Lisa Ndejuru
N.S.:: Lisa est-ce que tu pourrais te présenter toi et ... présenter ta famille... pour commencer
pour qu'on... pour qu'on sache un petit peu plus qui tu es et d'où tu viens ?
L.N.:: Je m'appelle Lisa Ndejuru je suis fille d'Aimable et Rosalie Ndejuru, j'ai deux sœurs
Viara et Teta. "..." Ça c'est ma famille d'origine, qu'est-ce que je peux dire "..." je
suis l'aînée. Je dois dire mon âge ? N.S:: Non non non non non non.
L.N.:: [Rires]
N.S.:: Pas de problème et est-ce que tu as
connu tes grands-parents ?
L.N.:: J'ai connu ma grand-mère "..." ma
grand-mère paternelle. En fait, oui j'ai connu mes grands-parents, pas tous. J'ai connu
ma grand-mère paternelle quand j'avais "..." une dizaine d'années. Elle est venue avec nous,
elle est venue habiter avec nous en Allemagne. J'ai vécu en Allemagne, je suis venue [née?]
au Rwanda, à Butare et vers 15 mois comme ça, on a pu quitter comme ça avec ma mère,
mon père était déjà parti. "..." Il avait eu une bourse d'études pour travailler, pour
étudier en Allemagne. On a pu, "..." nous on était encore, "..." je suis née au Rwanda
donc "..." et quand on a pu sortir j'avais à peu près 15 mois je pense et bon "..." on
s'est retrouvé en Allemagne et "..." on est resté là-bas pendant 10-11 ans "..." et
comme j'étais"...", j'avais peut-être dix, huit, neuf, neuf, dix comme ça, ma grand-mère
est venue habiter avec nous en Allemagne.
N.S.:: Et quel lien tu avais avec elle ? Est-ce
que tu peux nous parler un petit peu d'elle ? Qu'est-ce qu'elle faisait ?
L.N.:: C'est une très belle femme, elle était très sévère, elle avait l'air sévère.
C'est drôle parce que les images que j'ai d'elle maintenant au moment où tu me parles
ce sont des images d'ici à Montréal parce qu'on l'a retrouvée plusieurs années plus
tard ici. On a déménagé enfin, on a immigré à Montréal en 82 "..." (1982) et je pense
qu'elle était là avant nous, elle était venue rejoindre la sœur de mon père qui
était déjà ici. Et donc on l'a retrouvée ici et donc les images que j'ai d'elle, c'est
bizarre hein c'est des glissements comme, "..." tienS on était là-bas... est-ce que
je l'ai connue ? Ce que je me souviens d'elle, elle m'a appris à jouer le "..." comment
ça s'appelle? "..." [fait un geste de rond avec ses mains] c'est un jeu.
N.S.:: [Inaudible] le gorille inaudible avec les graines et...
L.N.:: Oui avec "..." tu as quatre "..." tu as deux trucs de trous comme ça [geste de
rond avec ses mains] de chaque, de chaque côté et puis tu "..." avec des pierres ou
des "..." des billes que tu joues comme ça "..." que tu vas chercher toutes les billes
de l'autre, ça c'est "..." Elle m'a apprise à jouer ça. Elle aimait aussi jouer aux
cartes [inaudible]. Elle parlait aussi kinyarwanda, mais moi je ne parle pas kinyarwanda; donc
le contact a toujours été "..." je ne sais pas le contact a toujours été "..." il me
semble que j'ai reçu "...".
N.S.:: Même si elle ne parle pas la langue
tu penses que...Qu'est-ce que tu penses qu'elle t'a transmis justement?
L.N.:: Ben je ne sais pas c'est marrant, normalement ça je ne suis pas triste du tout quand elle
"..." il y a quelque chose de "..." c'est quelqu'un de très "..." très fort, elle
était très "..." très comme droite et un peu austère. Puis j'ai l'impression des fois
quand [rires] j'ai fait une blague avec ma cousine, quand je me fâche sur les choses,
ma grand-mère m'a "..." s'appelait Patricia, c'est mon deuxième nom, et le "...". Comment
je vais dire, "..." cette partie de mon caractère, je l'appelle Patricia puisque c'est un peu
sévère et puis c'est comment je dirais ça... un terre à terre qui ne rigole pas mais qui
est en même temps franchement rassurant parce que c'est solide. Elle était pas très grosse,
elle était "..." elle était solide. Elle représente"..." je trouve que "..." ben
voyons "..." [elle essuie ses larmes]. Je trouve que les femmes, "..." il y a une chose
que j'aime beaucoup même si je ne comprends pas les mots, il y a une tonalité dans le
kinyarwanda, quand j'entends les femmes parler le kinyarwanda c'est quelque chose qui "..." je
ne sais pas "..." qui me rassure. Et je trouve qu'il y a quelque chose "..." qui est solide
et que "..." assurer quelque chose qui est solide de là-dedans, que je connais, puis
que je recherche, enfin, que je me rends compte que je recherche et que "..." auquel j'aspire
aussi, que je veux intégrer.
N.S.:: Combien de temps tu "..." avec elle
en Allemagne puis après ?
L.N.:: Je "..." je ne peux pas avoir vécu
très longtemps avec elle en Allemagne, puisqu'elle est venue ici; donc si elle est venue "..." je
suis en train de voir les...peut-être un an ou deux en Allemagne, quand on est venu
ici elle est morte en 84, donc deux ans "..." je sais pas peut-être en tout quatre, je peux
me tromper. Ouais, c'est pas vraiment des chiffres hein, c'est juste du temps.
N.S.:: C'était la mère de ton père?
L.N.:: Oui.
N.S.:: Quelle relation elle avait avec lui justement?
L.N.:: C'était "..." son aîné, puis "..." mon père aime beaucoup sa mère, aimait beaucoup,
beaucoup sa mère.
N.S.:: Tu disais que c'était la mère de
ton père, et ton père c'était l'aîné et qu'il aimait beaucoup sa mère.
L.N.:: Il aimait beaucoup sa mère. Mon père "..." le père de mon père a été tué quand
mon père avait 18-19 ans. Mon père était l'aîné de six, enfin il est toujours l'aîné
de six et "..." ils ont dû se débrouiller après ça ensemble, donc ça fait une équipe
lui, ses frères et sœurs et sa maman ils ont fait une équipe comme ça [elle joint
ses mains ensemble] "..." Il était très proche de sa maman [rires], puis il a pris
un peu le rôle "..." le rôle du "..." du père d'une certaine manière, donc elle comptait
beaucoup sur lui, je pense et lui comptait beaucoup sur elle aussi je pense.
N.S.:: C'est lui qui l'a fait venir en Allemagne par exemple?
L.N.:: Oui, je pense qu'il "...", puis c'est assez rigolo parce qu'ayant fait le processus
et ayant fait l'entrevue avec mon père et mes oncles, "..." ben je me suis rendu compte
qu'ils n'ont pas pris, il n'a pas pris les décisions seul, ils étaient toujours tous
en "..." ils discutaient des choses, puis en tout cas ce que je reçois maintenant c'est
que ces décisions-là se faisaient tous ensemble... les enfants, ma "...". Ils étaient tous,
ils s'inquiétaient tous pour elle parce que quand ils sont sortis du pays, "...".
ma tante est sortie en premier vers "..." non c'est pas vrai, mon père est sorti en premier
en 70 (1970), "..." ensuite, ma tante est sortie vers "..." 72 (1972) comme ça "...". Ensuite
elle est sortie "..." avec un de ses frères, donc ma tante et mon oncle sont sortis vers
72 comme ça. "..." entre 73 mon autre oncle est sorti.
Je pense qu'un autre de mes oncles qui était sorti un petit peu avant... à l'intérieur
de tout ça... mais il est entré et sorti comme ça, puis, donc dans les années...
et puis la plus petite, elle est sortie aussi dans les années [inaudible], elle était
avec moi, je me souviens que j'ai grandi avec elle, donc j'ai grandi avec tous, j'ai grandi
avec mes oncles, mes tantes, ils étaient en Belgique, "..." nous on était en Allemagne,
donc on était pas loin, mais la maman est encore là-bas, donc ils s'inquiétaient beaucoup
tous pour leur mère qui était encore là-bas.
Mais en même temps, je pense à "..." je pense à elle, puis quand elle, elle est venue
en Occident, c'est très, très différent, ça a dû être très difficile pour elle.
Elle devait se sentir extrêmement seule même avec ses enfants parce qu'il n'y avait pas
vraiment une communauté comme aujourd'hui où elle aurait pu "..." faire des choses
avec les autres et c'était quelqu'un qui portait encore un pagne, c'était quelqu'un
de profondément, "..." je sais pas si c'est un acronyme mais en tout cas "...". Et c'est
quelqu'un qui ne parle pas... elle ne parle pas la langue d'ici, ni le français ni l'anglais,
"..." elle ne peut pas travailler ici, c'est quoi sa contribution comment, comment est-ce
que "..." moi je trouve ça très isolant, comment "...". Ma grand-mère, maintenant
la maman de ma mère, elle est "..." elle fait "..." elle partage son temps entre Montréal
et Ottawa où ses enfants sont.
Elle est venue beaucoup plus tard et je pense qu'elle vit pas la même chose exactement
parce que venant de plusieurs personnes qui sont âgées elle a un groupe d'amies, donc
elles, elles sont ensemble.
Elles rendent la vie difficile, par exemple, elles ont des cours d'anglais puis à ce que
j'ai pu comprendre elles rendent la vie difficile au prof elles sont ensemble et [imite femmes
qui papotent] Elles vont à l'école, mais bon elles sont pas très sérieuses dans leur
apprentissage, mais au moins elles ont "..." elles se côtoient, elles ont un cercle de personnes
qui "..." donc je pense que elle est moins isolée et même elle, quand elle est rentrée
au Rwanda, je pense qu'elle a dû [elle souffle] "..." respirer parce que bon il y a des gens
comme elle et puis "..."
N.S.:: Et puis en plus à l'époque les voyages
devaient être plus difficiles que maintenant
L.N.:: Oui.
N.S.:: Et donc ben justement j'aurais voulu savoir si tes parents avaient fait "..." avaient
réussi avec de quoi pour bien faciliter son intégration, pour bien maintenir un lien
avec le Rwanda [inaudible].
L.N.:: Je pense que maintenir un lien avec le Rwanda "..." comme pouvoir lui permettre
d'aller et de venir par exemple quelque chose comme ça?
N.S.:: Oui ou au moins de garder des contacts ou je sais pas.
L.N.:: Ben tu sais c'est pas comme "..." tu sais, elle est morte en 84, puis "..." c'est
"..." rigolo à dire et ben on skypait pas et "..." et même si on avait skypé est-ce
qu'elle aurait utilisé un ordinateur je ne sais pas.
Elle utilisait toujours le téléphone mais bon "..." je sais pas comment elle vivait
son "..." le fait d'aller et de venir au Rwanda "..." juste financièrement c'est... c'est
hallucinant.
Quand tu penses que "..." moi je ne sais pas comment "..." mes parents, mes oncles, mes
tantes ont fait pour "..." arriver à immigrer "..." deux fois "...", trois fois, des fois,
à faire des vies.
Tu sais "..." il faut s'intégrer, tu travailles, tu as les enfants, tu as un mari, tu élèves
tes enfants, faut les amener l'école.
Toujours il y a des gens au pays que bon tu donnes un coup de main alors que bon "..." ils
étaient pas millionnaires hein?
Aujourd'hui moi je suis... je suis beaucoup "..." j'ai deux fois l'âge que ma mère avait
quand je suis née.
Peut-être pas deux fois [inaudible], puis j'entretiens pas "..." j'ai pas deux, trois
enfants, un mari, des gens qui dépendent de moi, j'apprends pas, je ne suis pas en
train d'apprendre une nouvelle langue parce que je connais absolument "...". Puis quand
elle est arrivée du Rwanda, elle connaissait rien du tout de l'allemand.
Je pense qu'elle n'avait jamais vu autant de blancs ensemble.
J'essaye d'imaginer d'apprendre l'allemand pour pouvoir vivre.
Bon ben elle connaissait le français, mais elle arrive dans un pays,... puis dans un
système,... et elle ne parle même pas la langue, elle a commencé à prendre des cours,
elles ont pris des cours universitaires dans une langue qu'elles ne comprennent pas.
Il faut survivre, si moi je suis "..." je suis ici.
J'étais à l'école ici puis bon je fais un salaire "..." mais je fais pas vivre 50
personnes, c'est pas vrai.
Ils ont réussi à acheter des maisons "..." pas des maisons, mais chacun sa maison, puis faire
étudier les enfants.
N.S.:: Et est-ce que concrètement enfin tu parlais d'une forte solidarité qu'il y avait
dans la famille "..." concrètement comment ça s'est manifesté parce que j'imagine comme
tu dis oui, tu arrives dans un pays avec une langue que tu ne connais pas, tu dois faire
des études dans cette même langue que tu ne connais pas, puis élever des enfants etc.
etc. tout ça, donc j'imagine que sans l'aide des frères et de la famille ça serait encore
plus dur, donc concrètement est-ce que tu te rappelles comment "..." ils se soutenaient
l'un l'autre pour arriver à faire leur chemin?
L.N.:: Ben je ne me souviens pas comment "...", quand j'étais enfant, je ne savais pas ce que ça
prend pour vivre.
J'ai eu 19 ans avant de retourner en Afrique, avant de me rendre compte que mes grands-parents,
les parents de ma mère, habitaient dans un village de réfugiés, je ne savais pas.
Puis qu'est-ce que... c'est un village?
Je ne savais pas; donc j'étais "..." protégée beaucoup [met les mains devant son visage]
enfin j'étais très ignorante.
Comment "..." en parlant avec eux je me suis rendue compte que bon, ils recevaient une
petite bourse comme ceci est là bon OK ils essayaient d'organiser, ils donnaient des
coups de main par rapport à l'argent, par rapport à bon "..." souvent on vivait ensemble
dans les débuts "..." puis même quand on est venu ici "...", quand on est en Allemagne,
"..." on vivait proche l'un des autres.
Bruxelles et Cologne, c'est pas loin, on était souvent... donc il y avait une présence qui
était quasi continue.
Mais au niveau matériel, comment ils faisaient "..." je sais que quand il y en avait pour
un il fallait qu'il en ait pour les autres mais je n'arrive pas à comprendre comment
ils ont réussi à faire en sorte qu'il y en ait assez pour tout le monde parce que
tout le monde devait travailler, tout le monde devait étudier, tu sais tout le monde devait
étudier, tout le monde devait "...". Je ne sais pas, puis il fallait qu'il y en ait d'autres.
Je sais pas comment ils ont fait.
N.S.:: Mais alors, justement, en Allemagne, dans ta maison, qui est-ce qui "..." il y
avait qui qui y vivait en fait ?
L.N.:: En Allemagne, dans ma maison, quand
j'étais petite, on habitait [inaudible] dans un petit appartement sur le toit, il y avait
ma mère, mon père, il y avait moi "..." je sais qu'est-ce... que Bello est venu habiter
avec nous ? Je ne sais pas, je ne pense pas [inaudible] je sais pas c'est flou je sais
qu'ils étaient pas loin et j'avais un "..." un frère "..." qui est resté avec nous pendant
cinq ans "...", puis je sais que quand ma sœur est née, on a déménagé dans un appartement,
donc on vivait "..." et Bello et Teta... est-ce qu'ils ont repris notre appartement ? "..." le
petit appartement..
Je pense que ça se mélange [rires] ça se mélange avec ici où on habitait sur Jeanne
Mance lorsqu'on est arrivé "..." et Bello et Teta, mon oncle et ma tante, ils sont frères
et sœurs, ils habitaient en face "..." et Radegonde elle habitait en haut dans un triplex
avec ses enfants et son mari "..." je n'ai pas répondu à la question hein ? J'essaie,
mais c'est "..." [rapproche les mains ensemble] c'est tout flou c'est rigolo hein?
N.S.:: Et puis, "..." ben tu me disais que tes parents étudiaient, j'imagine qu'ils
devaient travailler en même temps; et est-ce que tu te rappelles un peu quelles étaient
leurs occupations, comment ça se passait pour cumuler l'université et le boulot et
élever les enfants?
L.N.:: Oui, mon père il travaillait, il travaillait "..." je sais plus trop où, il donnait des
cours, il donnait des cours "..." l'été il donnait des cours de tennis, il faisait
journalisme [inaudible].
À un moment donné, il était " ... " il étudiait "..." il a étudié, étudié, étudié
puisque son visa dépendait de ses études.
Donc, aujourd'hui, quand je lui dis: "Papa je veux faire un doctorat" il me dit: "pourquoi
tu fais un doctorat?
C'est ridicule.
Pourquoi tu veux faire un doctorat?"
Là j'ai dit:: "ben parce que toi aussi tu as fait un doctorat.
"Mais non moi j'ai fait un doctorat pour avoir le visa, tu ne comprends pas!
Tu comprends pas!"
[rires].
Mais bon alors il a continué à étudier.
Ma mère, elle a fait une formation en bibliothéconomie, donc elle travaillait en même temps, donc
elle travaillait puis elle étudiait, puis elle a eu "...". Elle a eu trois enfants moi
je suis née en "..." moi je suis née en 70 ma sœur en 75 et mon autre sœur est née
en 79 "..." [inaudible]
N.S.:: Et quelles étaient tes relations avec
tes frères et sœurs "..." avec tes deux sœurs?
L.N.:: [Elle croise les doigts ensemble] mon frère "..." c'est pas mon frère, en fait,
c'est un garçon que ma mère a amené avec elle quand elle a voulu quitter.
Moi je le connaissais comme mon frère et "..."
et "..." il est "..." il s'entendait pas beaucoup avec mon père "..." du tout en fait et il
est parti, enfin, il est parti, il a choisi de quitter la famille pour "..." rentrer dans
les services sociaux en Allemagne où elle préférait "..." c'est ça, il a demandé
d'être "..." et puis au fur et à mesure on n'entendait plus parler et puis les fois
où on en entendait parler il était perdu, enfin, il était perdu "...".
N.S.:: Et avec tes deux sœurs j'imagine qu'en tant que grande sœur tu as dû prendre un
peu le relais des parents qui étaient très occupés, parfois, comment ça se passait
justement les relations avec les deux sœurs?
L.N.:: Moi mes "..." ma petite sœur, Viara,
celle qui vit avec moi, elle m'a été donnée, j'ai demandé une sœur ou un frère ou un
chien et je me souviens quand ma mère m'a dit: "bon OK on a écouté tes demandes et
on a décidé que tu vas avoir un petit frère ou une petite sœur mais tu vas t'en occuper.".
Puisque je pouvais pas avoir un chien parce qu'on me disait:: "non tu sais comment tu
es, tu vas te prendre quelque chose que tu vas lâcher c'est pas possible.
Alors on m'a dit: "OK, mais va falloir que tu "...". Mais, quand elle est venue, je savais
qu'elle était à moi, qu'il fallait... je m'en occupe et "..." c'est resté jusqu'à
ce qu'elle ait "..." 17 ans je pense comme sensation là de penser c'est à moi et puis
là bon "..." et crise l'adolescence je ne sais pas voilà elle a décidé que non j'étais
plus je me souviens je l'amenais souvent avec moi j'ai dit:: "Bon bah c'est ma petite sœur."
Donc, là, un moment donné, elle dit:: "non, non, moi je m'appelle Viara, suis pas ta petite
sœur seulement". Elle avait son identité propre, donc j'ai dû me séparer, ben pas
me séparer d'elle [rires] "...". Elle a dû faire son chemin et puis "...".
N.S.:: T'étais assez protectrice avec elle?
L.N.:: Je n'ai pas eu besoin d'être protectrice avec elle, je ne pense pas "...", mais j'étais
très proche d'elle.
N.S.:: Et avec Teta?
L.N.:: Avec Teta, "..." on avait presque dix ans entre nous et "..." quand elle est arrivée,
elle était plus avec Viara en fait, donc les deux étaient ensemble.
Moi je devais garder les deux comme ça [rires] ça faisait aussi "...". Avec Teta, on s'est
rencontré, en tout cas, on s'est retrouvé quand elle était "..." beaucoup plus vieille,
elle était déjà ici, je pense ça fait dix ans, puis, là maintenant, je suis très
très proche d'elle je suis plus proche d'elle peut être que Viara puisque Viara tu sais,
son chemin, puis "..." Teta on s'est beaucoup beaucoup rapprochées.
N.S.:: Est-ce que tu dirais finalement que "..." peut-être, pour des raisons différentes,
cette espèce d'union qu'il y avait dans tes parents et tes oncles et tantes, finalement,
tu as réussi à le faire avec tes sœurs?
C'est-à-dire vous arrivez à être aussi proches ou "..." comment tu vois ça?
L.N.:: Je pense que "..." on est proche comme famille "..." comme les cousins et les cousines,
comme famille plus générale, on est encore [elle fait un point avec sa main].
Si je regarde mes relations avec mes sœurs, je trouve que dans les faits, mon lien n'est
pas aussi proche ou concret que j'aimerais qu'il soit.
Avec Viara par exemple, Viara a deux enfants, elle est mariée, elle a deux enfants, donc
j'ai un neveu et une nièce et puis ma nièce est ma filleule et si je regarde le temps
que je passe dans une semaine ou dans un mois ou une année mettons avec elle, je trouve
que c'est peu de temps, je passe peu de temps avec elle, peu "...". Quand je grandissais,
mes tantes, mes oncles "..." j'ai été élevée par tout le monde.
Par bien sûr mes parents mais ça n'allait pas, hop j'allais ici, hop ça allait comme
"..." tout le monde avait son mot à dire puis "..." je pense que quand on est ensemble
on est encore tous "..." j'ai mon mot à dire mais je ne sais pas si dans les faits je passe
autant de temps avec eux "..." que mes tantes et oncles ont passé avec moi.
Et c'est difficile à quantifier puisque je "..." la sensation que j'ai c'est qu'ils étaient
super présents; est-ce que dans les faits c'était comme ça?
Tu sais quand tu me pose la question j'essaye de voir est-ce que dans "..." j'arrive pas
à "..." est-ce que c'était des moments qui étaient significatifs et donc qui prenaient
plus de place, est-ce que dans le quotidien tout le temps?
On se voyait tout le temps comme c'est dans ma tête?
N.S.:: Quand tu repense aux éléments marquants, aux événements marquants de ton enfance,
en tout cas, ils étaient là à chaque fois ?
L.N.:: Tout le temps, tout le temps.
Et même ma tante Radegonde, qui était ici au Canada, mais que je ne savais pas qu'elle
était ici au Canada puisque le Canada... avant que j'aie 12 ans c'était pas autrement
marquant "..." ben c'était une figure genre, elle était présente, c'était un personnage
important dans ma tête "..."; je me souviens d'elle quand elle est venue "..." c'était
peut-être 77 [1977] peut-être je me souviens de sa robe, je me souviens comment je la trouvais
waouh.
Puis, elle est "..." je veux dire j'ai toujours eu un lien avec elle "..." je sais pas si
"..." je ne sais pas..
N.S.:: Est-ce qu'on parlait beaucoup justement des [...] des gens qui y étaient, puis aussi des gens qui étaient pas là? De façon à ce qui [...] même si tu les voyais pas, [...] ils aient une existence justement. L.N.:: Oui, je pense que oui parce que mon meilleur anniversaire, celui dont je me souviens le plus j'avais 5 ans et je me souviens très bien que mes parents sont venus dans ma chambre avec des fleurs mauves et une bougie. Ils ont chanté, ça c'est la tradition chez nous, on vient chanter dans ta chambre pour te réveiller. J'étais déjà réveillée et je me souviens que je suis arrivée dans le salon, quand je pense à ça aujourd'hui les proportions sont toutes croches [...] et puis il y avait une grande table avec un drap blanc et en dessous il y avait une grande caisse avec tous les cadeaux que tous, mes tantes, mes oncles et mes grands-parents, tout le monde avait pensé à moi! [Rires] la grande table, [inaudible] je ne sais pas comment mon père parce que mon père étudiait en [hésitation] en sport c'était un sportif et donc il avait pu dénicher un trampoline, un vrai trampoline mais on était dans un appartement ou même quand je faisais comme ça, [fait semblant de sautiller] il y avait une dame âgée qui habitait en bas, puis était toujours en train de "toc toc toc! arrêtez de sauter!". Je sais pas comment il a pensé..., une trampoline était une bonne idée [rires], je me souviens qu'il y avait une trampoline c'était le pied mais quand je pense que la grande table c'était une trampoline puis ensuite, après je me souviens... la trampoline c'était grand comme ça donc j'étais pas très grande en fait et mes proportions sont toutes croches. Une grande table comme ça, des plantes, avec une grosse caisse en dessous avec tous les cadeaux, puis je me souviens un des cadeaux c'était un pyjama en [inaudible, frotter?] orange avec un haut orange et jaune comme ça [inaudible], puis j'ai mis ça, j'ai mis ça toute la journée, tout le monde avait pensé à moi et puis quand j'y pense après je me dis: "Tiens ça serait étrange si mes grands-parents avaient envoyé quelque chose." Donc, c'était effectivement c'était [inaudible] des gens qui racontaient. N.S.:: Mais d'ailleurs tu te rappelles encore bien de cette maison, de ce quartier? Quels sont les souvenirs qui te viennent à l'esprit quand tu penses à ça? L.N.:: Là où on habitait en premier, alors quatre rues, quatre maisons plus loin, il y avait un chien qui s'appelait Mélanie; c'était un cocker spaniel je sais pas comment on dit ça en français. Il était blanc et brun ça, c'était Mélanie je me souviens pas du nom de son propriétaire, mais ça c'était [...] Ensuite, dans ce coin-là, il y a ma meilleure amie qui s'appelait Guta, alors en dessous de chez nous, deux étages en dessous il y avait mon meilleur ami il s'appelait Ralph, avec lui ont faisait les 400 coups et puis en face il y avait Val [inaudible] c'était [...] c'est une dame qui a été très présente dans notre vie en Allemagne, elle était pédiatre, puis je sais pas, on l'a adoptée, elle nous a adoptés, mais elle était..., c'est un personnage qui a pris énormément de place dans la famille c'était comme [...] c'était pas une grand-mère parce qu'elle aurait pas aimé, je pense, être grand-mère, [...] je sais pas comment dire ça [...] très moderne je pense [...]. N.S.:: Beaucoup de relations à l'intérieur même du quartier, tu me dis les amis, la meilleure amie, le chien, la pédiatre, on parle de tout un univers que tu t'es construit. L.N.:: Quand j'allais à l'école, j'allais à l'école dans une école belge, c'était une école qui appartenait à une base militaire, je pense parce que mes parents, étant donné qu'ils ne savaient pas s'ils partaient, s'ils allaient devoir retourner, donc ils ont dit c'est important que je parle au moins le français. Ma mère voulait pas, elle a mis une croix sur le Kinyarwanda puisqu'elle ne voulait pas retourner, mais si jamais,... alors j'ai étudié en français. Puis, il y avait une dame qui s'occupait de moi après [inaudible] après l'école je me souviens de [inaudible] il y avait une autre dame qui me gardait c'était ma [inaudible]. Il y avait plusieurs dames plus âgées, quand je pense maintenant là, et toutes mes amies, j'avais beaucoup d'amies. N.S.:: Mais quelle [...] la langue que tu parlais alors à la maison, c'était l'allemand, c'était le français? L.N.:: Je pense qu'on parlait français [...] allemand peut-être? Allemand peut-être [...] je pense qu'on parlait et probablement l'allemand et le français aussi. N.S.:: Tu as toujours le souvenir d'avoir parlé les deux langues, d'avoir compris les deux langues? L.N.:: Oui. Oui parce qu'il y avait une partie de la famille qui était francophone, puis j'allais à la garderie dans la même [...] dans la garderie qui appartenait à cette école [...] la garderie, puis le primaire j'étais en français avec les flamands de l'autre côté; donc eux, ils parlaient flamand et on se débrouillait. Et même aujourd'hui, quand j'entends les Belges parler "...". N.S.:: Il y a un petit côté de familiarité. L.N.:: Oui, ça fait du bien. N.S.:: Mais alors justement à partir de quand "..." enfin est-ce que tu t'es rendue compte à un moment que tu n'étais pas forcément une allemande comme les autres? Est-ce que les autres te l'on fait ressentir à un moment ou un autre ou au contraire "..." bah t'as eu l'impression de grandir comme une petite allemande qui avait des origines d'ailleurs mais que ses origines du Rwanda finalement n'avaient pas eu de présence. Comment c'était quand tu étais petite par rapport à ça? L.N.:: J'avais pas "..." j'avais pas eu "..." le Rwanda ne prenait pas une grande place quand j'étais petite. Je savais que j'étais noire, mais même ça je pense pas que je faisais beaucoup de "..." de cas de ça. Ma mère, elle a une histoire qu'elle aime raconter, enfin, qu'elle aime raconter, qu'elle m'a racontée je me souviens pas "..." je me souviens pas "...". Apparemment, quand on avait trois, quatre ans comme ça, on est avec Ralph quand on était petit on était tout le temps ensemble, on a frotté, enfin, à un moment donné elle a ouvert la porte et puis j'étais, apparemment, ensanglantée j'avais la peau "..." parce que, puis je pleurais parce qu'on avait été en bas chez Ralph puis on avait essayé d'enlever la saleté on avait frotté, on avait frotté, on avait frotté, puis ça partait pas, je saignais et puis là elle avait vu ça, elle avait été complètement bouleversée. Puis elle me dit: " Mais est-ce que vous êtes rendus compte que vos parents aussi sont différents ? Vous voyez pas le lien?" Tu l'as, on avait apparemment compris que c'était normal qu'on n'avait pas la même couleur. Je me souviens vaguement à l'école belge aussi il y avait des moments où "..." bamboula, bamboula des trucs comme ça. Je me souviens pas me faire de grand cas de l'origine "..."; ma sœur Viara était beaucoup plus "..." consciente de ça "..." de sa couleur, de sa "..." du fait qu'on était différents, de la race, mais je pense que j'avais beaucoup de "..." je m'échappais souvent. Je racontais beaucoup d'histoires, je m'organisais avec la réalité, je pense, même petite. N.S.:: Des histoires auxquelles tu croyais? L.N.:: Des histoires auxquelles je croyais. J'organisais des histoires que j'aimais bien puis j'organisais des histoires pour mes amis pour qu'on puisse jouer dedans, tu sais, des scénarios des choses comme ça. N.S.:: Est-ce que tu te rappelles quels genres de scénarios, quels genres d'histoires c'était ? L.N.:: Il y a un que je me souviens, quand j'avais plus accès, quand j'étais adolescente, j'avais plus accès à cet imaginaire-là.. Je me souviens que ça faisait extrêmement mal que je me dise si je me souviens j'étais capable de faire ça. Je me souviens un moment donné c'était un monde où on avait des palais "...", puis il y avait "..." c'est un peu des déserts et puis je pense qu'il y avait une tortue géante qui était capable de faire des compétitions, quelque chose comme ça. Mais c'était des univers là où "..." N.S.:: Tu racontais des histoires dans lesquelles toi et tes amis vous aviez un rôle et que vous aviez "..." L.N.:: Oui-Oui et puis on jouait dedans... qui a joué dans notre histoire:: "Ouais là et puis "..."" tu es là on embarquait tout le monde et tout le monde jouait. N.S.:: C'est le truc que tu faisais souvent à l'école par exemple? L.N.:: Oui avec mes amis, avec Ralph des heures on a joué je me souviens "..." je me souviens des heures et des heures et des heures avec Guta, avec des amis de Guta. N.S.:: Et justement, à l'école, quel genre d'élève toi tu étais? Plutôt justement un peu rêveuse, plutôt leadeuse, quels souvenirs tu gardes des premières années à l'école, les relations avec les profs, avec les copains et puis tout ça? L.N.:: J'aimais beaucoup réussir, j'aimais beaucoup être bonne en mathématiques par exemple: 2 + 2 = 4. Quand j'arrivais à le faire, le calcul mental c'était top. Je me souviens qu'il y avait juste deux ou trois personnes:: Sophie, [rires] Arnaud et puis il y avait une grande, comment elle s'appelait "..." c'était je sais plus, c'était une fille tranquille, elle était plus grande que moi puis on se partageait les trois premières places tout le temps. Et ça j'aimais beaucoup, beaucoup ça, j'aimais beaucoup, beaucoup performer et je lisais depuis très longtemps, j'avais un petit peu d'avance par rapport à la lecture puisque j'aimais beaucoup-beaucoup lire. Je savais faire ça "..." j'aime beaucoup ça, c'est encore comme ça, j'aime beaucoup quand je sais faire quelque chose. Je me souviens des profs mais plus de quoi ils avaient l'air "..." les visages "..." ils n'étaient pas très beaux, je me souviens de "..." pas très beaux, un peu graisseux. Il y en avait un, il avait un grand, grand, tu sais, les grands, les grands ongles jaunes un peu "...". Mais ils étaient pas méchants. Je me souviens de mon mari [ami?], j'avais un mari [ami?] en première année"..." que j'aimais bien, il était très turbulent, puis "...", mais moi je l'aimais beaucoup, mais je ne pense pas "..." je sais pas ce qu'il peut être devenu, "..." mais c'était pas bien. Après, je me souviens que les Allemands c'était pas terrible. Je me souviens "..." mon souvenir c'était vraiment une personne puis je m'en "..." et puis c'était "..." j'ai pas du tout la même sensation quand je vois ou quand j'interagis avec les enfants, aujourd'hui. Je me souviens pas combien "..." tu sais quand on est enfant, on est une pleine personne quoi. Je parle à un enfant comme:: "Oh, petit enfant." alors que pas du tout quand tu es enfin ...c'est pas du tout "..." tu sais, il y a des trucs qui se passent, c'est grand la vie. N.S.:: Est-ce qu'il y avait des activités, des choses que tu faisais, je ne sais pas moi, que ça soit de la danse, que ça soit "...". L.N.:: Beaucoup. N.S.:: Beaucoup? Tu étais une enfant assez active? L.N.:: Beaucoup parce que mon père était sportif, donc je nageais, je pédalais et j'ai fait du judo. Tous, tous les sports d'équipe comme ça, quand j'avais neuf ans, il y avait une voisine qui s'est amourachée des chevaux et il a fallu qu'on fasse du cheval, du patin à roulettes, du vélo, tu sais, le vélo, pendant la période du cheval, il fallait mettre des fils sur le guidon pour faire comme si on faisait du cheval. Oui, on a fait plein de trucs. N.S.:: Et pour les [...] pour ce qui était du scolaire, est-ce que tes parents attendaient beaucoup de toi ? Est-ce que c'était toi toute seule ... se mettait la pression? Comment c'était? L.N.:: Moi je sais que, enfin, je sais que j'aimais réussir. Il y avait des compétitions de calcul mental, on nous mettait deux à deux et puis là c'était des compétitions et quand je gagnais, c'était Wooo! Mais, je me souviens que mes grandes difficultés c'était, par exemple, j'écrivais, j'avais des bonnes notes, mais il y avait le côté du cahier qui était... qui était plié et quand mon père il voyait ça, il était hors de lui: "Pourquoi tu ne peux pas soigner les choses?" et puis tout ça. Et moi je trouvais ça dur, je sais que quand j'avais des 9/10, des 10/10:: "Le un point il est où?". J'ai trouvé ça dur, mais bon, aujourd'hui, maintenant, on fait, on passe à autre chose. Je me souviens que je lui ai reproché ça pendant longtemps parce que je n'ai pas, j'ai pas continué à réussir comme je réussissais avant et ce rapport avec les attentes a été difficile. N.S.:: Est-ce que ça s'est ressenti, ensuite, les choix que tu as eu à faire par rapport aux études? Est-ce que tu as voulu choisir quelque chose par exemple que tes parents avaient étudié ou quelque chose de différent ? Vers quoi tu t'es orientée après le lycée par exemple? L.N.:: "..." C'était une période assez spéciale. Quand j'avais 16 ans, mon cousin Alain, c'était celui qui était à Bruxelles "...", il a été retrouvé pendu et à ce moment-là c'était, c'est comme ... une rupture, j'étais obsédée, obsédée par la mort, c'était comme une porte qui est ouverte. Je pense qu'aujourd'hui, tu sais, j'ai eu le temps de réfléchir et tout et puis je pense que c'était fragile un peu tu vois, les études secondaires et puis quand je suis venue ici, l'adaptation a été quand même difficile je pense, et puis, avant de venir ici, on avait encore changé d'école, j'étais rentrée dans le système allemand. Puis ensuite on est encore changé d'école dans le système d'ici. Je pense que quand j'étais ici là il y avait des coches que j'avais manquées, je n'avais pas raccroché les wagons au niveau où je voulais. J'étais pas aussi performante que j'aurais aimé être et puis je pense que j'avais du mal avec socialement aussi, comme adolescent là ... à être ce que je voulais. N.S.:: Quel genre d'ado tu étais? L.N.:: J'étais ...j'étais un peu garçon manqué ... beaucoup. Je me souviens je me bagarrais, quand je suis arrivée, je me bagarrais avec tout le temps et ma mère venait tout le temps me chercher à l'hôpital. Puis, à un moment donné, il y avait eu une bagarre devant ... devant la cafétéria, puis j'avais vu les filles de mon école, c'était les filles du High School, j'ai vu les filles de mon école et elles avaient l'air catastrophées et ouf j'ai compris que ça se fait pas. Alors j'ai arrêté de me bagarrer.. N.S.:: Et pour revenir un petit peu en avant, voilà tu es restée plusieurs années en Allemagne et puis comment tu as amorcé ce déménagement ... je veux dire tu me disais que tu avais déjà une tante, Radegonde, qui vivait déjà au Canada. Est-ce que c'est par elle que tu es venue? Comment ça s'est passé? L.N.:: Non je pense je... enfin, je pense et je sais maintenant qu'il y avait beaucoup de tensions entre mes parents par rapport à rester en Allemagne parce que... et c'est ce que je sais aujourd'hui, je ne savais pas ça avant mais parce que les "...". Ils avaient pas de statut, ma mère n'avait pas de statut, donc c'était un constant renouvellement du droit de... d'être là-bas donc c'était très instable. Mon père... avait fait beaucoup de liens je pense et ce que j'ai compris aujourd'hui c'est qu'il ne voulait pas, il ne voulait pas devenir... il voulait pas se déclarer un réfugié, donc entamer une procédure de naturalisation, il ne voulait pas, il se sentait ... il ne voulait pas faire ça, il se sentait comme s'il avait trahi son pays s'il avait fait ça et donc ma mère avait ses trois enfants et qui avait plus de sécurité, puis mon père était ... il disait... oui rester ici mais ... il était pas sûr si pendant longtemps sa mère était encore là-bas; donc est-ce qu'il allait retourner? C'était pas clair. Et puis, quand Radegonde s'est mariée ici avec son mari, ma mère est venue pour le mariage et elle a vu la rue Saint-Denis l'été et elle a dit:: "Wow moi c'est ici que je viens." Donc, elle est retournée en Allemagne, elle a regardé son mari et elle a dit " Moi c'est là-bas que je m'en vais avec les enfants." Et puis là, ils ont commencé les procédures d'immigration je pense que "...". Ce n'est pas évident un move comme ça. N.S.:: Et puis est-ce que tu pourrais, est-ce que t'as compris toi pourquoi ton père avait autant d'appréhension par rapport au statut de réfugié? Qu'est-ce que ça impliquait tout ça pour lui? Tu disais trahir son pays est-ce que tu peux expliquer un peu plus? L.N.:: Je l'ai pris comme ça, c'est ça que j'ai entendu quand j'ai fait son entrevue et je pense hélas je spécule parce qu'il faudrait qu'on lui demande [...] je pense qu'il a jugé qu'il avait [...] qu'il avait vécu des privilèges d'une certaine manière. En étant capable de [...] je ne sais pas pourquoi c'était un privilège [parti que] d'une certaine manière on pourrait le regarder comme [...] une possibilité de survie. Je pense qu'il était [...] je pense que ça a rapport avec ses sentiments à lui par rapport à [...] cette bourse, il n'y pensait plus [quand?] je suis née, enfin, quand il s'est marié il avait pensé à sortir du pays, il avait fait beaucoup des démarches pour faire ça, il n'avait pas été capable, alors il s'est dit:: "Bon bah, OK je vais me marier
N.S.:: Est-ce qu'on parlait beaucoup justement des [...] des gens qui y étaient, puis aussi des gens qui étaient pas là? De façon à ce qui [...] même si tu les voyais pas, [...] ils aient une existence justement. L.N.:: Oui, je pense que oui parce que mon meilleur anniversaire, celui dont je me souviens le plus j'avais 5 ans et je me souviens très bien que mes parents sont venus dans ma chambre avec des fleurs mauves et une bougie. Ils ont chanté, ça c'est la tradition chez nous, on vient chanter dans ta chambre pour te réveiller. J'étais déjà réveillée et je me souviens que je suis arrivée dans le salon, quand je pense à ça aujourd'hui les proportions sont toutes croches [...] et puis il y avait une grande table avec un drap blanc et en dessous il y avait une grande caisse avec tous les cadeaux que tous, mes tantes, mes oncles et mes grands-parents, tout le monde avait pensé à moi! [Rires] la grande table, [inaudible] je ne sais pas comment mon père parce que mon père étudiait en [hésitation] en sport c'était un sportif et donc il avait pu dénicher un trampoline, un vrai trampoline mais on était dans un appartement ou même quand je faisais comme ça, [fait semblant de sautiller] il y avait une dame âgée qui habitait en bas, puis était toujours en train de "toc toc toc! arrêtez de sauter!". Je sais pas comment il a pensé..., une trampoline était une bonne idée [rires], je me souviens qu'il y avait une trampoline c'était le pied mais quand je pense que la grande table c'était une trampoline puis ensuite, après je me souviens... la trampoline c'était grand comme ça donc j'étais pas très grande en fait et mes proportions sont toutes croches. Une grande table comme ça, des plantes, avec une grosse caisse en dessous avec tous les cadeaux, puis je me souviens un des cadeaux c'était un pyjama en [inaudible, frotter?] orange avec un haut orange et jaune comme ça [inaudible], puis j'ai mis ça, j'ai mis ça toute la journée, tout le monde avait pensé à moi et puis quand j'y pense après je me dis: "Tiens ça serait étrange si mes grands-parents avaient envoyé quelque chose." Donc, c'était effectivement c'était [inaudible] des gens qui racontaient. N.S.:: Mais d'ailleurs tu te rappelles encore bien de cette maison, de ce quartier? Quels sont les souvenirs qui te viennent à l'esprit quand tu penses à ça? L.N.:: Là où on habitait en premier, alors quatre rues, quatre maisons plus loin, il y avait un chien qui s'appelait Mélanie; c'était un cocker spaniel je sais pas comment on dit ça en français. Il était blanc et brun ça, c'était Mélanie je me souviens pas du nom de son propriétaire, mais ça c'était [...] Ensuite, dans ce coin-là, il y a ma meilleure amie qui s'appelait Guta, alors en dessous de chez nous, deux étages en dessous il y avait mon meilleur ami il s'appelait Ralph, avec lui ont faisait les 400 coups et puis en face il y avait Val [inaudible] c'était [...] c'est une dame qui a été très présente dans notre vie en Allemagne, elle était pédiatre, puis je sais pas, on l'a adoptée, elle nous a adoptés, mais elle était..., c'est un personnage qui a pris énormément de place dans la famille c'était comme [...] c'était pas une grand-mère parce qu'elle aurait pas aimé, je pense, être grand-mère, [...] je sais pas comment dire ça [...] très moderne je pense [...]. N.S.:: Beaucoup de relations à l'intérieur même du quartier, tu me dis les amis, la meilleure amie, le chien, la pédiatre, on parle de tout un univers que tu t'es construit. L.N.:: Quand j'allais à l'école, j'allais à l'école dans une école belge, c'était une école qui appartenait à une base militaire, je pense parce que mes parents, étant donné qu'ils ne savaient pas s'ils partaient, s'ils allaient devoir retourner, donc ils ont dit c'est important que je parle au moins le français. Ma mère voulait pas, elle a mis une croix sur le Kinyarwanda puisqu'elle ne voulait pas retourner, mais si jamais,... alors j'ai étudié en français. Puis, il y avait une dame qui s'occupait de moi après [inaudible] après l'école je me souviens de [inaudible] il y avait une autre dame qui me gardait c'était ma [inaudible]. Il y avait plusieurs dames plus âgées, quand je pense maintenant là, et toutes mes amies, j'avais beaucoup d'amies. N.S.:: Mais quelle [...] la langue que tu parlais alors à la maison, c'était l'allemand, c'était le français? L.N.:: Je pense qu'on parlait français [...] allemand peut-être? Allemand peut-être [...] je pense qu'on parlait et probablement l'allemand et le français aussi. N.S.:: Tu as toujours le souvenir d'avoir parlé les deux langues, d'avoir compris les deux langues? L.N.:: Oui. Oui parce qu'il y avait une partie de la famille qui était francophone, puis j'allais à la garderie dans la même [...] dans la garderie qui appartenait à cette école [...] la garderie, puis le primaire j'étais en français avec les flamands de l'autre côté; donc eux, ils parlaient flamand et on se débrouillait. Et même aujourd'hui, quand j'entends les Belges parler "...". N.S.:: Il y a un petit côté de familiarité. L.N.:: Oui, ça fait du bien. N.S.:: Mais alors justement à partir de quand "..." enfin est-ce que tu t'es rendue compte à un moment que tu n'étais pas forcément une allemande comme les autres? Est-ce que les autres te l'on fait ressentir à un moment ou un autre ou au contraire "..." bah t'as eu l'impression de grandir comme une petite allemande qui avait des origines d'ailleurs mais que ses origines du Rwanda finalement n'avaient pas eu de présence. Comment c'était quand tu étais petite par rapport à ça? L.N.:: J'avais pas "..." j'avais pas eu "..." le Rwanda ne prenait pas une grande place quand j'étais petite. Je savais que j'étais noire, mais même ça je pense pas que je faisais beaucoup de "..." de cas de ça. Ma mère, elle a une histoire qu'elle aime raconter, enfin, qu'elle aime raconter, qu'elle m'a racontée je me souviens pas "..." je me souviens pas "...". Apparemment, quand on avait trois, quatre ans comme ça, on est avec Ralph quand on était petit on était tout le temps ensemble, on a frotté, enfin, à un moment donné elle a ouvert la porte et puis j'étais, apparemment, ensanglantée j'avais la peau "..." parce que, puis je pleurais parce qu'on avait été en bas chez Ralph puis on avait essayé d'enlever la saleté on avait frotté, on avait frotté, on avait frotté, puis ça partait pas, je saignais et puis là elle avait vu ça, elle avait été complètement bouleversée. Puis elle me dit: " Mais est-ce que vous êtes rendus compte que vos parents aussi sont différents ? Vous voyez pas le lien?" Tu l'as, on avait apparemment compris que c'était normal qu'on n'avait pas la même couleur. Je me souviens vaguement à l'école belge aussi il y avait des moments où "..." bamboula, bamboula des trucs comme ça. Je me souviens pas me faire de grand cas de l'origine "..."; ma sœur Viara était beaucoup plus "..." consciente de ça "..." de sa couleur, de sa "..." du fait qu'on était différents, de la race, mais je pense que j'avais beaucoup de "..." je m'échappais souvent. Je racontais beaucoup d'histoires, je m'organisais avec la réalité, je pense, même petite. N.S.:: Des histoires auxquelles tu croyais? L.N.:: Des histoires auxquelles je croyais. J'organisais des histoires que j'aimais bien puis j'organisais des histoires pour mes amis pour qu'on puisse jouer dedans, tu sais, des scénarios des choses comme ça. N.S.:: Est-ce que tu te rappelles quels genres de scénarios, quels genres d'histoires c'était ? L.N.:: Il y a un que je me souviens, quand j'avais plus accès, quand j'étais adolescente, j'avais plus accès à cet imaginaire-là.. Je me souviens que ça faisait extrêmement mal que je me dise si je me souviens j'étais capable de faire ça. Je me souviens un moment donné c'était un monde où on avait des palais "...", puis il y avait "..." c'est un peu des déserts et puis je pense qu'il y avait une tortue géante qui était capable de faire des compétitions, quelque chose comme ça. Mais c'était des univers là où "..." N.S.:: Tu racontais des histoires dans lesquelles toi et tes amis vous aviez un rôle et que vous aviez "..." L.N.:: Oui-Oui et puis on jouait dedans... qui a joué dans notre histoire:: "Ouais là et puis "..."" tu es là on embarquait tout le monde et tout le monde jouait. N.S.:: C'est le truc que tu faisais souvent à l'école par exemple? L.N.:: Oui avec mes amis, avec Ralph des heures on a joué je me souviens "..." je me souviens des heures et des heures et des heures avec Guta, avec des amis de Guta. N.S.:: Et justement, à l'école, quel genre d'élève toi tu étais? Plutôt justement un peu rêveuse, plutôt leadeuse, quels souvenirs tu gardes des premières années à l'école, les relations avec les profs, avec les copains et puis tout ça? L.N.:: J'aimais beaucoup réussir, j'aimais beaucoup être bonne en mathématiques par exemple: 2 + 2 = 4. Quand j'arrivais à le faire, le calcul mental c'était top. Je me souviens qu'il y avait juste deux ou trois personnes:: Sophie, [rires] Arnaud et puis il y avait une grande, comment elle s'appelait "..." c'était je sais plus, c'était une fille tranquille, elle était plus grande que moi puis on se partageait les trois premières places tout le temps. Et ça j'aimais beaucoup, beaucoup ça, j'aimais beaucoup, beaucoup performer et je lisais depuis très longtemps, j'avais un petit peu d'avance par rapport à la lecture puisque j'aimais beaucoup-beaucoup lire. Je savais faire ça "..." j'aime beaucoup ça, c'est encore comme ça, j'aime beaucoup quand je sais faire quelque chose. Je me souviens des profs mais plus de quoi ils avaient l'air "..." les visages "..." ils n'étaient pas très beaux, je me souviens de "..." pas très beaux, un peu graisseux. Il y en avait un, il avait un grand, grand, tu sais, les grands, les grands ongles jaunes un peu "...". Mais ils étaient pas méchants. Je me souviens de mon mari [ami?], j'avais un mari [ami?] en première année"..." que j'aimais bien, il était très turbulent, puis "...", mais moi je l'aimais beaucoup, mais je ne pense pas "..." je sais pas ce qu'il peut être devenu, "..." mais c'était pas bien. Après, je me souviens que les Allemands c'était pas terrible. Je me souviens "..." mon souvenir c'était vraiment une personne puis je m'en "..." et puis c'était "..." j'ai pas du tout la même sensation quand je vois ou quand j'interagis avec les enfants, aujourd'hui. Je me souviens pas combien "..." tu sais quand on est enfant, on est une pleine personne quoi. Je parle à un enfant comme:: "Oh, petit enfant." alors que pas du tout quand tu es enfin ...c'est pas du tout "..." tu sais, il y a des trucs qui se passent, c'est grand la vie. N.S.:: Est-ce qu'il y avait des activités, des choses que tu faisais, je ne sais pas moi, que ça soit de la danse, que ça soit "...". L.N.:: Beaucoup. N.S.:: Beaucoup? Tu étais une enfant assez active? L.N.:: Beaucoup parce que mon père était sportif, donc je nageais, je pédalais et j'ai fait du judo. Tous, tous les sports d'équipe comme ça, quand j'avais neuf ans, il y avait une voisine qui s'est amourachée des chevaux et il a fallu qu'on fasse du cheval, du patin à roulettes, du vélo, tu sais, le vélo, pendant la période du cheval, il fallait mettre des fils sur le guidon pour faire comme si on faisait du cheval. Oui, on a fait plein de trucs. N.S.:: Et pour les [...] pour ce qui était du scolaire, est-ce que tes parents attendaient beaucoup de toi ? Est-ce que c'était toi toute seule ... se mettait la pression? Comment c'était? L.N.:: Moi je sais que, enfin, je sais que j'aimais réussir. Il y avait des compétitions de calcul mental, on nous mettait deux à deux et puis là c'était des compétitions et quand je gagnais, c'était Wooo! Mais, je me souviens que mes grandes difficultés c'était, par exemple, j'écrivais, j'avais des bonnes notes, mais il y avait le côté du cahier qui était... qui était plié et quand mon père il voyait ça, il était hors de lui: "Pourquoi tu ne peux pas soigner les choses?" et puis tout ça. Et moi je trouvais ça dur, je sais que quand j'avais des 9/10, des 10/10:: "Le un point il est où?". J'ai trouvé ça dur, mais bon, aujourd'hui, maintenant, on fait, on passe à autre chose. Je me souviens que je lui ai reproché ça pendant longtemps parce que je n'ai pas, j'ai pas continué à réussir comme je réussissais avant et ce rapport avec les attentes a été difficile. N.S.:: Est-ce que ça s'est ressenti, ensuite, les choix que tu as eu à faire par rapport aux études? Est-ce que tu as voulu choisir quelque chose par exemple que tes parents avaient étudié ou quelque chose de différent ? Vers quoi tu t'es orientée après le lycée par exemple? L.N.:: "..." C'était une période assez spéciale. Quand j'avais 16 ans, mon cousin Alain, c'était celui qui était à Bruxelles "...", il a été retrouvé pendu et à ce moment-là c'était, c'est comme ... une rupture, j'étais obsédée, obsédée par la mort, c'était comme une porte qui est ouverte. Je pense qu'aujourd'hui, tu sais, j'ai eu le temps de réfléchir et tout et puis je pense que c'était fragile un peu tu vois, les études secondaires et puis quand je suis venue ici, l'adaptation a été quand même difficile je pense, et puis, avant de venir ici, on avait encore changé d'école, j'étais rentrée dans le système allemand. Puis ensuite on est encore changé d'école dans le système d'ici. Je pense que quand j'étais ici là il y avait des coches que j'avais manquées, je n'avais pas raccroché les wagons au niveau où je voulais. J'étais pas aussi performante que j'aurais aimé être et puis je pense que j'avais du mal avec socialement aussi, comme adolescent là ... à être ce que je voulais. N.S.:: Quel genre d'ado tu étais? L.N.:: J'étais ...j'étais un peu garçon manqué ... beaucoup. Je me souviens je me bagarrais, quand je suis arrivée, je me bagarrais avec tout le temps et ma mère venait tout le temps me chercher à l'hôpital. Puis, à un moment donné, il y avait eu une bagarre devant ... devant la cafétéria, puis j'avais vu les filles de mon école, c'était les filles du High School, j'ai vu les filles de mon école et elles avaient l'air catastrophées et ouf j'ai compris que ça se fait pas. Alors j'ai arrêté de me bagarrer.. N.S.:: Et pour revenir un petit peu en avant, voilà tu es restée plusieurs années en Allemagne et puis comment tu as amorcé ce déménagement ... je veux dire tu me disais que tu avais déjà une tante, Radegonde, qui vivait déjà au Canada. Est-ce que c'est par elle que tu es venue? Comment ça s'est passé? L.N.:: Non je pense je... enfin, je pense et je sais maintenant qu'il y avait beaucoup de tensions entre mes parents par rapport à rester en Allemagne parce que... et c'est ce que je sais aujourd'hui, je ne savais pas ça avant mais parce que les "...". Ils avaient pas de statut, ma mère n'avait pas de statut, donc c'était un constant renouvellement du droit de... d'être là-bas donc c'était très instable. Mon père... avait fait beaucoup de liens je pense et ce que j'ai compris aujourd'hui c'est qu'il ne voulait pas, il ne voulait pas devenir... il voulait pas se déclarer un réfugié, donc entamer une procédure de naturalisation, il ne voulait pas, il se sentait ... il ne voulait pas faire ça, il se sentait comme s'il avait trahi son pays s'il avait fait ça et donc ma mère avait ses trois enfants et qui avait plus de sécurité, puis mon père était ... il disait... oui rester ici mais ... il était pas sûr si pendant longtemps sa mère était encore là-bas; donc est-ce qu'il allait retourner? C'était pas clair. Et puis, quand Radegonde s'est mariée ici avec son mari, ma mère est venue pour le mariage et elle a vu la rue Saint-Denis l'été et elle a dit:: "Wow moi c'est ici que je viens." Donc, elle est retournée en Allemagne, elle a regardé son mari et elle a dit " Moi c'est là-bas que je m'en vais avec les enfants." Et puis là, ils ont commencé les procédures d'immigration je pense que "...". Ce n'est pas évident un move comme ça. N.S.:: Et puis est-ce que tu pourrais, est-ce que t'as compris toi pourquoi ton père avait autant d'appréhension par rapport au statut de réfugié? Qu'est-ce que ça impliquait tout ça pour lui? Tu disais trahir son pays est-ce que tu peux expliquer un peu plus? L.N.:: Je l'ai pris comme ça, c'est ça que j'ai entendu quand j'ai fait son entrevue et je pense hélas je spécule parce qu'il faudrait qu'on lui demande [...] je pense qu'il a jugé qu'il avait [...] qu'il avait vécu des privilèges d'une certaine manière. En étant capable de [...] je ne sais pas pourquoi c'était un privilège [parti que] d'une certaine manière on pourrait le regarder comme [...] une possibilité de survie. Je pense qu'il était [...] je pense que ça a rapport avec ses sentiments à lui par rapport à [...] cette bourse, il n'y pensait plus [quand?] je suis née, enfin, quand il s'est marié il avait pensé à sortir du pays, il avait fait beaucoup des démarches pour faire ça, il n'avait pas été capable, alors il s'est dit:: "Bon bah, OK je vais me marier
N.S.:: J'aimerais qu'on reprenne... l'enlever... mais c'est la dernière fois c'est-à-dire
qu'on réaborde la fin de ton voyage en Allemagne et puis précisément le déménagement;
je voulais que tu me redises dans quelles circonstances ça s'est passé tu avais de
la famille déjà il me semble, au Canada.
L.N.:: La fin de mon "...", moi j'ai tout laissé, quand on a fini l'entrevue je ne
me rappelle même pas... je me souviens pas où est-ce qu'on s'était arrêté, donc mon
déménagement en Allemagne?
N.S.:: De l'Allemagne au Canada.
L.N.:: De l'Allemagne au Canada? Oui, j'avais déjà de la famille ici oui.
La personne qui est venue m'attendre c'était mon cousin Alain puis on est allé directement
sur la rue Jeanne Mance, il faisait super beau, c'était l'été.
C'était Jeanne Mance et Villeneuve à côté du parc à Montréal, enfin, le parc Jeanne
Mance.
Mes parents avaient acheté un triplex avec ... ma tante était en haut et puis un couple
d'amis était au troisième et nous on était au premier étage.
Et puis je me souviens ils avaient fait la peinture, tout était blanc alors les fenêtres
n'ouvraient pas parce que c'était peint et tout était blanc, blanc.
Puis ça avait été "..."; d'ailleurs je me souviens, c'est qu'en-dessous la peinture
était verte pomme.
Là, il y avait des trucs qui caillaient, c'était vert pomme.
Qui était là? Bah il y avait Alain il y avait ... je sais même pas si ses parents
étaient là, je me souviens seulement de lui puisque c'est avec lui que j'avais un
rapport.
Je pense qu'il avait aussi une copine, mais je suis pas sûre.
N.S.:: Tu es partie avec toute la famille d'Allemagne? Ou il y a quelques gens qui
sont restés?
L.N.:: Oui [...] avec mon père et ma mère
et mes sœurs.
On est tous partis.
N.S.:: Et les oncles aussi?
L.N.:: Ils sont venus je pense un peu plus
tard, peut-être parce qu'ils sont venus nous rejoindre.
Est-ce que Bello et Teta étaient là-bas? Je sais plus.
Je sais que un peu après, ils habitaient en face chez Martin, ils habitaient en haut.
Mais je sais plus s'ils sont venus en même temps que nous ou un petit peu après nous
ou "..."
N.S.:: Et toi quel âge tu avais? Est-ce
que tu étais encore scolarisée?
L.N.:: Oui j'avais 12 ans.
N.S.:: Justement scolairement parlant, et puis après tout le reste comment ça s'est
faite justement les premiers temps ici à Montréal?
L.N.:: L'Éducation c'est très important pour mes parents et ils nous avaient inscrits
dans ..., dans une école française, dans un lycée à Outremont.
Et puis, toutes les trois je pense à un moment donné ou à un autre.
"...". Ouais c'est ça, c'était très différent de ce que j'avais connu, mais en même temps
c'était pas si différent que ça parce que c'est Montréal, c'est pas complètement dépaysant,
mais je retournais dans un programme français, donc au début c'était belge, ensuite c'était
allemand, ensuite c'était français.
Je pense, j'ai manqué de quelques échelons, j'ai mal rattrapé et gardé le niveau école.
N.S.:: Est-ce que ça veut dire que tu es devenue une mauvaise élève?
L.N.:: Ouais, enfin, ce n'était pas dramatique, au début, mais ouais en science alors que
c'était quelque chose que j'aimais bien, mais c'était pas terrible, c'était moyen.
Alors que j'étais censée performer davantage.
Enfin, je me souviens pas d'avoir pété des scores.
N.S.:: Et tes parents comment est-ce qu'ils vivaient ça?
Très mal.
Je pense qu'il y a eu beaucoup de sacrifices pour nous permettre d'aller à l'école, je
pense qu'il y a quelques années On a fait..., on a eu des bourses maintenant je me souviens
c'était ..., c'était toujours... difficile.
N.S.:: Et concrètement comment ça se manifestait justement qu'ils te poussent dans les études,
ils te poussent scolairement?
L.N.:: [...] Je pense j'ai eu une grosse sensation d'échec pendant longtemps que je traîne
encore [...] Maintenant et c'est ça c'est un peu ça.
Je me souviens quand j'étais jeune, ma mère voulait que je sois médecin, comme toutes
les mères.
Après on se rend compte que tous les immigrants, tous les parents immigrants le voudraient
d'avoir des enfants qui se placent bien, qui réussissent bien.
Et puis j'avais pas [inaudible].
N.S.:: Pourtant ça c'est replacé, tu es quand même allée assez loin dans tes études,
donc à partir de quand tu as eu l'impression de ben de rattraper finalement ce retard que
tu avais eu à cause des déménagements?
Cette adaptation aussi?
L.N.:: Je crois que c'est venu assez tard ; il y avait des "...", je n'arrivais jamais
complètement à quitter l'école c'était impossible pour moi... quitter l'école ça
ne se faisait pas mais j'échouais beaucoup je dirais plus en allant, je dirais à partir
de... mettons la première, c'était assez dramatique.
Je me souviens de cette période-là comme si on me payait, je ne retournerais pas à
ça, c'était horrible et puis c'est resté comme ça jusqu'à 25 ans comme ça.
N.S.:: Est-ce que c'était la même chose pour tes sœurs et frères?
C'était une période difficile à ce niveau-là aussi?
L.N.:: Ce n'était pas ... pas pareil, je pense qu'on a vécu ça différemment.
Et moi comme première et puis la dernière aussi Teta je pense qu'on a eu plus de mal
que...que Viara au milieu.
Et je pense que les difficultés qu'elle avait, elle les a pas manifestées.
Elle a fait un cursus "...". Très... comment je dirais ça... très cohérent, très conséquent.
Alors que moi j'ai été tu sais..., comportement à risque..., délinquance...
Ah oui.
Pas le bon.
Je me suis perdue pendant ..., je suis pas allée très loin hein..., je dirais que j'ai
perdu 10 ans.
N.S.:: Et socialement parlant, est-ce que quelque part ce sentiment d'avoir été un
petit peu perdue, ça s'est retrouvé aussi au niveau des réseaux sociaux, ou au contraire
c'était une source de stabilité?.
L.N.:: Le réseau social? Je pense que j'avais "...". J'ai eu plein de copains pour faire
des bêtises et je pense qu'on n'a pas juste fait des bêtises, je pense qu'on a aussi
grandi ensemble c'est particulier là. C'est pas "...". Je ne sais pas si j'aurais aimé
être mon parent. J'avais beaucoup de copains, c'était très "...". Et puis en même temps,
je ne sais pas, j'étais vraiment proche de beaucoup de gens. Il y a des périodes comme
ça, mais je pense que tout le monde doit avoir ça "...". Il y a des périodes où
"...". Je suis sortie très tard. Je n'ai pas ..., j'ai pas fait des bêtises à 15-16
ans mais plutôt à 19 ans ; là c'était "...". On sortait ..., on sortait, je ne sais
pas moi du dimanche au dimanche quelque chose comme ça. On habitait sur la rue St-Laurent.
C'était la catastrophe. Et puis, toutes sortes de choses c'était "...".
N.S.:: Mais est-ce qu'il y avait même pas une notion de... d'amusement, de vivre intensément
à ce moment-là, vous avez vraiment l'impression que c'était une sorte de période trouble
point?
L.N.:: "..." Ce dont je me souviens, c'était
que j'étais très angoissée parce que je ne savais pas où je m'en allais, ce que je
devais faire, ce que je pouvais faire, ou ce que je valais, c'était angoissant tout
le temps. Et puis là, c'était tu sais les trucs comme je ne sais pas moi, les amours,
c'était trouble, tout était "...". Ce n'était pas cool. Et puis en même temps, vivre intensément
oui je veux dire on se promène des fois encore sur la rue Saint-Laurent si on se connaît,
on se connaît de loin et puis on se voit et "Ah-ha salut!" Il y a des trucs, il y a
des flashs comme ça [sifflement] il y a des choses dont... qui sont [inaudible] donc tu
racontes après "...". Mais quand je regarde vers l'arrière, je me dis, je trouve pas
que c'était pas..., c'est dommage parce que si j'avais su par exemple que..., c'est pas
si grave que ça. Que tu sais, c'est sûr que tu fais pas parfait, tu commences un peu
et puis après ben "...". Mais tout le monde commence un peu depuis OK ben si tu veux faire
ben je sais pas moi des dessins, tu fais des dessins depuis éventuellement ça va mieux
avec toi. Ou si tu veux faire ceci ...tu sais, tu commences puis c'est pas grave. Mais ce
n'était pas comme ça, c'était... et puis c'était comme ça depuis... je me souviens
j'avais des journaux et puis mon premier je me souviens j'avais dix ans et trois quarts
j'avais marqué j'ai dix ans et trois quarts et puis je me souviens quand j'avais 11 ans
je faisais déjà des crises, des crises d'angoisse [inaudible]. "Ouais j'ai peur, mais voir la
guerre atomique et tout "...". Quand je relis ça aujourd'hui après le "...", tu sais j'ai
été étudier pour voir, pour me soigner finalement. Maintenant je sais que c'est de
l'angoisse et que c'est une difficulté de rester ici, dans ce qui se passe maintenant
et puis là ça partait dans des inquiétudes.
N.S.:: D'apocalypse.
L.N.:: Ah ouais:: "Qu'est-ce qu'on va faire?"
S.G.:: Et comment est-ce que tes parents manifestaient
leurs émotions par rapport à cette période de crise que tu avais? Est-ce qu'ils étaient
plutôt stricts ou ils te laissaient trouver ta voie?
L.N.:: C'était une période de bagarres, je pense qu'un peu ça a dû être un peu
désespérant pour eux. Je dis un peu mais beaucoup, ça a dû être désespérant pour
eux. L'image que j'ai c'est vraiment une lutte quoi, une lutte:: "Ouais vous ne comprenez
pas!" Il va essayer entre:: "Ben explique-nous!". Et puis j'avais pas les mots non plus pour
dire quoi que ce soit, je veux dire j'aurais bien aimé avoir les mots que je peux avoir
aujourd'hui pour dire plus que je ne me sens pas bien. Tu sais quand tu dis à quelqu'un::
"Bah je me sens pas bien." Et puis la personne veut savoir et dit:: "Pourquoi tu ne te sens
pas bien?" il y a pas grand-chose à dire avec l'angoisse, que j'ai besoin...c'est qu'on
prenne soin de [inaudible] ça va aller. Et puis ben non ce n'était pas ça, c'était
" Qu'est-ce qui va pas?" Et là, on trouvait pas et là c'était la panique, c'était un
tourbillon et là je pense que, je pense que ça reflétait peut-être l'angoisse qui était
...familiale, peut-être que c'était..., c'était pas juste mon angoisse à moi mais
c'était..., c'était ou bien alors ça faisait du bruit ou alors ça en faisait pas et puis
là c'était vachement inquiétant. "...". Beaucoup de "...". Des détours dans la marge, tu sais
la marginalité, c'était tout sombre, glauque [inaudible, écrit?] beaucoup de mal à
trancher et puis tout était relatif et puis difficile..., difficile à jauger et puis
dire c'est ça qui est ça et puis c'est ça..., tout se valait et puis ça, c'était quelque
chose et c'était très difficile. Et mes parents ils n'étaient pas équipés pour
faire face, et je pense que c'était un peu comme frapper dans le mur; et bon les gens
ils réagissent mais c'est pas une réaction où on dit:: "Ah OK, bon c'est ça voilà,
comment réagir par rapport à ça?" Et c'est dommage je trouve parce que... je me
rends compte maintenant qu'il y a des gens qui savent comment je "...", c'est pas nécessaire
de s'écarter comme ça je pense.
N.S.:: Et est-ce que tu penses que quelque
part ça pouvait être des conséquences de ces déménagements comme c'était un gros
déménagement qui impliquait beaucoup de changements finalement ou c'était quelque
chose qui était plus profond que ça et qui finalement venait d'ailleurs?
L.N.:: Même aujourd'hui hein on est en train de faire un projet pour voir un petit peu
et puis on retourne à ça un petit peu..., et puis même aujourd'hui j'ai des grosses
crises de panique ça n'a aucun sens et puis t'eslà et ça va bien tout va bien tu ne
réagis pas à une chose précise. Et puis là, je pense que pendant qu'on était en
Allemagne les choses étaient sinon "...", il y avait des problèmes et puis nous on était
gamins enfin moi au moins on était gamins il y avait une certaine structure, je pense
qu'on était plus entouré peut-être. Je sais pas pourquoi..., mais je pense que même
là j'aurais pu "...", je sais pas enfin je pense qu'en vieillissant aussi il y a des
stades de la vie aussi je veux dire "...". On arrive à l'adolescence il y a tout le processus
d'identification et tout [inaudible] identitaire. Et là bon, "Qui suis-je?" Il y a des questions
qui demandent des réponses qui sont..., qui sont criantes. Et puis on peut aller remettre
une coupe de fois mais à un moment donné ça devient chaud. Et..., et si mettons j'arrive
pas à performer à l'école, j'arrive pas à me situer socialement, j'arrive pas à
faire les liens..., comme par exemple avoir un [inaudible] comme je voulais tu sais ce
sont des échecs à plusieurs niveaux et à un moment donné ça fait [son d'arrêt cardiaque].
Puis c'est un peu ça, je pense que si je regarde, enfin si j'écoute mes sœurs, par
exemple, elles avaient pas le même "...", elles avaient des difficultés, par exemple, par
rapport au standing économique. C'était pas tellement "...", je pense pas que c'était
tellement à ce niveau-là. C'était vraiment par rapport à::"j'arrive pas à faire
ce que je dois faire". Je pense que j'ai dévié sur la question..
N.S.:: Non pas vraiment. Et puis ben justement une dernière chose par rapport à cette période,
je voulais savoir, c'est assez frappant quand on écoute, ben quand on se rappelle de la
dernière interview comment l'Allemagne t'en parlais quelque part comme le temps d'innocence
ou finalement enfin tu sais il y a l'innocence en ce qui est propre à l'enfance finalement
et puis comme là on voit à quel point l'arrivée à Montréal n'a pas été facile et que "..." il
y a eu beaucoup de remises en question à plusieurs niveaux. Je me rappel quand tu parlais
de l'Allemagne tu parlais de ta famille vraiment comme avec des liens très solides, très
unie et que finalement même ceux qui ne vivent pas avec vous tu les voyais quasiment quotidiennement
ou en tout cas dans ton imaginaire quotidiennement. Est-ce que cette belle union, cette belle
unité "..." est restée telle quelle à Montréal ou est-ce qu'elle a petit à peu évolué
parce qu'il y a eu le déménagement, enfin comment c'était ça?
L.N.:: C'était pareil, la famille c'était pareil. Ma grand-mère est venue ici à Montréal,
nous on habitait en bas, Radegonde habitait en haut, Bello et Teta habitaient en face,
il y avait juste... et Émile et Conso qui habitaient "...", eux ils voyageaient, ils
faisaient l'Afrique, ils revenaient, ils étaient à Sainte-Anne [inaudible] c'était loin tout
ça. Mais on a eu des coups quand même en 86, en 84, ma grand-mère est morte, 86 Alain
est mort. Etlà ça a fait ..., je pense que c'est là où..., en fait c'est là où
il y a eu le [sifflement].
N.S.:: N'importe quoi.
L.N.:: Il est mort, ...il est mort pendu. [silence]
N.S.:: Et est-ce que la famille a réussi à passer cette épreuve parce que j'imagine
que ça doit brasser pas mal...
L.N.:: [inaudible], ça a mis tout le monde
à terre je pense. Ça c'était pas mal difficile. En fait, c'est ce moment-là que c'est devenu
plus sombre. Parce qu'avant j'essayais et j'essayais mais après Wooo!
N.S.:: [Inaudible]
L.N.:: Ouais "..." c'était "..." ouais.
N.S.:: Bon, tu me dis à tout moment si tu souhaites prendre une petite pause. Je voulais
revenir un petit peu sur la communauté, on sait qu'il y a quand même une communauté
rwandaise relativement importante ici à Montréal, je voulais savoir si en arrivant vous aviez
renforcé ses liens avec la communauté parce que tu disais qu'en Allemagne finalement "..." pas
tant que ça, est-ce qu'à Montréal ça c'est "..." ?
L.N.:: En Allemagne c'était vraiment en tout cas, j'ai l'impression peut-être je me trompe,
c'était vraiment familial. Alors qu'ici je ne pense pas que la communauté, enfin moi
j'ai pas vécu dans la communauté jusqu'à peut-être 90, 92; je rentrais et je sortais,
je trouvais ça très difficile.
N.S.:: À quel niveau?
L.N.:: Parce que je ne parlais pas la langue, il y avait cette question de "Est-ce qu'on
est vraiment "...", "est-ce qu'on est des vrais Rwandais ou pas?" donc les trucs identitaires
[rires].
N.S.:: Tu avais du mal à admettre qu'on puisse
être Rwandais sans parler Kinyarwanda?
L.N.:: Non, mais je n'aimais pas, je n'aimais
pas devoir me justifier d'être membre, d'être une vraie membre qu'est-ce que ça veut dire
de toute façon? Et donc, c'était quelque chose où je rentrais et je sortais, c'était
très ambivalent. Je sais pas, je sais que ma petite sœur elle était beaucoup avec
ma maman et donc elle a grandi dans la communauté, elle c'est vraiment quelqu'un qui a ..., moi
je suis venue ..., moi l'engagement que j'ai eu plus tard c'est venu beaucoup plus tard
parce que je voulais, parce que j'avais été au Rwanda, parce que je ..., parce que j'en
avais besoin, parce que j'avais envie parce que ..., [inaudible] je voulais faire des
choses, là c'était autre chose. Mais tout, pendant la "..." on est allé en Afrique en
1990, mes parents, nous, on est toutes les trois. Ma mère voulait qu'on rencontre son
père. [inaudible] Je t'en ai parlé de ça déjà?
N.S.:: C'est-à-dire que ton grand-père vivait dans un camp au Rwanda? Est-ce que tu peux
nous en dire un peu plus là-dessus, comment ça s'est fait ce voyage?
L.N.:: Comment ça s'est fait son voyage?
N.S.:: Non ce voyage et toi qu'est-ce que
tu en a appris sur ce fameux grand-père?
L.N.:: Moi c'était..., j'étais beaucoup
déconnectée et puis là je me souviens parce qu'en Allemagne, il n'y avait pas tellement
de noirs. [Inaudible] Je me souviens pas avoir beaucoup de "...", mais quand je suis arrivée
ici il y avait beaucoup d'antillais, je ne connaissais pas les antillais n'ont plus puis
quand je suis allée en Afrique, je me souviens qu'on est arrivé au Kenya à Nairobi, je
me suis dit:: "Tiens ça sent quelque chose, il y a quelque chose qui va pas." Et puis
j'ai dit à ma mère:: "Il y a quelque chose qui va pas.". Et puis, elle était folle de
joie, mon père je ne l'avais jamais vu rigoler comme ça et puis mes sœurs étaient toutes
les deux un peu désorientées et moi j'étais là je cherchais [inaudible]. On a pris un
taxi, l'oncle Michel qui nous a trouvés et puis il y avait la télévision "..." et puis
à un moment donné j'ai dit:: "Ah je sais! Tout le monde ici est noir." Je me souviens
ma mère m'a regardée elle a dit:: "Mais j'ai donné naissance à qui?" Je me souviens
on était à la plage, je regardais tout, je trouvais ça super; il y avait plein
de gens qui me ressemblaient. Et les cousins qui étaient pas vraiment des cousins mais
bon c'était un peu "...". C'était la reconnaissance de la [inaudible], quelqu'un
et puis "Ah!" sans avoir besoin de dire quoique ce soit, puis des gens qui réfléchissaient...
Je me bagarrais avec "..." avec "..." des jeunes qui finalement faisaient partie...,
après je me suis rendu compte qu'ils faisaient partie du FPR [Front Patriotique Rwandais]
par exemple, ou des gens qui étaient politisés qui étaient "...", puis moi j'étais
pas sûre du tout, je me disais:: "Mais attends, si les gens devaient ... se bagarrer pour
rentrer au pays ben est-ce que"...". Cette idée de d'être à l'extérieur du pays et
puis la réalité de réfugiés en Afrique c'est pas du tout ce que j'ai vécu. Nous
on était en Allemagne, on était au Canada et c'était pas du tout la même chose. Donc,
aller dans un camp et puis voir les vieux, voir les enfants et puis les liens qu'il y
a entre les deux parce que tout le monde est à la ville en train d'essayer de travailler
et puis d'essayer de ramener des sous, puis c'était pas du tout la réalité qu'on connaissait..
N.S.:: Donc cette remise en perspective de ton propre statut d'immigrée, quelque part, comment ça s'est fait? Enfin j'entends beaucoup de choses, j'entends les premiers contacts politiques qu'est-ce que tu savais déjà là-dessus? L.N.:: Je connaissais..., est-ce que je connaissais l'histoire comme ce que je connais maintenant non j'avais plus... c'était plus un sentiment j'aimais pas ... ce n'est pas que j'aimais pas bagarrer, j'aimais beaucoup me bagarrer à un moment, mais après je n'aime pas énormément les conflits mais je sentais ça comme un conflit. Je me souviens, quand on allait dans les petits endroits ce dont je me souviens et puis c'est flou il y avait des gens qui voulaient reconquérir le pays. Et puis dans ma tête je me disais, et ce que je voyais moi c'était beaucoup de sang, je sais pas pourquoi puisqu'on n'en parle pas du pays, mes parents n'en parlaient pas, mais pour moi c'était clair que "...". Et puis je me souviens, j'étais allée voir ma mère et puis j'ai dit:: "Ça va être un bain de sang!" Et elle a dit:: "Arrête de t'énerver, il y a eu, il y a toujours eu ce genre de volonté de rentrer et puis on y est jamais arrivé ce n'est pas aujourd'hui que ça va changer". J'avais dit ça à un pseudo-cousin, c'était pas un cousin finalement, c'était un enfant d'un cousin d'un de mes parents, quelque chose comme ça ..., et puis il...finalement il avait été dans l'armée après puis..., la première fois qu'il m'a écrit après la guerre il m'a dit ..., lui il conduisait un camion de ravitaillement et puis il a vu les corps et il dit:: "J'ai pensé à toi, j'ai pensé à toi." parce qu'on s'engueulait en disant est-ce que le statu quo c'est possible. Et puis j'arrivais pas à argumenter parce que effectivement le statut quo c'est pas possible. Je n'arrivais pas... l'un ou l'autre c'était "...". N.S.:: Est-ce que t'en discutais avec des parents? L.N.:: Oui. N.S.:: Et est-ce que vous étiez d'accord sur la manière de voir les choses, étant donné qu'ils avaient grandi au Rwanda? L.N.:: Non je pense qu'on n'avait pas du tout..., d'abord je n'avais pas des connaissances avec des impressions, j'avais des opinions..., j'avais pas beaucoup de connaissances, j'avais vécu de manière très protégée. C'était pas du tout comme..., c'est pas du tout comme eux quoi; puis eux, entre eux ils avaient pas du tout les mêmes opinions politiques non plus, mais ça n'a jamais été un ..., c'était pas grave, on discutait tout le monde de ce qu'on pensait et puis comment on pensait. Je me souviens à l'époque je fumais des cigarettes, j'avais des grandes discussions [rires] ça m'avait beaucoup impressionnée, puis même que je me souviens on est allé au Rwanda et puis je me souviens c'est la fois où j'ai vu mon père heureux. Il avait un copain puis ils se promenaient, là-bas les hommes se tiennent par la main. Ça, avec ma sœur on rigolait de ça, Teta, et puis ma mère nous disait "Ah vous êtes tellement blancs.". Puis..., vraiment tous les clichés on a tapé, tous les clichés. Et puis, ils se promenaient du matin au soir la main dans la main et puis ils rigolaient, j'ai jamais vu mon père aussi heureux comme ça, jamais. Depuis, la femme elle disait, on se disait:: "Bon ben écoute, on va encore dormir seules.". Je me souviens quand cet ami-là a été tué dans le génocide, j'ai jamais vu mon père aussi malheureux que ça, c'était il était dégoûté de la vie, dégoûté de la vie. Il y a eu plein de trucs c'était très intense parce que c'était presque un peu incroyable, c'était pas sûr que ... nous on se disait:: "Il va se passer quelque chose, il va se passer quelque chose, en 90.". On était en été, Cobra [?] faisait une offensive donc c'était ... là. C'était quelque chose. N.S.:: Dans quelle mesure tu as eu l'impression de mieux connaître, redécouvrir les parents en allant au Rwanda? L.N.:: Non, j'ai pas redécouvert mes parents mais j'ai découvert... d'où je venais. Quand je suis allée au Rwanda, même avant je me suis dit:: "Ce n'est pas possible, comment je peux me sentir en paix, alors qu'il y a tellement de choses qui ne vont pas bien?". Il y avait quelque chose, c'est vraiment spécial alors que je ne parle pas plus la langue, mais c'était quelque chose de très spécial. Ici restait un leitmotiv, j'ai continué à étudier sur le Rwanda, par rapport à la cause du Rwanda, c'est resté une obsession. N.S.:: C'est-à-dire qu'après 90 tu as orienté tes études vers le Rwanda? L.N.:: J'ai pas orienté mes études vers le Rwanda mais j'ai orienté mes études vers l'essence pour comprendre puis j'ai commencé par le sens fondamentalement, j'ai essayé de voir est-ce que je pouvais aller... et puis là, je suis allée en sciences des religions, est-ce que c'était le seul..., j'ai essayé psycho, j'ai essayé philo tout ça mais j'arrivais pas, j'arrivais pas à intégrer la matière. La seule matière que j'arrivais à intégrer c'était la science des religions. Puis c'était parce qu'ils parlaient du chaos et du cosmos, le chaos et l'ordre, le temps, l'espace, le mythe, la théorie c'est comme s'ils faisaient des étagères dans ma tête. Tac tac tac. OK une base. Mais c'était "...". Puis j'ai, à travers mes cours, j'ai essayé toujours de comprendre davantage. C'est là où j'ai fait mes premières recherches par rapport à l'histoire. En 94, j'ai quitté, j'ai travaillé à temps plein, j'étudiais à temps partiel, j'ai travaillé beaucoup. En 94, j'écrivais sans arrêt, sans arrêt, sans arrêt. N.S.:: Il y a vraiment une sortie de [...] de renouveau quelque part après ce voyage. Enfin, je sais pas tu en parles comme vraiment un avant-un après, un lien peut-être ... qui s'est construit. Mais reparle-moi un petit peu de cet oncle-là, on était parti justement en parlant de cet oncle-là qui vivait dans un camp de réfugiés. L.N.:: Le grand-père? N.S.:: Ah c'était le grand-père, excuse-moi. L.N.:: "..." quoi dire, il était pas très grand. C'était un monsieur très joli, il avait une moustache, il était très soigné, il avait un complet trois pièces et c'était tu sais, c'était désert enfin ça avait l'air du désert, c'était très beau, c'était esthétiquement beau, enfin je sais pas si on peut dire beau quand c'est aussi sec là, c'est ardu; je me souviens que c'était très... très beau. Les buttes, la poussière, mais lui, il était en complet. Je sais pas pourquoi parce qu'il y avait de poussière partout. N.S.:: Dans le camp de réfugiés? L.N.:: Lui [inaudible] avec une canne. La canne ça servait de tout, c'était pour dire un truc:: taper sur un tel, pour dire va me chercher quelque chose. C'était un monsieur important je pense dans son monde..
N.S.:: Quelqu'un qui avait la prestance? L.N.:: Beaucoup; pourtant il était pas très grand, mais il était très "...". Je me souviens quand ils se sont ..., il était venu à Kampala je pense puis je me souviens il y avait tous les oncles du côté de ma mère que je ne connaissais pas et que j'ai rencontrés là-bas. Je me souviens ils avaient eu une discussion mais ça parle fort. Ils se hein "...". C'était pas comme du côté de mon père, je pense pas que je me suis jamais ... je me souviens pas qu'on se soit parlé, enfin discuté fort comme ça. J'étais très impressionnée et puis ma maman était là-dedans et puis ouais! Ils étaient tous affirmés, ils étaient tous extrêmement affirmés. J'étais genre "Ah c'est qui ces gens-là?". Je trouvais ça fascinant. Puis ils étaient très... mes grands-parents c'était ... c'est étrange parce qu'ils ne connaissent pas, mais la sensation que j'ai eue que ce soit mes grands-parents paternels ou maternels c'était qu'ils nous aimaient alors qu'ils nous avaient pas vues avant. Puis, ils nous serraient et puis ils rigolaient avec nous... c'était quelqu'un de très charmant, très intéressant. N.S.:: Comment ça s'est passé les retrouvailles avec sa fille? L.N.:: C'était ... je pense que je me souviens pas de ça en particulier. Je me souviens pas vraiment ... je me souviens pas de mes parents alors qu'on était ensemble tout le temps. Je me souviens quand j'ai rencontré la première fois, que la sœur de ma mère, la maman de Gilbert, parce qu'on est allé au Burundi aussi, je me souviens elle était de dos à moi, j'étais sûre que c'était ma mère. Alors c'était la première nuit qu'on avait été là-bas, et puis là j'arrive, je lui raconte un truc, puis je tourne autour et puis lui fais face, mais c'est pas ma mère, c'est comme ma mère, mais c'est qui? [rires] Je me souviens avoir pensé:: "Tiens on l'a fait deux fois! Deux fois!" [rires]. Je me souviens de moi ce que j'avais vu, mais je me souviens pas énormément de comment ... c'est ma mère et comment était ma maman, je me souviens qu'elle était heureuse, elle parlait avec beaucoup de gens. Il y avait beaucoup de gens, beaucoup de gens, il y avait beaucoup de gens voir... et moi j'ai jamais, je pense, entretenir autant de liens avec autant de personnes, ici des liens toujours significatifs, je pense que c'est quelque chose qui se... enfin moi je pense avoir perdu cette capacité-là de faire autant de liens et de soigner le [?] monde et de donner aussi généreusement, je pense que je peux pas. N.S.:: Dis-moi, ce voyage l'impression quand tu es allée au Burundi, tu es allée au Rwanda, tu es allée en Ouganda. J'imagine que c'est un voyage qui s'est préparé longtemps à l'avance, enfin, c'est un gros voyage apparemment. L.N.:: C'est un gros voyage. N.S.:: Ben qu'est-ce qui l'a motivé? Enfin, qu'est-ce qui a fait que tes parents se sont dit:: "Tiens là on va partir, il faut que les enfants connaissent ça, il faut que nous on revoit telles ou telles personnes, enfin qu'est-ce qui a..., ça a été quoi le déclic? L.N.:: C'est une bonne question parce que moi, ce dont je me souviens, c'est que c'était une période difficile c'était "...". J'avais 19 ans entre 16 et 19, après le voyage, j'ai quitté la maison. Donc, c'était une période très ... très conflictuelle je pense. C'était le dernier voyage que j'ai pris ...c'était peut-être aussi le premier parce qu'ils en ont fait pas mal avec mes sœurs et moi je faisais autre chose. N.S.:: C'est-à-dire qu'ils partaient avec tes sœurs et toi tu restais ou tu partais? L.N.:: Quelque part au Canada ou ils sont partis à New York... N.S.:: Et ... le retour alors je sais pas combien de temps le voyage a duré. L.N.:: Deux-trois mois. N.S.:: Deux-trois mois? Mais justement le retour à Montréal tu disais que tu avais à peu près 19 ans, que c'était pas forcément drôle tous les jours à Montréal, que tu avais vécu quelque chose vraiment très intense lors de ce voyage et tu dis que quand tu es rentrée, tu es partie quasiment aussitôt de chez tes parents alors comment ça s'est fait? Est-ce que le décalage s'est accentué encore quand tu es rentrée du Rwanda? Comment ça c'est passé? Qu'est-ce que tu ressentais toi? L.N.:: Le décalage avec qui? N.S.:: Le fait de se rechercher un peu, de ne pas trop savoir pouvoir faire ce qu'on veut, je ne sais pas ce dont tu parlais justement avant ce voyage. L.N.:: "..." je ne sais pas c'était... on se faisait beaucoup de la peine avec ma mère. J'ai quitté pour aller habiter avec une collègue. Je pense que j'ai quitté parce que j'étais pas capable de ...d'assumer la pression ... ou l'échec. Je me souviens que j'avais essayé de faire le cours de calcul différentiel et intégral, je me souviens devoir essayer trois fois... trois fois et de l'avoir manqué trois fois. C'était la folie à l'école, je pouvais pas comprendre comment je ne comprenais pas. J'ai paniqué ça m'a tuée "...". N.S.:: Et dans quel quartier c'était ce premier appartement alors? L.N.:: C'était sur Christophe Colomb. N.S.:: Sur Christophe Colomb? L.N.:: Ouais, Christophe Colomb près de Mont-Royal. N.S.:: Ah le plateau. Et c'était qui cette copine avec qui tu as emménagé? L.N.:: C'était un super pote. N.S.:: Comment ça s'est passé les premiers temps? Le fait de vivre avec un colloque et tout ça? L.N.:: C'était ... c'était sympathique ... ouais c'était sympathique, c'était ... je me souviens la première fois que mon père est venu à l'appartement il fait le tour de l'appartement, je me souviens on avait eu... je me souviens il y avait une de mes tantes qui avait un set de salon et il y avait des divans comme ça qui ne servaient plus et on les avait pris. On avait une lumière avec une ampoule bleue [inaudible], avec les lumières bleues et les sofas [inaudible]. N.S.:: Combien de temps tu es restée dans cet appart'? L.N.:: Un an, deux ans peut-être. N.S.:: Est-ce que tu travaillais? L.N.:: Des jobines ici et là.. N.S.:: Et tu étais toujours étudiante? L.N.:: [Rires] Façon de parler. N.S.:: Et à ton retour du Rwanda, comment ça s'est manifesté justement ce rapprochement avec la communauté rwandaise? L.N.:: Ah c'est venu plus tard. Beaucoup plus tard. N.S.:: C'est venu plus tard? L.N.:: La première fois où j'ai fait quelque chose avec la communauté rwandaise c'était"...", Jacques était déjà là donc c'était après le génocide. Puis je me posais beaucoup de questions à savoir comment ça se fait qu'on danse des rois, des vaches, des choses comme ça alors qu'on vit dans un milieu urbain? Comment ça se fait qu'on ne danse pas nos préoccupations d'ici? Alors j'avais essayé de chorégraphier quelque chose, je me souviens on avait pris... Bobby McFerrin ... " Sweet in The Morning". Une espèce de chorégraphie, je pense on avait fait deux chorégraphies en essayant de créer quelque chose qui ressemblait à quelque chose qu'on pouvait... qui pourrait tenir avec, près des préoccupations qu'on avait nous. Puis je me souviens qu'on avait présenté ça à la communauté, ils avaient trouvé ça sympathique, mais sans plus. Puis c'est sûr que c'était pas ... je me souviens qu'on avait beaucoup réfléchi et tout mais c'était ..., dans le fond, c'était comme si on faisait un dessin, l'enfant qui fait un dessin avec un rond et puis c'est très primaire. C'était un peu ça je pense c'était pas ..., c'était une idée, mais ça prend beaucoup de temps pour"..." N.S.:: Est-ce qu'on pourrait dire que c'était la première implication réelle que tu avais, le premier input que tu mettais dans la communauté rwandaise? L.N.:: Ouais. N.S.:: Mais tu connaissais déjà la plupart des Rwandais qu'il y avait sur l'île de Montréal? L.N.:: Non, enfin c'est-à-dire je les connaissais de vue ou parce que nos familles se fréquentent. Mais moi-même j'ai"..." je me souviens c'était pas moi qui parlais à la troupe, c'était Jacques qui parlait à la troupe parce que moi si je disais:: "Et si on faisait ceci, si on faisait cela?." [inaudible]. Alors que lui, c'était un, c'était un ... et c'est toujours d'ailleurs un des leaders de la communauté, c'était un jeune qui avait beaucoup d'influence et puis qui avait la confiance aussi des gens alors que moi j'avais [inaudible]. N.S.:: Dans un sens est-ce que tu as une impression progressivement... là, la communauté finalement apportait une certaine stabilité, ça représente quoi pour toi la communauté rwandaise, ton envie d'apporter quelque chose de t'impliquer là-dedans? L.N.:: Il y a personne d'autre qui partage ce bagage avec moi, donc ce sont des gens avec qui je suis liée c'est comme ... c'est comme ma famille. Puis avec qui je peux discuter de ça, avec qui je peux discuter que si on devrait ou non danser des vaches ou taper des mains ou pas ... les cloches qu'on a dans les pieds et si on mettait tout noir avec ... est-ce que vous aimez la danse moderne? "..." tel truc même si bon, même si ça faisait pas grand monde que ça intéressait, au moins il y avait une partie où ils pouvaient dire:: "non, ça se fait pas comme ça" et tout, il fallait que je remettes tout en question:: "pourquoi les filles ne pouvaient danser comme les garçons? Puis pourquoi les filles peuvent pas taper les tambours? Pourquoi ne pas faire...?" N.S.:: un besoin de comprendre? L.N.:: Je pense que c'était surtout un besoin de contester. [Rires] C'était pas juste comprendre. Si ça avait été comprendre, ça aurait été bien je crois. J'ai compris seulement après, je voulais faire mon truc à moi mais je me suis rendu compte qu' avant de parler, ben j'avais à écouter et je me suis fermée. N.S.:: Et depuis que tu es rentrée, est-ce que tu suivais un petit peu la situation politique au Rwanda? Tu avais vu qu'elle était déjà complexe, parfois c'est tendu. Est-ce que tu suivais de loin en loin? Est-ce que t'avais des nouvelles par la communauté? L.N.:: J'avais des nouvelles par les gens de la famille. "..." je ne suivais pas nécessairement l'actualité pour savoir qui est qui, qui a fait tel ou tel. Mais je recevais assez de, d'input parce que c'était un sujet qui était extrêmement présent. N.S.:: Oui est-ce que tu te rappelles si enfin les réactions que tu as eues ou que tu as observées lors de la signature des accords d'Arusha par exemple? L.N.:: Pas du tout. Je me souviens quand l'avion du président a été abattu, il y avait comme un mouvement de liesse, une espèce de grand "Wow!" Ma mère elle disait:: "Ouf, ça va mal se passer.". Après, c'était ... je comprenais pas pourquoi les gens n'avaient pas pensé que c'était quelque chose qui allait bien se passer. "..." mais ça dépassait tout ce que "...". Je pense qu'il y a personne qui pouvait imaginer ce qui s'est passé. Ça n'avait aucun bon sens. Pff. [silence]. Ça c'était aussi un avant et un après. [inaudible] c'est devenu urgent. C'est rigolo parce que urgent, urgent parce que quatre ans plus tard, j'avais l'impression d'avoir pas énormément avancé par rapport à ça. N.S.:: Les projets qui ont été créés, il y a quand même beaucoup de choses qui ont été faites au moins ici même, ici puis là-bas. Mais où est-ce que tu étais toi quand l'avion du général Juvénal s'est fait... L.N.:: Moi j'étais sur la rue Jeanne Mance, j'habitais avec Anne Lise. On n'avait ... on avait eu des nouvelles comme quoi ses parents avaient été assassinés, c'était le jour d'après, quelque chose comme ça. Je me souviens, quand elle a reçu la nouvelle, je me souviens pas qui lui a dit, puis elle est partie en courant elle est partie ... puis elle courait ...elle courait super vite. Je me souviens je courais derrière, puis elle est rentrée dans un parc, elle a couru, elle a couru jusqu'à ce qu'elle n'en puisse plus, elle s'est effondrée par terre. Je me souviens elle disait:: "Non non non non non." Je me souviens j'étais à côté et j'ai dit:: "Ouf.". C'était la catastrophe. Évidemment, ses parents ont survécu, on a su ça une semaine plus tard je pense. Au début on avait pensé que ses parents étaient ... étaient morts quoi. N.S.:: La vague de choc finalement qu'a produit ... qu'a produit ... l'attentat sur l'avion de Juvénal et ce qui s'en est suivi, je voulais savoir en dehors du choc [inaudible] ça peut représenter pour la communauté rwandaise ici, comment ça a été vécu? Comment ... est-ce qu'il y avait des gens qui avaient des nouvelles du pays d'une manière ou d'une autre? Comment ça s'est passé à ce niveau-là?. L.N.:: Tout le monde était branché sur la télévision, sur le téléphone il y avait des... tout ce qui pouvait être envoyé comme message était envoyé. Message sur nouveau message. C'était constant, constant, constant, les gens étaient branchés tout le temps, tout le temps tout le temps. En même temps je me souviens, avec la guerre des Balkans, à cette époque-là, il y avait la guerre des Balkans, puis à la télévision c'était comme une boucle. Sur l'autre chaîne, la guerre des Balkans. Comme "Ah!" tu sais les gens étaient toujours en train de chercher des informations, donc quand il y avait des soldats, ils s'arrêtaient:: "Non ça c'est pas la bonne guerre.". Tu sais il y avait une espèce d'absurde avec les gens. C'est quelque chose qui m'a beaucoup ... je l'ai raconté souvent je pense. C'est quelque chose que je trouve très difficile à comprendre; comment ça se fait que les gens pouvaient avoir autant d'images... des nouvelles et qu'il n'y a personne qui pouvait rien faire. En tout cas, c'est comme ça qu'on recevait ... les gens étaient décimés c'était quand même un trois mois ... de folie vraiment. Puis... N.S.:: Est-ce que la communauté pouvait déjà vraiment, d'une manière ou d'une autre, ... aider ou faire quelque chose pour ... pour les gens qui étaient là-bas ou c'était ... tu recevais des images, mais vraiment il n'y avait rien qui pouvait être fait? L.N.:: C'est la sensation ... la sensation que j'avais. [inaudible] "C'est pas possible, c'est pas possible, c'est pas possible!". C'est le choc, je pense. C'est surréaliste ...ça s'explique pas. Parce que c'était très..., la simultanéité est étrange, il y a le monde qui s'écroule et en même temps la vie continue, mais d'un ... d'une banalité absolue et c'est le contraste est"...". N.S.:: C'est-à-dire que tu continues à aller au travail, tu continues... L.N.:: À aller au travail que tu y ailles ou que tu n'y ailles pas, [inaudible] tu continues à aller au Métro au Provigo ou au Steinberg . Il faut que tu manges, tes enfants mangent, la vie continue, la majorité des gens qui disent bonjour alors que ... l'univers s'écroule c'est pas normal. C'est ... enfin moi ça m'a beaucoup questionné c'est très... alors que ...puis après, il y a plein de réalité comme ça qui sont quotidiennes maintenant, tu sais, ... je sais pas quand tu vois les conflits qu'il y a aujourd'hui, tu les regardes et tu te dis, les situations de ... de pauvreté tu te dis:: " C'est pas possible tout ça, comment ça se fait comment ça peut continuer?". Et à ce moment-là, ça j'avais trouvé ça [inaudible]. N.S.:: Et puis, est-ce qu'il y avait une sorte de [...] c'est dur de dire ça [...] sorte de soutien moral entre communauté qui s'apportaient les gens dans la communauté je sais pas dans la communauté d'abord et puis, dans la famille ensuite enfin comment ça se passait? L.N.:: Je pense que les gens plus souvent qu'autrement, ils se retrouvaient en groupe puis ils se passaient les nouvelles, les gens se tenaient énormément. Il y avait beaucoup de personnes qui suivaient aussi les avancées de l'armée. Il y ait un effort colossal par rapport à ça, je pense que les gens s'accrochaient peut-être, je sais pas. Je dis ça maintenant parce que c'est marrant, c'est pas là-dessus que je me suis attardée. "..." C'était quelque chose il y a des gens qui perdaient des personnes au fur et à mesure c'était ... nous on n'avait rien. Nous, on a eu personne, il y avait une tante qui est décédée là-bas, mais c'était pas... Il y avait... Gilbert avait sa tante qui avait une vache [inaudible]. Mais il y avait des gens qui vraiment c'était des histoires"...". N.S.:: Et est-ce que quand tu finissais le boulot ou tu finissais ta journée, est-ce que tu étais plus souvent à la maison que d'habitude avec tes sœurs? Est-ce que vous écoutiez les nouvelles ensemble? L.N.:: J'étais beaucoup avec Anne Lise à ce moment-là. Les gens qui étaient "...". Radegonde est-ce qu'elle était encore à Saint-Georges? Non, elle n'était pas sur Jeanne Mance, mais Tita était à Paris. Là où mes parents habitaient, où mes sœurs habitent aujourd'hui, Tita habitait [inaudible] elle avait une garderie là-bas. Je sais qu'on a été ... on a toujours été ensemble ...avec Bello ... [inaudible] N.S.:: Est-ce qu'à l'époque, justement dans la communauté... on s'interrogeait encore entre guillemets sur le rôle du Canada, sur le rôle de l'ONU, ... de la communauté internationale par rapport à ça? C'est-à-dire que c'est vite enfin c'est vite ... qu'on a reconnu ça, qu'on a reconnu que c'était un génocide pendant qu'il a eu lieu, mais en même temps il est une inaction. Rétrospectivement, je ne sais pas si on s'en est déjà [inaudible] contre l'époque. Comment ça c'était perçu ça dans la communauté? L.N.:: C'était ... c'était l'abandon total... et puis il y avait tellement de ... les gens suivaient les opérations [inaudible]. Donc, ils suivaient tout ce qui se passait à la télévision et tout. [coupure]. N.S.:: Et puis quand le FPR est entré dans le Rwanda et puis qu'il a commencé à reprendre possession du pays ..., est-ce que dans la communauté on essaye de prévoir... pensait déjà à la reconstruction... on était sous le choc? L.N.:: Je pense que ... c'est ce mélange dans la tête ..., mais je me souviens qu'il y ait eu comme un moment où ils ont fait [inaudible] il y a une partie qui était heureuse de la prise de pouvoir, de la victoire entre guillemets. Il y a impossibilité de dire victoire parce que ... c'est la dévastation. N.S.:: Et puis ensuite, comment s'est passée justement cette reconstruction? C'est-à-dire le pays était complètement [inaudible] et... et il a fallu reconstruire et ... quel était le rôle de la communauté rwandaise ici à Montréalpour participer à ça ?. L.N.:: Je pense que pour moi, il y a eu ... il y a eu beaucoup de gens qui sont partis hein? Entre 90 et 94, il y a beaucoup de gens, beaucoup de jeunes qui sont partis au front ... ou qui sont rentrés après, avec des vagues de "...". Je pense que c'était un mouvement de déconstruction avant ... avant que ça soit un mouvement de construction parce que ..., parce que ce qui tenait les gens ensemble c'était cette espèce de ... de mouvement-là. Une fois que..., je suis pas sûre que les gens avaient ... avait bien imaginé comment ...comment la suite allait se faire. Et puis c'est sûr qu'ils n'avaient pas pensé dans quelles conditions ils allaient devoir le faire. C'est sûr que ... le gouvernement n'a jamais, enfin le FPR tout ça, il n'avait jamais pensé avoir créé quelque chose dans ... tu sais à partir de là où ils partaient. Je pense il y a eu des ... il y a eu beaucoup de chocs, beaucoup de déception ... c'est difficile de défaire, de montrer les différentes couches de ce que moi je me souviens par rapport aux gens qui voulaient rentrer, la diaspora des différents lieux, la réalité sur place, les réalités sur place. Il y avait les camps, il y avait des trucs qui se passaient dans les camps à l'intérieur du Rwanda. Il y avait des ... il y avait des ... il y avait une époque où il y avait des soins qui étaient donnés à l'extérieur, dans, encore à l'extérieur du Rwanda aux gens qui étaient déplacés. À l'intérieur du Rwanda, aux gens qui venaient de souffrir, il y avait toutes sortes de ... je pourrais pas dire maintenant il fallait qu'ils écrivent [inaudible] pour dire quelles ont été les étapes après. Beaucoup d'étapes après ... après 94 jusqu'à aujourd'hui. Puis la période juste après c'était pas évident du tout. Je me souviens en 96, j'y suis retournée, puis je me souviens j'avais encore la tête pleine d'images des trucs qu'on avait vus à la télé, puis il y avait des corbeaux partout et puis, je faisais des associations d'idées. J'ai rencontré ce copain-là que j'avais vu en 90, avec qui je m'étais bagarrée et puis il est devenu quelqu'un ... il avait été soldat et puis ça tous les gens qui avait été au front, ils avaient tous complètement changé. J'étais beaucoup plus ... je sais pas ... forts, très sobres. Puis pas malheureux mais pas ... pas quelque chose de ... je sais pas comment dire ça. Austères ouais puis je me souviens qu'il y avait plein de monde ouf [inaudible] "C'est la mort partout!" "Mais arrête ça s'est passé il y a deux ans." Il est en train d'essayer de ... de faire vivre sa famille en faisant une boulangerie en faisant du pain, quelque chose comme ça, c'était très [inaudible]. C'était terrible parce qu'en deux ans, les soldats avaient du mal à se faire payer, les gens qui étaient rentrés plein d'espoir, il y avait rien; c'était difficile ... les rescapés étaient encore complètement "...". C'était vraiment là ... je sais pas comment les gens ils font. Les gens fonctionnent quoi, c'est pas [inaudible] blablabla non c'est ... les gens se tiennent debout ils font comme ils peuvent quoi. N.S.:: Toi dans quel cadre tu étais partie en 96? L.N.:: Je n'avais pas de cadre du tout, j'étais partie parce que [...] parce que j'avais besoin d'y retourner, je pensais juste à ça. N.S.:: Et tu es partie avec ta famille? L.N.:: Toute seule. N.S.:: Seule? L.N.:: Ouais N.S.:: Est-ce que tu avais proposé à la famille de venir ou? L.N.:: Non. N.S.:: C'est un voyage que tu voulais faire toute seule? L.N.:: Ma mère était partie en 94, seule je pense. Mon père, est ce qu'il était retourné? Je pense pas. N.S.:: Ta mère y était allée après? L.N.:: Elle est partie presque juste après. N.S.:: Et puis quand est-elle revenue? L.N.:: [silence] N.S.:: Parle-moi de ce voyage en 96 là. L.N.:: C'était ... c'était chouette. Je suis allée voir ... mon oncle est là-bas. Il avait fait l'armée lui aussi. Puis, lui aussi il était changé. Il était plus austère, il me plaisait bien. Puis on a fait le tour du pays et j'ai failli rester là-bas. Il y avait un monsieur d'une O.N.G [Organisation Non Gouvernementale] italienne je me souviens c'était Massimo quelque chose. Il m'avait proposé de travailler là-bas, donc j'ai fait..., accepté mais j'avais un boulot qui m'attendait pour aller faire je ne sais pas quoi. Je rentrais le dimanche et lundi j'allais travailler. Ça m'aurait fait du bien je pense que c'était ... tu sais il y a des moments où la vie bifurque comme ça? N.S.:: Qu'est-ce que t'aurais fait pour cette O.N.G.? L.N.:: Je sais pas. N.S.:: Peu importe? L.N.:: Ouais peu importe. Et puis à ce moment-là c'était le coût [inaudible] ils avaient beaucoup de chance quand ils pouvaient rester au pays parce que c'était une période où il y avait beaucoup d'O.N.G [Organisation Non Gouvernementale] qui se faisaient renvoyer. Ils avaient pas l'habitude je pense, ce n'était pas un gouvernement comme beaucoup d'autres, il posait beaucoup de limites, ce n'était pas n'importe qui qui pouvaient venir là et n'importe comment. N.S.:: Il me semble que c'est entre 94 et 96 qu'on a commencé à parler de [inaudible] de réconciliation nationale, de Gacaca, que ça commençait à se mettre en place. L.N.:: Ben je me souviens qu'on en parlait assez rapidement parce que ... je me souviens on en discutait avec Anne Lise et ça c'était quand? Je m'en souviens pas. On en discutait parce que son frère avait beaucoup fait de la recherche par rapport à ça, par rapport à ... c'était pas lui qui avait pensé cette formule-là, mais c'est lui qui avait beaucoup fait de recherches par rapport à ces anciennes ... le droit coutumier et puis .... Je me souviens pas à quelle époque ça a commencé. N.S.:: Comment tu voyais ça toi... ce pragmatisme, mais en même temps est-ce que c'était possible de faire autrement? Disons... L.N.:: Dans quel sens? N.S.:: Comment? L.N.:: Dans quel sens? N.S.:: Dans le sens où il fallait apprendre à vivre ensemble, même si dans le "ensemble" [inaudible] les parents des victimes.... L.N.:: Je sais pas s'il est question d'apprendre à vivre ensemble parce que les gens vivaient ensemble. Mais tout ce que je sais, c'est des briques que j'ai appris à... et là... et à travers des... c'est comme un collage que je me suis fait, au fur et à mesure des années, et d'ailleurs cet été je devrais y retourner là, pour pouvoir vérifier un petit peu. Mais la manière dont je comprends c'est que je pense il y a des gens pour lesquels en tout cas, je me souviens j'avais entendu un monsieur qui disait:: "Tu sais, des fois, je préfère être à l'extérieur.". C'était un monsieur qui se disait Tutsi qui disait:: "Des fois, je préfère rencontrer des Hutu à l'extérieur que de rencontrer ces Tutsis-là qui sont entrés à intérieur du Rwanda.". J'ai l'impression que c'était quelqu'un qui était un rescapé; il disait que, en fait, il ne reconnaissait plus son pays parce que, avec tous les gens qui étaient rentrés, c'était pas du tout les mêmes. Tous les gens qu'il avait perdus, le paysage ou, enfin, pas le paysage, mais la société avait complètement changé et des fois il préférait être dehors avec ceux qu'on appelait communément, parce que faut pas mélanger les termes non plus, ils préféraient être avec ceux avec qui il était avant au Rwanda; à l'extérieur, donc rencontrer les gens avec qui ouf, pour avoir quelque chose en commun parce qu'avec les gens qui étaient sur place non. Et ça je me souviens, ça m'avait beaucoup marqué. Il y avait un autre, un autre rescapé qui m'avais dit:: Enfin "..." il se sentait très mal parce qu'il avait l'impression que les rescapés c'était les personnes les plus fragiles parce que d'une certaine manière ils rappelaient le pire à tous les côtés du conflit. Donc il disait que:: "J'ai l'impression que..." quelque chose dans ce genre-là "J'ai l'impression qu'on veut nous éliminer parce que pour les uns, on représente un échec, c'est-à-dire l'échec du travail non terminé, pour les autres on représente un souvenir de ce qui s'est mal passé quoi. Une victoire qui n'est pas accomplie quoi.". Ça aussi ça m'avait beaucoup marqué. C'est terrible comme position... mais quelque chose qui m'a marqué c'est il y a l'Institut de dialogue et de la paix [IRDP:: Institut de Recherche et de Dialogue pour la Paix] qui est venu présenter un peu les dialogues qui se passent un peu partout et puis l'entendre, c'est quelque chose que je trouve intéressant, c'est dire ben partout au pays c'est pas les mêmes soucis, c'est pas les mêmes conflits. En haut, dans le nord apparemment, il y avait pas énormément de Tutsi et donc c'est pas le génocide leur truc. Eux ils ont d'autres ... ils ont d'autres problèmes. Leur truc à eux c'est la guerre des infiltrés, quelque chose comme ça, ils appellent ça, quelque chose comme ça. Et puis de dire ben dans le nord c'est comme ça, à tel endroit comme ceci, donc il y a des blessures qui sont spécifiques et ... et je pense que ça aussi, enfin, pour moi c'est quelque chose qui est intéressant de dire ben on peut pas ... c'est pas une chose, si plusieurs choses dépendamment de comment les gens ont été blessés. Et puis, quand on parle aux gens, nous on en fait des histoires de vie et tout ça en parlant de gens, ben on se rend compte que là où ils ont été blessés, les gens [inaudible] il y a comme une ... si on lisait un disque comme les vinyles à l'ancienne, il y a comme une track. Ça ben c'est un sillon sur lequel ils vont soit peut-être pas rester, mais ... ça va avoir tendance à revenir là et tant et aussi longtemps que là il y a pas de "..." Alors je me dis, si on ne peut pas parler de quelque chose à ce niveau-là je pense qu'il faut que ce soit spécifique à l'histoire de la blessure. C'est-à-dire que ... je sais pas si on peut parler en termes de ... guérison ou de ... je sais pas quels sont les termes parce que je sais que la réconciliation ça embête beaucoup de monde. Mais c'est définitivement quelque chose qui m'intéresse maintenant. Et puis, ça me questionne aussi que ça m'intéresse autant que ça. Je me dis c'est des trucs de ... de morale. N.S.:: Comment ça? L.N.:: Ben ... je me dis ... on se questionne pas tout de suite sur ... je me suis pas en tout cas questionnée tout de suite sur le fait de m'intéresser à la réconciliation. Il y a quelque chose de terrible qui s'est passé, il faut se réconcilier. Mais se réconcilier là ... je sais pas plus j'y pense, c'est pas de la tarte. Puis, se réconcilier est-ce que c'est ... c'est polarisé entre ethniquement où est-ce que c'est entre nous, puisque les Tutsi de l'extérieur et les Tutsi de l'intérieur entre guillemets tout ça entre [inaudible]. Est-ce qu'ils vont se réconcilier? Est-ce qu'ils vont se dire:: "bon ben ... tu sais il peut y avoir des sous-entendus aussi". Il doit y avoir des gens qui doivent se dire:: "Ben si vous n'aviez pas attaqué, est-ce qu'on serait morts?". Puis est-ce qu'il y aura quelqu'un qui va être de l'autre côté pour te dire:: "Ben au moins, au moins qu'on m'entende.". Mais on peut pas prendre la responsabilité de ça pour dire "Ben effectivement ..." puisque se sont pas eux qui ont tué, mais d'entendre ça ... je sais pas quoi faire avec ça. Je sais pas peut-être si ça se trouve c'est déjà des choses qui se font, peut-être je sais pas. N.S.:: Et quand t'es allée justement en 96, est-ce que tu as pu observer les Gacaca,justement ce mélange de droit coutumier, de droit [...]? L.N.:: Non. N.S.:: Qu'est-ce que tu penses de ça toi? L.N.:: Moi je trouve que c'est ... je comprends pas tous les ... tous les rouages de ça. Il y avait une partie de "...". Je pense que n'importe quel système de justice est faillible. Que ce soit celui-ci en Occident ou que ce soit l'autre, c'est pas vraiment ... il y a pas de ... je crois pas qu'il y ait un système qui est "...". Je crois que c'est héroïque d'avoir entrepris ... faire face à tout ça je veux dire c'est ... je sais pas, je pense qu'on s'imagine des choses qu'on comprend pas très bien, l'ampleur de ce que c'est. Je pense pas qu'on .... Je veux dire quand on réfléchit à ça ici, suis pas sûre que les gens réalisent l'ampleur de ce qui s'est passé. Pas sûre. Enfin j'ai pas de meilleures possibilités à mettre de l'avant"...".. N.S.:: Est-ce que tu considères que ce voyage en 96 c'était pour pouvoir te rendre compte, tu parlais de ce déterrage, de cette schizophrénie même quand ça se passait et toi tu étais ici à Montréal, est-ce que ce voyage c'est parce que tu avais besoin de te rendre compte par toi-même, tu avais besoin ... enfin qu'est-ce que tu mets comme sens dans ce voyage toi? L.N.:: C'était comme pour ... 94 c'était comme ... comme si j'étais devenue folle "...". [Inaudible]... là-bas c'est comme si on te disait, bon c'est pas comme une claque parce qu'il y a personne qui m'a frappée ... c'est pas violent comme claque. C'est sobre et donc c'est comme un réveil "Allô de quoi tu parles, arrête de faire des ... d'abord c'est pas toi qui l'a vécu OK?" Ensuite tu vois, tout le monde fonctionne comme ils peuvent. Arrête, soit tu fais ce que tu peux, soit t'arrêtes quoi.". C'est comme un " OK on se replace, il y a personne qui sait, c'est pas grave.". Mais c'était un peu ça, c'était comme un réalignement alors que j'avais l'impression de ... de déchirer, tu sais quand tu perds l'équilibre parfois "..." tu dérapes, tu te dis:: "Ah! Qu'est-ce que c'est que ça?". N.S.:: Et quand tu es revenue ... ben je sais que la communauté rwandaise de Montréal a fait ... enfin était assez active, à chaque année, elle commémore et je voulais savoir justement quelles sont les premières actions qui ont été posées collectivement pour commémorer, pour aider pour ... tout simplement pour vivre ça ensemble? L.N.:: C'est drôle hein parce que moi je ne sais pas les premières fois ..., je sais pas quand est-ce qu'on a commencé à commémorer. Est-ce qu'on a commencé tout de suite? Je sais pas quand est-ce que Callixte est arrivé alors qu'il doit être arrivé pas longtemps après. Dans ma tête, c'est comme si on commémorait depuis toujours. Tous les ans, une semaine de commémoration. J'arrive pas à penser à une fois qu'on a fait en premier. C'est bête hein? N.S.:: Alors est-ce que tu peux me parler ... si ce n'est de la première ... des premières dont tu te rappelles? L.N.:: Je sais que ... parce qu'en 96, j'étais, je me souviens pas .... Je me souviens que ... les années se mélangent ... je me souviens pas bien. N.S.:: Bon alors ce sera sans se forcer au niveau chronologique etc. L.N.:: [Inaudible] N.S.:: Dis-moi le genre d'actions qui ont été faites. L.N.:: Je me dis, mais quand est-ce que ... quand est-ce qu'on a commencé à commémorer? OK il y a 2001, en 2004 je me souviens on a fait ... on a commencé à faire un vidéo en 2003. J'étais pas là, j'étais à Bagdad en 2003. En 2002, qu'est-ce qu'on a fait en 2002, je me souviens pas, en 2001 je me souviens pas c'est fou ça. Je me souviens pas. Mais dans ma tête on a toujours "...". N.S.:: Est-ce que par exemple Callixte t'avait [inaudblie] une idée? Je sais qu'il a été très actif dès qu'il est arrivé. L.N.:: Oui, puis je sais que tout le monde, la commémoration c'est le moment où tout le monde tout le monde vient au moins un moment s'asseoir et puis se recueillir un peu. Plein, plein, plein de monde [inaudible] bon, c'est pas grave. N.S.:: Et autrement est-ce que, dans la communauté, tu en connais aussi qu'ils sont rentrés définitivement "..." me dire, quelques années après 94? L.N.:: Oui il y avait je ne sais pas si c'est avant 94 ou après, mais oui j'avais un oncle qui était ... parmi les personnes qui étaient de la communautéà Montréal? Je connaissais pas bien les personnes de la communauté pour te dire un tel, un tel, un tel, est parti ... je m'avancerais pas. Je sais qu'il y a des membres de ma famille qui sont partis à Ottawa, en Ontario et plus vers l'Ouest. C'est des personnes qui sont [inaudible] qui sont rentrés. Eugène, il est rentré [inaudible]. N.S.:: Écoute on peut le dire franchement, il y a une question depuis tout à l'heure que je tourne et que je retourne dans ma tête, depuis tout à l'heure je me demande si je vais te la poser parce que je sais pas comment te la poser. Donc excuse si ça sort un petit peu bête. Est-ce que d'une certaine manière, et vraiment je veux que tu détailles ta réponse le plus possible si tu peux, tu te considères plus comme un:: une réfugiée, deux:: une survivante? L.N.:: Pas du tout alors. Je peux pas écouter des gens .... Moi, je ne me considère pas du tout comme ça. Ben mon père a toujours refusé le statut de réfugié. Puis, ça j'ai appris ça récemment pendant qu'on faisait l'histoire de vie. Je savais qu'il y avait une tension entre mon père et ma mère par rapport au statut et tout ça au point "..." et que c'était très, très difficile, mais je ne savais pas exactement pourquoi. J'ai su ça en faisant ce travail-là, j'ai compris un peu mieux. Je me considère absolument pas comme réfugiée. Puis, alors comme survivante encore moins. Le génocide a eu lieu j'étais ici à Montréal, j'ai regardé à la télévision, je peux pas dire "...". Quelqu'un qui est rescapé pour moi ce sont des gens qui ..., je veux dire ça signifie quelque chose spécifique, c'est pas n'importe qui. On perd tous. Survivants enfin survivants ... pas tous rescapés du génocide. Il y a des gens qui se disent que oui ils se sentent comme survivants parce que s'ils avaient été là, ils seraient morts. Je sais pas, c'est pas ma position parce que je considère que s'il y a des gens qui étaient là-bas, les rescapés ils étaient là-bas, ils sont rescapés. C'est pas sûr qu'ils seraient morts. Ils étaient pas là point. Je trouve qu'il y a les gens qui sont aussi survivants, ce sont les gens qui ont perdu leur famille. Ça pour moi aussi ce sont des gens qui sont des rescapés c'est-à-dire des rescapés c'est comme s'il y avait un épicentre et que l'abîme c'était au centre et puis on s'en éloigne on est touché par ça, mais c'est pas la même chose que d'être en plein dedans. Puis je pense que les gens qui ont été les plus touchés, c'était les gens qui étaient sur place vraiment. Les gens qui ont dû, qui ont dû survivre à d'autres. Je pense que c'est aussi ... ça doit être un poids monstrueux. Les gens qui ont dû choisir, faire des choix difficiles, ça, ça doit être quelque chose de terrible. Ou les gens qui ont ... les gens qui sont ici et qui ont perdu les leurs, mais .... Il y a des personnes qui sont ici et qui avaient, qui étaient membre de familles, de grandes familles, ils avaient des tantes, des oncles et il reste plus personne. Ils sont tous morts. Ça pour moi c'est un rescapé parce que tous tes liens significatifs sont terminés finalement. ... Mais sinon on n'est pas tous des rescapés, en mon sens c'est pas des rescapés, en mon sens en tout cas.. N.S.:: Et comment tu penses que ... 94 a été perçu par le reste des Montréalais? L.N.:: "..." J'ai rencontré des gens qui étaient très touchés et j'ai rencontré des gens qui étaient "...". Ça été très médiatisé quand même, il y a eu beaucoup de films, des gens ..., alors qu'avant le Rwanda, il y avait personne qui connaissait ça. Personne je veux dire c'est tellement petit sur une map que c'est même pas écrit le nom au complet dessus. C'est pas "..." Alors qu'après, c'est un peu triste comme [inaudible]. Est-ce que ...c'est difficile de ... Montréal c'est un endroit où mettons il se passe le truc du [inaudible Balkans là, c'est-à-dire je sais pas, beaucoup de gens auront des histoires de monstres comme ça. Et donc, c'est une histoire parmi d'autres. Je pense "...". N.S.:: Est-ce que tu penses que ça a été bien expliqué ou est-ce que ça a été, à la mesure du possible là, bien compris par les gens qui vivaient ici? L.N.:: Je sais pas si ça a été bien compris par nous, je pense pas qu'on soit bien d'accord, je pense qu'il y a des ... c'est une guerre qui se poursuit. Je pense que c'est une interprétation des faits qui se poursuit même aujourd'hui. Il y a des gens qui vont dire:: "Ça ne s'est pas passé comme ça à Kigali" puis il y a des gens qui vont dire, jusqu'à aujourd'hui, il y a des gens qui vont dire:: " Il y a eu plus d'un million de morts.". Il y a d'autres gens qui vont dire 800 000 personnes incluant des Hutu qui ont été tués. C'est une guerre politique. Les histoires entre Kigali et la France, Kigali et l'Élysée, ça vient de cela. C'est pas ... c'est pas fini, c'est pas terminé, c'est ...ça continue, il y a des camps. Donc, dans quelle mesure ... quand c'est comme ça ... c'est pas comme si on disait:: "Bon, voilà ce qui s'est passé." et puis tout le monde va dire:: "Oui voilà ce qui s'est passé, il y a une histoire qui est dominante". C'est inconnu c'est un génocide inconnu. Alors que, par exemple, les Arméniens ils n'ont toujours pas ça et je pense que ça, ça fait quelque chose ou pas. Il y a les Congolais, par exemple, qui sont, qui sont outrés de voir que ce qui s'est passé au Rwanda, on a la presse est ce qui se passe au Congo n'est pas "....". Et puis, il y a les Burundais qui ont souffert énormément aussi mais dont on ne parle même pas. Donc il y a quand même des choses qui sont particulières, dont on ne connaît pas qui est sur le radar et pourquoi. Et ça sert qui que un tel ou un tel soit un tel ou ne le soit pas? Quand on dit:: "est-ce que les choses ont été bien expliquées", mais à qui? Est-ce qu'ils veulent savoir tout ça dans les détails comme ça? Je pense qu'on a rarement le temps de le faire ou poser des questions "...". N.S.:: Pourtant avec des projets comme celui-là, même si tu prends Isangano [troupe de danse rwandaise] ou même différentes initiatives, est-ce qu'il y a moyen pour ... pas maintenir [inaudible] parler des vrais choses et puis ... par exemple à chaque commémoration tu vas voir des Québécois, à chaque même événement culturel tu vas voir des Québécois et donc c'est peut-être aussi une manière pour ... mieux comprendre, mieux savoir ce qui s'est passé. L.N.:: Je pense que c'est vrai, c'est vrai si on se donnait comme mandat de faire ça par exemple ce serait un mandat. Je sais pas dans quelle mesure c'était ça notre ... je pense avec certains membres par exemple comme [inaudible] et des difficultés qu'on a aujourd'hui [inaudible] on n'existe plus dans les faits. On refuse de ... de mourir entre guillemets. On n'existe plus, mais dans les faits, il n'y a plus de mobilisation, il n'y a plus de "...". Je pense qu'il y a plusieurs raisons pour ça. Et Isangano c'est un groupe de jeunes Rwandais qui ont duré dix ans, mais dix ans à se réunir toutes les semaines, plus les contrats, plus ceci, plus cela, c'est un investissement énorme. Si on doit penser que les gens ont en plus des vies à vivre quoi. Je pense que ça voulait dire qu'il y avait toute une partie qui se mettait en attente d'une certaine manière et puis qui donnait pour le groupe quoi, pour la collectivité. Puis ça a fait son temps je pense que c'était nécessaire à un moment donné, mais il y a toute une génération qui a grandi comme ça, puis qui se sont tenus tant bien que mal comme ça. Je pense pas que c'est viable dans le sens où je pense que les gens ont le droit aussi de vivre une vie. Parce que c'est un acte de dévotion de dire:: "OK je donne ma vie à tel. Je vous [donne?] ma vie à [coupure]" ou de dire:: "Ben moi je prends ma vie et j'en fais ce que je veux.". Je pense qu'il y a un petit peu ça, on commence à poser des questions et se dire:: "Est-ce qu'il y aurait pas des... est-ce que c'est pas des opportunités à prendre?". Oui je pense qu'effectivement il y a place à faire des choses, il y a plein de place de faire des choses parce que le terrain est propice. Quand on regarde le projet des histoires de vie, par exemple, on regarde les liens qu'on peut faire avec plein de groupes différents qui ont le même statut entre guillemets par rapport au génocide, par exemple comme ben les communautés juives par exemple, les [communautés?] arméniennes, mais aussi les autres communautés qui ont des violations, vraiment des guerres, des conflits, des atrocités qui se sont passés. Qui sont peut-être pas reconnus, des [inaudible] ou des groupes sans... tu sais il y a des histoires, des ... des comparaisons à faire ou en tout cas des dialogues à tenir et je pense que il y a le fait qu'on a en commun maintenant, le fait qu'on habite ici, puis je pense que ça aussi c'est quelque chose qui est intéressant qu'on pourrait, qu'on pourrait ... exploiter davantage, regarder ... il y a plein de trucs à faire, il y a pas de doute. Alors qui a envie de faire ça? Je pense que c'est pas clair que les gens ont nécessairement envie de ... il faut que ce soit un projet qui soit ... inspirant. Que les gens ... que ça amène quelque chose aux gens de plus. ... parce qu'ils ont déjà beaucoup de choses à donner, à faire. Je pense que ... je crois.. N.S.:: Écoute, on arrive à la fin de l'interview, on va terminer par une dernière question. Qu'est-ce que tu aimerais que les gens, communautés ou autres, retirent du projet Histoires de vie d'abord et puis modestement de cette interview? L.N.:: Tu aurais dû me poser la question au début. J'aurais peut-être répondu différemment je ne sais pas. Du projet des histoires de vies, ce que j'aimerais qu'on en retire, c'est que, c'est ce que je reçois quand je réécoute les histoires. C'est que, en fait l'histoire est faite ... c'est pas un tout homogène, c'est pas une version polarisée, ce sont des couches. Que ce soit la colonisation, ce n'est pas colonisation. Elle n'est pas homogène, ce sont des vagues, que si c'est la christianisation, c'est pas une christianisation, ce sont des projets de missionnaires multiples. Ils avaient des agendas différents, il y'avait un contexte. Quand on regarde l'Occident, ce n'est pas homogène, c'est multiple, c'est hétérogène et quand on regarde, le Rwanda c'est hétérogène et comment est-ce que toutes ces différences, c'était, ce sont autant de files qui sont dans l'espace mais aussi dans le temps. C'est autant d'agendas qui se sont un moment donné retrouvés un tel moment, puis là ben ça donne telle chose, il y a tel moment ben ça donne telle chose. C'est pas un tas comme ça qui est facile à comprendre ou à reconnaître. Il y a des choses qui sont fondamentales à mon sens à moi à reconnaître si on veut avancer, c'est de direque cette façon de fonctionner, cette façon de sacrifier les gens quand ça n'allait pas, ben c'est pas un truc qui était polarisé entre les groupes. C'était quelque chose qui se passait même quand entre groupes, intergroupes quand ça n'allait pas du nord au sud mettons, c'était les mêmes personnes qui étaient sacrifiées. Donc cette façon de faire c'est quelque chose qui date bien, bien, bien avant le paroxysme du génocide. Donc c'est pas un, c'est plein de choses, c'est plein de choses qui amènent, et puis à un moment donné ça va sauter et c'est ça que j'aimerais qu'on arrive à comprendre pour dire:: "Ben si c'est tout ça à ce moment-là, comment est-ce qu'on vit avec? Comment est-ce qu'on intervient là-dedans? Comment ... qu'est-ce qu'on peut en retirer chacun pour soi mais aussi collectivement pour là-bas peut-être, mais pour ici entre nous, mais pour ici avec les autres.". Je pense que c'est ça l'intérêt d'un projet comme celui-ci. C'est que quand on raconte l'histoire de vie d'un individu, l'intérêt c'est que ces couches de réalité, de conscience viennent ... c'est comme des souvenirs viennent un petit peu "...". Ce n'est pas la narration ... du gagnant finalement qui survit dans les livres, c'est pas celle qui est ou non contestée, c'est un souvenir. Et je pense qu'on gagnerait à aller chercher aussi des souvenirs, puis diversifier pour aller voir un peu ... est-ce qu'il y a quelque chose qu'on peut ... sinon reconstituer, c'es.
N.S.:: Donc cette remise en perspective de ton propre statut d'immigrée, quelque part, comment ça s'est fait? Enfin j'entends beaucoup de choses, j'entends les premiers contacts politiques qu'est-ce que tu savais déjà là-dessus? L.N.:: Je connaissais..., est-ce que je connaissais l'histoire comme ce que je connais maintenant non j'avais plus... c'était plus un sentiment j'aimais pas ... ce n'est pas que j'aimais pas bagarrer, j'aimais beaucoup me bagarrer à un moment, mais après je n'aime pas énormément les conflits mais je sentais ça comme un conflit. Je me souviens, quand on allait dans les petits endroits ce dont je me souviens et puis c'est flou il y avait des gens qui voulaient reconquérir le pays. Et puis dans ma tête je me disais, et ce que je voyais moi c'était beaucoup de sang, je sais pas pourquoi puisqu'on n'en parle pas du pays, mes parents n'en parlaient pas, mais pour moi c'était clair que "...". Et puis je me souviens, j'étais allée voir ma mère et puis j'ai dit:: "Ça va être un bain de sang!" Et elle a dit:: "Arrête de t'énerver, il y a eu, il y a toujours eu ce genre de volonté de rentrer et puis on y est jamais arrivé ce n'est pas aujourd'hui que ça va changer". J'avais dit ça à un pseudo-cousin, c'était pas un cousin finalement, c'était un enfant d'un cousin d'un de mes parents, quelque chose comme ça ..., et puis il...finalement il avait été dans l'armée après puis..., la première fois qu'il m'a écrit après la guerre il m'a dit ..., lui il conduisait un camion de ravitaillement et puis il a vu les corps et il dit:: "J'ai pensé à toi, j'ai pensé à toi." parce qu'on s'engueulait en disant est-ce que le statu quo c'est possible. Et puis j'arrivais pas à argumenter parce que effectivement le statut quo c'est pas possible. Je n'arrivais pas... l'un ou l'autre c'était "...". N.S.:: Est-ce que t'en discutais avec des parents? L.N.:: Oui. N.S.:: Et est-ce que vous étiez d'accord sur la manière de voir les choses, étant donné qu'ils avaient grandi au Rwanda? L.N.:: Non je pense qu'on n'avait pas du tout..., d'abord je n'avais pas des connaissances avec des impressions, j'avais des opinions..., j'avais pas beaucoup de connaissances, j'avais vécu de manière très protégée. C'était pas du tout comme..., c'est pas du tout comme eux quoi; puis eux, entre eux ils avaient pas du tout les mêmes opinions politiques non plus, mais ça n'a jamais été un ..., c'était pas grave, on discutait tout le monde de ce qu'on pensait et puis comment on pensait. Je me souviens à l'époque je fumais des cigarettes, j'avais des grandes discussions [rires] ça m'avait beaucoup impressionnée, puis même que je me souviens on est allé au Rwanda et puis je me souviens c'est la fois où j'ai vu mon père heureux. Il avait un copain puis ils se promenaient, là-bas les hommes se tiennent par la main. Ça, avec ma sœur on rigolait de ça, Teta, et puis ma mère nous disait "Ah vous êtes tellement blancs.". Puis..., vraiment tous les clichés on a tapé, tous les clichés. Et puis, ils se promenaient du matin au soir la main dans la main et puis ils rigolaient, j'ai jamais vu mon père aussi heureux comme ça, jamais. Depuis, la femme elle disait, on se disait:: "Bon ben écoute, on va encore dormir seules.". Je me souviens quand cet ami-là a été tué dans le génocide, j'ai jamais vu mon père aussi malheureux que ça, c'était il était dégoûté de la vie, dégoûté de la vie. Il y a eu plein de trucs c'était très intense parce que c'était presque un peu incroyable, c'était pas sûr que ... nous on se disait:: "Il va se passer quelque chose, il va se passer quelque chose, en 90.". On était en été, Cobra [?] faisait une offensive donc c'était ... là. C'était quelque chose. N.S.:: Dans quelle mesure tu as eu l'impression de mieux connaître, redécouvrir les parents en allant au Rwanda? L.N.:: Non, j'ai pas redécouvert mes parents mais j'ai découvert... d'où je venais. Quand je suis allée au Rwanda, même avant je me suis dit:: "Ce n'est pas possible, comment je peux me sentir en paix, alors qu'il y a tellement de choses qui ne vont pas bien?". Il y avait quelque chose, c'est vraiment spécial alors que je ne parle pas plus la langue, mais c'était quelque chose de très spécial. Ici restait un leitmotiv, j'ai continué à étudier sur le Rwanda, par rapport à la cause du Rwanda, c'est resté une obsession. N.S.:: C'est-à-dire qu'après 90 tu as orienté tes études vers le Rwanda? L.N.:: J'ai pas orienté mes études vers le Rwanda mais j'ai orienté mes études vers l'essence pour comprendre puis j'ai commencé par le sens fondamentalement, j'ai essayé de voir est-ce que je pouvais aller... et puis là, je suis allée en sciences des religions, est-ce que c'était le seul..., j'ai essayé psycho, j'ai essayé philo tout ça mais j'arrivais pas, j'arrivais pas à intégrer la matière. La seule matière que j'arrivais à intégrer c'était la science des religions. Puis c'était parce qu'ils parlaient du chaos et du cosmos, le chaos et l'ordre, le temps, l'espace, le mythe, la théorie c'est comme s'ils faisaient des étagères dans ma tête. Tac tac tac. OK une base. Mais c'était "...". Puis j'ai, à travers mes cours, j'ai essayé toujours de comprendre davantage. C'est là où j'ai fait mes premières recherches par rapport à l'histoire. En 94, j'ai quitté, j'ai travaillé à temps plein, j'étudiais à temps partiel, j'ai travaillé beaucoup. En 94, j'écrivais sans arrêt, sans arrêt, sans arrêt. N.S.:: Il y a vraiment une sortie de [...] de renouveau quelque part après ce voyage. Enfin, je sais pas tu en parles comme vraiment un avant-un après, un lien peut-être ... qui s'est construit. Mais reparle-moi un petit peu de cet oncle-là, on était parti justement en parlant de cet oncle-là qui vivait dans un camp de réfugiés. L.N.:: Le grand-père? N.S.:: Ah c'était le grand-père, excuse-moi. L.N.:: "..." quoi dire, il était pas très grand. C'était un monsieur très joli, il avait une moustache, il était très soigné, il avait un complet trois pièces et c'était tu sais, c'était désert enfin ça avait l'air du désert, c'était très beau, c'était esthétiquement beau, enfin je sais pas si on peut dire beau quand c'est aussi sec là, c'est ardu; je me souviens que c'était très... très beau. Les buttes, la poussière, mais lui, il était en complet. Je sais pas pourquoi parce qu'il y avait de poussière partout. N.S.:: Dans le camp de réfugiés? L.N.:: Lui [inaudible] avec une canne. La canne ça servait de tout, c'était pour dire un truc:: taper sur un tel, pour dire va me chercher quelque chose. C'était un monsieur important je pense dans son monde..
N.S.:: Quelqu'un qui avait la prestance? L.N.:: Beaucoup; pourtant il était pas très grand, mais il était très "...". Je me souviens quand ils se sont ..., il était venu à Kampala je pense puis je me souviens il y avait tous les oncles du côté de ma mère que je ne connaissais pas et que j'ai rencontrés là-bas. Je me souviens ils avaient eu une discussion mais ça parle fort. Ils se hein "...". C'était pas comme du côté de mon père, je pense pas que je me suis jamais ... je me souviens pas qu'on se soit parlé, enfin discuté fort comme ça. J'étais très impressionnée et puis ma maman était là-dedans et puis ouais! Ils étaient tous affirmés, ils étaient tous extrêmement affirmés. J'étais genre "Ah c'est qui ces gens-là?". Je trouvais ça fascinant. Puis ils étaient très... mes grands-parents c'était ... c'est étrange parce qu'ils ne connaissent pas, mais la sensation que j'ai eue que ce soit mes grands-parents paternels ou maternels c'était qu'ils nous aimaient alors qu'ils nous avaient pas vues avant. Puis, ils nous serraient et puis ils rigolaient avec nous... c'était quelqu'un de très charmant, très intéressant. N.S.:: Comment ça s'est passé les retrouvailles avec sa fille? L.N.:: C'était ... je pense que je me souviens pas de ça en particulier. Je me souviens pas vraiment ... je me souviens pas de mes parents alors qu'on était ensemble tout le temps. Je me souviens quand j'ai rencontré la première fois, que la sœur de ma mère, la maman de Gilbert, parce qu'on est allé au Burundi aussi, je me souviens elle était de dos à moi, j'étais sûre que c'était ma mère. Alors c'était la première nuit qu'on avait été là-bas, et puis là j'arrive, je lui raconte un truc, puis je tourne autour et puis lui fais face, mais c'est pas ma mère, c'est comme ma mère, mais c'est qui? [rires] Je me souviens avoir pensé:: "Tiens on l'a fait deux fois! Deux fois!" [rires]. Je me souviens de moi ce que j'avais vu, mais je me souviens pas énormément de comment ... c'est ma mère et comment était ma maman, je me souviens qu'elle était heureuse, elle parlait avec beaucoup de gens. Il y avait beaucoup de gens, beaucoup de gens, il y avait beaucoup de gens voir... et moi j'ai jamais, je pense, entretenir autant de liens avec autant de personnes, ici des liens toujours significatifs, je pense que c'est quelque chose qui se... enfin moi je pense avoir perdu cette capacité-là de faire autant de liens et de soigner le [?] monde et de donner aussi généreusement, je pense que je peux pas. N.S.:: Dis-moi, ce voyage l'impression quand tu es allée au Burundi, tu es allée au Rwanda, tu es allée en Ouganda. J'imagine que c'est un voyage qui s'est préparé longtemps à l'avance, enfin, c'est un gros voyage apparemment. L.N.:: C'est un gros voyage. N.S.:: Ben qu'est-ce qui l'a motivé? Enfin, qu'est-ce qui a fait que tes parents se sont dit:: "Tiens là on va partir, il faut que les enfants connaissent ça, il faut que nous on revoit telles ou telles personnes, enfin qu'est-ce qui a..., ça a été quoi le déclic? L.N.:: C'est une bonne question parce que moi, ce dont je me souviens, c'est que c'était une période difficile c'était "...". J'avais 19 ans entre 16 et 19, après le voyage, j'ai quitté la maison. Donc, c'était une période très ... très conflictuelle je pense. C'était le dernier voyage que j'ai pris ...c'était peut-être aussi le premier parce qu'ils en ont fait pas mal avec mes sœurs et moi je faisais autre chose. N.S.:: C'est-à-dire qu'ils partaient avec tes sœurs et toi tu restais ou tu partais? L.N.:: Quelque part au Canada ou ils sont partis à New York... N.S.:: Et ... le retour alors je sais pas combien de temps le voyage a duré. L.N.:: Deux-trois mois. N.S.:: Deux-trois mois? Mais justement le retour à Montréal tu disais que tu avais à peu près 19 ans, que c'était pas forcément drôle tous les jours à Montréal, que tu avais vécu quelque chose vraiment très intense lors de ce voyage et tu dis que quand tu es rentrée, tu es partie quasiment aussitôt de chez tes parents alors comment ça s'est fait? Est-ce que le décalage s'est accentué encore quand tu es rentrée du Rwanda? Comment ça c'est passé? Qu'est-ce que tu ressentais toi? L.N.:: Le décalage avec qui? N.S.:: Le fait de se rechercher un peu, de ne pas trop savoir pouvoir faire ce qu'on veut, je ne sais pas ce dont tu parlais justement avant ce voyage. L.N.:: "..." je ne sais pas c'était... on se faisait beaucoup de la peine avec ma mère. J'ai quitté pour aller habiter avec une collègue. Je pense que j'ai quitté parce que j'étais pas capable de ...d'assumer la pression ... ou l'échec. Je me souviens que j'avais essayé de faire le cours de calcul différentiel et intégral, je me souviens devoir essayer trois fois... trois fois et de l'avoir manqué trois fois. C'était la folie à l'école, je pouvais pas comprendre comment je ne comprenais pas. J'ai paniqué ça m'a tuée "...". N.S.:: Et dans quel quartier c'était ce premier appartement alors? L.N.:: C'était sur Christophe Colomb. N.S.:: Sur Christophe Colomb? L.N.:: Ouais, Christophe Colomb près de Mont-Royal. N.S.:: Ah le plateau. Et c'était qui cette copine avec qui tu as emménagé? L.N.:: C'était un super pote. N.S.:: Comment ça s'est passé les premiers temps? Le fait de vivre avec un colloque et tout ça? L.N.:: C'était ... c'était sympathique ... ouais c'était sympathique, c'était ... je me souviens la première fois que mon père est venu à l'appartement il fait le tour de l'appartement, je me souviens on avait eu... je me souviens il y avait une de mes tantes qui avait un set de salon et il y avait des divans comme ça qui ne servaient plus et on les avait pris. On avait une lumière avec une ampoule bleue [inaudible], avec les lumières bleues et les sofas [inaudible]. N.S.:: Combien de temps tu es restée dans cet appart'? L.N.:: Un an, deux ans peut-être. N.S.:: Est-ce que tu travaillais? L.N.:: Des jobines ici et là.. N.S.:: Et tu étais toujours étudiante? L.N.:: [Rires] Façon de parler. N.S.:: Et à ton retour du Rwanda, comment ça s'est manifesté justement ce rapprochement avec la communauté rwandaise? L.N.:: Ah c'est venu plus tard. Beaucoup plus tard. N.S.:: C'est venu plus tard? L.N.:: La première fois où j'ai fait quelque chose avec la communauté rwandaise c'était"...", Jacques était déjà là donc c'était après le génocide. Puis je me posais beaucoup de questions à savoir comment ça se fait qu'on danse des rois, des vaches, des choses comme ça alors qu'on vit dans un milieu urbain? Comment ça se fait qu'on ne danse pas nos préoccupations d'ici? Alors j'avais essayé de chorégraphier quelque chose, je me souviens on avait pris... Bobby McFerrin ... " Sweet in The Morning". Une espèce de chorégraphie, je pense on avait fait deux chorégraphies en essayant de créer quelque chose qui ressemblait à quelque chose qu'on pouvait... qui pourrait tenir avec, près des préoccupations qu'on avait nous. Puis je me souviens qu'on avait présenté ça à la communauté, ils avaient trouvé ça sympathique, mais sans plus. Puis c'est sûr que c'était pas ... je me souviens qu'on avait beaucoup réfléchi et tout mais c'était ..., dans le fond, c'était comme si on faisait un dessin, l'enfant qui fait un dessin avec un rond et puis c'est très primaire. C'était un peu ça je pense c'était pas ..., c'était une idée, mais ça prend beaucoup de temps pour"..." N.S.:: Est-ce qu'on pourrait dire que c'était la première implication réelle que tu avais, le premier input que tu mettais dans la communauté rwandaise? L.N.:: Ouais. N.S.:: Mais tu connaissais déjà la plupart des Rwandais qu'il y avait sur l'île de Montréal? L.N.:: Non, enfin c'est-à-dire je les connaissais de vue ou parce que nos familles se fréquentent. Mais moi-même j'ai"..." je me souviens c'était pas moi qui parlais à la troupe, c'était Jacques qui parlait à la troupe parce que moi si je disais:: "Et si on faisait ceci, si on faisait cela?." [inaudible]. Alors que lui, c'était un, c'était un ... et c'est toujours d'ailleurs un des leaders de la communauté, c'était un jeune qui avait beaucoup d'influence et puis qui avait la confiance aussi des gens alors que moi j'avais [inaudible]. N.S.:: Dans un sens est-ce que tu as une impression progressivement... là, la communauté finalement apportait une certaine stabilité, ça représente quoi pour toi la communauté rwandaise, ton envie d'apporter quelque chose de t'impliquer là-dedans? L.N.:: Il y a personne d'autre qui partage ce bagage avec moi, donc ce sont des gens avec qui je suis liée c'est comme ... c'est comme ma famille. Puis avec qui je peux discuter de ça, avec qui je peux discuter que si on devrait ou non danser des vaches ou taper des mains ou pas ... les cloches qu'on a dans les pieds et si on mettait tout noir avec ... est-ce que vous aimez la danse moderne? "..." tel truc même si bon, même si ça faisait pas grand monde que ça intéressait, au moins il y avait une partie où ils pouvaient dire:: "non, ça se fait pas comme ça" et tout, il fallait que je remettes tout en question:: "pourquoi les filles ne pouvaient danser comme les garçons? Puis pourquoi les filles peuvent pas taper les tambours? Pourquoi ne pas faire...?" N.S.:: un besoin de comprendre? L.N.:: Je pense que c'était surtout un besoin de contester. [Rires] C'était pas juste comprendre. Si ça avait été comprendre, ça aurait été bien je crois. J'ai compris seulement après, je voulais faire mon truc à moi mais je me suis rendu compte qu' avant de parler, ben j'avais à écouter et je me suis fermée. N.S.:: Et depuis que tu es rentrée, est-ce que tu suivais un petit peu la situation politique au Rwanda? Tu avais vu qu'elle était déjà complexe, parfois c'est tendu. Est-ce que tu suivais de loin en loin? Est-ce que t'avais des nouvelles par la communauté? L.N.:: J'avais des nouvelles par les gens de la famille. "..." je ne suivais pas nécessairement l'actualité pour savoir qui est qui, qui a fait tel ou tel. Mais je recevais assez de, d'input parce que c'était un sujet qui était extrêmement présent. N.S.:: Oui est-ce que tu te rappelles si enfin les réactions que tu as eues ou que tu as observées lors de la signature des accords d'Arusha par exemple? L.N.:: Pas du tout. Je me souviens quand l'avion du président a été abattu, il y avait comme un mouvement de liesse, une espèce de grand "Wow!" Ma mère elle disait:: "Ouf, ça va mal se passer.". Après, c'était ... je comprenais pas pourquoi les gens n'avaient pas pensé que c'était quelque chose qui allait bien se passer. "..." mais ça dépassait tout ce que "...". Je pense qu'il y a personne qui pouvait imaginer ce qui s'est passé. Ça n'avait aucun bon sens. Pff. [silence]. Ça c'était aussi un avant et un après. [inaudible] c'est devenu urgent. C'est rigolo parce que urgent, urgent parce que quatre ans plus tard, j'avais l'impression d'avoir pas énormément avancé par rapport à ça. N.S.:: Les projets qui ont été créés, il y a quand même beaucoup de choses qui ont été faites au moins ici même, ici puis là-bas. Mais où est-ce que tu étais toi quand l'avion du général Juvénal s'est fait... L.N.:: Moi j'étais sur la rue Jeanne Mance, j'habitais avec Anne Lise. On n'avait ... on avait eu des nouvelles comme quoi ses parents avaient été assassinés, c'était le jour d'après, quelque chose comme ça. Je me souviens, quand elle a reçu la nouvelle, je me souviens pas qui lui a dit, puis elle est partie en courant elle est partie ... puis elle courait ...elle courait super vite. Je me souviens je courais derrière, puis elle est rentrée dans un parc, elle a couru, elle a couru jusqu'à ce qu'elle n'en puisse plus, elle s'est effondrée par terre. Je me souviens elle disait:: "Non non non non non." Je me souviens j'étais à côté et j'ai dit:: "Ouf.". C'était la catastrophe. Évidemment, ses parents ont survécu, on a su ça une semaine plus tard je pense. Au début on avait pensé que ses parents étaient ... étaient morts quoi. N.S.:: La vague de choc finalement qu'a produit ... qu'a produit ... l'attentat sur l'avion de Juvénal et ce qui s'en est suivi, je voulais savoir en dehors du choc [inaudible] ça peut représenter pour la communauté rwandaise ici, comment ça a été vécu? Comment ... est-ce qu'il y avait des gens qui avaient des nouvelles du pays d'une manière ou d'une autre? Comment ça s'est passé à ce niveau-là?. L.N.:: Tout le monde était branché sur la télévision, sur le téléphone il y avait des... tout ce qui pouvait être envoyé comme message était envoyé. Message sur nouveau message. C'était constant, constant, constant, les gens étaient branchés tout le temps, tout le temps tout le temps. En même temps je me souviens, avec la guerre des Balkans, à cette époque-là, il y avait la guerre des Balkans, puis à la télévision c'était comme une boucle. Sur l'autre chaîne, la guerre des Balkans. Comme "Ah!" tu sais les gens étaient toujours en train de chercher des informations, donc quand il y avait des soldats, ils s'arrêtaient:: "Non ça c'est pas la bonne guerre.". Tu sais il y avait une espèce d'absurde avec les gens. C'est quelque chose qui m'a beaucoup ... je l'ai raconté souvent je pense. C'est quelque chose que je trouve très difficile à comprendre; comment ça se fait que les gens pouvaient avoir autant d'images... des nouvelles et qu'il n'y a personne qui pouvait rien faire. En tout cas, c'est comme ça qu'on recevait ... les gens étaient décimés c'était quand même un trois mois ... de folie vraiment. Puis... N.S.:: Est-ce que la communauté pouvait déjà vraiment, d'une manière ou d'une autre, ... aider ou faire quelque chose pour ... pour les gens qui étaient là-bas ou c'était ... tu recevais des images, mais vraiment il n'y avait rien qui pouvait être fait? L.N.:: C'est la sensation ... la sensation que j'avais. [inaudible] "C'est pas possible, c'est pas possible, c'est pas possible!". C'est le choc, je pense. C'est surréaliste ...ça s'explique pas. Parce que c'était très..., la simultanéité est étrange, il y a le monde qui s'écroule et en même temps la vie continue, mais d'un ... d'une banalité absolue et c'est le contraste est"...". N.S.:: C'est-à-dire que tu continues à aller au travail, tu continues... L.N.:: À aller au travail que tu y ailles ou que tu n'y ailles pas, [inaudible] tu continues à aller au Métro au Provigo ou au Steinberg . Il faut que tu manges, tes enfants mangent, la vie continue, la majorité des gens qui disent bonjour alors que ... l'univers s'écroule c'est pas normal. C'est ... enfin moi ça m'a beaucoup questionné c'est très... alors que ...puis après, il y a plein de réalité comme ça qui sont quotidiennes maintenant, tu sais, ... je sais pas quand tu vois les conflits qu'il y a aujourd'hui, tu les regardes et tu te dis, les situations de ... de pauvreté tu te dis:: " C'est pas possible tout ça, comment ça se fait comment ça peut continuer?". Et à ce moment-là, ça j'avais trouvé ça [inaudible]. N.S.:: Et puis, est-ce qu'il y avait une sorte de [...] c'est dur de dire ça [...] sorte de soutien moral entre communauté qui s'apportaient les gens dans la communauté je sais pas dans la communauté d'abord et puis, dans la famille ensuite enfin comment ça se passait? L.N.:: Je pense que les gens plus souvent qu'autrement, ils se retrouvaient en groupe puis ils se passaient les nouvelles, les gens se tenaient énormément. Il y avait beaucoup de personnes qui suivaient aussi les avancées de l'armée. Il y ait un effort colossal par rapport à ça, je pense que les gens s'accrochaient peut-être, je sais pas. Je dis ça maintenant parce que c'est marrant, c'est pas là-dessus que je me suis attardée. "..." C'était quelque chose il y a des gens qui perdaient des personnes au fur et à mesure c'était ... nous on n'avait rien. Nous, on a eu personne, il y avait une tante qui est décédée là-bas, mais c'était pas... Il y avait... Gilbert avait sa tante qui avait une vache [inaudible]. Mais il y avait des gens qui vraiment c'était des histoires"...". N.S.:: Et est-ce que quand tu finissais le boulot ou tu finissais ta journée, est-ce que tu étais plus souvent à la maison que d'habitude avec tes sœurs? Est-ce que vous écoutiez les nouvelles ensemble? L.N.:: J'étais beaucoup avec Anne Lise à ce moment-là. Les gens qui étaient "...". Radegonde est-ce qu'elle était encore à Saint-Georges? Non, elle n'était pas sur Jeanne Mance, mais Tita était à Paris. Là où mes parents habitaient, où mes sœurs habitent aujourd'hui, Tita habitait [inaudible] elle avait une garderie là-bas. Je sais qu'on a été ... on a toujours été ensemble ...avec Bello ... [inaudible] N.S.:: Est-ce qu'à l'époque, justement dans la communauté... on s'interrogeait encore entre guillemets sur le rôle du Canada, sur le rôle de l'ONU, ... de la communauté internationale par rapport à ça? C'est-à-dire que c'est vite enfin c'est vite ... qu'on a reconnu ça, qu'on a reconnu que c'était un génocide pendant qu'il a eu lieu, mais en même temps il est une inaction. Rétrospectivement, je ne sais pas si on s'en est déjà [inaudible] contre l'époque. Comment ça c'était perçu ça dans la communauté? L.N.:: C'était ... c'était l'abandon total... et puis il y avait tellement de ... les gens suivaient les opérations [inaudible]. Donc, ils suivaient tout ce qui se passait à la télévision et tout. [coupure]. N.S.:: Et puis quand le FPR est entré dans le Rwanda et puis qu'il a commencé à reprendre possession du pays ..., est-ce que dans la communauté on essaye de prévoir... pensait déjà à la reconstruction... on était sous le choc? L.N.:: Je pense que ... c'est ce mélange dans la tête ..., mais je me souviens qu'il y ait eu comme un moment où ils ont fait [inaudible] il y a une partie qui était heureuse de la prise de pouvoir, de la victoire entre guillemets. Il y a impossibilité de dire victoire parce que ... c'est la dévastation. N.S.:: Et puis ensuite, comment s'est passée justement cette reconstruction? C'est-à-dire le pays était complètement [inaudible] et... et il a fallu reconstruire et ... quel était le rôle de la communauté rwandaise ici à Montréalpour participer à ça ?. L.N.:: Je pense que pour moi, il y a eu ... il y a eu beaucoup de gens qui sont partis hein? Entre 90 et 94, il y a beaucoup de gens, beaucoup de jeunes qui sont partis au front ... ou qui sont rentrés après, avec des vagues de "...". Je pense que c'était un mouvement de déconstruction avant ... avant que ça soit un mouvement de construction parce que ..., parce que ce qui tenait les gens ensemble c'était cette espèce de ... de mouvement-là. Une fois que..., je suis pas sûre que les gens avaient ... avait bien imaginé comment ...comment la suite allait se faire. Et puis c'est sûr qu'ils n'avaient pas pensé dans quelles conditions ils allaient devoir le faire. C'est sûr que ... le gouvernement n'a jamais, enfin le FPR tout ça, il n'avait jamais pensé avoir créé quelque chose dans ... tu sais à partir de là où ils partaient. Je pense il y a eu des ... il y a eu beaucoup de chocs, beaucoup de déception ... c'est difficile de défaire, de montrer les différentes couches de ce que moi je me souviens par rapport aux gens qui voulaient rentrer, la diaspora des différents lieux, la réalité sur place, les réalités sur place. Il y avait les camps, il y avait des trucs qui se passaient dans les camps à l'intérieur du Rwanda. Il y avait des ... il y avait des ... il y avait une époque où il y avait des soins qui étaient donnés à l'extérieur, dans, encore à l'extérieur du Rwanda aux gens qui étaient déplacés. À l'intérieur du Rwanda, aux gens qui venaient de souffrir, il y avait toutes sortes de ... je pourrais pas dire maintenant il fallait qu'ils écrivent [inaudible] pour dire quelles ont été les étapes après. Beaucoup d'étapes après ... après 94 jusqu'à aujourd'hui. Puis la période juste après c'était pas évident du tout. Je me souviens en 96, j'y suis retournée, puis je me souviens j'avais encore la tête pleine d'images des trucs qu'on avait vus à la télé, puis il y avait des corbeaux partout et puis, je faisais des associations d'idées. J'ai rencontré ce copain-là que j'avais vu en 90, avec qui je m'étais bagarrée et puis il est devenu quelqu'un ... il avait été soldat et puis ça tous les gens qui avait été au front, ils avaient tous complètement changé. J'étais beaucoup plus ... je sais pas ... forts, très sobres. Puis pas malheureux mais pas ... pas quelque chose de ... je sais pas comment dire ça. Austères ouais puis je me souviens qu'il y avait plein de monde ouf [inaudible] "C'est la mort partout!" "Mais arrête ça s'est passé il y a deux ans." Il est en train d'essayer de ... de faire vivre sa famille en faisant une boulangerie en faisant du pain, quelque chose comme ça, c'était très [inaudible]. C'était terrible parce qu'en deux ans, les soldats avaient du mal à se faire payer, les gens qui étaient rentrés plein d'espoir, il y avait rien; c'était difficile ... les rescapés étaient encore complètement "...". C'était vraiment là ... je sais pas comment les gens ils font. Les gens fonctionnent quoi, c'est pas [inaudible] blablabla non c'est ... les gens se tiennent debout ils font comme ils peuvent quoi. N.S.:: Toi dans quel cadre tu étais partie en 96? L.N.:: Je n'avais pas de cadre du tout, j'étais partie parce que [...] parce que j'avais besoin d'y retourner, je pensais juste à ça. N.S.:: Et tu es partie avec ta famille? L.N.:: Toute seule. N.S.:: Seule? L.N.:: Ouais N.S.:: Est-ce que tu avais proposé à la famille de venir ou? L.N.:: Non. N.S.:: C'est un voyage que tu voulais faire toute seule? L.N.:: Ma mère était partie en 94, seule je pense. Mon père, est ce qu'il était retourné? Je pense pas. N.S.:: Ta mère y était allée après? L.N.:: Elle est partie presque juste après. N.S.:: Et puis quand est-elle revenue? L.N.:: [silence] N.S.:: Parle-moi de ce voyage en 96 là. L.N.:: C'était ... c'était chouette. Je suis allée voir ... mon oncle est là-bas. Il avait fait l'armée lui aussi. Puis, lui aussi il était changé. Il était plus austère, il me plaisait bien. Puis on a fait le tour du pays et j'ai failli rester là-bas. Il y avait un monsieur d'une O.N.G [Organisation Non Gouvernementale] italienne je me souviens c'était Massimo quelque chose. Il m'avait proposé de travailler là-bas, donc j'ai fait..., accepté mais j'avais un boulot qui m'attendait pour aller faire je ne sais pas quoi. Je rentrais le dimanche et lundi j'allais travailler. Ça m'aurait fait du bien je pense que c'était ... tu sais il y a des moments où la vie bifurque comme ça? N.S.:: Qu'est-ce que t'aurais fait pour cette O.N.G.? L.N.:: Je sais pas. N.S.:: Peu importe? L.N.:: Ouais peu importe. Et puis à ce moment-là c'était le coût [inaudible] ils avaient beaucoup de chance quand ils pouvaient rester au pays parce que c'était une période où il y avait beaucoup d'O.N.G [Organisation Non Gouvernementale] qui se faisaient renvoyer. Ils avaient pas l'habitude je pense, ce n'était pas un gouvernement comme beaucoup d'autres, il posait beaucoup de limites, ce n'était pas n'importe qui qui pouvaient venir là et n'importe comment. N.S.:: Il me semble que c'est entre 94 et 96 qu'on a commencé à parler de [inaudible] de réconciliation nationale, de Gacaca, que ça commençait à se mettre en place. L.N.:: Ben je me souviens qu'on en parlait assez rapidement parce que ... je me souviens on en discutait avec Anne Lise et ça c'était quand? Je m'en souviens pas. On en discutait parce que son frère avait beaucoup fait de la recherche par rapport à ça, par rapport à ... c'était pas lui qui avait pensé cette formule-là, mais c'est lui qui avait beaucoup fait de recherches par rapport à ces anciennes ... le droit coutumier et puis .... Je me souviens pas à quelle époque ça a commencé. N.S.:: Comment tu voyais ça toi... ce pragmatisme, mais en même temps est-ce que c'était possible de faire autrement? Disons... L.N.:: Dans quel sens? N.S.:: Comment? L.N.:: Dans quel sens? N.S.:: Dans le sens où il fallait apprendre à vivre ensemble, même si dans le "ensemble" [inaudible] les parents des victimes.... L.N.:: Je sais pas s'il est question d'apprendre à vivre ensemble parce que les gens vivaient ensemble. Mais tout ce que je sais, c'est des briques que j'ai appris à... et là... et à travers des... c'est comme un collage que je me suis fait, au fur et à mesure des années, et d'ailleurs cet été je devrais y retourner là, pour pouvoir vérifier un petit peu. Mais la manière dont je comprends c'est que je pense il y a des gens pour lesquels en tout cas, je me souviens j'avais entendu un monsieur qui disait:: "Tu sais, des fois, je préfère être à l'extérieur.". C'était un monsieur qui se disait Tutsi qui disait:: "Des fois, je préfère rencontrer des Hutu à l'extérieur que de rencontrer ces Tutsis-là qui sont entrés à intérieur du Rwanda.". J'ai l'impression que c'était quelqu'un qui était un rescapé; il disait que, en fait, il ne reconnaissait plus son pays parce que, avec tous les gens qui étaient rentrés, c'était pas du tout les mêmes. Tous les gens qu'il avait perdus, le paysage ou, enfin, pas le paysage, mais la société avait complètement changé et des fois il préférait être dehors avec ceux qu'on appelait communément, parce que faut pas mélanger les termes non plus, ils préféraient être avec ceux avec qui il était avant au Rwanda; à l'extérieur, donc rencontrer les gens avec qui ouf, pour avoir quelque chose en commun parce qu'avec les gens qui étaient sur place non. Et ça je me souviens, ça m'avait beaucoup marqué. Il y avait un autre, un autre rescapé qui m'avais dit:: Enfin "..." il se sentait très mal parce qu'il avait l'impression que les rescapés c'était les personnes les plus fragiles parce que d'une certaine manière ils rappelaient le pire à tous les côtés du conflit. Donc il disait que:: "J'ai l'impression que..." quelque chose dans ce genre-là "J'ai l'impression qu'on veut nous éliminer parce que pour les uns, on représente un échec, c'est-à-dire l'échec du travail non terminé, pour les autres on représente un souvenir de ce qui s'est mal passé quoi. Une victoire qui n'est pas accomplie quoi.". Ça aussi ça m'avait beaucoup marqué. C'est terrible comme position... mais quelque chose qui m'a marqué c'est il y a l'Institut de dialogue et de la paix [IRDP:: Institut de Recherche et de Dialogue pour la Paix] qui est venu présenter un peu les dialogues qui se passent un peu partout et puis l'entendre, c'est quelque chose que je trouve intéressant, c'est dire ben partout au pays c'est pas les mêmes soucis, c'est pas les mêmes conflits. En haut, dans le nord apparemment, il y avait pas énormément de Tutsi et donc c'est pas le génocide leur truc. Eux ils ont d'autres ... ils ont d'autres problèmes. Leur truc à eux c'est la guerre des infiltrés, quelque chose comme ça, ils appellent ça, quelque chose comme ça. Et puis de dire ben dans le nord c'est comme ça, à tel endroit comme ceci, donc il y a des blessures qui sont spécifiques et ... et je pense que ça aussi, enfin, pour moi c'est quelque chose qui est intéressant de dire ben on peut pas ... c'est pas une chose, si plusieurs choses dépendamment de comment les gens ont été blessés. Et puis, quand on parle aux gens, nous on en fait des histoires de vie et tout ça en parlant de gens, ben on se rend compte que là où ils ont été blessés, les gens [inaudible] il y a comme une ... si on lisait un disque comme les vinyles à l'ancienne, il y a comme une track. Ça ben c'est un sillon sur lequel ils vont soit peut-être pas rester, mais ... ça va avoir tendance à revenir là et tant et aussi longtemps que là il y a pas de "..." Alors je me dis, si on ne peut pas parler de quelque chose à ce niveau-là je pense qu'il faut que ce soit spécifique à l'histoire de la blessure. C'est-à-dire que ... je sais pas si on peut parler en termes de ... guérison ou de ... je sais pas quels sont les termes parce que je sais que la réconciliation ça embête beaucoup de monde. Mais c'est définitivement quelque chose qui m'intéresse maintenant. Et puis, ça me questionne aussi que ça m'intéresse autant que ça. Je me dis c'est des trucs de ... de morale. N.S.:: Comment ça? L.N.:: Ben ... je me dis ... on se questionne pas tout de suite sur ... je me suis pas en tout cas questionnée tout de suite sur le fait de m'intéresser à la réconciliation. Il y a quelque chose de terrible qui s'est passé, il faut se réconcilier. Mais se réconcilier là ... je sais pas plus j'y pense, c'est pas de la tarte. Puis, se réconcilier est-ce que c'est ... c'est polarisé entre ethniquement où est-ce que c'est entre nous, puisque les Tutsi de l'extérieur et les Tutsi de l'intérieur entre guillemets tout ça entre [inaudible]. Est-ce qu'ils vont se réconcilier? Est-ce qu'ils vont se dire:: "bon ben ... tu sais il peut y avoir des sous-entendus aussi". Il doit y avoir des gens qui doivent se dire:: "Ben si vous n'aviez pas attaqué, est-ce qu'on serait morts?". Puis est-ce qu'il y aura quelqu'un qui va être de l'autre côté pour te dire:: "Ben au moins, au moins qu'on m'entende.". Mais on peut pas prendre la responsabilité de ça pour dire "Ben effectivement ..." puisque se sont pas eux qui ont tué, mais d'entendre ça ... je sais pas quoi faire avec ça. Je sais pas peut-être si ça se trouve c'est déjà des choses qui se font, peut-être je sais pas. N.S.:: Et quand t'es allée justement en 96, est-ce que tu as pu observer les Gacaca,justement ce mélange de droit coutumier, de droit [...]? L.N.:: Non. N.S.:: Qu'est-ce que tu penses de ça toi? L.N.:: Moi je trouve que c'est ... je comprends pas tous les ... tous les rouages de ça. Il y avait une partie de "...". Je pense que n'importe quel système de justice est faillible. Que ce soit celui-ci en Occident ou que ce soit l'autre, c'est pas vraiment ... il y a pas de ... je crois pas qu'il y ait un système qui est "...". Je crois que c'est héroïque d'avoir entrepris ... faire face à tout ça je veux dire c'est ... je sais pas, je pense qu'on s'imagine des choses qu'on comprend pas très bien, l'ampleur de ce que c'est. Je pense pas qu'on .... Je veux dire quand on réfléchit à ça ici, suis pas sûre que les gens réalisent l'ampleur de ce qui s'est passé. Pas sûre. Enfin j'ai pas de meilleures possibilités à mettre de l'avant"...".. N.S.:: Est-ce que tu considères que ce voyage en 96 c'était pour pouvoir te rendre compte, tu parlais de ce déterrage, de cette schizophrénie même quand ça se passait et toi tu étais ici à Montréal, est-ce que ce voyage c'est parce que tu avais besoin de te rendre compte par toi-même, tu avais besoin ... enfin qu'est-ce que tu mets comme sens dans ce voyage toi? L.N.:: C'était comme pour ... 94 c'était comme ... comme si j'étais devenue folle "...". [Inaudible]... là-bas c'est comme si on te disait, bon c'est pas comme une claque parce qu'il y a personne qui m'a frappée ... c'est pas violent comme claque. C'est sobre et donc c'est comme un réveil "Allô de quoi tu parles, arrête de faire des ... d'abord c'est pas toi qui l'a vécu OK?" Ensuite tu vois, tout le monde fonctionne comme ils peuvent. Arrête, soit tu fais ce que tu peux, soit t'arrêtes quoi.". C'est comme un " OK on se replace, il y a personne qui sait, c'est pas grave.". Mais c'était un peu ça, c'était comme un réalignement alors que j'avais l'impression de ... de déchirer, tu sais quand tu perds l'équilibre parfois "..." tu dérapes, tu te dis:: "Ah! Qu'est-ce que c'est que ça?". N.S.:: Et quand tu es revenue ... ben je sais que la communauté rwandaise de Montréal a fait ... enfin était assez active, à chaque année, elle commémore et je voulais savoir justement quelles sont les premières actions qui ont été posées collectivement pour commémorer, pour aider pour ... tout simplement pour vivre ça ensemble? L.N.:: C'est drôle hein parce que moi je ne sais pas les premières fois ..., je sais pas quand est-ce qu'on a commencé à commémorer. Est-ce qu'on a commencé tout de suite? Je sais pas quand est-ce que Callixte est arrivé alors qu'il doit être arrivé pas longtemps après. Dans ma tête, c'est comme si on commémorait depuis toujours. Tous les ans, une semaine de commémoration. J'arrive pas à penser à une fois qu'on a fait en premier. C'est bête hein? N.S.:: Alors est-ce que tu peux me parler ... si ce n'est de la première ... des premières dont tu te rappelles? L.N.:: Je sais que ... parce qu'en 96, j'étais, je me souviens pas .... Je me souviens que ... les années se mélangent ... je me souviens pas bien. N.S.:: Bon alors ce sera sans se forcer au niveau chronologique etc. L.N.:: [Inaudible] N.S.:: Dis-moi le genre d'actions qui ont été faites. L.N.:: Je me dis, mais quand est-ce que ... quand est-ce qu'on a commencé à commémorer? OK il y a 2001, en 2004 je me souviens on a fait ... on a commencé à faire un vidéo en 2003. J'étais pas là, j'étais à Bagdad en 2003. En 2002, qu'est-ce qu'on a fait en 2002, je me souviens pas, en 2001 je me souviens pas c'est fou ça. Je me souviens pas. Mais dans ma tête on a toujours "...". N.S.:: Est-ce que par exemple Callixte t'avait [inaudblie] une idée? Je sais qu'il a été très actif dès qu'il est arrivé. L.N.:: Oui, puis je sais que tout le monde, la commémoration c'est le moment où tout le monde tout le monde vient au moins un moment s'asseoir et puis se recueillir un peu. Plein, plein, plein de monde [inaudible] bon, c'est pas grave. N.S.:: Et autrement est-ce que, dans la communauté, tu en connais aussi qu'ils sont rentrés définitivement "..." me dire, quelques années après 94? L.N.:: Oui il y avait je ne sais pas si c'est avant 94 ou après, mais oui j'avais un oncle qui était ... parmi les personnes qui étaient de la communautéà Montréal? Je connaissais pas bien les personnes de la communauté pour te dire un tel, un tel, un tel, est parti ... je m'avancerais pas. Je sais qu'il y a des membres de ma famille qui sont partis à Ottawa, en Ontario et plus vers l'Ouest. C'est des personnes qui sont [inaudible] qui sont rentrés. Eugène, il est rentré [inaudible]. N.S.:: Écoute on peut le dire franchement, il y a une question depuis tout à l'heure que je tourne et que je retourne dans ma tête, depuis tout à l'heure je me demande si je vais te la poser parce que je sais pas comment te la poser. Donc excuse si ça sort un petit peu bête. Est-ce que d'une certaine manière, et vraiment je veux que tu détailles ta réponse le plus possible si tu peux, tu te considères plus comme un:: une réfugiée, deux:: une survivante? L.N.:: Pas du tout alors. Je peux pas écouter des gens .... Moi, je ne me considère pas du tout comme ça. Ben mon père a toujours refusé le statut de réfugié. Puis, ça j'ai appris ça récemment pendant qu'on faisait l'histoire de vie. Je savais qu'il y avait une tension entre mon père et ma mère par rapport au statut et tout ça au point "..." et que c'était très, très difficile, mais je ne savais pas exactement pourquoi. J'ai su ça en faisant ce travail-là, j'ai compris un peu mieux. Je me considère absolument pas comme réfugiée. Puis, alors comme survivante encore moins. Le génocide a eu lieu j'étais ici à Montréal, j'ai regardé à la télévision, je peux pas dire "...". Quelqu'un qui est rescapé pour moi ce sont des gens qui ..., je veux dire ça signifie quelque chose spécifique, c'est pas n'importe qui. On perd tous. Survivants enfin survivants ... pas tous rescapés du génocide. Il y a des gens qui se disent que oui ils se sentent comme survivants parce que s'ils avaient été là, ils seraient morts. Je sais pas, c'est pas ma position parce que je considère que s'il y a des gens qui étaient là-bas, les rescapés ils étaient là-bas, ils sont rescapés. C'est pas sûr qu'ils seraient morts. Ils étaient pas là point. Je trouve qu'il y a les gens qui sont aussi survivants, ce sont les gens qui ont perdu leur famille. Ça pour moi aussi ce sont des gens qui sont des rescapés c'est-à-dire des rescapés c'est comme s'il y avait un épicentre et que l'abîme c'était au centre et puis on s'en éloigne on est touché par ça, mais c'est pas la même chose que d'être en plein dedans. Puis je pense que les gens qui ont été les plus touchés, c'était les gens qui étaient sur place vraiment. Les gens qui ont dû, qui ont dû survivre à d'autres. Je pense que c'est aussi ... ça doit être un poids monstrueux. Les gens qui ont dû choisir, faire des choix difficiles, ça, ça doit être quelque chose de terrible. Ou les gens qui ont ... les gens qui sont ici et qui ont perdu les leurs, mais .... Il y a des personnes qui sont ici et qui avaient, qui étaient membre de familles, de grandes familles, ils avaient des tantes, des oncles et il reste plus personne. Ils sont tous morts. Ça pour moi c'est un rescapé parce que tous tes liens significatifs sont terminés finalement. ... Mais sinon on n'est pas tous des rescapés, en mon sens c'est pas des rescapés, en mon sens en tout cas.. N.S.:: Et comment tu penses que ... 94 a été perçu par le reste des Montréalais? L.N.:: "..." J'ai rencontré des gens qui étaient très touchés et j'ai rencontré des gens qui étaient "...". Ça été très médiatisé quand même, il y a eu beaucoup de films, des gens ..., alors qu'avant le Rwanda, il y avait personne qui connaissait ça. Personne je veux dire c'est tellement petit sur une map que c'est même pas écrit le nom au complet dessus. C'est pas "..." Alors qu'après, c'est un peu triste comme [inaudible]. Est-ce que ...c'est difficile de ... Montréal c'est un endroit où mettons il se passe le truc du [inaudible Balkans là, c'est-à-dire je sais pas, beaucoup de gens auront des histoires de monstres comme ça. Et donc, c'est une histoire parmi d'autres. Je pense "...". N.S.:: Est-ce que tu penses que ça a été bien expliqué ou est-ce que ça a été, à la mesure du possible là, bien compris par les gens qui vivaient ici? L.N.:: Je sais pas si ça a été bien compris par nous, je pense pas qu'on soit bien d'accord, je pense qu'il y a des ... c'est une guerre qui se poursuit. Je pense que c'est une interprétation des faits qui se poursuit même aujourd'hui. Il y a des gens qui vont dire:: "Ça ne s'est pas passé comme ça à Kigali" puis il y a des gens qui vont dire, jusqu'à aujourd'hui, il y a des gens qui vont dire:: " Il y a eu plus d'un million de morts.". Il y a d'autres gens qui vont dire 800 000 personnes incluant des Hutu qui ont été tués. C'est une guerre politique. Les histoires entre Kigali et la France, Kigali et l'Élysée, ça vient de cela. C'est pas ... c'est pas fini, c'est pas terminé, c'est ...ça continue, il y a des camps. Donc, dans quelle mesure ... quand c'est comme ça ... c'est pas comme si on disait:: "Bon, voilà ce qui s'est passé." et puis tout le monde va dire:: "Oui voilà ce qui s'est passé, il y a une histoire qui est dominante". C'est inconnu c'est un génocide inconnu. Alors que, par exemple, les Arméniens ils n'ont toujours pas ça et je pense que ça, ça fait quelque chose ou pas. Il y a les Congolais, par exemple, qui sont, qui sont outrés de voir que ce qui s'est passé au Rwanda, on a la presse est ce qui se passe au Congo n'est pas "....". Et puis, il y a les Burundais qui ont souffert énormément aussi mais dont on ne parle même pas. Donc il y a quand même des choses qui sont particulières, dont on ne connaît pas qui est sur le radar et pourquoi. Et ça sert qui que un tel ou un tel soit un tel ou ne le soit pas? Quand on dit:: "est-ce que les choses ont été bien expliquées", mais à qui? Est-ce qu'ils veulent savoir tout ça dans les détails comme ça? Je pense qu'on a rarement le temps de le faire ou poser des questions "...". N.S.:: Pourtant avec des projets comme celui-là, même si tu prends Isangano [troupe de danse rwandaise] ou même différentes initiatives, est-ce qu'il y a moyen pour ... pas maintenir [inaudible] parler des vrais choses et puis ... par exemple à chaque commémoration tu vas voir des Québécois, à chaque même événement culturel tu vas voir des Québécois et donc c'est peut-être aussi une manière pour ... mieux comprendre, mieux savoir ce qui s'est passé. L.N.:: Je pense que c'est vrai, c'est vrai si on se donnait comme mandat de faire ça par exemple ce serait un mandat. Je sais pas dans quelle mesure c'était ça notre ... je pense avec certains membres par exemple comme [inaudible] et des difficultés qu'on a aujourd'hui [inaudible] on n'existe plus dans les faits. On refuse de ... de mourir entre guillemets. On n'existe plus, mais dans les faits, il n'y a plus de mobilisation, il n'y a plus de "...". Je pense qu'il y a plusieurs raisons pour ça. Et Isangano c'est un groupe de jeunes Rwandais qui ont duré dix ans, mais dix ans à se réunir toutes les semaines, plus les contrats, plus ceci, plus cela, c'est un investissement énorme. Si on doit penser que les gens ont en plus des vies à vivre quoi. Je pense que ça voulait dire qu'il y avait toute une partie qui se mettait en attente d'une certaine manière et puis qui donnait pour le groupe quoi, pour la collectivité. Puis ça a fait son temps je pense que c'était nécessaire à un moment donné, mais il y a toute une génération qui a grandi comme ça, puis qui se sont tenus tant bien que mal comme ça. Je pense pas que c'est viable dans le sens où je pense que les gens ont le droit aussi de vivre une vie. Parce que c'est un acte de dévotion de dire:: "OK je donne ma vie à tel. Je vous [donne?] ma vie à [coupure]" ou de dire:: "Ben moi je prends ma vie et j'en fais ce que je veux.". Je pense qu'il y a un petit peu ça, on commence à poser des questions et se dire:: "Est-ce qu'il y aurait pas des... est-ce que c'est pas des opportunités à prendre?". Oui je pense qu'effectivement il y a place à faire des choses, il y a plein de place de faire des choses parce que le terrain est propice. Quand on regarde le projet des histoires de vie, par exemple, on regarde les liens qu'on peut faire avec plein de groupes différents qui ont le même statut entre guillemets par rapport au génocide, par exemple comme ben les communautés juives par exemple, les [communautés?] arméniennes, mais aussi les autres communautés qui ont des violations, vraiment des guerres, des conflits, des atrocités qui se sont passés. Qui sont peut-être pas reconnus, des [inaudible] ou des groupes sans... tu sais il y a des histoires, des ... des comparaisons à faire ou en tout cas des dialogues à tenir et je pense que il y a le fait qu'on a en commun maintenant, le fait qu'on habite ici, puis je pense que ça aussi c'est quelque chose qui est intéressant qu'on pourrait, qu'on pourrait ... exploiter davantage, regarder ... il y a plein de trucs à faire, il y a pas de doute. Alors qui a envie de faire ça? Je pense que c'est pas clair que les gens ont nécessairement envie de ... il faut que ce soit un projet qui soit ... inspirant. Que les gens ... que ça amène quelque chose aux gens de plus. ... parce qu'ils ont déjà beaucoup de choses à donner, à faire. Je pense que ... je crois.. N.S.:: Écoute, on arrive à la fin de l'interview, on va terminer par une dernière question. Qu'est-ce que tu aimerais que les gens, communautés ou autres, retirent du projet Histoires de vie d'abord et puis modestement de cette interview? L.N.:: Tu aurais dû me poser la question au début. J'aurais peut-être répondu différemment je ne sais pas. Du projet des histoires de vies, ce que j'aimerais qu'on en retire, c'est que, c'est ce que je reçois quand je réécoute les histoires. C'est que, en fait l'histoire est faite ... c'est pas un tout homogène, c'est pas une version polarisée, ce sont des couches. Que ce soit la colonisation, ce n'est pas colonisation. Elle n'est pas homogène, ce sont des vagues, que si c'est la christianisation, c'est pas une christianisation, ce sont des projets de missionnaires multiples. Ils avaient des agendas différents, il y'avait un contexte. Quand on regarde l'Occident, ce n'est pas homogène, c'est multiple, c'est hétérogène et quand on regarde, le Rwanda c'est hétérogène et comment est-ce que toutes ces différences, c'était, ce sont autant de files qui sont dans l'espace mais aussi dans le temps. C'est autant d'agendas qui se sont un moment donné retrouvés un tel moment, puis là ben ça donne telle chose, il y a tel moment ben ça donne telle chose. C'est pas un tas comme ça qui est facile à comprendre ou à reconnaître. Il y a des choses qui sont fondamentales à mon sens à moi à reconnaître si on veut avancer, c'est de direque cette façon de fonctionner, cette façon de sacrifier les gens quand ça n'allait pas, ben c'est pas un truc qui était polarisé entre les groupes. C'était quelque chose qui se passait même quand entre groupes, intergroupes quand ça n'allait pas du nord au sud mettons, c'était les mêmes personnes qui étaient sacrifiées. Donc cette façon de faire c'est quelque chose qui date bien, bien, bien avant le paroxysme du génocide. Donc c'est pas un, c'est plein de choses, c'est plein de choses qui amènent, et puis à un moment donné ça va sauter et c'est ça que j'aimerais qu'on arrive à comprendre pour dire:: "Ben si c'est tout ça à ce moment-là, comment est-ce qu'on vit avec? Comment est-ce qu'on intervient là-dedans? Comment ... qu'est-ce qu'on peut en retirer chacun pour soi mais aussi collectivement pour là-bas peut-être, mais pour ici entre nous, mais pour ici avec les autres.". Je pense que c'est ça l'intérêt d'un projet comme celui-ci. C'est que quand on raconte l'histoire de vie d'un individu, l'intérêt c'est que ces couches de réalité, de conscience viennent ... c'est comme des souvenirs viennent un petit peu "...". Ce n'est pas la narration ... du gagnant finalement qui survit dans les livres, c'est pas celle qui est ou non contestée, c'est un souvenir. Et je pense qu'on gagnerait à aller chercher aussi des souvenirs, puis diversifier pour aller voir un peu ... est-ce qu'il y a quelque chose qu'on peut ... sinon reconstituer, c'es.