.: En Afrique, ma première job qui
m’a payé… J’étais allé travailler
dans les plantations où est-ce que mon père
était le patron. Puis on ramassait le café,
mais ça n’a pas duré longtemps. Ça n’a
pas fonctionné, je n’étais pas capable.
C’est des envies d’enfant mais c’était
dur. Puis après ça, j’ai travaillé un
peu au Burundi. Je faisais des préparations
comptables pour les entreprises avant qu’ils
rencontrent leurs vrais comptables ou les
impôts et tout ça, ou les banques. Je faisais
le travail de faire les livres, le grand livre,
le journal. Préparer les états financiers
mais sur une base vraiment sommaire pour les
commerçants ; eux ne savent pas le mettre
sous forme comptable. Donc, s’ils doivent
rencontrer un financier ou les gens des impôts
et tout ça ou même le comptable qui va signer
leur livre en bout de ligne là. Parce que
je ne pourrais jamais oublier. Parce que le
premier que j’ai fait c’était dans une
compagnie quand même assez bien constituée.
On faisait des inventaires et puis le transposer
sur le côté comptable. Donc, l’écrire
pour créer une gestion de stocks. Puis après
ça, quand je parle vraiment des livres comptables…
je rentre, c’était un Pakistanais, il avait
sa business là. Parmi les plus riches, les
plus nantis au Burundi. Là, j’arrive c’était
deux grosses boîtes de savons avec plein
de papiers écrits dedans. Là, j’arrive,
c’est quoi la job, c’est ça. Quoi ça
? C’est ça : Fanya [faire] comptabilité.
Il parlait swahili un peu, fanya comptabilité
[il faut faire la comptabilité]. Je dis : « Mais
ça…» « C’est mes factures pour acheter…
Ça c’est les factures louées de ce que
j’ai acheté. Ça, c’est ce que j’ai
vendu » [dit le commerçant]. « Est-ce
que tu as des livres ? » [je lui demande].
« Hé c’est quoi ton travail toi ? » [dit-il]
Ok. C’était très particulier là, je rentre
dedans, profil bas, c’est moi qui ai la
job ; je fais l’argent. Fait que je passe
la journée là-dedans et tout. Je fais semblant
j’écris des choses mais franchement pas
grand- chose parce que je ne comprends pas
où est-ce que je m’en vais avec ça. Deuxième
journée là, je remplis d’autres feuilles.
Là, il passe, ça avance bien, là, je dis.
[Soupir puis lève le pouce]. Là, à la fin
de la deuxième journée, je dis : ah Jacques !
Là, je dis… by the way, parce que ça,
c’est quand même des principes comptables
quand ils sont là. Il y a toujours un bilan…,
le banquier, il y a toujours un bilan pour
les impôts. C’est dans le jargon. Là,
je dis parfait. J’aimerais savoir l’année
passée, c’était quoi à peu près tes
livres ? Est-ce que t’arrivais avec la perte
ou le gain ? Puis côté finances, ministère
des finances donc les impôts c’était quoi
? Puis la banque c’était quoi ? Est-ce
que t’as des livres de ça des années passées
? Là, il dit oui bien sûr! Il m’a sorti
ça. Fait que parfait… Oui, je n’ai pas
copié mais ça m’as mis sur le train puis
il m’avait engagé, il me disait t’as
trois semaines pour faire ça. Une semaine
et deux jours même pas, j’avais fini, tight!
Puis j’ai dit pour la banque, ça va être
ça. Pour les impôts ça va être ça. Puis,
il regardait c’était même mieux. Puis
à la fin, vers la fin : « Est-ce que tu
veux que par rapport à l’année passée
tu sois un peu plus ou un peu moins ? C’est
quoi ta stratégie actuellement ? Ah, ah,
ok, ok. Parfait. C’est ça que tu veux,
parfait. » J’ai ajusté parfait. Les documents
aussi ça va être ça. Ça, c’était ma,
une de mes premières job puis c’était
le plus fun. C’est ça que j’avais envie
de faire mais en arrivant ici, j’étais
désillusionné. Je pensais que je pourrais
me lancer là-dedans, me trouver une job ici
et là. Mais rien n’est reconnu. Tu es à
l’école mais tu dois reprendre jusqu’en
première année, garde.… Je suis arrivé
ici, je finissais mes stages à une banque
à Bujumbura. Écoutes dans les six mois qui
allaient suivre, je passais comme un agent
de crédit dans une banque ou de commerce
extérieur automatiquement. Pas un employé
de caisse, non, un cadre automatique. Mais
t’arrives ici, zéro. Ok, mais ça fait
partie. On l’a gagné la guerre.
>> A.M.: Il n’est jamais trop tard pour
gagner la guerre. J’aimerais savoir à quel
âge, t’as quitté la famille ? Lorsque
t’es arrivé ici au Canada en quatre-vingt-quatorze
[1994], est-ce que vous êtes arrivés ici
avec la famille ou vous étiez seul ?
>> J.R.: Non, on est arrivé en même temps.
>> A.M.: En même temps.
>> J.R.: Ouais c’est très spécial. On
a gagné le jackpot quand même. On a été
très, très chanceux là-dessus parce qu’on
est arrivé. J’avais deux… j’avais mon
frère, ma sœur qui étaient déjà ici.
Puis mon autre frère qui est en Afrique donc
celui qui était au Rwanda qui était resté
en Afrique. Mais le reste : mon père, ma
mère, mes deux frères, ma petite sœur Stella,
on est venu one shot. Ma grand-mère aussi.
Ouais, c’était bien.
>> A.M.: Lorsque tu disais que t’as eu des
moments difficiles, t’as un appartement
et tout ça. À quel moment t’as quitté
ta famille pour habiter seul ?
>> J.R.: Ah, ça date de très longtemps.
Parce que moi pour moi, depuis que j’ai
commencé mon école secondaire à treize-quatorze
ans, ok j’allais chez nous en vacances,
mais j’ai toujours vécu à l’internat.
À l’université, j’étais chez moi puis
même quand je suis venu au Canada j’étais
en appartement.
>> A.M.: Puis quand t’es arrivé à Montréal
t’as rencontré la communauté rwandaise.
T’as rencontré d’autres… multiculturelles
j’imagine. Est-ce que dans la communauté
rwandaise, y a eu de l’entraide ? Il y a
des gens qui t’ont aidé dans l’intégration
? Comment ça s’est passé avec la communauté
rwandaise ?
>> J.R.: Bien. Je ne sais pas, c’est tellement
complexe hein. Les gens sont là, puis tu
es bien avec eux. Je me suis impliqué très,
très vite dans notre communauté. Aussi bien
avec les grandes personnes qu’avec les jeunes.
Je sentais que j’avais ma place. Pour m’intégrer
dans la communauté. Mon Dieu je dirais A
plus [A+]. Parce que ça s’est très bien
fait. Mais dans la communauté, lorsqu’on
parle de communauté est-ce qu’on parle
de communauté de façon globale au Québec,
dans la vie en général au Québec ? Est-ce
que c’était ça ta question ou c’était
vraiment communauté entre communauté.
>> A.M.: La question c’était entre la communauté
rwandaise.
>> J.R.: … [signe de la main].
>> A.M.: Ça s’est super bien passé dans
le fond.
>> J.R.: Vraiment.
>> A.M.: Et dans la communauté d’accueil
au Québec ? C’était un peu difficile tu
as dit…
>> J.R.: C’est difficile. C’est parce
que…, quand même les structures sont bonnes.
Ok. Mais encore faut-il savoir les bonnes
voies. Ça, je pense que ça laisse à désirer.
Les programmes sont faits mais ils sont faits
pour que ça aille avec l’objectif qu’ils
ont avec l’immigration. Mais est-ce que
le programme est fait sur mesure pour l’immigration
? Non. Je ne sais pas si vous me saisissez.
Ça, c’est vraiment quelque chose qui est
très, très difficile parce que oui, et c’est
vrai, c’est tout à fait normal que les
immigrants viennent puis qu’on se fonde
dans le moule. Oui. Mais tu peux avoir un
programme qui est adapté à ton immigrant
qui arrive qui peut faire qu’il fite mieux
dans ce moule-là. Parce que s’il n’arrive
pas à avancer comme il le voit, s’il n’arrive
pas à se faire considérer à sa juste valeur.
S’il n’arrive pas à se réaliser soi-même.
Ce n’est pas vrai qu’il va fiter dans
le fameux moule que tu lui avais destiné,
c’est là, la petite différence que je
vois. Et c’est encore pire quand on parle…
Moi, je n’ai pas d’enfants, mais… puis
je ne suis pas si mal quand même. Je me débrouille
bien puis je ne suis pas, je suis le dernier
des frustrés en tout cas.
>> A.M.: [rires]
>> J.R.: Mais c’est juste pour dire quand
ça va mal. Quand cette intégration-là n’est
pas faite, quand tu ne te réalises pas, quand
tu ne sens pas que tu avances et tout ça,
ça se répercute un peu sur la famille. Ça
crée des familles "explosées". Ça prend
des familles qui doivent faire peut-être
deux jobs pour arriver, donc ça veut dire
automatiquement des enfants qui ne sont pas
suivis. Donc ça veut dire des enfants qui
sont laissés à eux-mêmes. Puis Dieu seul
sait, ces enfants-là, ils deviennent quoi
? Parce que comme j’aime bien le dire, il
n’y a jamais un vide. Dans mon livre à
moi, il n’y a pas, il n’y a jamais un
vide. Le vide, il se comble automatiquement.
Je ne sais pas comment je pourrais le dire
en chimère là mais garde : un vide se comble,
il se comble de quelque chose mais il se comble
tout le temps, tout le temps, tout le temps.
Et c’est ça qui est un peu difficile, c’est
ça qui est un peu plate, ça affecte des
vies, ça affecte des gens. Moi je trouve
que s’il y avait un peu plus d’écoute,
de sentir exactement où la personne s’en
va, ça pourrait être bien. Je m’en rappelle,
parlant de ça, je parlais avec mon frère,
il est arrivé au Canada un peu plus avant.
Déjà dans son secondaire, il était ici.
Puis on les avait rencontrés pour faire…
1 :40 :01
>> J.R.: Tu sais quand tu finis ton secondaire
cinq. Qu’est-ce que tu veux ? Dans quoi
tu veux aller ? Tu sais, il y a comme trois-quatre
conseillers pédagogiques qui sont là, puis
tu passes là puis l’autre puis l’autre.
Il [le frère] est là, il a de bonnes notes,
il parle de ce qu’il envisagerait faire.
De ce qu’il aimerait faire. Il passe les
quatre et en bout de ligne on lui dit : « Non
va faire un petit cégep technique, un cégep
technique, un cégep technique ». « Pourquoi
? Est-ce que je n’ai pas les notes pour
ce que j’ai envie de faire ? » On lui
dit : « Mais oui, mais si tu fais ça là,
c’est long puis l’université… » Puis
à la fin c’est non, ce n’est pas ça
hein. « T’es mieux, tu fais ça puis tout
de suite, tu es sur le marché du travail.
Puis tu fais ton argent, c’est ça qui est
bien pour toi ». Là, à un certain moment,
je m’en rappelle, il nous racontait ça
: « Pourquoi tu dois me considérer comme
je dois avoir l’argent plus vite ? Pourquoi
? Pourquoi tu dois me prendre avec cette idée-là,
tu es pauvre ? ». Non et c’est ça, ça
tue les rêves des gens. Et puis je trouve
que ça ne fite pas dans cette orientation
là qu’on veut, d’avoir la crème. D’avoir
les bonnes personnes et puis le potentiel
est là. Puis c’est sûr et certain que
ça ne dépend pas du système. Parce qu’on
peut avoir nos ratés, on peut être mal organisé…
Je vous ai parlé de mon affaire, je le mets
complètement sur moi, je ne parle pas du
système. J’aurais dû trouver des moyens
de passer à travers. That is it, ça finit
là.
>> A.M.: Donc si je comprends bien, lorsque
tu es arrivé au Québec, Canada, il y avait
des membres de la famille qui était déjà
ici. Donc vous avez déjà entendu parler
du Québec donc c’est comme naturel d’immigrer
au Québec.
>> J.R.: Oui.
>> A.M.: C’est quoi ton premier choc, lorsque
tu es arrivé au Canada? En temps qu’africain?
>> J.R.: Bienvenue.
>> A.M.: Le mot « bienvenue »?
>> J.R.: Ouais. Je vais au dépanneur, parce
que j’habitais chez ma tante quand je suis
arrivé à NDG (Notre- Dame de Grace). À
chaque fois, on arrive à côté du bureau
d’immigration. On dit ah, poli, le garçon !
On me dit des choses, je vous remercie. Ah
bienvenue. Bienvenue… Ah c’est vrai, eux
ils sont de l’immigration c’est normal.
Ils savent que je viens d’arriver. Donc,
qu’ils me souhaitent la bienvenue c’est
normal. Alors là après, je suis dans le
coin, quartier, je fais le tour, je marche,
je vais acheter un truc, je m’en rappelle
plus ce que c’était, je crois c’est du
chocolat ou du coca ; c’est quelque chose
que je trouvais quand même à la portée.
C’est comme là, dans la petite boutique
où est-ce qu’on trouve des arachides puis
des bonbons séchés depuis quatre ans en
Afrique. Là, c’est le choc. Anyways. Premier
choc bien sûr. Ah, je vais acheter un coca,
une pièce. Là, je fais : attends, minute !
Là, je fais le calcul. Là, j’échange
dans le franc burundais, trois cent francs
à l’époque. Là, je dis ok mais là, ça
ne fonctionne pas ton affaire parce que le
coca là-bas c’était trente francs. Donc,
là je vais te payer pour dix cocas, toi tu
m’en donnes un ? Ok, ce n’est pas grave,
j’en ai… en tout cas. Il me sert, Chinois
du coin. Pour moi, je pensais que c’était
spécial, je n’en avais pas encore vu d’autres.
Pas des Chinois, des dépanneurs. Fait que
j’ai dit merci ; Bienvenue [répond-t-il]!
Là là, je sors de là mais je suis en [fais
un trait de la main]… J’arrive, je n’étais
pas loin de la maison. Tu sais un dimanche,
je m’en rappelle. Là, j’arrive là, est-ce
que vous pouvez m’expliquer quelque chose ?
Là, tout le monde était là c’était vraiment
le matin du dimanche, on s’asseyait là
avec mes cousines, mon frère et tout ça
là. On prenait du thé, tout le monde était
en pyjama ou en jogging quelque chose de relax,
puis on placotait. Là, c’était vraiment
là l’excellente audience que je pouvais
avoir. Tout le monde est là, relax. Mais
« est-ce que vous pouvez m’expliquer quelque
chose ? » Mais là tout le monde était
comme « mais qu’est-ce qu’il y a? Pourquoi
t’es fâché? » Non non non ! Faites
pas semblant les amis. C’est parce que c’est
la deuxième fois, non c’est la troisième
fois. J’ai même essayé de changer, j’ai
même mis les habits de mon frère pour voir
si c’était vrai. Mais à chaque fois et
puis là là ça va faire vous allez m’expliquer :
Il me dit tout le temps bienvenue. Est-ce
que c’était nécessaire d’expliquer à
tout le monde dans le coin que je viens d’arriver?
Pouvez-vous me dire l’objectif? Là, tu
vois [grimaces]… Mais de quoi tu parles?
Je dis non, c’est la troisième fois, j’ai
même changé. J’ai même mis les habits
de lui là, lui là [pointe du doigt], peut-être
c’est lui qui l’a dit. Oui puis. Mais
il me dit tout le temps bienvenue ! Pourquoi ?
Là, je vous le jure, le thé de ce dimanche-là
était bon. Ah…
A.M et >> A.M.: [Rires]
>> J.R.: Pour tout simplement dire que :
oui il y avait la langue.
>> A.M.: La langue.
>> J.R.: Oui.
>> A.M.: Les saisons?
>> J.R.: Pardon?
>> A.M.: Les saisons?
>> J.R.: Non pas plus que ça. Parce que je
suis arrivé l’été aussi. Ça peut paraitre
bizarre mais je ne sais pas. Je ne sais pas
comment le dire. Même qu’en général,
on va dire que les Africains sentent beaucoup
plus. Je suis arrivé ici fin juin. Mais la
première fois que je suis rentré dans le
métro, c’était le jour. C’était comme
midi, treize heures comme ça là. J’ai
senti une odeur d’humain qui était foule
bizarre. J’ai dit tabarnouche ça sent quoi
ça ? Mais c’est parce que c’est l’odeur
que tu n’es pas habituée. Même si l’autre…
Parce qu’après un temps tu compares, peut-être
ça passe ça. Mais comme c’était nouveau,
j’étais comme… ça sent mauvais ce monde-là.
>> A.M.: [rires]
>> J.R.: Mais une fois dedans, tu ne sens
plus rien avec les ventilateurs et tout ça.
Mais en rentrant dans le wagon… Le wagon,
il ouvre comme ça puis… Anyways.
Est-ce qu’y a d’autres chocs ? Mais le
pire de tout ça, mon choc… J’aime bien
découvrir les coins à [par ?] moi-même,
moi-même en y allant tout seul. Alors en
arrivant, mon frère m’avait acheté une
carte d’autobus. Il savait mes petites habitudes
comme ça. Deuxième jour, il me la donne.
Troisième jour, je commence à faire mes
petits… je dis ok ça c’est la direction
que je vais prendre. Il m’avait expliqué
un peu comment ça fonctionnait la direction.
Je pense que c’est dans la première semaine,
ça ne faisait pas 7 jours que j’étais
là. Je dis, mon premier spot ça va être
Berri. Je trouvais pas mal central. Je vais
à Berri, je descends. Je sors dehors, je
regarde tout, puis je dis ah, je tombe sur
Sainte-Catherine. Je regarde comme ça, je
vois le pont Jacques Cartier. Je dis ça là,
pour un début c’est excellent. C’est
une bonne référence, je vais aller devant
moi regardant le pont. Si je me retourne en
arrière, je me retourne en arrière de moi,
je reviens vers le métro et c’est beau.
Direction Est… J’ai mon petit sac à dos.
Je marche c’est l’été. Là j’arrive,
je vois des vestes en cuir. Là, je suis rentré
dans quelques boutiques avant je sais plus…
mais là je parle. Là, je vois des vestes
en cuir, je dis yes! C’est très rare les
vestes en cuir en Afrique. Puis, gardes c’était
prisé. Tu l’as c’est comme wow. Les gens
qui l’avaient, je ne sais pas, il y avait
comme deux ou trois. Maintenant il y en a
beaucoup, j’ai vu l’été passé quand
j’étais là. Mais à l’époque c’était
très rare les gens qui avaient une veste
de cuir. Là je dis wow. Je rentre là-dedans.
Complètement absorbé par la veste en cuir.
Là, il y a un monsieur qui me dit : « Ah,
monsieur, votre sac, il faut le laisser au
comptoir. » Là parfait, là je le dépose,
je me retourne puis il dit : « Non un instant,
je vais vous donner un numéro. » Ok parfait,
je prends le numéro, merci ; Bienvenue !
Ah, lui aussi ?
A.M et >> A.M.: [rires]
>> J.R.: Là, je regarde les vestes. Wow,
c’est bien. Là, c’est l’été, ce serait
bien peut-être une veste coupée comme ça.
J’en essaye un, tu sais comme coupé comme
en petite veste là. Avec les manches coupées
ici. Ok. Là, j’en vois d’autres, il y
a l’escalier qui descend. On va voir qu’est-ce
qu’il y a davantage. Là, je rentre en bas
mais à un certain moment, je vois c’est
comme des cassettes mais c’est du nu. Je
dis : ah, y a même des films de [grimaces].
Là, je m’approche, là je me dis : c’est
très bizarre, j’en ai pas vu des milliers
là mais en général, c’est plus les filles
qu’on montre. Comment ça se fait les garçons
partout.
>> A.M.: Oh !
>> J.R.: Là, je dis c’est très bizarre.
Là, je vois des pochettes, c’est beaucoup
plus osé, je vois c’est garçons et là
je dis oh ! C’est quoi ça ! On m’en a
déjà parlé que ça existe mais pas… Là,
je lève mes yeux, je regarde dans toute la
boutique là, je vois que des hommes. Là,
je fais comme ah, je pense que je suis à
la mauvaise place. « Chek » Jacques remonter
l’escalier machin… Coup d’épaule tasse
toi. J’arrive : « Monsieur, je peux avoir
mon sac ?» Il dit : « Votre numéro »,
je dis : « Monsieur mon sac, il est noir,
il est là, tu me donnes mon sac.» « Ton
numéro. » « Je ne sais plus où est-ce
qu’il est, tu me donnes mon sac et je sors
d’ici.» « Mais ce n’est pas… »
« Monsieur mon sac s’il vous plaît ou
bien tu le gardes parce que moi je m’en
vais. » Là, il était vide mon sac quasiment.
Là je prends, il me donne. Là, il était
: « Ah c’est quoi ça!» Je sors là,
j’arrive sur la rue Sainte-Catherine dehors,
là je traverse la rue sans penser. [Imite
le klaxon] Je m’en vais de l’autre côté-là,
je regarde c’est quoi ça ? C’était ça
mon choc.
>> A.M.: Bienvenue !
>> A.M.: [rires]
>> J.R.: Oui.
>> A.M.: Méchant bienvenue !
>> J.R.: Mais après le temps, mon dieu, on
banalise. Ça fait partie de la vie. J’ai
un de mes bons chums du travail, il est gay.
Par moment, il m’invite, on va dans son
quartier gay. On va, on prend une bière,
regardes… personne je me touche, je ne touche
à personne. C’est son environnement, je
le respecte tel qu’il est, puis voilà.
On prend une bière puis quand je pense à
un couple d’années comment j’étais sorti
de là en courant… bien voilà. Mais ça
fait partie et puis ça fait partie de l’intégration,
en voilà.
A.F et >> J.R.: [rires]
>> A.M.: À part le mot bienvenue, est-ce
que tu te sens bienvenue au Québec ? Des
gens amical, amicaux ?
>> J.R.: Oui ça c’est quelque chose de
particulier. Quand même au Québec les gens
sont très accueillants. Et ouais.
>> A.M.: Vous avez essayé de travailler,
d’aller à l’école malgré… J’imagine
que vous n’avez pas trouvé évident concilier
travail et études ?
>> J.R.: Pas du tout facile, parce que c’est
un autre rythme… Dans le fond, arrivé ici,
j’aime, c’est bien parce que ça te permet
de rentrer dans le beat de la société ici.
Mine de rien, je trouve qu’en Afrique, c’est
pas mal trop encadré. Quand tu es aux études,
tu es aux études puis c’est ça. Si tu
peux avoir des moyens de le payer ou la famille
ou une bourse ou n’importe quoi. Mais quand
tu n’en a pas, tu n’en a pas. Mais ici
il y a tellement de possibilités. Comme j’aime
bien le dire, la société occidentale, la
société ici, il y a quelque chose de génial
qui a… C’est le choix. Mais en même temps,
c’est la chose la plus terrible. Donc, ouais
voilà.
>> A.M.: Vous êtes arrivé ici en 94, vous
aviez quel âge ?
>> J.R.: Je venais d’avoir vingt-trois,
j’allais sur mes vingt-quatre. Non, qu’est-ce
que je raconte non, vingt-sept [hoche de la
tête].
>> A.M.: La maturité vous l’aviez.
>> J.R.: Oui, j’avais terminé mon université,
je te dis.
>> A.M.: À part l’implication, le travail,
l’école et tout ça, est-ce que vous êtes
intégré dans les groupes ? Soit groupe sportif
dans votre communauté ?
>> J.R.: Oh ! Beaucoup, beaucoup, beaucoup !
Je suis un gars de communauté complètement.
J’ai été à tous les conseils d’administration
des organisations de Rwandais que quasiment…,
que j’ai fréquentées aussi bien pour la
communauté rwandaise. Même que j’ai siégé
au niveau de ce qu’on appelle la table de
concertation pour les immigrants qui est complètement
global, en dehors de la communauté. Mais
j’ai siégé en tant que représentant de
la communauté en quelque part puis oui j’ai
même été à un certain moment… On avait
eu des subventions du gouvernement, on avait
décidé de s’ouvrir un bureau sur une base
permanente de la communauté rwandaise. J’y
ai travaillé pendant six mois successifs.
Donc de l’implication, au niveau de ma communauté,
ça c’est… garde ; si je commence à
en parler, on n’est pas couché là ! Si
tôt, j’ai été impliqué au niveau de
l’organisation, de notre équipe de soccer.
J’ai été au comité comme trésorier,
organisateur de ci de ça. Au niveau culturel,
on n’en parle pas. J’ai été parmi les
membres fondateurs de l’Isangano. Un des
leadeurs qui a vraiment parti la machine,
puis la mettre sur la map comme tel. Puis,
je suis impliqué beaucoup avec tout ce qui
touche aussi le génocide au niveau de la
commémoration, au niveau de la lutte contre
l’injustice, l’impunité. Il faut garder
la mémoire c’est très important. Il faut
lutter contre le négationnisme quand on a
le choix. Il y a quelque chose par exemple,
je ne sais pas, vous êtes jeunes, et puis
je pourrais peut-être vous demander un moment
qu’on travaille là-dessus. Il y a un petit
monument que la ville de Montréal a érigé
en mémoire du génocide. Mais c’est tellement
spécial parce qu’il parle de génocide
des tutsi et des hutu. Et puis, ça je trouve
au niveau de la ville de Montréal, il n’y
a pas de formule de négationnisme qui dépasse
ça parce que… écoute non ! Ça ne se
mélange pas. C’est une négation en quelque
sorte parce que tu te dis garde, finalement
si tu le dis comme ça, on doit… Il n’y
en a pas eu dans le fond, C’était comme
un petit match de ping-pong puis tout le monde
s’est lancé la balle. C’est ça ? Non.
Écoute, tu as huit cent mille personnes qui
disparaissent sur une période de cent jours.
Ça l’air de rien ? Ça l’air de statistiques
peut-être mais pour nous c’est des vies
humaines. Puis c’est quand même lourd.
Donc, c’est ça au niveau de mon implication
communautaire, mon Dieu… oui je suis dans…,
puis disons que ce n’était pas très très
demandant pour moi. Comme je vous l’ai dit,
qu’est-ce que j’aime, c’est les gens.
Alors [lève les épaules].
>> A.M.: Lorsqu’on parle un petit peu de
négationnisme de choses comme ça. Qu’est-ce
que vous pensez des films qui ont été faits
par des extérieurs qui ont fait des films
sur le Rwanda. Par exemple…
>> J.R.: Les films vous savez, c’est tellement
spécial hein. Il y en a un qui m’a plu.
Et selon les développements qui en sont faits,
qui m’a aussi le plus déplu. C’est comme
Hôtel Rwanda. Quand j’ai regardé le film
la première fois, j’étais vraiment très
content. J’aimais bien l’œuvre. Mais…,
ce que je trouvais bien là-dedans aussi,
c’est que c’est une version romancée
quand même. Mais que certaines personnes
essayent de transformer ça en vérité…
Ça c’est le genre de forme de négationnisme
en fait qui est terrible. Parce que tu viens
de trafiquer le fond de l’histoire, tu viens
de trafiquer le fond même de l’idée en
arrière. Il ne faut pas, il ne faut pas essayer
d’en mettre. Ce n’est pas parce que tu
t’appelles Rusesabagina, qu’on dit que
c’est toi le héros de l’histoire. C’est
le héros de l’histoire mais ce n’est
pas un documentaire. Donc tu n’en fais pas
ton histoire. Tu n’essayes pas de t’en
approprier. C’est une version romancée.
Donc c’est ça qui peut-être énervant.
Mais il y en a d’autres films. Bon, il y
en a qui ont été filmés comme J’ai serré
la main du diable. Mon dieu, c’est très
intéressant. Parce que un, c’est le partage
par excellence qu’on peut faire sur l’histoire
du génocide, et ce que les gens ont subi.
Parce que quand tu vois, comment quelqu’un
qui n’en était pas victime, en sort tellement
amoché. Tu es là, tu te dis comment était…,
est-ce donc la vraie victime ? C’est un
enseignement extraordinaire. Puis je ne sais
pas. Parce que moi j’ai eu l’occasion
de le voir puis de le revoir. Puis des fois,
tu le regardes avec des gens, mais ils ratent
la portion importante que moi je trouve dans
ce film-là. Si tu rates la portion où tu
vois qu’il est en consultation chez le psychologue,
tu as raté le 80% du film. Parce que c’est
là, la clé. Et, voilà.
2 :01 :57
>> A.M.: Est-ce que tu penses que la communauté,
ici quand même à Montréal, ils ont la même
façon de voir ça ?
>> J.R.:… Écoute, ce serait très dur de
faire une interprétation là-dessus. Parce
que voyez-vous, quand je compare notre histoire
à celle par exemple des juifs, c’est que
notre histoire, c’est comme un serpent avec
beaucoup de bouts de têtes et n’est pas
très très linéaire. Je commencerai par
moi. Est-ce que je suis un rescapé du génocide
? Grosse question. Oui, je me considère ainsi.
Mais il se fait qu'en avril quatre-vingt-quatorze
[1994] jusqu’en juillet, je n’étais pas
au Rwanda. Et c’est très, très important
ce que je vais dire là, parce que malgré
que ça m’a marqué et de très, très fort.
Et puis chacun peut seulement exprimer son
chagrin, son sentiment là-dessus. Mais au-delà
de ça, je suis fortement convaincu d’une
chose : si j’y avais été dans ces trois
mois-là, ou bien si toute ma belle-famille
que je vous ai racontée étaient là à ce
moment-là et que la moitié de ceux-là ou
tous qui étaient passés, est-ce que je serais
le Jacques qui est là devant vous aujourd’hui?
Je ne pourrais vous dire. Et c’est pour
cela que jamais de la vie, je n’aimerais
vraiment de me comparer avec les gens qui
étaient là. Ça se passe de commentaires.
Il peut le vivre comme il veut. Il peut en
témoigner comme il veut. Il peut le taire
comme il veut. Il peut le fuir comme il le
veut. Il peut l’ignorer comme il le veut.
Il peut le chasser de ses idées, de ses pensées,
ses discussions comme il le veut. Il le prendra
comme il veut et je le prends en entier tel
qu’il me le présente. Parce que c’est
lui qui doit en guérir. J’essaye de me
guérir de ça alors que j’étais quand
même à quasiment douze mille kilomètres
de là. Alors pour la personne qui était
dedans, il faut vraiment respecter ça. Il
faut et voilà.
>> A.M.: Pour toi, qu’est-ce que ça veut
dire le mot rescapé? Qui est rescapé?
>> J.R.: C’est tellement complexe parce
que la seule chose qui est aussi importante
à regarder, c’est de dire ok: si tu avais
était là, Jacques, qu’est-ce qui allait
se passer? Je suis sûr, je passerais dans
le huit cent mille ou alors j’allais me
montrer débrouillard et m’en sauver. Par
hasard, parce que je ne pense pas qu’il
y a du génie dans se sauver de ce génocide.
J’ai écouté beaucoup de témoignages,
franchement tous les gens qui en parlent puis
qui ont pu s’en sauver, s’extirper…
je ne sais pas comment on peut qualifier ça
; se cacher de ses tueurs et tout ça là.
Ça ne relève quasiment de la magie. Mais
quand j’y pense quand je regarde ce qu’ils
ont fait à mes oncles, à mes tantes, à
ma grand-mère, à mes cousins, à mes cousines.
Certains même en bas âge, deux, trois ans.
Moi le bonhomme à vingt-six ans, qu’est-ce
qu’ils allaient faire de moi ? Non, je ne
pense pas que ça peut être considéré autrement.
Et puis au-delà de ça, c’est que
quatre-vingt-quatorze [1994] se trouve à
être le paroxysme de ce phénomène-là.
Mais si on remonte aux années cinquante [1950],
soixante [1960], c’était déjà du génocide
; mille-neuf-cent-soixante-trois ça l’était,
soixante-treize [1973] ça l’était ; mille-
neuf cent-quatre-vingt-douze avec les Bagogwe,
ça l’était. Les gens, toutes ces années-là,
toutes ses épisodes-là, ils ont jamais été
tués, exécutés, massacrés pour quelconque
autre raison, pour quelconque autre allégeance
que juste parce qu’ils sont nés Tutsi.
Écoute, j’en suis une victime.
>> A.M.: Et en tant que survivant, qu’est-ce
qu’on peut faire pour ne plus jamais encore…
? Comment on peut-faire autour de nous pour
éviter que ça se reproduise ailleurs ou
même…?
>> J.R.: Très complexe, ma chère. J’aimerais
bien trouver cette…
>> A.M.: D’après vous-même, qu’est-ce
qui pourra aider ?
>> J.R.: Écoute, il y a tellement de choses,
de possibles. Il faut aimer et respecter autrui
d’abord. Ça commence par là. Il faut,
il faut ne pas envier. À chaque fois qu’on
parle de l’histoire du génocide et tout
ça, puis des massacres répétitifs au Rwanda,
je ne peux jamais me soustraire à l’idée
; de puis ça, c’est très fort. Je vais
vous donner une petite histoire. Je suis au
Burundi à l’université, puis à un certain
moment, il y avait des étudiants camerounais
qui venaient au Burundi.
>> A.M.: Quelle année à peu près?
>> J.R.: Ah ! Ça, c’est quatre-vingt-onze
[1991], quatre-vingt-dix [1990] ; par là.
Il y en a un parmi qui s’appelait Michael.
On était copains et tout ça ; et on avait
notre petite gang d’amis et tout ça. Essentiellement
des tutsi, on trainait ensemble. La plupart
des Rwandais d’ailleurs… Puis bon, moi,
je ne suis peut-être pas le joli mignon des
tutsi comme tel, mais je faisais partie de
la gang, tant mieux. Mais ce que je veux dire,
c’est que lui, il était là puis ok on
l’avait intégré petit à petit. Mais à
un certain moment, il s’insurge puis il
dit : « Mais je ne comprends pas. D’après
ce que je comprends, d’après ce que je
vois. Tel, Bosco, Jean-Marie, Tony, Jacky,
Jean-Paul, Alphonse, Jacques tout ça. Vous
passez pour les beaux garçons. Les filles
courent après. Je ne comprends pas. » On
était comme : qu’est-ce que tu ne comprends
pas ? Il dit : « Mais non, c’est parce
que je ne peux pas concevoir comment vous
pouvez, vos filles là peuvent trouver des
garçons, un petit nez, pas de mollets, pas
d’épaules solides, puis elles disent que
c’est beau, ces garçons ! C’est impensable,
c’est complètement absurde. » Ok et là,
tu reviens sur la réalité de notre histoire
culturelle des Rwandais, Burundais dans le
coin. Et c’est ça qui est particulier dans
une culture, les traits- ce qu’on qualifie
de beau- il l’est et l’est pour tous.
Ce n’est pas parce que tu es Hutu ou Tutsi
que tu vas dire, ça c’est beau pour Hutu
et ça c’est beau pour Tutsi. Parce que
mine de rien on fait partie de la même culture.
Ça c’est des sous-divisions qui vont arriver.
Mais pour ce qui est beau, ça l’est pour
tous les Rwandais, sur une base uniforme.
La bonne tenue comment on doit se…, ça,
ça l’est pour tout le monde. C’est valable
pour tout le monde. Alors, je trouve qu’il
y a quelque chose de fondamentalement mauvais,
bon. Non, ce n’est pas mauvais, c’est
un fait, c’est réel dans notre culture
qui fait que mine de rien avec le temps…
Il y a beaucoup de choses qu’on associe
aux Hutu qui ne font pas partie des belles
affaires. De la beauté, de la bonne tenue.
Ah, lui quand il parle là, c’est à tue-tête.
Il ne choisit pas ses mots. C’est quasiment
si tu qualifierais de barbare et tout ça.
Mais ce sont des notions qui restent complètement
culturelles. Et là, toutes ces mauvaises
choses, mine de rien vont coller plus aux
hutu. Fait qu’au-delà… Parce que ce n’est
pas économique, ce n’est pas d’argent.
C’est parce qu’il y a ces gens-là qui
mine de rien, même quand il est plus pauvre
que lui, il le trouve encore plus intéressant.
Parce que le Hutu qui s’est enrichi, il
voudra avoir une blonde Tutsi. Donc, ok voilà,
il vient de briser notre lignée. Si les hutu
auraient [avaient] pu penser avoir la même
attitude, avoir la même pensée que Michael.
Il n’allait pas envier les tutsi à ce point-là.
Parce que fondamentalement, le complexe d’infériorité
des hutu sur les tutsi reste la clé fondamentale
qui les a poussés tous confondus. Et là,
je vais mitiger mes propos là-dessus : à
tuer les hutu, à tuer les tutsi, je veux
dire. Mais ceci dit, ce n’est pas tous.
Ok, donc il ne faut pas globaliser. Parce
que je n’aime pas ça globaliser mais c’est
pour simplifier les choses. Mais pour les
gens qui bâtissaient le mouvement, les Interahamwe,
les politiciens qui étaient là qui sortaient
leurs slogans, leurs activités et tout ça,
ils jouaient sur ces petites choses. Et ça
embarquait des gens même qui n’étaient
pas tout simplement impliqués dans ce mouvement
plus que ça à faire le geste. Parce qu’on
te dit : garde ce n’est pas compliquer
si tu ne l’enlèves pas, tu pourras ne pas
respirer. Moi je trouve, c’est un peu dans
la logique, tu es dans un lac ou dans la piscine
puis tu t’enfonces. C’est quoi le premier
réflexe? On revient à la surface, faut qu’on
respire puis avec cette idée-là de qu’il
te dépasse tout le temps-là. Garde, tu le
tasses ça finit là. Puis ça doit passer
par la mort tant mieux. Je ne sais pas si
vous saisissez un peu mais je trouve que c’est
fondamental puis l’anecdote de Michael en
dit beaucoup.
>> A.M.: C’est profond ça. C’est profond.
Ça fait partie d’une motivation qui a été
amenée à quelque part.
>> J.R.: … C’est terrible parce que, mais
tu sais, il y avait des slogans pendant le
génocide. Ça sortait dans la RTLM (Radio-
Télévision Libre des Mille collines), on
l’écrivait partout dans leurs journaux.
Voyez-vous, il faut les finir tous même les
petits bébés parce que si on n’avait pas
laissé les petits bébés de cinquante-neuf
[1959], on n’allait pas avoir l’attaque
d’aujourd’hui. Ça en dit long. Vous avez
lu les dix commandements du Hutu ? « Ne
t’approche jamais de la femme Tutsi. »
À tel point ! Écoute, c’est ça. Moi
je trouve c’est fondamental mais ce complexe-là,
il est terrible. Il reste encore, il est toujours
vivant, il est toujours nourri et ça c’est
terrible.
2 :15 :09
>> A.M.: Donc d’une certaine façon, on
ne peut jamais dire plus jamais encore !
Parce que justement…
>> J.R.: Oh écoute, il faut le souhaiter,
il faut dire qu’on espère et on aspire
toujours à une humanité meilleure. Sans
verser dans la polémique puis de responsabilisation
de tout le monde et tout ça parce que garde…
Premièrement la responsabilité rwandaise
est rwando-rwandaise. Mais en même temps,
on est dans une logique mondiale de plus en
plus pour tout. Que ça soit pour l’économie,
la faim et la guerre. Avec la moindre implication
des puissances étrangères, ce qui s’est
passé au Rwanda n’allait pas se passer.
S’ils n’avaient pas laissé dans l’air…
et puis il n’en fallait pas plus que ça.
Non. Un peu, comme le faisait mon père, dissuasion
ça fait la job. Juste de dire : ok, si je
le fais, on m’a vu. Si je le fais quelqu’un
va m’accuser. Mais quand ça tombe dans
une logique de : non, on le fait. Tout le
monde est en train de le faire… La bêtise
devient facile hein. Mais oui si tu ne te
sens pas observé, si tu ne te sens pas visé,
il n’y a pas d’accusations possibles.
Ce n’est pas vrai que… Parce que c’est
très important de…, quand on regarde ce
qui s’est passé au Rwanda là, Il n’y
a pas eu de B-52 qui ont survolé le Rwanda
et puis de bombes atomiques puis des bombes
hydrogènes qui sont tombées au Rwanda. Il
y avait même pendant le génocide, ce n’est
pas les armes, les fusils puis les bombes
qui ont…, non! C’est vraiment à la machette
là. Des outils de travail, des houes, des
gourdins puis tout ça là. Ça veut dire…
garde, pour tuer huit cent mille personnes
en cent jours, il faut le faire. Même avec
les bombes, je ne sais pas comment tu le ferais,
ça prend vraiment beaucoup de gens qui font
ça. Et c’est là, malheureusement, qu’on
va utiliser les Hutu qui ont fait ce génocide-là.
Pas pour les incriminer tous parce qu’on
sait aussi bien qu’il y a des rescapés
qui vont nous parler puis qui vont te dire
combien… Écoute, moi j’ai vu ma tante,
l’année passée lorsque j’étais au Rwanda.
Oui, elle a fait beaucoup avec les enfants
qui restaient pour survivre. Mais en dernier
ressort, il y a un Hutu quand même qui les
a aidés à trouver le chemin pour aller jusqu’au
Burundi. Sans ça, peut-être elle ne serait
plus vivante. Donc, je ne peux pas les mettre
tous dans le même paquet. Mais pour ces affaires-là,
il y avait une grosse majorité impliquée
dedans. Pour les bonnes raisons ? Parce qu’ils
sont convaincus de ce qu’ils sont en train
de faire ? Pas nécessairement. Mais les
slogans, les manipulations, ceux qui étaient
forcés, ceux qui ont étés embarqués d’une
certaine façon puis voilà. Puis est-ce que
ça t’enlève d’être responsable d’enlever
la vie à quelqu’un? Non! Non! Et je trouve
que c’est très, très, très difficile.
Parce que c’est énormément difficile à
gérer. Il faut trouver des façons beaucoup
plus simples. Politiser pour dire ok c’était
ça les responsables. Mais effectivement,
c’est très difficile parce que même les
gens qu’ils pouvaient accuser, la plupart
ils ne sont plus là tout simplement, ils
sont morts. Donc c’est difficile. Comment
est-ce qu’on peut envisager un plus jamais ?
Écoute, ça fait depuis les années quarante
[1940] qu’on parle de plus jamais avec les
Juifs. Mais c’est peut-être parce qu’ils
ont trouvé le slogan que finalement ça a
passé au niveau de l’ONU. Puis le mot est
utilisé. Mais c’était aussi vrai, on pouvait,
on pouvait l’utiliser avec les Arméniens
aussi, vingt… trente ans avant. Ce sont
des choses qui sont terribles puis on parle
de ça puis au Rwanda… quand il y avait
le Rwanda, il y avait la Bosnie ; c’est
à trente minutes de la France, excuse- moi
là… Donc ça devient vraiment terrible.
Je pense que la race humaine est…, s’autodétruit
comme on dit. L’homme est un loup pour lui-même.
Est-ce que c’est ça qui doit réguler la
démographie au-delà de ça? Je ne sais pas.
C’est vrai que le Rwanda était surpeuplé
et l’est encore. Mais est-ce que ça méritait
qu’on aille chercher d’une shot un 10%?
Non, je pense que ça pourrait refroidir un
Canadien qui cherche absolument à avoir son
deux-cent-cinquante mille d’immigrants qui
rentrent à chaque année pour être sûr
de tenir le rythme. C’est l’absurdité
totale. Est-ce qu’on va arriver au plus
jamais? Oui dans l’humanité, dans le respect
de l’autrui, dans l’amour de l’autrui.
Dans le respect de l’autre parce que ces
gens-là qui étaient assis à New York puis
dans les grosses capitales, s’ils avaient
eu le moindre amour pour les gens du Rwanda,
de l’autrui, s’ils avaient eu le moindre
respect des gens du Rwanda, des Tutsi du Rwanda,
de l’autrui, ils pouvaient faire le petit
geste qui pouvait faire toute la différence.
C’est ça rentrer dans le plus jamais quoi.
Si ça devait se faire. Mais aussi… garde,
soit comme Michael : trouve ton mollet ou
ton gros nez beau, puis soit à l’aise avec
ça. Ok puis, il ne faut pas envier l’autre
juste pour l’envier pour des choses aussi
stupides. Des choses que tu peux même ne
pas changer quoi. Voilà.
>> A.M.: Qu’est-ce que vous aimeriez que
les autres communautés sachent sur votre
histoire, comprennent de votre histoire? Sur
l’histoire du Rwanda.
>> J.R.: Quand on a commencé à travailler
avec le groupe Isangano à Montréal, -bon,
tu sais très bien- c’est moi qui faisais
presque toutes les représentations à l’extérieur.
J’allais rencontrer plein de gens. J’avais
un slogan et puis on l’avait tous dans le
groupe. Je disais, on est venu, on est ici
au Canada. On est parti de plein de pays,
Rwandais oui, mais on est parti de beaucoup
de pays. On s’est rencontré, on a notre
point d’attache, ça devient Montréal.
On est dans une culture. On est dans une société
plutôt de multiculturalisme. Nous sommes
à…, nous sommes à un rendez-vous du donner
et du recevoir. C’est vrai peut-être on
ne vient pas avec la grosse affaire, mais
une fois que tu es là, là, contribue avec
ce que tu as. Oui, à cause de cette guerre,
tu cours partout, réfugié, tu es en train
de courir des brousses et tout ça. Mais il
y a cette affaire-là que j’appelle toujours
le petit bagage à main qu’on ne perds jamais
là. C’est ta culture. Ok, fait que tu l’apportes,
tu le partages avec ta société d’accueil.
Parce que la façon la plus singulière, c’est
la chose qui te distingue de n’importe qui
d’ailleurs sur cette terre. Alors, quand
tu le portes, tu le partages, tu le partages
en bien. Ça devient intéressant. Mais encore
mieux c’est que ça apporte quelque chose
de particulier. Je souhaitais plus qu’en
me rencontrant comme Rwandais: « Ah, tu
es Rwandais, ah, Tutsi, Hutu,… » Ok finalement
Tutsi… « Tu fais partie des victimes ou
des bourreaux? » Regarde, ok, j’aurais
bien souhaité que: « Ah, tu viens du Rwanda. »
Oh! Les gens qui ont les grands danseurs Intore
qui font des danses extraordinaires avec les
belles mesdames qui déploient leurs bras!
Tu sais quelque chose de positif! Voyons,
il y en a! Ok! On n’est pas que bourreaux
et victimes! On vient d’un pays, puis franchement…
Moi ça m’est déjà arrivé de confronter
des gens donc un peu trop, trop bornés à
l’idée de bourreaux et victimes. Je dis
mais écoutez, moi je suis arrivé ici en
quatre-vingt-quatorze [1994] là. Quand on
faisait les résultats du référendum de
quatre-vingt-quatorze [1994] [1995 ?], j’étais
au Centre-ville. Ok. On s’est retrouvé
là. On marchait sur Sainte-Catherine puis
là c’était vraiment une gang… toute
une méchante gang de gens qui venaient du
Palais des Congrès. Puis des gens qui venaient
du Métropolis. Puis là tu regardais comment
ils se regardaient en chiens [en ?] de faïence
là, tu te disais mais mondou! S’il n’y
avait pas le millier de policiers entre eux
là, j’aurais bien aimé savoir ce qui se
serait passé. C’est ça la race humaine!
Ok. Quand tu regardes…soixante-dix, c’est
de la race humaine. Fait que ne tombe pas
dans cette petite logique là de bourreaux
et de victimes. Si ce n’est pas bien organisé,
si c’est bien préparé, regarde ; la casse,
elle peut sortir de nulle part parce que si
pour une victoire de Canadiens on peut casser
une ville là [?]…. La race humaine, c’est
la race humaine. Ça prend des petites raisons
ou des grandes raisons des fois. Mais que
c’est…une organisation, une intervention
peut faire qu’on va pouvoir contrôler cet
élan de la bêtise humaine quand elle se
présente au bon moment. Voilà.
>> A.M.: Comment pensez-vous que la communauté
rwandaise peut raconter son histoire dans
des musées par exemple? Avec ce petit bagage-là
que chaque personne a…, petit bagage…
>> J.R.: C’est très difficile. C’est
très difficile. On parlait tantôt, on se
demandait comment les gens peuvent vivre le…,
tu sais les rescapés peuvent vivre ça. Regarde,
si les personnes décident de fuir ça, d’oublier
ça. Si c’est ça qui doit le sauver, ok.
Est-ce que les souvenirs vont disparaître
avec ça? Oui. Est-ce que c’est un témoignage
extraordinaire, peut-être le meilleur de
tous qui vient de disparaître? Oui. Mais
si c’est pour sauver cet humain-là que
lui est encore là... Ça vaut la peine aussi.
Fait que c’est un peu difficile. Mais pour
revenir à…, aux musées comme tel. C’est
un travail de longue haleine. C’est quelque
chose d’intéressant. Voilà c’est un
bon début ce que vous faites là. Mais aussi
faut aller chercher des choses mais encore
une fois, nous ne sommes pas une société
qui a été développé dans ce sens-là.
Le matériel-là, le symbole relié au matériel
ne fait pas partie beaucoup de la culture
rwandaise. Notre symbolique est très, très,
très orale. Beaucoup, beaucoup, beaucoup
et puis ça… Donc, par exemple tu vas dire
quoi? Ça remonte de loin parce que notre
histoire quand même, elle a été profanée
tout au long. Parce que ça a toujours été
présenté avec l’arrivée de la colonisation
comme le côté sauvage. Donc, il fallait
être civilisé. Tu vas à l’école, tu
abandonnes ça, tu mettras plus ton habit.
Tu ne mettras plus ton habit traditionnel.
Tu porteras plus ton bâton, ta lance. Ah,
t’es sauvage, tu marches avec une lance.
Mais tout ça, les petites tenues de femme
avec urugori… Ils ont une forme de couronne
pour une femme qui est déjà mariée qui
a un enfant. C’est des choses qui sont tellement
symboliques mais ce sont toutes des choses
qui avec le temps, ont été profanées, ont
été présentées comme des choses complètement
arriérées, qui avec le temps, ont perdu
de la valeur. Surtout les gens en allant à
l’école et tout ça et en apprenant des
valeurs occidentales et tout. Tout ça, ça
été délaissé. Donc, est-ce qu’en quatre-vingt-quatorze
[1994] les gens trainaient encore de ces choses-là?
Malheureusement, non. OK.
2 :30 :14
>> J.R.: Quand on dit ici, quand on a des
évènements, on va mettre nos costumes traditionnels
mais les gens ils sont tellement résistants.
On le sait, on le voit, tu le sais, tu l’as
déjà vu. Mais c’est terrible. Quand tu
regardes par exemple les gens de l’Afrique
de l’Ouest quand tu regardes comment ils
sont tellement fiers de porter leurs habits
traditionnels puis tout ça. Est-ce que ça
revient à Michael? Je ne sais pas mais c’est
tout un ensemble de choses comme ça qui font
que c’est des cultures qui sont un peu différentes.
Je dirai non pas que les Rwandais ne sont
pas fiers d’être rwandais, mais notre symbolique
se trouve beaucoup, beaucoup et de beaucoup
sur le côté oral que sur des artéfacts
physiques quoi.
>> A.M.: C’est important de conserver ces
aînés-là qui ont ces histoires-là à raconter.
>> J.R.: Les histoires sont là effectivement,
mais voilà.
>> A.M.: Si on retournait un petit peu dans
l’histoire du Rwanda. Lorsque tu regardes
le Rwanda, je crois que t’as dit que t’es
retourné après quelques années. C’est
après combien d’années que t’es retourné?
>> J.R.: Toutes… beaucoup.
>> A.M.: Beaucoup d’années. Donc lorsque
vous êtes retourné au Rwanda, c’est quoi
la première chose qui… La raison pourquoi
vous avez tardé votre retour au Rwanda tout
d’abord?
>> J.R.: Ah beaucoup de choses. Avant je ne
pouvais pas, je n’avais pas assez d’argent
pour [rires]. Mais bon ça on peut le chercher
quand même. Ici, on peut l’avoir. Je vais
dire que le plus important c’était… je
me disais qu’en allant au Rwanda, je ne
reviendrais pas ici. Et malheureusement quand
je regardais, je sentais que je risquais vraiment
de ne pas revenir. Puis quand j’allais sur
une base rationnelle, pour trouver des raisons
de rester là. Je n’en trouvais pas. Absurdes
tu vas dire… mais c’était ça.
>> A.M.: Mais quand vous étiez là-bas ;
quand vous êtes arrivé là-bas, avez-vous
senti que vous pouvez revivre là-bas éventuellement
?
>> J.R.: C’est tellement bien le Rwanda,
tu sais. C’est très beau. Première chose,
le choc vraiment, je ne pouvais pas. Parce
que la dernière fois que j’avais été
au Rwanda… puis tu regardes le Rwanda aujourd’hui.
Ça a tellement développé là ! Ça a poussé
des bâtiments puis des gros, des beaux bâtiments
tel un bouton sur le visage d’un jeune ado
[adolescent]. Puis des belles routes… C’est
tellement bien organisé, c’est tellement
propre… Écoute, je suis fumeur, tu marches
dans la ville à Kigali là, ok, comme à
Montréal, je m’allume une cigarette puis
tout d’un coup, je vais jeter le mégot
puis je sais plus où jeter ça. Il n’y
a rien là, ce n’est pas l’Afrique que
j’ai laissé en arrière de moi après quatorze
ans, quatorze-quinze ans là. C’est un élan.
C’est une volonté. C’est des choses aussi
niaiseux comme dire tu arrives à l’aéroport,
tu ne peux pas rentrer avec un sac plastique.
Même dans tes valises, ok. C’est vrai.
Tu regardes ça, tu dis d’où vous tenez
ça ? C’est quoi la volonté ? Juste parce
que quand une chèvre mange un sac plastique,
il va s’étouffer avec ça ? Non, ce ne
sont [ce n’est ?] pas vrai. C’est beaucoup
plus sérieux que ça. C’est une volonté
d’aller dans cette logique de la politique
mondiale, globale de l’écologie du monde
vert. Mais c’est une bonne contribution,
moi je trouve que c’est un geste tellement
brave. Parce que moi, quand j’ai quitté
le Rwanda, le sac de plastique c’était
prestige. Ce n’est pas une blague. Et là,
c’est interdit au plus haut point. Bravo,
c’est propre, c’est bien organisé. Tu
rentres partout, tu veux un service, le monde
se met en file puis c’est respectable. C’est
bien. Il y a beaucoup de choses qui sont très
intéressantes : les signes de sécurité.
>> A.M.: Routières ?
>> J.R.: Non, je parle dans les quartiers.
Troisième jour, on est en train de circuler
à Remera pas loin de chez Lando, ku Gisimenti
[non d’un quartier], tout ça. C’est tellement
bruyant c’est vraiment là, écoute, je
ne sais pas quel quartier, on peut comparer
ça à Montréal. Ce n’est pas du Sainte-Catherine
parce que c’est au Centre-ville. C’est
comme si tu aurais un Sainte-Catherine mais
quelque part sur Hochelaga-Maisonneuve ou
un Saint-Michel. Là où il y a du monde,
c’est bruyant… C’est vraiment plus de
badauds quoi. En tout cas, tu ne peux vraiment
pas le décrire. Il est vingt-trois heures
passé, on est en voiture avec mon frère
et mes deux cousins. Un cousin, un ami. Là,
je dis: «Est-ce que vous pouvez ralentir
un peu ?». Ils ralentissent, si c’est
possible vous pouvez même arrêter ? Ouais,
pourquoi ? Parce que je vois un bonhomme blanc
à la vingtaine, longs cheveux. Tu sais là,
qui marche, mais il traine ses pieds. Il est
relaxe, complètement relaxe. Il est vingt-trois
heures-trente dans un quartier chaud comme
ça avec plein de gens qui crient partout
et tout ça ; lui, il est en train de marcher
avec son t-shirt qui pendouille, ses pantalons,
ses jeans. Relaxe là. Ok, là je regarde,
je dis: « Attend, attend ». Là, il me
dit: « Mais qu’est-ce qu’il y a? »
« Ça, c’est un muzungu, c’est un blanc
ça? » Il dit: « Oui ». « Tu les connais
plus que nous parce que tu vis avec eux, c’est
quoi le problème? » Je dis: « Mais il
est vingt-trois-heures passé ». Il dit:
« Oui ». « On est dans un quartier chaud
comme ça! » « Oui, ça on peut te le
dire ». « Mais c’est quoi le problème? »
« Mais c’est parce qu’il marche tout
seul relaxe, pas pressé ». Tu vois, qu’il
fait son tour dans le quartier. Il dit : « Oui
peut être qu’il habite dans le quartier
ou il va rencontrer des amis. Il va prendre
un verre. Puis vous trouvez ça normal ! » Puis
il dit : « Pourquoi toi tu ne trouves pas
ça normal ? » Je dis : « Écoute c’est
pas compliqué, j’ai vu tellement de belles
choses lorsque je suis arrivé mais ça c’est
une des meilleures choses ». Parce que la
sécurité là, ça n’a pas de prix. Tous
ces pays occidentaux qui parlent de wow…
La sécurité c’est une mine d’or. Parce
que, imaginez-vous, ce bonhomme-là, je le
regarde comme je vous l’avais dit, il était
dans la vingtaine. Il travaille quelque part
dans une organisation, une compagnie n’importe
quoi. Fait que les gens de temps en temps,
ils vont… faire des meetings sociaux au
travail. Ils parlent de leur vie. Mais tu
sais un muzungu là, ils sont ouverts, ils
parlent de leur vie. Ils ne sont pas cachottiers
comme nous là. Alors lui, il va dire ce qu’il
a vécu la veille. Il était à Remera, il
circulait à telle heure et puis il a été
prendre une bière puis il va le dire ouvertement.
Il ne se gêne pas. Mais pour l’investisseur
qui est là, il se dit : « Ah cool. Eh bien,
j’ai à faire à une place sécuritaire.
Je peux grossir mon business ». Ce n’est
pas parce qu’il manque de l’argent de
l’autre côté ? Non. C’est juste de dire
: « Est ce que je mets mon argent à la
bonne place ? » C’est ça qui est… Là,
j’étais comme ok mais… Parce que parmi
eux, ils y avaient deux militaires. Il dit: «
C’est pour cela qu’on a fait ça. C’est
pour ça qu’on travaille tout ça. Oui,
c’est normal ». Là je dis: « Mais
c’est génial. » Ils disent : « Tu
vois là, si pour quelconque raison, on n’est
pas de service, on est sorti là on va prendre
une bière avec toi, on te reçoit. S’il
trébucherait, si quelqu’un le toucherait
là, mon congé s’arrêterait ici là. Tout
de suite. Mon quart de travail commencera
à la seconde qui suit ». Ah oui? « Oui
parce qu’on a investi beaucoup là-dedans,
on veut que ça fonctionne. Pas pour lui seulement,
pour n’importe qui d’autre ». Ah parfait.
Mais c’est ça, c’est ça le Rwanda. Pour
finir mon anecdote, on s’est garé pas loin
de là, puis là, on rentre dans un bar. Même
pas trois minutes après, là ce n’était
même pas un gars. Non c’était deux filles
qui étaient là avec une autre fille rwandaise
et deux, trois garçons rwandais. Le rire
fendu jusqu’à la lèvre, relaxes au bout,
prennent leurs bières, leurs brochettes.
J’étais comme… vous ne vous rendez pas
compte. Franchement, c’est joli. Je trouve
ça tellement beau. La dernière fois que
j’étais en Afrique, oui tu vas voir le
monde relaxe comme ça qui s’amusent, oui
mais dans les grands hôtels, dans les restaurants
du Centre-ville mais pas dans un quartier
comme Remera. Non! Et voilà mais ça fait
partie et puis ça c’est beau à voir parce
que tu dis, il y a de l’espoir. Pour terminer,
c’est les jeunes qui tiennent les choses.
Quand j’étais en Afrique, tu voyais que
c’est les grandes personnes qui étaient
rendues dans la vie. Les gens qui avaient
comme l’âge de mon père qui sont dans
la vraie vie là. Mais maintenant là, plein
de jeunes. Ils détiennent des choses, ils
détiennent des entreprises, ils travaillent,
ils ont des jobs. Il y a des gens-là, ils
sont des directeurs généraux de ministère
de ça, de compagnie, dans la jeunesse, la
quarantaine, trentaine puis c’est excellent
il y a du potentiel puis c’est beau.
>> A.M.: Est-ce que tu te vois retourner là-bas
?
>> J.R.: Oui. Oui mais je ne voudrais pas
y aller en demandant une job à quelqu’un.
Non. Soit je me créerais ma job, soit j’aurais
un business. Mais je n’aimerais pas tomber
dans la logique… Parce qu’après tant
d’années-là, oui je suis rwandais. Oui
j’ai quitté à l’âge adulte. Mais avec
ce qui s’est passé, les années viennent
de passer. Les choses vont tellement vite,
je ne pense pas que je pourrais fiter dans
une organisation, puis non… Il faudrait
que je sois pas mal indépendant, oui que
j’aurais besoin des services, des partenaires.
Oui, je donnerais mes services. Mais j’aimerais
bien fonctionner sur une base quand même
indépendante pour mon business ou ma job.
>> A.M.: Qu’est-ce que tu suggèrerais aux
gens qui ne sont pas encore retournés au
Rwanda ? Qui ont une crainte, qui ne savent
pas du tout à quoi s’attendre, malgré
le côté que le pays a beaucoup changé.
>> J.R.: Il faut y aller pour le croire. Il
faut le voir pour le croire.
>> A.M.: Donc, tu les encouragerais à aller
revivre ?
>> J.R.: Il faut le voir pour le croire. Aussi
simple que ça.
>> A.M.: Est-ce que la population… Je vais
reconstruire ma question. Diaspora au Rwanda
et Rwandais au Rwanda ; Est-ce que toi tu
sens la différence ?
>> J.R.: Oui, oui tu la sens la différence
parce que… bon, disons que moi ça m’a
pas plus impressionné franchement et puis
je le dis souvent. Je le répèterais vu que
tu me poses la question. Ça, ne me tentait
pas d’aller m’assoir dans les cafés au
Centre-ville où je prends le même…, le
café. Où aller dans de petits restaurants
où je vais manger des pointes de pizzas ou
des hamburgers. Regarde, j’en bave ici.
Ce n’est pas ça que je veux. Moi, j’aimais
aller dans les vrais quartiers, rencontrer
le vrai monde puis relaxe la.., garde… Franchement,
c’est ça qui me plaisait parce que
oui diaspora c’est intéressant parce que
quand tu le rencontres, vous avez le même
[inaudible:(kin kin?] La même façon de voir
les choses. Il y a ce qui t’as impressionné
puis tu vas parler de ce qui l’a impressionné.
Il va te dire ce qui serait génial à découvrir,
dépendamment de comment il a bien compris
tes goûts et puis tes désirs. Oui, parce
que vous, vous comprenez. Est-ce que c’est
ça qui fait la différence ? Je dirais non.
Bon, c’est parce que vous avez des affinités,
des choses qui font que oui. C’est vrai
que tu peux rencontrer quelqu’un qui…,
à Montréal, c’est à peine si vous vous
dîtes bonjour. Mais quand vous vous rencontrez
là-bas, c’est spécial. Tu tombes dans
ses bras. En fait, ça devient la personne
de loin mais de très proche qui est là avec
toi. Parce que c’est le monde, la personne
de chez toi quand même, mine de rien. Mais
est-ce que ça fait une différence ? Je ne
trouve pas.
>> A.M.: Est-ce que le Rwandais au Rwanda
arrive à suivre la cadence, le rythme ?
>> J.R.: Non, non, non. C’est celui qui
vient de l’extérieur qui suit la cadence
au Rwanda come on. Oh oui!
>> A.M.: Mais lorsque je parle de diaspora,
diaspora installée là-bas qui gère les
affaires qui anime les affaires. Et le petit
peuple de Remera justement qui était là
depuis …
>> J.R.: Tu parles de diaspora rwandaise qui
va au Rwanda ou des gens, les étrangers qui
s’installent au Rwanda ?
>> A.M.: Diaspora rwandaise qui est allée
s’installer au Rwanda. À propos des affaires
?
>> J.R.: Oh, non. Oui franchement ça, ça
dépend de ce que les gens font. Dans quoi
ils font puis le business c’est le business.
Tu réussis ou tu échoues. Il y en a qui
réussissent, il y en a qui ont échoué,
puis, puis voilà quoi.
>> A.M.: Donc le Rwanda prospère ?
>> J.R.: Il est. Il est très prospère, il
est très prospère le Rwanda. Ouais non,
je trouve qu’il prend tout le sens d’un
pays en développement. Il est vraiment en
développement [rires].
>> A.M.: […]. Jacques, je te remercie beaucoup
pour ton temps.
>> J.R.: Je t’en prie.
>> A.M.: Je te remercie beaucoup pour ta générosité.
>> J.R.: Ok bienvenue.
A.F et >> A.M.: [Rires]
>> A.M.: Et en tout cas, au nom de CURA [Community
University Research Alliance], on te remercie
pour ton temps et à très bientôt. J’espère
qu’on va continuer à travailler ensemble
de toutes les façons et de toutes sortes
de choses.
>> J.R.: Non c’est un plaisir et puis oui,
c’est un très bon projet. Parce qu’il
faut trouver une façon d’immortaliser les
moments. À commencer par les humains puis
voilà. Peut-être qui sait, un jour, en 2087,
on va projeter, mon entrevue quelque part
dans une petite école qu’on aura créée,
les Rwandais à Montréal, pour montrer…,
Les Rwandais quand ils venaient d’arriver
c’était quoi? T’imagine ? Ce serait génial
mais ça prend ça, ça prend des preuves,
puis comme je le disais, comme tu me posais
la question par rapport aux Rwandais, c’est
quelque chose de très, très, très important
que de documenter qu’est-ce qu’on fait,
qu’est-ce qu’on vit. C’est une lacune
terrible chez les rwandais. Puis ça, c’est
une bonne façon de commencer à compenser
ça, puis tu parlais de musée, c’est un
très bon début. Ça peut faire partie.
>> A.M.: Pour t’aider justement à garder
ton histoire vivant, CURA va t’envoyer un
CD sur ton histoire comme ça tu pourras partager
avec ta famille, tes enfants éventuellement
et de cette façon-là, l’histoire aura
[sera ?] transporté… de génération en
génération…
>> J.R.: Moi, je vais garder le physique,
le CD.
A.M et >> A.M.: Merci.
>> J.R.: Ouais, je vous en prie puis bonne
continuation, dites bonjour à toute l’équipe,
dites-leur que je vous félicite puis vous
faites une job extraordinaire. Puis, je suis
complètement ouvert s’il y a d’autres
formes de contributions que je peux apporter
ce serait avec plaisir. Et je suis fier de
vous.
>> A.M.: …
2 :48 :25
Nom de l’interviewé : Jacques Rwirangira (J.R)
Nom de l’intervieweur : Annita Muhimpundu (A.M)
Nom de la vidéographe : Annie Fréchette (A.F)
Nombre de sessions : 1
Durée de l’entrevue : 2h48min
Lieu de l’entrevue : Chez Jacques Rwirangira
Date de l’entrevue : 27 avril 2010
Langue de l’entrevue : Français
Nom du transcripteur : Tristan Gakuba
Date de la transcription : 3 janvier 2017