Marie Josée Gicali
>> M.M: On te remercie d’avoir accepté,
d’avoir accepté de nous donner l’entrevue,
ton récit de vie, euh est un projet qui s’adresse
à tous les Montréalais déplacés par les
crimes, le génocide et autres choses, autres
violations. Puis euh ça va être à la disposition
du public ou du projet, ça dépend de votre
option. Puis euh, on se connaît, mais pas
assez [rire], c’est pour ça que je vais
commencer à vous demander, à te demander, pas demander
je vais me permettre de te tutoyer…
>> M.J.G: Mais vas-y, s’il te plaît
>> M.M: … de me parler de toi, de ta famille,
de tes grands parents
>> M.J.G: Euh, je m’appelle Marie-Josée
Gicali, je suis originaire de Kibuye. C’est
dans l’ouest du Rwanda. Je suis arrivée
au Canada en ’98 [1998]. Je suis mariée,
mère de deux enfants.
>> M.M: Ok, [rire] euh, j’aimerais savoir
un peu plus [bruit de tasse] sur tes parents
et tes grands-parents, on n’a jamais parlé
de ça, on a parlé de nous-mêmes [rire].
>> M.J.G: Mes parents…
>> M.M: Tes grands-parents, est-ce que tu
les connais?
>> M.J.G: Mes grands-parents…
>> M.M: Tu les as connus?
>> M.J.G: J’ai connu ma grand-mère
maternelle, je l’ai vue, mais elle est décédée en
’98 [1998], ’88 [1988], je l’ai connue.
C’est la seule que j’ai, c’est le seul
grand-parent que j’ai connu.
>> M.M: Tu ne connais
pas le coté maternel?
>> M.J.G: Le côté, mon grand-père paternel,
maternel je le connais, je l’ai pas connu,
il est décédé ça fait longtemps, ça faisait,
ça fait très longtemps.
>> M.M: « Uhuh »
>> M.J.G: Puis, mes grands-parents du côté
de mon père sont décédés et mon père
était tout jeune, tout petit.
>> M.M: Ok, donc la seule personne que tu
aurais connue mieux c’est la grand-mère
maternelle?
>> M.J.G: [Acquiesce] maternelle.
>> M.M: Quel souvenir gardes-tu d’elle?
>> M.J.G: [Sourit] Oh mon Dieu, c’était
une femme euh [acquiesce] de caractère, elle
était comme un homme en fait.
>> M.M: [rire]
>> M.J.G: [rire] : C’est une femme qui,
qui, elle m’impressionnait beaucoup, qui
faisait tout, qui était très respectée,
puis ah mon Dieu, j’étais toute petite
mais elle m’impressionnait beaucoup…
>> M.M : « hmmhmm»
>> M.J.G: Surtout par l’affection qu’elle
me, qu’elle me portait, elle m’aimait
beaucoup, beaucoup [acquiesce], puis elle
aimait ses enfants, ses petits-enfants, mais
étant donné que c’est une femme qui a
perdu son mari euh quand même relativement
jeune…
M.M : « … »
>> M.J.G: Elle a dû euh
>> M.M: acquiesce] prendre toutes les responsabilités,
être le pilier de la famille et tout, mais
étant donné que ma mère était, c’était
la seule, le seul, son seul enfant qui avait
étudié…
>> M.M: Oh
>> M.J.G: Ma mère a aidé aussi, étant la
plus vieille, elle a aidé aussi euh à construire
quand même une maison [M.M : « … »], relativement
belle, puis c’est ça.
>> M.M: Te souviens-tu de quelle relation
il y avait entre maman et sa maman? [rire]
qu’on cherche le plus loin.
>> M.J.G: En fait, c’était, c’était
très étroit, je me rappelle une fois ma
grand-mère disait que cette maison c’est
ma fille qui me l’a construite.
>> M.M: « …. »
>> M.J.G: Et puis elle parle beaucoup du bien
de ma mère, elle disait c’est une fille,
c’était une fille intelligente puis travaillante,
elle était très fière de sa fille, peut-être
parce qu’elle avait étudié, je sais pas
mais…
>> M.M: « …. »
>> M.J.G: Parce qu’ils ont, ma mère a,
behn pendant cette période c’était plus
ou moins difficile, c’est pendant la révolution
et tout quand elle a fini ses études, puis
elle a été contrainte de fuir son foyer.
>> M.M: La grand-mère?
>> M.J.G: Non, ma mère.
>> M.M: Ta mère « …. »
>> M.J.G: Elle a été contrainte de fuir,
mais on ne le disait pas beaucoup.
>> M.M: « …. »
>> M.J.G: Une fois ma grand-mère a dit qu’il
y a des gens qui ont caché ma mère, ku rusenge,
tu sais ce qu’est urusenge?
>> M.M: Oui, oui, l’affaire en dessus…
>> M.J.G: C’est un endroit au-dessus du
foyer [avec gestes]
>> M.M: Ranger, ranger...
>> M.J.G: Pour ranger, les marmites, des ibibindi
[avec gestes]
>> M.M: Oui, oui
>> M.J.G: Il paraît qu’il y a une famille
qui l’ont cachée parce qu’ils était
traqués, ils disaient, déjà il paraît
que les gens disaient que des filles qui avaient
étudié c’étaient des pro-Kigeli [
>> M.M: acquiesce], qu’ils avaient écrit
leur nom sur, le nom "vive Kigeli" sur leurs
cuisses ou sur leurs fesses [rire], alors
ma mère a été contrainte de
>> [M.M: d’aller se cacher quelque part], de
quitter sa région. Même dans ses souvenirs,
j’avais l’impression qu’elle n’était
pas très fière d’évoquer cette période,
ma mère m’en a jamais parlé.
>> M.M: Ça c’était quand elle était jeune
fille?
>> M.J.G: Oui, dans les années 59-60 [1959-1960].
>> M.M: « …. »
Puis tu disais que ta grand-maman te donnait beaucoup d’affection? >> M.J.G: Oui. Puis elle m’aimait beaucoup, elle m’admirait beaucoup [rire]. >> M.M: Tu avais été souvent chez la grand-maman? >> M.J.G: J’y ai vécu [ >> M.M: oh]. J’allais y arriver justement [ >> M.M: « …. »] en parlant de ma vie, j’y ai vécu pendant trois ans. >> M.M: À quel âge? >> M.J.G: J’étais entre douze et quinze ans, j’étais une refugiée [rire]. J’étais allée chercher, pour étudier, tu connais des conditions comme ça là >> [M.M: oui, oui, oui]. Des enfants tutsi qui, quand on n’avait pas vraiment de chance pour aller au secondaire, alors mes parents ont dû falsifier [rire] mon identité puis j’étais une autre personne [>> M.M: Pour étudier] puis j’ai été envoyée chez mes grands-parents >> [M.M: pour étudier] puis il fallait cacher ça >> [M.M: « …. »]. Il fallait cacher ça là où j’étais puis cacher ça chez nous, de là où je venais, c’était quelque chose [sourire]. >> M.M: On a tout fait pour étudier, c’est pas possible. >> M.J.G: Oui, on a tout fait. Donc, j’ai vécu pendant trois ans avec ma grand-mère. >> M.M: [« …. »], c’est ca. >> M.M: Si on revient chez vous, chez papa et maman >> [M.J.G: hoche la tête et sourit] qu’est-ce que tu peux nous dire des deux? [ >> M.J.G: des deux?] De leur rapport? Du rapport de chacun avec toi? >> [M.J.G: rire] des souvenirs que tu gardes d’eux? >> M.J.G: Bon mes parents, les deux étaient instituteurs… >> M.M: Ils avaient beaucoup étudié? >> M.J.G: Pas beaucoup mais, >> [M.M: à ce moment oui], ils ont eu la chance d’étudier pour devenir enseignants >> [M.M: « …. »]. Et puis qu’est-ce que je retiens d’eux? Mes parents étaient des gens très travaillants >> [M.M: « …. »] parce qu’ils fallait qu’ils travaillent >> [M.M: « …. »] il y avait rien de gratuit, il fallait qu’ils travaillent très, très fort puis c’était des parents très protecteurs, ils nous protégeaient énormément ; qui nous gâtent beaucoup, parfois c’étaient révoltant chez des jeunes enfants, des adolescents de voir qu’on est surprotégés, mais par après c’est quand j’ai grandi que j’ai compris que les parents ne voulaient pas que les enfants vivent ce qu’ils ont vécu [ >> M.M: « …. » oui]. Alors ils travaillaient beaucoup, ils nous protégeaient beaucoup mais ils étaient très discrets. >> [M.M: « …. »]. Ça quand j’y pense là nos parents n’étaient pas très bavards par rapport au politique, à ce qui se passait dans le pays, non ils n’en parlaient pas et ils disaient, quand on commençait à parler de quelque chose, ils disaient : « vous devriez vous taire ce n’est pas le temps ». >> M.M: « …. », ça c’est par rapport à la politique? >> M.J.G: De la politique à l’époque. Les parents ne parlaient pas beaucoup.
>> M.M: Est-ce qu’ils leur arrivent de montrer leur affection? >> [M.J.G: Mais oui] leurs émotions? [rire] >> M.J.G: Écoute, on était seulement trois enfants >> [M.M: « …. » c’est là que je voulais savoir] et à l’époque-là avoir trois enfants c’était très très peu >> [M.M: c’est ça], puis ma mère souffrait, je pense ma mère souffrait beaucoup de ne pas avoir pu faire plusieurs enfants >> [M.M: inaudible], c’était pas un choix, c’est venu comme ça. Alors ma mère, >> [M.M: « …. »], elle aurait, ma mère aimait tellement les enfants qu’elle aurait aimé en avoir dix [rire] puis souvent chez lui il y avait des enfants qui passaient, qui venaient manger, qui passaient une semaine puis il y avait, on avait adopté un petit garçon, un voisin dont les parents étaient très très pauvres, puis son père est décédé [du garçon] ; il est venu chez nous, il est resté chez nous puis il a été tué pendant le génocide. [ >> M.M: « …. »]. C’est ça, puis c’est ce que je peux dire. Mes parents, c’étaient des gens travaillants, discrets, très discrets et puis fiers, fiers >> [M.M: « …. »]. Je me rappelle que dans la région on disait qu’on était riche [rire] >> M.M: ils croyaient pas vous autres là]. Ils croyaient, ils pensaient, ils disaient : «Ah eux ils sont riches !» alors qu’on n’était pas les seuls à être dans cette situation. Il y avait plusieurs couples qui travaillaient, mais je sais pas pourquoi ils disaient qu’on était riche, on a pu étudier sans problèmes, faire le secondaire sans problèmes, behn sans problèmes ça veut dire sans problèmes financiers >> [M.M: « …. »] euh c’est ça. >> S.G: C’était comment vos rapports avec vos frères et sœurs? Vous avez dit que vous êtes trois enfants? >> M.J.G: Oui, on était trois. >> S.G: Est-ce que vous avez des grands ou petits frères? >> M.J.G: J’étais la plus vieille, puis les deux autres euh, behn le plus jeune est décédé, il a été assassiné pendant le génocide. >> M.M: C’était un garçon? >> M.J.G: Un garçon. >> M.M: Finalement tu es, vous êtes, toi tu es la fille… >> M.J.G: J’étais la seule fille [rire]… >> M.M: Ah les autres, les deux autres sont des garçons? >> M.J.G: C’est sont des garçons, oui. >> M.M: Ah okay, donc t’es une fille avec deux garçons. >> M.J.G: Oui bon, behn nos relations étaient normales là, des relations entre frères et sœurs, des chicanes parfois et puis des moments d’affection, de confiance, de complicité surtout. Oui de complicité. >> M.M: Quand tu y penses, est-ce qu’il y avait un qui était plus complice que les autres avec toi? >> M.J.G: Ah le plus jeune, celui qui est décédé. Peut-être, il était plus jeune, alors j’avais tendance à le proteger [rire] >> [M.M: ah c’est vrai], oui c’est ça. En tout cas avec celui qui me suivait directement on était comme, comme si on avait le même âge, alors il y avait, on se défiait souvent et en même temps on était des complices, on se confiait des petits secrets, mais le plus jeune franchement, même quand je pense qu’il a été tué comme ça là c’est difficile de, à accepter, à comprendre [changement de voix]. >> [M.M: « …. »] Puis c’est son caractère aussi qui fait que je suis [« … »] très triste, très, très triste parce que c’était un enfant d’une douceur là, très très doux, très gentil. >> M.M: Il avait quel âge? >> M.J.G: Euh il avait 23 ans. >> M.M: Ok, en ’94 [1994]? >> M.J.G: Oui oui.
>> M.M: Justement est-ce qu’on peut savoir vos dates de naissance, comme là on comprend que lui il avait 23… >> M.J.G: Oui, moi je suis née le 11 février ’65 [1965] >> M.M: « …. » votre frère, le dernier? >> M.J.G: Mon frère euh le 24 avril ’69 [1969] celui qui me suit, puis le plus jeune en ’71 [1971]. >> M.M: Est-ce que tu te souviens aussi des dates de naissances, des années de tes parents plus ou moins? >> M.J.G: Ma mère, euh mon père et ma mère en fait sont nés la même année en ’39 [1939]. <<M.M.>> Oh. >> M.J.G: Mais les dates, >> [M.M: les mois?] ils ne le savaient pas >> [M.M: C’est difficile à savoir] C'est difficile à savoir, oui. >> M.M: C’est intéressant. Quand on revient à la maison, l’éducation des enfants, chez-vous je comprends les deux étaient instituteurs Dans l'education à la maison, est-ce qu'il avaient des rôles différents? Qui s’occupait plus des enfants? Quel était plus ou moins [<<M.J.G.: Oui.>>] le rôle de chacun à la maison? >> M.J.G: Behn oui c’est comme dans toute nos sociétés patriarcales [>> M.M: « …. »]. C’est, la mère est au foyer, behn ma mère n’était pas vraiment au foyer, mais elle y était en même temps, elle était à l’extérieur et à l’intérieur en même temps, donc c’était plutôt la mère qui était toujours là. Mon père c’était l’autorité, on avait, on le craignait, le respectait beaucoup, puis c’était le chantage, ma mère disait : «Je vais le dire à votre père quand il revient, vous allez voir». Donc c’était comme si c’était l’autorité publique, mais dans le fond, pardon [se moucher] dans le fond c’était ma mère qui était la boss [rire], oui.
Mais, en fait le souvenir que je garde, mon père était plus permissif et je le comprends [>> M.M: Malgré son autorité] oui, et je le comprends, il n’était pas tout le temps là pour voir les bêtises qu’on commettait, pour voir, c’est maintenant que je suis maman que je comprends ce que c’est [rire] parce qu’on se révoltait, maman est trop, n’est pas, pas gentille parfois, maman est trop envers nous, la même chose qui se reproduit avec ma fille [rire] [>> M.M: « …. »]
oui. [rire]
>> M.M: Puis finalement, quel souvenir gardez-vous de l’endroit où vous avez grandi? >> M.J.G: Uh, le souvenir là [rire] c’était comme un petit coin du paradis, maintenant quand j’y pense c’est comme un petit coin, c’est la campagne, on était à la campagne.
Euh, ben quand j’étais, quand on était petit on aurait aimé vivre en ville, [>> M.M: « …. »] à Kigali [>> M.M: oui], être des citadins, mais maintenant que j’y pense, je pense qu’on a été privilégiés de vivre dans la nature là, de vivre dans cette beauté, les montagnes, la verdure, l’espace, surtout l’espace là, [>> M.M: oui] parce qu’on jouait toute la journée, on courait [>> M.M: partout], [rire] on rentrait épuisés, essoufflés là, >> M.M: Et on n’avait pas peur? >> M.J.G: affamés…. Non, on n’avait pas peur d’eux, vraiment c’était non [>> M.M: Des voisins?], non, on était insouciants les enfants, on jouait, on criait, on courait dans la brousse, on gardait les vaches, les veaux, on gardait les veaux, kuragira, twaragiraga inyana le soir, [>> M.M: « …. »] euh quand j’y pense maintenant je trouve qu’on a eu quand même une enfance heureuse. >> M.M: Malgré que vous étiez perçus comme des familles riches? >> M.J.G: [rire] >> M.M: [rire], parfois, le rapport avec les enfants à côté, est-ce qu’on vous laissait, comment c’était, c’était facile d’aller jouer avec? De vous laisser partir n’importe où? [bruit de tasse] >> M.J.G: Non, pas n’importe où, ah non non non pas n’importe où, mais nos voisins, on n’avait pas de problèmes avec nos voisins directs, behn j’avais ma tante qui habitait dans 500 mètres de chez nous, donc c’est, c’est avec mes cousins qu’on était et puis avec d’autres voisins, mais on, on behn on n’allait pas très très loin, mais c’était vraiment dans notre voisinage immédiat. >> [M.M: « …. »] Oui. >> M.M: Au Rwanda on parle des ethnies, [M.J.G: rire] que c’était inévitable [>> M.J.G: oui c’est sûr], de quel groupe étiez-vous? >> M.J.G: [rire] D’après toi. [>> M.M: rire]
on était, on était parmi, on était des Tutsi, mais moi je l’ai su plus tard [rire], c’est pour ça que je dis que mes parents, mes parents n’étaient pas très bavards [>> M.M: On l’a su plus tard, c’est ça] vous aussi vous l’avez su plus tard? >> M.M: Mais oui, quand ça commençait à se [inaudible] >> M.J.G: Moi je te dis que quand j’ai commencé l’école primaire, je savais pas ce que ce que c’était [>> M.M: « …. »] mais par contre je sais que, je savais que j’étais Umwegakazi. >> M.M: Ça c’est intéressant par exemple [S.G: « … »] il y a des gens qui vont vieillir sans le savoir. >> M.J.G: Parce qu’il y avait une vieille femme, une voisine qui m’aimait beaucoup [rire] et on jasait beaucoup puis elle dit toi tu es une, wowe uri umwegakazi, toi tu es une umwegakazi, tu es comme moi. >> M.M: Ça veut dire quoi? Ça insinuait quoi Umwegakazi? >> M.J.G: Ça insinuait que c’était une femme qui avait du caractère, qui était active [rire], qui était partout en même temps [avec geste], puis moi aussi il paraît que j’étais pas mal active. >> M.M: « …. », tu montrais ton côté umwegakazi. >> M.J.G: Elle a dit toi tu es umwegakazi [avec geste] [>> M.M: Ah ça c’est bon], Abega ça je savais qu’on était abega, mais à part ça [>> M.M: pas grand-chose {en chuchotant}] pas grand-chose. Quand j’ai commencé, j’étais en deuxième année primaire, figurez-vous… >> M.M: Quand tu l’as su? >> M.J.G: Oui, mais pas directement, à chaque début de trimestre il y avait un enseignant, [>> M.M: « …. »] ça ça m’a marqué par exemple qui nous disait : « levez-vous abahutu ici, abahutu hano, de l’autre côté abanari [avec gestes]. >> M.M: Eh abanari? >> M.J.G: Abanari >> M.M: [« …. »] pour dire? >> M.J.G: De, de, de l’UNAR [Union nationale rwandaise, un parti politique associé aux réfugiés] c’était une façon de dire des cafards comme aujourd’hui, après. Abanari c’était comme … >> M.M: Donc c’était comme une …spécifique qui était relié à l’UNAR… >> M.J.G: …Qui appartenait à l’UNAR, l’UNAR, c’était le parti du roi… >> M.M: [« …. »] S.G: Ah, abanare >> M.J.G: Donc c’était une autre façon de diminuer les Tutsi, on les appelait abanari [>> M.M: « …. »] oui, de [inaudible] la tête des gens-là, des gens simples qui ne savaient même pas ce que ça voulait dire, abanari c’était une autre façon de diminuer encore les Tutsi. >> M.M: Puis les enfants comprenaient? >> M.J.G: Behn non, on ne comprenait rien [>> M.M: C’est ça] donc il a dit : abahutu hano, les Hutu ici [avec gestes] fyou tout le monde [rire] c’est ça que je te dis ce qui s’est passé dans ma tête, fyou tout d’un coup [avec gestes] [>> M.M: Tout le monde s’en va oui] maintenant que j’y pense je me demande comment ses enfants ont fait [>> M.M: Ont su] pour savoir qu’ils étaient des hutu ou des tutsi.[>> M.M: Oui] fyou les hutu ici [avec gestes], puis il a dit abanari, puis il y avait des, des [>> M.M: Ne sait pas où aller], c’est parce que les enfants là de huit ans, [>> M.M: « …. »], de sept-huit ans si tu n’es pas dans ce groupe, tu es dans l’autre, mais moi je savais que j’étais Umwega [>> M.M: « …. »], puis je doutais un tout petit peu. >> M.M: Il n’a pas parlé d’Abega? >> M.J.G: Behn non il n’a pas parlé d’Abega, mais je doutais, je me dis : est-ce que je vais là [avec gestes] vers le groupes des hutu, je vais là [avec gestes] vers le groupe d’abanari, pendant que je [inaudible] ,il me dit : toi là va-t’en par-là [avec gestes] vers le groupe d’abanari. [prend un mouchoir dans une boîte à coté d’elle] >> M.M: Lui il le savait? S.G: Ah mon Dieu… >> M.J.G: Behn, il le savait [se mouche] c’était, il était de la région, il le savait. « Toi qu’est-ce que tu attends encore ? Va-t’en par-là [en criant]. je suis partie mais avec des questions là plein dans ma tête [avec gestes]. Je suis allée demander à mes parents c’est quoi abanari? [ >> M.M: « …. »]. Une question qui tue, une question qui tue vraiment là [elle soupire].
Mais j’ai pas eu de réponse mais c’est par après, c’est entre, entre, entre enfants ou entre, [« … »] tu commences à comprendre plus tard là [>> M.M: inaudible], c’est pas clair la réponse des parents [>> M.M: « …. »] c’est ça. C’était, en fait ils voulaient, ils ne voulaient pas que les enfants parlent de ça, ils ne voulaient pas que l’enfant arrive et dit : « mon père m’a dit, ma mère m’a dit que », donc ils étaient vraiment embarrassés. >> M.M: Ils se protégeaient là-dessus aussi. >> M.J.G: Oui, ils étaient très embarassés ; donc c’était comme un flou, puis ils laissent tomber là, ils laissent tomber puis tu apprendras ça plus tard, puis je me rappelle la gêne qui fut là, la déception aussi. [>> M.M: « …. »] >> M.J.G: Voilà. J’ai répondu à la question? >> M.M: Oui oui, tu m’as ramené les enseignants >> M.J.G: Oui] je vais te demander de me parler des enseignants. [rire] Qu’est-ce que, de quoi tu te rappelles avec les enseignants que tu as eus? >> M.J.G: Au fait quand je parle, je pense aux enseignants c’est ce prof, ce monsieur qui me vient toujours à l’esprit, tout le temps là, c’est lui là, je le vois tout le temps. >> M.M: En deuxième année encore? >> M.J.G: En deuxième année je le vois, ça, ça ne peut pas s’effacer dans la mémoire d’un enfant de…, c’est comme si ça commence à tuer toute l’innocence qui est en toi, déjà vous séparez en… de toutes les façons il savait qui on était parce que tu te rappelles des fiches suiveuses [>> M.M: « …. »] il y avait l’ethnie et tout [>> M.M: « …. »], c’était comme pour nous humilier dès notre jeune âge-là, pour nous faire entrer dans notre petite tête que toi tu es ici et pas là. [>> M.M: « …. »] Oui. C’est vraiment euh ce monsieur-là là lui, oui. >> M.M: C’est lui que tu gardes pour le primaire? >> M.J.G: Oui pour le primaire, pour le reste ça a très bien été. En première année j’avais une enseignante très gentille, une voisine. En troisième année un autre monsieur très gentil, en quatrième c’était mon père, en fait, quand [rire] en cinquième un autre monsieur très gentil, ça a bien été en fait le primaire. >> M.M: Le primaire c’était combien de temps? >> M.J.G: [rire] Moi j’ai fait huit ans. >> M.M: Ok >> M.J.G: C’est six… >> M.M: Tu as eu six… >> M.J.G: J’ai eu six… >> M.M: Non huit professeurs, ah c’est vrai… >> M.J.G: J’ai eu huit, en fait neuf, parce que j’ai fait ma sixième année, je sais pas combien j’ai fait ma sixième année trois fois parce que j’ai fait ma sixième année je l’ai doublé, je l’ai redoublé, j’ai pas parvenu à passer l’examen, behn je l’ai passée mais j’ai pas été retenue, c’était la fameuse équilibre et tout. Alors là qu’est-ce qu’il fallait faire ? [ >> M.M: recommencer] Commencer à falsifier les choses-là puis j’ai été envoyée chez mes grand-parents et ça c’était le choc énorme [ >> M.M: « …. »] puis après, après l’école primaire de huit ans je me souviens j’ai [renifle] excuse-moi, [>> M.M: C’est correct] euh, c’est là que j’ai été acceptée au secondaire, et c’était pas facile non plus et pourtant j’étais la première. >> M.M: Justement comment tu es rentrée en secondaire? >> M.J.G: Behn, mon père a dû donner l’argent, il connaissait quelqu’un qui travaillait au Ministère de l’Éducation, il a donné un grand montant d’argent et justement mes parents ils travaillaient fort, ils mettaient de côté et tout, il a donné un gros montant d’argent et puis j’ai été acceptée dans une école secondaire minable qui venait de commencer justement, qui était dans notre région à Mubuga. >> M.M: Au secondaire… >> M.J.G: Au départ, c’était une école secondaire de trois ans pour, tu sais, pour former les enseignants auxiliaires, des chose comme ça, puis ça a été par après ça a été accepté que toutes les formations allaient être des formations de six ans, alors on a passé à six ans [>> M.M: six ans au secondaire] oui, oui. >> M.M: Tu as suivi une spécifique, une qualification particulière? >> M.J.G: Behn oui j’étais euh…oui j’ai [inaudible] pardon j’ai suivi Normale Primaire. >> M.M: Ce qui débouchait…? >> M.J.G: À enseigner au primaire [>> M.M: « …. »] alors c’est ça. >> M.M: Après six ans tu es partie à l’enseignement? >> M.J.G: Mais oui, deux ans [rire] j’ai enseigné pendant deux ans, c’était une loi, c’était la loi. >> M.M: Et comment ça se faisait pour trouver la job, la première fois? >> M.J.G: La job [étonnée]? C’était automatique [>> M.M: ah oui?] quand tu finissais ton secondaire en enseignement il fallait écrire la lettre à l’inspecteur scolaire [>> M.M: « …. »] l’inspecteur de secteur, >> M.M: « …. »] puis il t’engageait, il t’affectait à une école. >> M.M: …engagé, c’était au moins sûr on va être engagé… >> M.J.G: Ah oui oui c’était sûr là, c’était sûr parce qu’ils en avaient besoin, ils avaient quand même besoin d’enseignants quand même qualifiés >> M.M: [« …. »] oui. >> M.M: Que ça soit toi ou tes parents comment c’était pour concilier la maison et le travail? >> M.J.G: Euh bon, pour, pour mes parents on avait des domestiques [>> M.M: « …. »] qui restaient à la maison [>> M.M: « …. »], puis il y avait souvent aussi les membres de la famille qui venaient, qui repartaient. Ça a pas été compliqué, ça pas été très compliqué je pense
[rire] ça va. >> M.M: On est au Québec? [>> M.J.G.: Oui.] je ne peux pas me passer de te demander quand est-ce que tu as quitté la maison familiale? [rire] >> M.J.G: La maison familiale? >> M.M: Oui. >> M.J.G: Je suis arrivée en quatre…en août…18 août ’98 [1998] >> M.M: Donc pour ici là? >> M.J.G: Pour ici. >> M.M: C’était la première fois que tu quittais la maison de tes parents? >> M.J.G: En fait quand j’ai fini à l’uni, behn j’ai quitté la maison de mes parents pour aller à l’université, non-non pour aller travailler, pour aller travailler à Kibuye comme enseignante, au collège à Kibuye. >> M.M: Tu ne rentrais pas à la maison à ce moment-à? >> M.J.G: Non non j’étais logée là [>> M.M: « …. »] donc c’était la première fois, behn toute première fois c’est quand je suis allée à l’internat au secondaire >> M.M: « …. »] puis là, là c’était pas compliqué, puis après c’est quand je suis allée travailler, puis après je suis allée à l’université à Ruhengeri, à Nyakinama [ >> M.M: « …. »] puis…après le génocide, behn en fait quand j’ai commencé à travailler après l’université c’était à Butare aussi et mon père vivait à Kigali ; donc je n’étais pas avec lui toujours [>> M.M: « …. »]. S.G: Et comment vous avez trouvé ça les premières fois seule sans les parents? Mis à part l’expérience de l’internat mais d’être livrée à vous-même, est-ce que vous avez trouvez ça dur ou? >> M.J.G: Pas vraiment [S.G; non?], c’est parce que j’étais pas très loin des parents [S.G : « … »] au début quand je les ai, quand je suis partie travailler à Kibuye, non, c’était pas très compliqué parce que je pouvais rentrer quand je voulais S.G: Les fins de semaines? >> M.J.G: Oui-oui, [S.G: OK] oui les fins de semaines puis ils venaient me voir, euh il faut dire que j’ai quitté mes parents quand j’étais vraiment petite et je l’ai dit au début, j’avais douze ans pour aller chez mes grands-parents, pour moi c’était, ça a eté un choc terrible même s’il y avait ma grand-mère mais j’avais jamais vécu avec elle, il y avait ma tante aussi qui était enseignante, on vivait sous le même toit, j’avais une cousine puis une bonne, donc on était quand même toute une famille mais ça été très dur, très, très dure, à douze ans c’est très difficile parce que c’est un autre mode de vie, c’est un autre environnement, c’est, c’est ça, ça a eté très difficile et par après ça a pas été très compliqué. Voilà. Mais en même temps je, quand j’ai quitté quand j’étais adulte c’était quand même toute une expérience d’aller vivre loin des parents parce que [rire] il y avait la liberté, je vous ai dit que les parents étaient très protecteurs. Si j’étais resté tout le temps tout près d’eux là [rire, en faisant non de la tête] non, ça, non il fallait que je vive cette expérience d’adulte [>> M.M: « …. »] de vivre, m’occuper de ma vie [>> M.M: « …. »] oui, mais il faut dire que j’étais habituée à me déplacer, j’étais une sportive, je jouais au volleyball >> M.M: [« …. »], puis avec l’équipe on se déplaçait souvent >> M.M: « …. »] on allait jouer partout au pays, à l’extérieur du pays aussi, alors j’avais, j’aimais cette expérience de… S.G: Partir à l’aventure… >> M.J.G: Partir a l’aventure j’adorais ça, [>> M.M: rire] oui c’est sûr les parents étaient toujours inquiets, toujours inquiets [>> M.M: oui c’est ça] mais non j’aimais ça.. S.G: Surtout la fille, [>> M.M: « …. »] la seule fille >> M.J.G: Ah oui, la seule fille il fallait, qu’est-ce qui va lui arriver? Et tout, puis quand j’étais loin d’eux c’était tout une autre expérience à vivre [rire]. >> M.M: C’était toujours une expérience. >> M.J.G: Oui, [rire]. >> M.M: Le salaire qu’on vous donnait? ... >> M.J.G: [« … »] ? >> M.M: Le salaire >> M.J.G.: Oui quand tu as commencé à travailler, je sais pas si après l’université tu as travaillé là-bas aussi? >> M.J.G: Non, après l’université c’était à Butare à l’université [>> M.M: « …. »], après…bon j’ai travaillé après le secondaire. Bon c’était un gros salaire ... [rire]. >> M.M: C’est assez suffisant? >> M.J.G: Je savais pas quoi faire avec cet argent [rire] >> M.M: Malgré que tu habites une maison maintenant que tu ne rentres pas chez les parents? >> M.J.G: La première année, je rentrais chez mes parents, j’ai enseigné à l’école primaire de chez nous la première année [>> M.M: « …. »] puis je savais pas quoi faire avec l’argent parce que j’avais jamais géré l’argent [rire] ; j’ai jamais eu des responsabilités puis avec le gros montant, je penses que c’était comme douze-milles francs rwandais [>> M.M: oui], fait que ce montant je savais pas quoi faire, franchement.je me suis gâtée… >> M.M: C’était assez, c’était assez pas mal >> M.J.G: Ah oui, mes parents n’avaient pas vraiment besoin de moi [S.G: rire] non vraiment, mon père me disait de garder mon argent, d’économiser beaucoup, il a dit: « économise ton argent, achète-toi ce dont tu as besoin et puis surtout économise ton argent, tu en auras besoin [>> M.M: « …. », on ne sait jamais] oui pff, je sais…j’étais pas économe du tout [>> M.M: « …. »], donc j’ai jamais eu de souci envers l’argent. >> M.M: Après l’université tu n’as pas travaillé là-bas? >> M.J.G: Après l’université, j’ai travaillé à Butare, j’étais comme assistante-professeur. >> M.M: C’était encore plus un gros montant encore? >> M.J.G: Non, [S.G: rire] non, au contraire j’étais pauvre [rire]. >> M.M: Comment ça se peut? >> M.J.G: Non j’étais pauvre [rire]
>> M.M: Comment ça se peut que tu es rendue pauvre? >> M.J.G: Oui j’étais pauvre parce que j’avais plus de responsabilités [silence] [S.G: « … »] >> M.M: Pourquoi plus de responsabilités? >> M.J.G: Parce que [S.G: le loyer] fallait payer le loyer [>> M.M: à Butare?] oui, payer le loyer puis… >> M.M: [inaudible] quand tu as fini l’université? >> M.J.G: en ’97 [1997], en ’97 [1997], [>> M.M: « …. »] puis en même temps il y avait des, des enfants, des orphelins, des gens qui étaient vraiment dans le besoin là, je pouvais pas fermer les yeux devant ces gens [>> M.M: « …. »], puis mon père était rendu à Kigali parce qu’on ne pouvait pas habiter là où on était, il y avait rien [>> M.M: « …. »] au village il y avait rien donc [>> M.M: « …. »] on était à Kigali puis la vie était plus chère [>> M.M: « …. »] puis mon père travaillait seul, il était enseignant, il a continué. Il était enseignant à Kigali c’était pas dans, c’était pas comme avant y avait, on avait des orphelins chez nous donc c’était plus serré quoi, mais on y arrivait, mais c’était plus serré. >> M.M: Ta survie? >> M.J.G: Oui. >> M.M: Je vais te la poser… >> M.J.G: Quoi? >> M.M: La période qui a, qui est venue avec tant de problèmes, d’orphelins. >> M.J.G: Oui, après le génocide? >> M.M: Et du génocide aussi. >> M.J.G: Ah behn oui, [rire] non, non-non posez, posez-la-moi clairement… >> M.M: Parles-moi de cette période-là ’94 [1994] >> M.J.G: Uh ’94 [1994] oui, au fait quand ça s’est passé, j’étais à Kigali >> M.M: Tu avais quel âge? Tu étais où? >> M.J.G: J’avais vingt-neuf ans, j’étais à Kigali [ >> M.M: « …. »], j’avais quitté ma, chez nous on était en vacances de…de Pâques
[>> M.M: « …. »] j’avais quitté mercredi matin, très tôt le matin, j’allais à Kigali, j’avais des courses à faire, puis je, j’arrive à Kigali vers 10h du matin behn, j’avais des, behn des contacts à faire, j’avais des gens à voir et tout puis le soir paff, on a dit que le, le Président venait de s’écraser, l’avion venait de s’écraser. [>> M.M: « …. »] Puis moi dans ma tête, quelques heures auparavant je pouvais pas croire qu’il pouvait y avoir une catastrophe parce qu’il y avait les soldats de la mission des Nations-Unies, on avait signé les traités de paix à Arusha. [>> M.M: « …. »] Moi dans ma tête c’était plutôt…
behn je, dans ma tête je pensais que c’est, que c’est le bien qui allait arriver, qu’on allait s’en sortir là, mais quand on m’a dit, j’étais dans une famille amie, quand on a dit qu’il paraît que l’avion du président est en train de brûler, là là c’est le tableau noir qui s’est dessiné tout de suite [>> M.M: « …. »] pour moi c’était clair, >> M.M: « …. »] c’est comme si j’ai vu ce qui allait se passer [>> M.M: « …. »] et puis je, j’étais prête à ce moment-là, j’étais vraiment prête, je me disais si Habyarimana est mort tué, là c’est fini [S.G: « … »] je me disais : « même s’il était mort malade on allait payer », puis je dis : « cette fois ci s’ il est mort tué, là c’est fini [S.G: « …. »] c’était clair dans ma tête [>> M.M: « …. »]. Si je pouvais sortir, je serais sortie tout de suite, sortir du pays, je serais sortie mais là je ne pouvais pas, il paraît qu’il y a, behn des barrières qui ont été dressées puis on a commencé à entendre des coups de fusils toute la nuit [>> M.M: « …. »] alors, on a commencé à tuer déjà les gens >> M.M: « …. »] [S.G: « … »] puis, je, avec cette famille on s’est enfuie à Saint-Paul [>> M.M: « …. »] tout près de Sainte-Famille, on est resté là trois mois, on est arrivé le sept dans l’après-midi, on est sorti quelques jours avant la prise de Kigali, on a été évacué à Kabuga [>> M.M: « …. »] dans le zone contrôlée par le FPR . Alors pendant toute cette période, dans ma tête c’était clair que j’étais la seule survivante dans ma famille. [>> M.M: « …. »] S.G: Vous étiez avec qui justement pendant cette période-là? >> M.J.G: On était avec pleins de gens … S.G: Saint-Paul? >> M.J.G: Oui, avec pleins des gens qui habitaient dans le quartier [S.G: « … »] ou d’autres gens qui pouvaient être acheminés à Saint-Paul [S.G: « … »] et on était à peu près 1000 personnes,1500 je pense [S.G: « … »] oui, alors on attendait tous les jours d’être, d’être tué, on venait tous les matins, les miliciens, les soldats, on venait chercher, ils prenaient les jeunes gens, les hommes, ils les tuaient en bas, ils les fusillaient en bas. >> M.M: Saint-Paul, c’est quel genre de, de, d’endroit? >> M.J.G: C’est un centre pastoral, à Saint-Paul, c’est à côté de Sainte-Famille >> M.M: « …. »] alors il y avait, c’est un centre qui accueillait les gens pour je pense, des réunions ou des retraites, ça appartenait au diocèse de Kigali [ >> M.M: « …. »] puis il y avait un prêtre vraiment qui a été très génial [>> M.M: « …. »] qui, behn nous protégeait, il faisait de son mieux pour ne nous livrer pas, il faisait de son mieux pour qu’on survive, il intercédait auprès des miliciens il disait : «Il y a pas de, de, d’élément du FPR ici, c’est des pauvres gens qui se sont enfouis et tout» .On a quand même survécu, puis par après le FPR est venu évacuer les gens. >> M.M: Comment vous faisiez pour manger, pour survivre finalement à cette place à mille cinq cent personnes. >> M.J.G: Je te dis, on vivait, on survivait je sais pas comment, mais on survivait ; ce prêtre justement c’est lui qui, qui allait tous les matins chercher des vivres, chercher un peu d’eau, c’est sûr que c’était pas une grosse vie c’était de la survie [>> M.M: « …. »] on pouvait, on peut rester quelques jours sans manger! C’était pas ça le problème, le problème. [>> M.M: Après ça vous avez su que vous étiez capables] oui, le problème c’était la peur, l’insécurité et oui et puis les nouvelles qu’on entendait à gauche, à droite des familles décimées complètement, puis entendre tous les matins les miliciens qui venaient pour travailler là comme les salariés, behn oui ils étaient des salariés. >> M.M: Travailler? >> M.J.G: Mais, ils venaient tous les matins travailler puis après ça… >> M.M: Qu’est-ce qu’ils faisaient, qu’est-ce qu’ils venaient travailler en ce moment? >> M.J.G: Behn, ils venaient avec leurs machettes-là qui brillaient… >> M.M: C’était ça le travail? >> M.J.G: Ah oui, ils venaient chercher les gens, fouiller pour voir les agents du FPR, puis ils prenaient les jeunes gens, les hommes, ils les descendaient les assassiner en bas. >> M.M: C’était ça le travail? >> M.J.G: Oui, c’était ça leur travail, [silence][sourire] oui. S.G: Comment vous avez des nouvelles des autres ? Est-ce que c’est parce qu’il y avait d’autres personnes qui venaient à l’église? [>> M.J.G: Oui] se réfugier? [>> M.J.G: Tous les jours il y avait des gens qui…] c’est eux qui vous donnait les nouvelles Oui. >> M.J.G: Oui, tous les jours il y avait quelqu’un qui venait, qui nous disait telle famille c’est fini, telle famille c’est fini, telle famille c’est…puis il y avait d’autres nouvelles-là qui étaient plus difficiles à supporter, ouais. >> M.M: Tu te souviens quand est-ce que tu es rentrée dans cette église? >> M.J.G: À Saint-Paul? [>> M.M: « …. »] c’est le sept avril vers 3h, mais c’était pas encore clair là, je, on avait très peur, c’était pas encore clair et, puis arrivés là on était en dessus des lits upff, on vivait la peur et les enfants qui pleuraient, on ne voulait pas les entendre pleurer pff, c’était la peur, on était vraiment là [>> M.M: « …. »] on avait très, très peur.
>> M.M: Tu te souviens quand est-ce que vous avez quitté cette place? >> M.J.G: Au fait, moi j’ai quitté [>> M.M: et comment?] j’ai quitté pour aller à l’Hôtel des Mille Collines j’étais blessée [en montrant son épaule] [>> M.M: « …. »] on avait tiré sur mon épaule puis j’avais eu, j’ai eu une infection puis j’étais pas vraiment bien, j’étais très malade, puis il y a un militaire de,
de, de FAR, des Forces Armées [>> M.M: Rwandaise] oui euh, c’est, il venait, il y avait des militaires qui, qu’on avait envoyés à Saint-Paul supposément pour nous protéger, mais c’est eux qui informaient, [>> M.M: « …. »] qui surveillaient les entrées, qui surveillaient, qui, qui, qui venaient voir les gens qui, qui étaient là et tout mais lui « … » c’était quelqu’un de très gentil [>> M.M: « …. »] donc on voyait qu’il était vraiment, il en croyait, mais il avait [>> M.M: un coté humain, il était encore humain] oui il était humain, il avait toute sorte de, d’informations comme quoi on allait venir massacrer tous ces gens qui étaient là, puis il a demandé à une amie à moi si, qu’est-ce que, ce qu’il pouvait faire faire pour elle, parce qu’il n’avait pas vraiment de pouvoir, lui était subalterne, [>> M.M: « …. »] puis la fille a dit: « est-ce que tu peux nous acheminer à l’Hôtel des Mille Collines? » Parce que nous, on entendait que, on apprenait qu’ils étaient, avaient de l’eau [rire] [>> M.M: ils étaient mieux traités] il y avait de l’eau de la piscine [rire] [ >> M.M: oups,hahaha] puis il m’a demandé : «Est ce que tu veux aller à l’Hôtel des Mille Collines ?», behn je savais plus ce que, je savais plus ce que je.., je pensais plus à rien, j’ai dit : «Oh bon, on y va.» Puis on a embarqué dans son auto, on est allé jusqu’à l’Hôtel des Mille Collines, puis le lendemain, c’est, le FPR a évacué Saint-Paul là où j’étais [>> M.M: « …. »], puis on a, les gens sont venus pour nous apprendre que tous les gens qui étaient à Saint-Paul ont été massacrés, tous. Tous. >> M.M: Vous veniez d’échapper! >> M.J.G: Non, non, moi là je me suis effondrée. S.G: Quand vous avez appris la nouvelle? >> M.J.G: Oui, je me suis effondrée parce que pour moi c’était, c'était ma seule famille, la seule famille qui me reste parce qu’on avait tissé des liens là [>> M.M: « …. »] très très forts [>> M.M: « …. »] behn, vivre pendant trois mois vous devenez comme une seule personne, mais heureusement, c’était pas vrai. >> M.M: Aaah >> M.J.G: C’était pas vrai, puis le lendemain on a été évacué, le jour même on a été attaqué par les miliciens, pardon [prend un mouchoir et se mouche] >> M.M: À Mille Collines? >> M.J.G: [Acquiesce avec sa tête] [>> M.M: « …. »], ça était difficile, heureusement, il y avait des, des, des soldats de la MINUAR [Mission des Nations Unies au Rwanda],
puis il y avait des négociations en cours pour échanger des refugiés [>> M.M: « …. »], on avait des refugiés qui étaient du côté de la zone du FPR et des réfugiés du côté du Gouvernement, il y avait des négociations d’échange, heureusement on a été dans le lendemain [>> M.M: dans l’échange] on nous embarquait dans des camions et tout puis on nous a acheminés dans la zone contrôlée par le FPR [>> M.M: « …. »], puis c’était la fin de l’histoire[rire], oui. >> M.M: Vous étiez partis dans la zone contrôlée par le FPR [M-J-.G: oui, huh?] mais la guerre n’était pas finie? >> M.J.G: Behn non, behn non, on passait à côté des positions de la garde présidentielle, pff je me dis s’il y a quelque chose de, de, de ridicule c’est cette situation, je ne comprenais rien, quelques jours auparavant on n’était même pas capable de regarder par la fenêtre, puis on passe, mais [>> M.M: puis on s’en va dans la zone FPR], oui, ils savent qu’on y allait puis ils disaient, les miliciens disaient : «Dites à Kagame qu’on va le rencontrer un jour.» [rire] Puis par après, je, moi je priais pendant tout, tout ce parcours, je j’y croyais pas [>> M.M: « …. »], moi j’y croyais pas, puis je priais je me dis si on meurt au moins je vais être prête, [rire] [S.G: « … »] puis tout d’un coup je commençais à apercevoir les soldats du FPR. Ah, là c’est, ça changeait tout d’un coup, dans ma tête c’est, c’était bizarre là de croire qu’on est là en sécurité, c’est là que je commençais à pleurer. >> M.M: C’est là que tu as commencé à pleurer? >> M.J.G: à pleurer [fait oui avec la tête], à penser que je vais survivre, à m’en vouloir, c’est bizarre huh? Je m’en voulais d’avoir [>> M.M: « …. »] survécu [>> M.M: « …. »] alors je commençais à m’en vouloir là, sérieusement là je ne voulais plus vivre moi, je commencais à penser au gens qui sont morts ou bien je m’en voulais d’être là,
ça a duré quand même un bout de temps quand, ce sentiment. je me détestais, je ne m’aimais pas du tout, je me détestais, je, je voudrais que je ne voulais pas survivre à ça là. Finalement, j’ai réalisé que c’était vrai que j’étais là, c’est comme si j’ai trahi les miens, que j’ai trahi les autres là, behn finalement, c’était la réalité, c’était pas un rêve, oui. Mais pendant toute cette période quand on était à Kabuga [>> M.M: « …. »] c’est une banlieue de Kigali, j’étais pas bien [>> M.M: « …. »] non j’étais pas bien du tout, j’étais confuse,
j’étais franchement, j’étais confuse, je voyais les gens reprendre la vie, reprendre le goût de, de vivre, mais moi j’étais, j’étais je me sentais coupable de deux côtés. Je me disais : « Pourquoi je ne suis pas comme les autres ? Pourquoi je ne suis pas contente ?» Je ne suis pas contente d’avoir survécu, je me sentais coupable, je me dis : je ne suis pas normale. je ne suis pas, uh on va dire ça, [pense au mot] je ne suis pas reconnaissante. [>> M.M: « …. »] Je m’en voulais et puis en même temps je me disais: «Pourquoi être reconnaissante ? Pourquoi avoir vécu, survécu?» C’était confus quoi [>> M.M: Ouais], franchement, puis j’étais, j’étais, ma blessure s’était infectée, j’étais pas bien du tout, je pensais que j’ai eu la malaria aussi. [>> M.M: « …. »] Oui je me regardais, je ne m’aimais pas du tout, j’étais comme une, j’étais comme morte ou comme si j’étais dans un sommeil, dans un cauchemar et puis que je voulais pas me réveiller. Moi, je, à l’instant, quand on était à Kabuga, je voyais les gens se meubler, aller chercher des choses pour continuer à vivre [>> M.M: « …. »] parce qu’il y avait des choses, des maisons abandonnées, des choses laissées sur la route et tout [S.G: « … »], les gens, je, je voyais que les gens avaient comme envie de de de sortir de, [M.M: de se rebâtir] de se remettre mais moi je, j’avais même pas envie d’avoir deux vêtements là. Je me rappelle il y a quelqu’un de chez nous qui est passé, il était réfugié au Burundi puis ils sont passés, il avait une auto et il a dit : «Hein Josée tu es en vie?» Je dis : «Oui, je suis en vie.» Puis il a dit : «Qu’est-ce que, je vais m’en aller, mais demain je vais revenir qu’est-ce que tu aimerais avoir ?» Je dis : «J’ai besoin de rien.» [S.G: rit en arrière] Puis il m’a donné de l’argent, j’ai refusé, j’ai dit que j’en aurais pas besoin. [Rire] >> M.M: Franchement…. >> M.J.G: Franchement, il m’a donné de l’argent je, non, j’ai refusé, j’ai dit que j’en ai pas besoin, est-ce que tu as besoin de de des vêtements? J’ai dit non [secoue la tête en signe de non] j’ai dit j’ai besoin de rien.
Moi je pensais que que j’étais là comme ça, j’allais, je pensais pas comment j’allais vivre le lendemain ou non, je pensais pas à ça. >> M.M: C’était plus ton problème. >> M.J.G: [Rit en secouant la tête] non, non non. >> M.M: Combien de temps vous étiez restés à Kabuga finalement? >> M.J.G: À Kabuga…. >> M.M: Pour revenir je ne sais pas où? >> M.J.G: Tu sais quelque chose qui m’est arrivé après? [>> M.M: « …. »] L’oubli, l’amnésie. [>> M.M: « …. »] Je peux pas te dire combien de temps on est resté à Kabuga, je peux pas te dire quand nous sommes partis à Kabuga, quelle date que nous avons quitté Kabuga, non. C’était, pour moi quand j’y pense c’était comme une seule journée qui se prolongeait, [>> M.M: « …. »] moi la notion du temps je l’ai perdue complètement.
Ça m’a peut-être aidé [>> M.M: « …. »] à survivre mais ma mémoire à moi elle a été bloquée là. >> M.M: Où est-ce que tu t’es retrouvée quelque part je ne sais pas quand? >> M.J.G: Behn, les gens autour de moi ils s’agitaient [rire], ils cherchaient à manger, ils, moi j’étais là
j’étais dans un autre monde, heureusement j’ai, j'ai rencontré mon frère. >> M.M: Aaah… S.G: Ah behn, rencontez nous ça. >> M.M: Où ça et où? >> M.J.G: Il était en vie [en faisant oui avec la tête] >> M.M: Où ça et quand? >> M.J.G: Ou ça? Ça c’est [rire] tout d’un coup, je l’ai vu, ça faisait quatre ans que je l’avais pas vu. >> M.M: Ce que finalement j’allais te demander, [>> M.J.G: oui] là on a parlé de Saint-Paul, de Mille Collines [>> M.J.G: oui] de Kabuga que tu as oublié complètement, [>> M.J.G: oui] mais j’allais te dire : pendant tout ce temps tu étais seule, tu ne savais pas où était l’autre famille, ta famille finalement. >> M.J.G: Oui, je savais, je savais qu’ils étaient morts. >> M.M: Pour toi, ils étaient morts? >> M.J.G: Oui, sauf mon père >> M.M: Ah, tu savais que lui il n’était pas mort? >> M.J.G: Je l’ai appris après, au mois d’août, >> M.M: Quelle est donc >> M.J.G: On était revenu à Kigali, j’avais recommencé à m’habiller, à me laver, [>> M.M: à vivre seule] à vivre seule, à accepter ça, c’est même quand j’ai décidé, de porter le nom de mon père, [>> M.M: ok] je pensais m’appeller Gakwerere [>> M.M: « …. »] parce que nous on ne porte pas le nom de famille >> M.M: « …. »], et j’en parlais à mes amies, à mes copines, elles riaient, mais pour moi c’était sérieux, là la première chose que j’allais faire faire c’est une, behn quand ils allaient donner une carte d’identité, c’est de, de prendre le nom de famille.
Puis quelqu’un, j’ai rencontré, j’ai croisé quelqu’un à Kigali, j’étais avec une amie, justement la même personne qui m’a rencontrée à Kabuga, qui voulait me donner quelque chose, de l’argent, puis il m’a dit: « Josée, sais-tu que ton père est en vie? » [montrer une expression choquée] [rire] [>> M.M: Rêve, tu rêves] Non, non, mon dos s’est cassé en deux, j’étais plus capable de me tenir debout, je me suis assise sur l’asphalte [>> M.M: « …. »] j’ai commencé à pleurer [rire] et j’ai dit: «Non c’est pas mon père, c’est mon frère que tu as vu.» Celui qui a été tué le plus jeune [>> M.M: « …. »] je dis non, je veux pas t’entendre dire ça, je veux pas de mon père, je veux de mon frère [rire]. >> M.M: Le plus jeune? >> M.J.G: Oui. [prend un mouchoir pour s’essuyer les larmes] Non, ça a été, [rit] non, j’ai dit «Tu t’es trompé c’est pas lui.» « c’est mon frère » [>> M.M:...] « c’est lui, dis-mois que c’est mon frère.» Parce que pour moi là je pouvais pas m’imaginer mon père survivre à ça [>> M.M: « …. »] Il dit : « non, c’est ton père, il est en vie, il m’a donné, il m’a indiqué l’endroit où il était, puis deux jours après, j’ai pris, behn j'ai, il y avait des taxis quand même qui se déplaçaient, pas beaucoup [>> M.M: « …. »] qui s’en allaient dans toutes les directions j’ai pris le taxi, behn, le bus [>> M.M: « …. »] je suis allé jusqu’à lui, il était dans un camp à Gitarama
puis… >> M.M: Il était pas avec tes frères, il était pas avec ta mère? >> M.J.G: Non, il était seul. Il était seul, puis, c’est drôle, ça faisait lui aussi ça faisait deux jours qu’il avait appris que j’étais en vie [>> M.M: « …. »] donc, il y avait une fille à Saint-Paul qui, qui, je sais pas comment, elle est allée dans son coin, je pensais qu’elle cherchait les gens de sa famille, elle a reconnu mon père et lui a dit: « ta fille est en vie ». Mon père est, a eu la même, il a eu la même réaction que moi, c’est comme, il m’a dit qu’il a entendu comme [puffff] quelque chose souffler sur son visage, [>> M.M: « …. »] puis il a comme perdu connaissance, alors je suis allée le chercher.
Je l’ai pas reconnu et lui ne m’a pas reconnue, on avait tellement changé. [>> M.M: oui] Je pensais que lui il avait vieilli comme de 50 ans [>> M.M: « …. »] puis oh pauvre, pauvre bonhomme, je l’ai pris, puis et nous sommes allés sur la route, nous avons attendu les camions, tu vois les camions de la MINUAR [rire], nous avons embarqué dans des gros camions, moi en arrière et lui il a eu de la place à l’intérieur, en avant là, [>> M.M: « …. »] parce qu’il était très affaibli et puis on est rentré à Kigali
en fait. Mais j’avais des amis avec lesquels on a survécu, on avait pris un logement, [<< M.M:.. >>] pour moi c’était ma famille puis on l’a acceuilli comme si c’était leur père, on avait, j’avais trouvé un lit, des draps et un matelas, des draps, des vêtements neufs, des souliers >> M.M: tu avais commencé à vivre. >> M.J.G: J’avais tout prévu, j’avais tout acheté, j’avais demandé un peu d’argent aux gens puis c’était pas une honte de demander de l’argent, puis il est arrivé, il a pris une douche, j’ai brûlé tous les vêtements qu’il portait parce que c’était plein de poux, oui, [>> M.M: « …. »] j’ai tout brulé. Il s’est lavé, [>> M.M: « …. »] il s’est habillé, il a mangé, il a mangé pour la première fois, behn, pas pour la première fois mais ça faisait très longtemps que la notion de nourriture là c’était perdu, puis, c’était sa résurrection. Puis on a commencé à parler, à dire tout ce qui s’est passé, les horreurs qu’il a vécues, lui il a passé trois mois à Bisesero [>> M.M: « …. »] dans la, dans la brousse, nuit et jour
[inaudible] bon, Notre, mon frère nous a retrouvés, il est venu nous chercher puis on s’est installés dans une maison, puis avec rien, rien, vraiment rien, mais on n’était pas inquiets de ça, on vivait, on survivait avec très peu
[Rire] >> M.M: oh mon Dieu avec très peu on survivait, moi je partais le matin, behn en août, il y avait, il n'y avait pas grand-chose qui fonctionnait, behn ça commençait à fonctionner, mais
on survivait. C’était pas notre souci de manger ou de boire, on n’avait pas besoin de, on avait besoin de très peu, mais par contre la présence humaine c’était, ça était très bien, se retrouver, nous retrouver entre nous rescapés à raconter nos horreurs, aller à la messe prier, il y avait la messe qui se tenait pas loin de là où on était, on allait tous les soirs mon père et moi sur la route on parlait, on rentre à la maison puis on a pu prendre quelques orphelins à la maison,
puis c’est ça. >> M.M: Je ne sais pas si je peux te demander >> M.J.G: oui, vas-y] qu’est-ce que tu as appris, de ceux que tu n’as pas vus? Tu as vu ton père, >> M.J.G: Pardon. >> M.M: Tu as vu ton père. >> M.J.G: oui >> M.M: Tu as vu ton frère [ >> M.J.G: Oui. >>M.M: Qu’est-ce que tu as appris des autres? >> M.J.G: En fait, j’ai appris que ma mère a été tuée le jour même, c’était, non c’était le neuf avril, les gens commençaient à s’enfuir là, ça commençait à être difficile, les gens sortaient de chez eux pour aller dans des églises, dans des lieux publics comme ça, puis on les encourageaient à aller à l’église [>> M.M: « …. »] puis ma mère se préparait à aller à l’église aussi puis elle avait dit à mon père d’aller faire fuir les vaches [M-J.G et M.M rient]. >> M.M: On a ri mais c’était une valeur importante. >> M.J.G: C’était une valeur très très importante, elle a dit: « toi tu vas faire fuir les vaches avec le berger » il fallait envoyer les vaches dans les montagnes de, de Bisesero, loin, loin, loin, [>> M.M: « …. »] parce que les vaches aussi étaient, elles étaient concernées par le génocide. [>> M.M: Oui, oui] Alors mon père est sorti de la maison, il est parti vite [>> M.M: avec les vaches] avec les vaches, avec le berger et on en avait tout un troupeau [>> M.M: « …. »] surtout les veaux, les tout petits qui venaient de naître, il fallait les embarquer sur les épaules, puis aller, et puis mon frère, celui qui a été tué puis mon autre frère adoptif, ils étaient sortis aussi pour voir si, pour voir, ils allaient sur les, les les endroits les plus hauts pour voir, pouvoir observer ce qui se passait et ils ne sont pas revenus. Ils sont les gens, ils disaient : « les fugitifs-là », ils disaient : « vite partez » « soit soit allez à l’église ou à Bisesero dans les hautes montagnes » « mais ne revenez pas à la maison » et ils sont partis comme ça. Puis, ma mère se préparait à partir, il y avait une fille qui vivait, une cousine, qui était avec ma maman, puis il y avait une autre fille qui vivait chez nous, ah, cette fille a survécu,
c’est ma mère, c'est elle qui m’a dit. Ma mère lui a donné les clés de la maison, ma mère avait toujours, était toujours avec une trousse de clés, [Rire] elle a dit : « prends la clé, s’il y a quelqu’un qui survit, tu vas pouvoir leur ouvrir la maison, pendant qu’elle disait ça, il paraît qu’elle disait son chapelet, c’est cette fille qui m’a dit. Toute une attaque est venue chez nous >> M.M: « …. »], puis ma mère, ma cousine et cette fille sont sorties en courant, dans l’autre, dans l’autre, dans la direction opposée, puis ils ont, ils ont couru derrière elles, puis il y avait sur la colline opposée, il y avait un monsieur qui était là, qui leur disait : «Ils sont là, passez par là, passez par là, passez par là!» [>> M.M: « …. » ouch]. Puis quelque mètres après ils les ont abattues à la machette, ma mère et ma cousine,
puis cette fille, elle est allée, elle s’est cachée dans une famille des Hutu,
qu’est-ce que j’allais dire, puis ils sont allés chez nous, ils ont tout pris, tout, tout, tout, tout, tout, tout, les portes, les fenêtres, ce qu’ils n’ont pas pris, c’est le ciment qui tapissait le plancher, c’est cela qu’ils n’ont pas pu prendre. Puis c’est ça, ils ont tous pris, ils pensaient que même la vieille marmite avait de la valeur, ou une vieille corbeille avait de la valeur, il paraît qu’ils ont tous tout pris, puis il y avait un jerrican rempli de pétrole parce que nous on n’avait pas d’électricité au village. Le soir, on avait les chandelles pour éclairer la maison >> M.M: « …. »] puis ma mère achetait des grosses quantité [>> M.M: « …. »], de, de, de pétrole puis ils sont tombés sur ça et c’était confirmé que c’était pour brûler les Hutu [>> M.M: Oh].
Puis après ça ils attendaient mon père, ils sont allés à la recherche de à, à la recherche de mon père, de mes deux frères. [>> M.M: « …. »] Puis mon père après avoir caché les vaches, il voulait revenir et les gens ont dit : « Ne, ne retourne pas chez toi, ils attendent, ils t’attendent, ta femme, » « tes, les enfants qui étaient là, fini, ta maison oublie ça. » Alors mon père est resté à Bisesero dans les, dans les collines de Bisesero.
Alors c’est comme ça que ça m’a eté raconté.
>> M.M: Et pour le jeune garçon, ton frère, ton dernier? >> M.J.G: Mon dernier, mon dieu, il paraît que, mon père m’a dit que quelqu’un lui a dit que, en fait mon frère il fréquentait le Grand Séminaire, il commençait, il était dans sa première année de Grand Séminaire. Il paraît qu’il pensait, qu’il allait, qu’il pouvait aller se cacher dans, au presbytère dans une église pas loin des montagnes-là,
puis pendant qu’il voulait s’en aller là, il paraît qu’on l’a coupé en morceaux; il était très grand, très très grand, alors c’était le sort réservé aux gens qui étaient très grands : coupés en morceaux, on n’a jamais revu son corps, on a jamais revu le corps de ma mère.
>> M.M: Bon, on vient de parler de la période ’94 [1994], [>> M.J.G: oui] de toi et de ta famille;
j’aimerais en même temps te parler par rapport à tout finalement, au pays, ou à l’environnement, est-ce qu’il y avait des signes avant pour, qui montraient que ça pouvait arriver? >> M.J.G: Mais oui, c’est parce qu’il y a des choses, des événements dont on parlait pas, mais qui sont comme dans la, dans la, pas la continuité, mais dans le, le,
c’était comme dans le, même voie, qui allaient dans la même voie. Comme je vous ai dit, quand j’avais sept, sept-huit ans, quand on nous faisait lever et nous dire, abanari hano, abahutu hano c’était, c’est pas normal de parler aux enfants comme ça [>> M.M: « …. »] puis c’est pas normal d’indiquer les ethnies dans les, pourquoi ils mettaient les ethnies dans les cartes d’identités? Dans la fiche suiveuse d’un enfant à partir de six ans, première année, ça va te suivre toute ta vie, [>> M.M: « …. »] donc ça c’est pas normal, ça, ça… [un enfant en arrière qui appelle maman] alors c’est ça que je dis que c’est pas normal, ils savaient ce qu’ils faisaient. [>> M.M: « …. »] Mais moi, j’ai pas vécu les événements dans les années de la révolution, mes parents ont vécu ça, mais nous on a vécu dans la continuité de ce qui avait été commencé [>> M.M: « …. »] par exemple ces fiches suiveuses, nous suivent tout le temps jusqu’à l’obtention de ta carte d’identité, où c’était claire maintenant que tu étais hutu ou tutsi ou twa mais aussi le fait que ça nous empêchait d’accéder aux études [>> M.M: « …. »] ça c’était, c’est un, c’est le vrai génocide. [>> M.M: « …. »] Tu empêches à quelqu’un d’étudier c’est, c'est le tuer, il est déjà mort, C'est, c'est, c'était, moi je trouve que c’était le génocide, c’était, c’est, c'est l’aboutissement [>> M.M: « …. »], mais il était déjà là, il avait déjà commencé, ça c’était très frustrant d’empêcher les enfants d’étudier alors qu’ils ont les capacités, d’empêcher aux gens d’avoir accès aux aux services, au travail, empêcher quelqu’un de travailler, c’est, c’était, moi je trouve que c’était dans la continuité. [>> M.M: « …. »] Ça a jamais arrêté en fait, il y a les gens qui, à qui tu peux dire que ça a jamais arrêté qui peuvent pas te croire, mais moi je le sais, je le sens ça a été toujours comme ça, tout était surveillé. [>> M.M: « …. »] Accéder au secondaire, ce que tu vas apprendre au secondaire, la section que tu vas avoir au secondaire, tout était surveillé et l’université là c’était comme presque impensable d’y accéder, il y avait, il fallait tout une sorte de manœuvres pour pouvoir y avoir accès, c’était pas difficile, c’était pas très très facile du tout donc tout était surveillé, c’était, on nous donnait à compte-goutte, [>> M.M: « …. »] jusqu’à ce que, ils savaient, moi je penses qu ils savaient qu’à un moment donné ils allaient finir, finir l’histoire qu’ils avaient commencée. [>> M.M: « …. »] Oui.
>> M.M: Quand est-ce que tu as senti que finalement tu étais en sécurité, si c’est arrivé?
>> M.J.G: En, après, après le génocide,
pas en sécurité quand le FPR a pris le pouvoir franchement, je me suis sentie en sécurité, mais dire que je pensais que la mort était finie, que je pensais qu’on pouvait plus mourir [>> M.M: « …. »] là j’ai senti comme le poids tombe, mais malheureusement on a dû payer cher, très cher, mais après au moins je pouvais dire : je marche dans la rue, je marche la tête haute, j’ai pas honte de ce que je suis, là au moins je me suis dit :
je suis plus ou moins en sécurité, mais en même temps les vieux, les vieux démons là ça [>> M.M: ça revient ] ça revenait tout le temps, tout le temps, tout le temps, je voyais les conséquences, les orphelins,
puis non je pense que je m’etais trompé finalement. [>> M.M: « …. »] J’avais, j’ai commencé avoir peur aussi de, des gens qui étaient là quand même qui sortaient des prisons,
mais c’est quand je suis venue, je suis arrivée ici que à cent pour cent je [prend un mouchoir] mais, c’est un autre monde qui surgissait mais quand même la sécurité je l’avais à cent pour cent, [>> M.M: « …. »] oui.
>> M.M: Parlons de votre départ [>> M.J.G: je venais ici pour..] tantôt tu m’as dit : « je suis arrivée ici » comment est-ce que tu as eu l’idée de de venir ou de partir [ >> M.J.G: en fait…] de partir ? >> M.J.G: J’aurais aimé partir plus tôt c’est quand j’ai fini mon secondaire, j’avais une sœur, une enseignante qui, qui qui admire beaucoup [>> M.M: une religieuse?] une religieuse, qui admire beaucoup mes capacités. Elle, elle croyait qu’il faut que j’entreprenne mes études universitaires à tout prix [>> M.M: « …. »] et elle me disait : « tu es brillante, il faut absolument, mais en même temps elle savait que, elle me le disait pas ouvertement mais elle savait que c’était difficile, elle avait appris l’histoire du pays, elle savait que c’était très difficile. [>> M.M: « …. »]
Alors elle a même fait les démarches pour que je vienne étudier ici, faire l’université ici [>> M.M: Canada?] oui, mais ça ,il fallait que j’aille au Ministère de l’Éducation pour demander l’autorisation, c’était ça la règle parce que j’étais pas connue, comme tout était filtré alors tu ne pouvais pas quitter le pays comme ça pour aller étudier. Puis j’ai constitué le dossier, elle m’a beaucoup aidé, puis j’avais déjà l’inscription, on a constitué le dossier, on a deposé au Ministère de l’Éducation, pas de réponse puis une fois mon père est allé au Ministère, je penses qu’il avait quelque chose à vérifier par rapport à son dossier d’enseignant, puis quelqu’un a dit, un monsieur lui a parlé d’une certaine façon, mon père a été blessé beaucoup, un monsieur a dit : «Il paraît que vous voulez envoyer votre fille étudier au Canada?» Puis mon père a commencé à, il ne savait pas quoi dire,
alors il a dit : « oui, non », puis le monsieur a dit : « mais qui, pour qui vous prenez-vous? »
Et mon père a compris et puis en rentrant à la maison il m’a dit : « oublie ça ». [>> M.M: ils allaient pas te laisser partir] Alors j’ai oublié ça, puis je me rappelle quand je suis venue en ’99 [1999] la même religieuse est venue me voir par hasard, on on était à la, [>> M.M: c’était une rwandaise?] non, on était à la même place en même temps, elle est venue me voir elle m’a dit : « tu te rappelles du dossier ? », je lui ai dit : « je me rappelle, je me rappelle », oui, mais c’est par après que j’ai, j’ai eu une bourse quand même pour venir étudier ici. [>> M.M: aah] Oui. Et ça, ça, ça tombait bien parce que, ça a été comme une manne qui venait du ciel. >> M.M: Donc finalement tu as eu une bourse pour venir étudier [>> M.J.G: oui] à Montréal [>> M.J.G: Oui, à Montréal]
et puis tu es restée [>> M.J.G: oui] comment ça se fait? >> M.J.G: Behn je suis restée, oui je suis restée puis j’ai fait ma vie comme vous avez vu. >> M.M: Donc tu as decidé de rester à Montréal, [>> M.J.G: oui] pour quoi le choix, pourquoi Montréal exactement, pourquoi pas ailleurs, une autre ville? >> M.J.G: Parce que c’est à Montréal que je suis arrivée la première fois, c’est Montréal que je connaissais bien [ << M.M: « …. » ] puis c’est là que j’ai établi mes premières repères, j’avais tout mon monde à Montréal, tous mes amis, vous, vous entre autres c’est ça. >> M.M: Justement c'est
je voulais te parler de l’installation à Montréal, [>> M.J.G: au début] c’est, comment tu sais où aller, est-ce qu’il y a des gens qui t’ont aidée, est-ce qu’il y a des organismes, comment est-ce que tu as fait [>> M.J.G: Non, je savais même pas…] pour savoir quoi faire et où aller ? >> M.J.G: Oh, quand même comme je venais pour étudier, euh on m’a aidé [>> M.M: « …. »] à comprendre le système, à m’installer [>> M.M: l’université?] oui, behn l’organisme qui avait payé mes études, >> M.M: « …. »] puis l’université aussi il y avait des gens disponibles qui étaient prêts à nous informer, c’était, moi j’ai trouvé ça assez, assez génial l’accueil [>> M.M: « …. »] oui oui, c’était très bien [>> M.M: « …. »] puis j’avais, il y avait des Rwandais que je connaissais qui était venus >> M.M: « …. »] avant, avant moi, mais que j’ai trouvés à Montréal, qui m’ont accueillie, qui m’ont montré comment prendre le métro, >> M.M: « …. »] puis qui m’ont logée les premiers jours [>> M.M: « …. »] puis qui ont été très très gentils avec moi, puis après j’ai fait un réseau, tout un réseau d’amis [>> M.M: « …. »], puis c’est ça. Mais ça n’a pas été facile, c’est pas, c’était pas évident au début, [>> M.M: « …. »]
c’est comme si je me retrouvais toute seule. [>> M.M: « …. »] J’étais loin de mon réseau, d’un réseau que j’ai constitué après le génocide. >> M.M: « …. »] Le réseau que j’ai que j'ai constitué après le génocide, c’est c'est comme ci
c’était, en fait c’était comme une autre vie qu’on a commencée, [>> M.M: « …. »] donc c’est, c’est comme au fait les premiers pas on y apprend à parler, à marcher, à réfléchir, à penser, donc les personnes avec qui j’ai commencé cette deuxième vie, les personnes me manquaient beaucoup parce qu’on était comme, on avait comme une relation fusionnelle, on avait tout en commun, c’est comme un un bébé qui est séparée de sa mère, tout bébé tout petit, donc c’est comme, c’est comme c'est presque la même chose parce qu’on est vraiment vulnérable et impuissant après le génocide, c’est avec ces gens qu’on a refait quelque chose de, comment expliquer ça, on a comme mène une relation de symbiose, on était comme ça [en faisant un geste avec deux mains serré ensemble] on avait une histoire en commun, [>> M.M: « …. »] on avait tout en commun, alors quand j’ai quitté
tout ce réseau, tout cet environnement j’étais comme perdue, quand je suis arrivée tout était différent, c’était pas la même chose, donc j’ai ré-appris à vivre après,
c’est ça. S-G: Est-ce que vous avez retrouvé certaines personnes qui étaient avec vous à Saint-Paul ici à Montréal? >> M.J.G: Oui, après, par après j’ai retrouvé pas beaucoup, quelques personnes, oui S-G: Et, est-ce que ce rapport était là encore justement? Est-ce que vous [inaudible] >> M.J.G: Oui, quand on quand on se rencontre on parlait beaucoup, beaucoup, beaucoup, c’est comme, c’est les personnes, quand tu vois la personne, qui était avec, avec qui j’étais à Saint-Paul, elle a quelque chose de plus que les autres, [>> M.M: on est jaloux] [rire] c’est, «Hey tel était à Saint-Paul !» On a plein de chose à se dire [>> M.M: « …. »] et oui on a plein, il y a une complicité, on se comprend, on se comprenait, oui, malheureusement il y en avait pas beaucoup et j’ai constitué un réseau, tout un réseau d’amis. [>> M.M: « …. »]
>> M.M: Maintenant on te voit ici à Montréal, mariée, avec deux enfants. [>> M.J.G: oui]
Comment est-ce que tu as rencontré ton mari? Qu’est-ce que tu peux nous dire de lui? >> M.J.G: Je l’ai rencontré à l’université, c’est quelqu’un qui m’a aidée beaucoup, uh il m’a été référé par un de mes professeurs de mes cours parce que ce professeur pensait que j’avais des problèmes, [>> M.M: « …. »] il avait peut être detecté des problèmes de traumatismes, je ne sais pas [>> M.M: « …. »] et puis il m’a dit je vais te référer à ce monsieur, il va sans doute pouvoir t’aider, c’est un gars très gentil. Behn, puis on a commencé à se voir, comme ça il me donne tout son temps, il m’écoutait [>> M.M: « …. »] juste c’était pas quelqu’un qui faisait la consultation avec moi, [>> M.M: « …. »] non non, juste m’écouter et puis il y a eu la complicité qui est née, puis moi je le voyais comme un père, comme mon père comme un grand ami. [>> M.M: « …. »] Puis quand c’était plus sombre, les jours les plus sombres, juste m’écouter, me poser quelques questions, [>> M.M: « …. »] m'écouter il me laisse parler, puis ça m’aide beaucoup, ça m’aide à retrouver la lumière quand c’était des jours sombres, la lumière revenait et c’est né comme ça, l’amitié est née comme ça et puis après c’est de l’amitié, [>> M.M: « …. »] l’amour est né puis on s’est marié et on a eu deux beaux enfants. >> M.M: Ça fait combien de temps que vous êtes mariés? >> M.J.G: Euh, cette année ça va faire huit ans, on s’est marié en 2001 [>> M.M: « …. »].
>> M.M: Quand tu essaie de parler de « nous », est-ce qu’il y a un trait de personnalité que tu peux sortir comme ça. >> M.J.G: C’est quelqu’un qui est optimiste [>> M.M: « …. »]. Qui. qui met la joie partout où il est, ça a été un aspect qui pour moi est est très important. Je me vois pas vivre avec quelqu’un qui n’est pas optimiste, qui qui ne met pas la joie [>> M.M: « …. »] oui c’est ça. >> M.M: C’est un Rwandais, ton mari? >> M.J.G: Non, c’est, c’est Québécois, [>> M.M: aah], [rire] puis c’est quelqu’un qui est très généreux, très intelligent aussi, très brillant, il comprend beaucoup, [>> M.M: « …. »] il comprend beaucoup, tu n’as pas besoin de de parler beaucoup, de dire quoi que ce soit, lui il comprend, il peut même lire ce qui se passe en toi peut-être, donc avec lui j’ai pas d’inquiétude d’être, de risquer d’être incomprise pendant les moments difficiles ou quand je revis des périodes les plus sombres de ma vie ou de mon passé, il est capable de tout comprendre, de ne pas juger [>> M.M: « …. »] de me laisser vivre ça comme je veux, comme je peux,
il me laisse vivre quoi [>> M.M: « …. »] oui.
>> M.M: Éducation des enfants, comment est-ce que tu la vois [rire] tu as garçon et une fille? >> M.J.G: Oui, un garçon et une fille, c’est pas évident tout le temps [rire] parce que moi j’ai mes traditions rwandaise, africaine et rwandaise et du côté de son père il y a l’éducation nord-américaine, québécoise,
occidentale,
c’est pas évident tout le temps, mais en même temps c’est une richesse pour les enfants, parce que déjà on voit le résultat, [>> M.M: « …. »] oui, euh c’est pas des enfants, c’est des enfants équilibrés, intelligents, qui sont appréciés, toute ma vie est très appréciée, qui savent vivre avec les autres. Donc je, moi mon côté conservateur [>> M.M: « …. »] comme chez nous,
ça donne finalement quelque chose de bien la rencontre des deux, [>> M.M: « …. »] parce que c’est, mais en même temps ils sont dans un milieu aussi à l’école, c’est un milieu d’ici c’est pas rwandais, mais mon influence, comme mère il est, il est quand même là,
je suis fière de cette rencontre des deux mentalités, de deux cultures [>> M.M: « …. »] au départ qui n’ont rien en commun mais finalement qui se complètent comme il faut. [>> M.M: « …. »] Il suffit de, de voir leur ouverture,
de comprendre la société dans laquelle on est, de comprendre que les enfants ne vivront pas dans le monde dans lequel j’ai vécu. [>> M.M: « …. »] Même au Rwanda ça évolue beaucoup, [>> M.M: « …. »] l’univers dans lequel j’ai été élevée, toute a fait différent de l’univers dans lequel les enfants d’aujourd’hui sont élevés, [>> M.M: « …. »] il y a plus d’ouverture, oui. donc j’ai pas à imposer ce que, à l’enfant ce que j’ai eu, à mes enfants, non loin de là. >> M.M: « …. »] On élève les enfants pour l’avenir, pour eux surtout pour qu’ils puissent s’adapter à à cette société, s’adapter à être agréables envers les autres, être utiles, être compatissants, à être sensibles aux problèmes des autres. [>> M.M: « …. »] Oui, voilà. >> M.M: L’éducation des enfants, les filles et les garçons, parfois c’est différent, je ne sais pas si tu vois, au Rwanda éduquer une fille, puis éduquer un garçon, je sais pas si dans votre famille c’était la même chose, quand tu vois comment vous avez été éduqués, les valeurs, l’éducation qu’on transmettait à la fille, est-ce que c’était la même chose que ce qu’on transmettait au garçon? >> M.J.G: Non, non, mais je peux pas parler de moi, parce que chez nous c’était différent, chez nous j’ai pas senti que c’était différent, qu’il y avait des faveurs données aux garçons; au contraire [>> M.M: « …. »] donc on devait mériter ce qu’on, s’il fallait qu’on soit apprécié, il fallait mériter ça [>> M.M: « …. »]. J’ai jamais senti que j’étais inférieure aux garçons parce que je faisais mes preuves, j’étais j’étais bien à l’école, j’avais des bons résultats, il y avait rien qui me prédisposait à être inférieure aux garçons. Mais par contre j’ai vu, c’est sûr les garçons ils était plus favorisés que les filles, donc s’il fallait que, s’il fallait que l’un des enfants quittent l’école parce que les parents n’avaient pas les moyens, c’est la fille qui quittait l’école pour aller aider sa mère, donc moi j’étais pas dans, j’ai eu la chance de ne pas être dans ces conditions-là [>> M.M: « …. »] parce que mes parents, ils savaient déjà les bienfaits de l’école, de l’instruction, surtout que ma mère avait eu la chance d’étudier. Ils savaient que c’était très important que la fille, sa fille étudie, puis qu’on les dépasse, qu’on ait la meilleure situation. C’est sur eux, ils ont travaillé très fort, très très fort, ils voulaient qu’on les dépasse, je voyais ça [>> M.M: « …. »] donc ils voulaient à tout prix que j’aille jusque à l’université, [>> M.M: « …. »], oui. >> M.M: Et pour tes enfants, tu as un garçon et une fille [>> M.J.G: je trouve que...] ça va être la même chose? >> M.J.G: Oui, ça va être la même chose, on va leur offrir le meilleur de nous-mêmes, les meilleures conditions possible, dans la mesure du possible [>> M.M: « …. »], puis c’est ça, je vois pas de différence entre un garçon et une fille, franchement j’en vois pas, non. >> M.M: Qu’est-ce que tu ferais, umm comment des fois il y a des enfants qui sont un peu difficiles ou plus faciles et il y a des enfants qui font des choses qu’on n’apprécie pas dans la famille, qu’on le veuille ou pas, >> M.J.G: Oui. comment est-ce qu’on s’y prend? >> M.J.G: Oui, c’est sûr qu’on se met à la place de l’enfant finalement [>> M.M: rire], et on se dit : « qu’est-ce qui se passe dans sa petite tête »,
puis on ne fait pas des paquets d’histoires-là, on lui montre ce qu’il faut faire [>> M.M: « …. »] on lui parle, il faut écouter les enfants [>> M.M: « …. »] il faut les écouter et il faut leur parler. [>> M.M: « …. »] C’est sûr tous les enfants ils font les bêtises, les adultes aussi, en fait il y a quelque chose qui me chicote tout le temps quand un enfant fait une bêtise, on s’emporte, on est prêt à le punir, mais je me dis : les adultes, ils font des bêtises énormes, [>> M.M: « …. »] pis tout en sachant très bien qu’ils font des bêtises puis il y a personne qui
qui court après eux pour les [>> M.M: punir] punir, alors pourquoi c’est l’enfant celui qui est le plus faible, pourquoi s’acharner sur lui? Et pourtant essayer de comprendre la motivation qui est derrière son comportement et puis d’y aller comprendre ça et puis écouter l’enfant, puis ça va Peut-être c’est des choses qui sont dans notre environnement ou qui viennent de nous et quand on a compris là, on prend des mesures, on parle à l’enfant,
behn c’est, behn pour le moment ils sont encore jeunes [rire], on n’est pas encore confronté aux grands problèmes là, ils sont encore tout jeunes, on a pas de problème avec eux [>> M.M: « …. »] oui. >> M.M: Qu’est-ce que vous faites, la situation maintenant à Montréal, est ce que vous travaillez, votre mari travaille? >> M.J.G: Si, j’ai dû arrêter mes études de doctorat quand est né le plus jeune [>> M.M: « …. »]. J’ai tout mis à côté, j’ai trouvé que c’est important de, de me consacrer à, à mon enfant [>> M.M: « …. »] puis je ne le regrette pas du tout
et d’ici peu je compte reprendre là où j’étais [>> M.M: « …. »]. >> M.M: Est-ce que tu es allée au Rwanda depuis que tu es partie? Tu es retournée? >> M.J.G: Behn oui, je suis retournée. >> M.M: Comment tu vois là-bas maintenant?
>> M.J.G: C’est sûr qu’il y a beaucoup de choses qui changent pour le meilleur, je trouve [>> M.M: « …. »]
le pays évolue beaucoup [>> M.M: « …. »] puis j’ai l’impression que quand on quitte un endroit,
nous on pense qu’on va le retrouver dans les temps où on l’a quitté, [>> M.M: « …. »] mais c’est pas ça qui se passe. Alors nous on fait notre vie là où on est, moi je fais ma vie ici, behn je retourne là pour voir la famille, les amis, mais je sens que ma vie est ici [>> M.M: « …. »] même si tous les jours, tous les jours je pense au Rwanda chaque jour qui se passe je pense au Rwanda, je pense à ce petit pays que j’aime beaucoup, beaucoup, puis je suis beaucoup les nouvelles du Rwanda, tout ce qui se passe dans la région, je suis toujours au courant, ça fait partie de moi le Rwanda [>> M.M: « …. »] avec des bons souvenirs, des mauvais souvenirs, c’est, c’est une partie de moi le Rwanda [>> M.M: « …. »] et je suis toute les nouvelles, je m’interesse à tout mais en même temps j’aime ce pays aussi, ce pays d’accueil, j’aime les gens d’ici, j’aime l’ouverture des gens ici, j’aime leur authenticité. Mais finalement on confronte notre histoire, notre passé, notre éducation à la, à la culture de notre pays d’accueil, puis ça va, ça va très bien,
on sait faire, à faire la part des choses. Oui. >> M.M: Donc, je sais pas si ça vaut la peine d’après ce que tu viens de me dire de te poser la question suivante, tu aurais envisagé une fois de retourner vivre là-bas? >> M.J.G: J’y pense [rire] oui j’y pense, écoute, quand on quitte son pays à trente ans,
euh tu ne peux pas couper tout, c'est impossible. [>> M.M: « …. »] parfois ça me manque le soleil, les collines, les oiseaux qui parfois ça me manque beaucoup. [>> M.M: « …. »] Ça ne nous empêche pas de fonctionner, de vivre là où on est mais on ne sait jamais, on ne sait jamais, je, je, je reste ouverte [>> M.M: « …. »] mais j’ai pas de tiraillement par exemple, je me sens pas tiraillée mais je ferme pas les portes, peut-être, pourquoi pas, parce que c’est quand même notre pays, [rire] notre petit Rwanda, moi je l’adore notre pays [>> M.M: « …. »] oui c’est notre, c’est ma vie. >> M.M: Donc là tu es ouverte, tu ne sais pas, ça peut arriver ou pas arriver. M.J-G: Ça peut arriver ou ça peut pas arriver, je ne suis pas malheureuse ici, donc je suis bien ici, mais quand je vais là-bas je suis bien aussi. [rire]
J’ai pas de barrière, je sais, mon pays, quand j’y vais je suis la bienvenue, je suis bien accueillie, je suis bien là-bas, ici aussi c’est pareil, quand je rentre ici, je, j’ai envie de revenir. >> M.M: c’est un peu des deux côtés. [rire] >> M.J.G: Oui, donc j’ai deux pays en fait. [>> M.M: « …. »] yeah. >> M.M: Est-ce que tu connais des Rwandais qui seraient rentrés, décidé de partir pour aller vivre, s’établir là-bas? >> M.J.G: Oui, oui, j’en connais. oui, oui, j’en connais. >> M.M: As-tu des nouvelles de comment ça se passe une fois rentré là-bas? >> M.J.G: Euh, pas du tout, mais il y en a qui partent déjà avec des offres d’emplois [>> M.M: « …. »] puis qui sont bien, qui sont bien là-bas [>> M.M: « …. »] mais à part ça je, de toutes les façons s’ils étaient pas bien, ils reviendraient [>> M.M: « …. »] oui, mais c’est bien en même temps de pouvoir profiter de son pays, des expériences d’ici et vice-versa, [>> M.M: « …. »] oui.
>> M.M: Presque fini >> M.J.G: Merci beaucoup >> M.M: Puis j’aimerais savoir quand tu penses au Rwanda, [>> M.J.G: quand j’y pense?] est-ce qu’il y a quelque chose qui te manque, la chose, la plus précieuse? >> M.J.G: Le contact humain,
le contact humain, la chaleur, cette chaleur,
puis le temps, le temps. >> M.M: Le temps? >> M.J.G: Prendre, je trouve que je, au Rwanda, behn en Afrique en général, au Rwanda en particulier, le temps, prendre le temps de parler à quelqu’un sans courir, sans être précipité, sans être pressé, puis [>> M.M: « …. »] le contact humain qui est quand même très chaleureux, tu vois, disons s’improviser, aller quelque part sans avertir, [rire] [>> M.M: « …. » oui je comprends], puis c’est ça. et puis le soleil, le soleil, le paysage,
le paysage me manque beaucoup, surtout quand l’hiver dure longtemps [>> M.M: « …. »] oui le paysage, la chaleur,
ça me manque énormément, mais bon.
S.G: Est-ce que la, la commémoration s’en vient là. Avril? Est-ce que le mois d’avril pour vous c’est le mois qui est plus difficile que les autres [>> M.J.G: Oui] Est-ce-que, comment vous vivez ce mois-ci? >> M.J.G: J’y pense même pas, juste avant même que je ne pense que c’est le mois d’avril, je le sens en moi et puis je me dis, «Ah on est dans le mois d’avril.» C’est comme programmé, [>> M.M: « …. »] oui, c’est cyclique, c’est très difficile le mois d’avril, c’est des jours où je commence à vivre des cauchemars, à pleurer pour rien, à être irritable, à penser beaucoup, beaucoup aux gens qui sont morts, oui, c’est le mois d’avril comme maintenant j’ai hâte qu’il arrive, que la commémoration [>> M.M: finisse] finisse, puis qu’on passe à autre chose, oui c’est difficile le mois d’avril.
S.G: On parlait des enfants tout à l’heure, c’est peut-être la dernière question, [>> M.J.G: oui] est-ce que vous aimeriez que vos enfants quand ils seront plus grands, là ils sont assez jeunes, puissent regarder cette cassette? >> M.J.G: Oui, oui, oui. oui, absolument, s’ils le veulent, parce que si je suis plus là, ça va être un souvenir, un grand souvenir, ils vont savoir ce que j’ai vécu, ce que c’était leurs ancêtres, c’est, on a de la chance d’avoir des documents comme ça, mais si mes arrières, mes arrières grands-parents ou mes grands-parents ou même mes parents avaient laissé un document audovisuel-là, ça serait quelque chose de très précieux. [>> M.M: « …. »] >> M.M: Penses-tu que tu vas leur en parler un jour? >> M.J.G: Les enfants? >> M.M: Oui. >> M.J.G: Oui, oui, oui, j’ai hâte qu’ils grandissent, parce que déjà ma fille me demande tout le temps, ma blessure, elle dit qu’est-ce qui s’est passé? Je lui dis que j’ai été blessée par les méchants. Je veux pas que, je veux pas mentir, mais je veux pas tout dire parce qu’à son âge, elle peut pas comprendre, c’est pas bon. Alors, je laisse ça comme ça. Elle commence à nous poser des questions par rapport à ses grands-parents, mon grand-papa, ma grand-maman, du côté de papa, puis de mon côté. De mon côté quand même elle connaît mon père, son grand-père, mais elle demande: « ma grand-mère, comment était, comment elle est morte?» Behn je dis qu’elle a été tuée. «Par qui?» Ouuuf un problème, oui donc j’ai hâte qu’elle grandisse, qu’elle comprenne. Tu sais ma fille à l’école on parlait des guerres, mais à leur niveau, c’est son enseignante qui me l’a dit, elle a dit: «Ma maman a été blessée dans la guerre, on l’a blessée sur son bras.» [>> M.M: « …. »] Oui. >> M.M: Elle connaît déjà pas mal. >> M.J.G: Ah oui, au lieu de l’apprendre [>> M.M: « …. »] d’une, peut-être d’une mauvaise façon, d’apprendre peut-être d’une déformation plus tard, c’est mieux que je lui en parle [>> M.M: « …. »] que je lui donne ma version, ma version des faits, ce que j’ai vu, ce que j’ai vécu [>> M.M: « …. »] oui c’est important, je vais tout, tout dire. tout, tout, tout, tout. J’ai hâte qu’ils commencent à comprendre pour tout dire, je veux pas qu’il reste quelque chose de qui n’est pas clair, ça va être clair, clair, clair, oui je vais tout dire, tout, tout, tout.
>> M.M: En tout cas, je te remercie beaucoup, beaucoup. >> M.J.G: Mais merci à vous, vous m’avez permis de, de [rire] de m’ouvrir un peu. >> M.M: En même temps ça fait mal, ça fait [>> M.J.G: C'est comme] c’est dommage de dire que c’est intéressant à entendre. >> M.J.G: C’était comme, c’est comme un poids qui, behn un poids, ça tombe un peu, il y a comme une charge qui tombe, oui. >> M.M: Puis si tu as besoin d’ajouter quelque chose tu nous appelleras. [rire]
>> M.J.G: Mais merci beaucoup, merci pour le travail que vous faites, c’est très important et c’est intéressant [>> M.M: merci] Il faut qu’un jour, behn pas un jour, il faut que la vérité soit dite [>> M.M: « …. »] c’est sûr que ça va pas empêcher les les mensonges de fleurir comme c’est maintenant, les négationnistes maintenant mais quand même il faut qu’on parle, il y a un monsieur à Kigali qui travaille pour un organisme sur le dialogue et la paix, ils ont comme une façon de faire parler les gens, les deux groupes pour qu’ils parlent, il m’a dit, leur thème c’est: « umuryango utazimuye urazima ». J’ai un petit rhume [>> M.M: « …. »] S.G: Ça veut dire quoi? >> M.J.G: Umuryango utazimuye urazima [>> M.M: « …. »] kuzimura, c'est, en français c'est [>> M.M: c’est rapporter] c’est rapporter d’une façon négative [>> M.M: « …. »], S.G: Okay, okay. c’est kuzimura, je te confie un secret et tu vas le rapporter d'autre c'est kuzimura, mais ils disent umuryango utazimiye, si une famille ne, [>> M.M: ne parle pas] ne parle pas, ils s’éteignent >> M.M: « …. »]. S.G: Ah ok, ok. >> M.J.G: Oui, c’est par, par favoriser la parole pour se confronter ça, puis que les gens parlent, puis s’affrontent et puis si tu n’as pas parlé avec ton père [>> M.M: à ton père, tu ne saurais jamais ce que a dit ton grand-père] ton grand-père, c’est bon le kinyarwanda, moi, je t’encourage. >> M.M: En kinyarwanda on dit « utaganiriye na se ntamenya icyo sekuru yasize avuze ». S.G: Oooh. >> M.J.G: Le kinyarwanda là, parfois il y a des termes ici en québécois, je dis à Yvon, tu sais en kinyarwanda ce qu’on dit Je lui dit, puis il a dit : c’est exactement ça, exactement. Parfois, il y a des situations où, comme en kinyarwanda, on parle beaucoup par les proverbes, les actions [>> M.M: « …. »], des choses comme ça, il dit : tu sais en kinyarwanda pour résumer tout ça [>> M.M: « …. »] on dit ceci, ceci, ceci, j’essaie de traduire d’une façon en même endroit, il a dit : exactement ça. >>S.G: Non, mais c’est riche, c’est là que tu vois la richesse [>> M.J.G: C’est riche] d’une langue quand même hein? >> MJ.G: puis j’adore le kinyarwanda, j’adore ça. S.G: Vous allez me donner des cours de kinyarwanda, on cherche des professeurs? [rire] >> M.J.G: Ah oui, si je reviens vivre à Montréal, on va collaborer peut être. >> M.M: Bienvenue. S.G: Oui, oui. >> M.J.G: Tu sais c’est par les proverbes je trouve, tu accèdes directement à la culture [>> M.M: « …. »] imigani, ibyo bita gusigura ibirari by’insigamugani. Tu sais ce que c’est gusigura ibirari by’insigamugani? Donc, il y a comme un proverbe qu’on dit comme: yaje nk’iya Gatera [rire], ça on apprenait ça au secondaire [>> M.M: oui], tu devais expliquer d’où ça vient [>> M.M: « …. »], ça dit beaucoup, puis ça t’explique le contexte de l’époque >> M.M: « …. »] S.G: « … » on peut faire juste une classe avec les proverbes, >> M.J.G: Avec les proverbes, >> S.G: avec les proverbes, les plus utilisés. >> M.M: J’espère que tu as mis le proverbe là-dessus? S.G: Oui, oui. [rire] >> M.J.G: Ah oui, tu filmes encore? Coupe ça. [Rire] >> M.M: Josée, merci pour ton temps, c’est terminé.
Puis tu disais que ta grand-maman te donnait beaucoup d’affection? >> M.J.G: Oui. Puis elle m’aimait beaucoup, elle m’admirait beaucoup [rire]. >> M.M: Tu avais été souvent chez la grand-maman? >> M.J.G: J’y ai vécu [ >> M.M: oh]. J’allais y arriver justement [ >> M.M: « …. »] en parlant de ma vie, j’y ai vécu pendant trois ans. >> M.M: À quel âge? >> M.J.G: J’étais entre douze et quinze ans, j’étais une refugiée [rire]. J’étais allée chercher, pour étudier, tu connais des conditions comme ça là >> [M.M: oui, oui, oui]. Des enfants tutsi qui, quand on n’avait pas vraiment de chance pour aller au secondaire, alors mes parents ont dû falsifier [rire] mon identité puis j’étais une autre personne [>> M.M: Pour étudier] puis j’ai été envoyée chez mes grands-parents >> [M.M: pour étudier] puis il fallait cacher ça >> [M.M: « …. »]. Il fallait cacher ça là où j’étais puis cacher ça chez nous, de là où je venais, c’était quelque chose [sourire]. >> M.M: On a tout fait pour étudier, c’est pas possible. >> M.J.G: Oui, on a tout fait. Donc, j’ai vécu pendant trois ans avec ma grand-mère. >> M.M: [« …. »], c’est ca. >> M.M: Si on revient chez vous, chez papa et maman >> [M.J.G: hoche la tête et sourit] qu’est-ce que tu peux nous dire des deux? [ >> M.J.G: des deux?] De leur rapport? Du rapport de chacun avec toi? >> [M.J.G: rire] des souvenirs que tu gardes d’eux? >> M.J.G: Bon mes parents, les deux étaient instituteurs… >> M.M: Ils avaient beaucoup étudié? >> M.J.G: Pas beaucoup mais, >> [M.M: à ce moment oui], ils ont eu la chance d’étudier pour devenir enseignants >> [M.M: « …. »]. Et puis qu’est-ce que je retiens d’eux? Mes parents étaient des gens très travaillants >> [M.M: « …. »] parce qu’ils fallait qu’ils travaillent >> [M.M: « …. »] il y avait rien de gratuit, il fallait qu’ils travaillent très, très fort puis c’était des parents très protecteurs, ils nous protégeaient énormément ; qui nous gâtent beaucoup, parfois c’étaient révoltant chez des jeunes enfants, des adolescents de voir qu’on est surprotégés, mais par après c’est quand j’ai grandi que j’ai compris que les parents ne voulaient pas que les enfants vivent ce qu’ils ont vécu [ >> M.M: « …. » oui]. Alors ils travaillaient beaucoup, ils nous protégeaient beaucoup mais ils étaient très discrets. >> [M.M: « …. »]. Ça quand j’y pense là nos parents n’étaient pas très bavards par rapport au politique, à ce qui se passait dans le pays, non ils n’en parlaient pas et ils disaient, quand on commençait à parler de quelque chose, ils disaient : « vous devriez vous taire ce n’est pas le temps ». >> M.M: « …. », ça c’est par rapport à la politique? >> M.J.G: De la politique à l’époque. Les parents ne parlaient pas beaucoup.
>> M.M: Est-ce qu’ils leur arrivent de montrer leur affection? >> [M.J.G: Mais oui] leurs émotions? [rire] >> M.J.G: Écoute, on était seulement trois enfants >> [M.M: « …. » c’est là que je voulais savoir] et à l’époque-là avoir trois enfants c’était très très peu >> [M.M: c’est ça], puis ma mère souffrait, je pense ma mère souffrait beaucoup de ne pas avoir pu faire plusieurs enfants >> [M.M: inaudible], c’était pas un choix, c’est venu comme ça. Alors ma mère, >> [M.M: « …. »], elle aurait, ma mère aimait tellement les enfants qu’elle aurait aimé en avoir dix [rire] puis souvent chez lui il y avait des enfants qui passaient, qui venaient manger, qui passaient une semaine puis il y avait, on avait adopté un petit garçon, un voisin dont les parents étaient très très pauvres, puis son père est décédé [du garçon] ; il est venu chez nous, il est resté chez nous puis il a été tué pendant le génocide. [ >> M.M: « …. »]. C’est ça, puis c’est ce que je peux dire. Mes parents, c’étaient des gens travaillants, discrets, très discrets et puis fiers, fiers >> [M.M: « …. »]. Je me rappelle que dans la région on disait qu’on était riche [rire] >> M.M: ils croyaient pas vous autres là]. Ils croyaient, ils pensaient, ils disaient : «Ah eux ils sont riches !» alors qu’on n’était pas les seuls à être dans cette situation. Il y avait plusieurs couples qui travaillaient, mais je sais pas pourquoi ils disaient qu’on était riche, on a pu étudier sans problèmes, faire le secondaire sans problèmes, behn sans problèmes ça veut dire sans problèmes financiers >> [M.M: « …. »] euh c’est ça. >> S.G: C’était comment vos rapports avec vos frères et sœurs? Vous avez dit que vous êtes trois enfants? >> M.J.G: Oui, on était trois. >> S.G: Est-ce que vous avez des grands ou petits frères? >> M.J.G: J’étais la plus vieille, puis les deux autres euh, behn le plus jeune est décédé, il a été assassiné pendant le génocide. >> M.M: C’était un garçon? >> M.J.G: Un garçon. >> M.M: Finalement tu es, vous êtes, toi tu es la fille… >> M.J.G: J’étais la seule fille [rire]… >> M.M: Ah les autres, les deux autres sont des garçons? >> M.J.G: C’est sont des garçons, oui. >> M.M: Ah okay, donc t’es une fille avec deux garçons. >> M.J.G: Oui bon, behn nos relations étaient normales là, des relations entre frères et sœurs, des chicanes parfois et puis des moments d’affection, de confiance, de complicité surtout. Oui de complicité. >> M.M: Quand tu y penses, est-ce qu’il y avait un qui était plus complice que les autres avec toi? >> M.J.G: Ah le plus jeune, celui qui est décédé. Peut-être, il était plus jeune, alors j’avais tendance à le proteger [rire] >> [M.M: ah c’est vrai], oui c’est ça. En tout cas avec celui qui me suivait directement on était comme, comme si on avait le même âge, alors il y avait, on se défiait souvent et en même temps on était des complices, on se confiait des petits secrets, mais le plus jeune franchement, même quand je pense qu’il a été tué comme ça là c’est difficile de, à accepter, à comprendre [changement de voix]. >> [M.M: « …. »] Puis c’est son caractère aussi qui fait que je suis [« … »] très triste, très, très triste parce que c’était un enfant d’une douceur là, très très doux, très gentil. >> M.M: Il avait quel âge? >> M.J.G: Euh il avait 23 ans. >> M.M: Ok, en ’94 [1994]? >> M.J.G: Oui oui.
>> M.M: Justement est-ce qu’on peut savoir vos dates de naissance, comme là on comprend que lui il avait 23… >> M.J.G: Oui, moi je suis née le 11 février ’65 [1965] >> M.M: « …. » votre frère, le dernier? >> M.J.G: Mon frère euh le 24 avril ’69 [1969] celui qui me suit, puis le plus jeune en ’71 [1971]. >> M.M: Est-ce que tu te souviens aussi des dates de naissances, des années de tes parents plus ou moins? >> M.J.G: Ma mère, euh mon père et ma mère en fait sont nés la même année en ’39 [1939]. <<M.M.>> Oh. >> M.J.G: Mais les dates, >> [M.M: les mois?] ils ne le savaient pas >> [M.M: C’est difficile à savoir] C'est difficile à savoir, oui. >> M.M: C’est intéressant. Quand on revient à la maison, l’éducation des enfants, chez-vous je comprends les deux étaient instituteurs Dans l'education à la maison, est-ce qu'il avaient des rôles différents? Qui s’occupait plus des enfants? Quel était plus ou moins [<<M.J.G.: Oui.>>] le rôle de chacun à la maison? >> M.J.G: Behn oui c’est comme dans toute nos sociétés patriarcales [>> M.M: « …. »]. C’est, la mère est au foyer, behn ma mère n’était pas vraiment au foyer, mais elle y était en même temps, elle était à l’extérieur et à l’intérieur en même temps, donc c’était plutôt la mère qui était toujours là. Mon père c’était l’autorité, on avait, on le craignait, le respectait beaucoup, puis c’était le chantage, ma mère disait : «Je vais le dire à votre père quand il revient, vous allez voir». Donc c’était comme si c’était l’autorité publique, mais dans le fond, pardon [se moucher] dans le fond c’était ma mère qui était la boss [rire], oui.
Mais, en fait le souvenir que je garde, mon père était plus permissif et je le comprends [>> M.M: Malgré son autorité] oui, et je le comprends, il n’était pas tout le temps là pour voir les bêtises qu’on commettait, pour voir, c’est maintenant que je suis maman que je comprends ce que c’est [rire] parce qu’on se révoltait, maman est trop, n’est pas, pas gentille parfois, maman est trop envers nous, la même chose qui se reproduit avec ma fille [rire] [>> M.M: « …. »]
oui. [rire]
>> M.M: Puis finalement, quel souvenir gardez-vous de l’endroit où vous avez grandi? >> M.J.G: Uh, le souvenir là [rire] c’était comme un petit coin du paradis, maintenant quand j’y pense c’est comme un petit coin, c’est la campagne, on était à la campagne.
Euh, ben quand j’étais, quand on était petit on aurait aimé vivre en ville, [>> M.M: « …. »] à Kigali [>> M.M: oui], être des citadins, mais maintenant que j’y pense, je pense qu’on a été privilégiés de vivre dans la nature là, de vivre dans cette beauté, les montagnes, la verdure, l’espace, surtout l’espace là, [>> M.M: oui] parce qu’on jouait toute la journée, on courait [>> M.M: partout], [rire] on rentrait épuisés, essoufflés là, >> M.M: Et on n’avait pas peur? >> M.J.G: affamés…. Non, on n’avait pas peur d’eux, vraiment c’était non [>> M.M: Des voisins?], non, on était insouciants les enfants, on jouait, on criait, on courait dans la brousse, on gardait les vaches, les veaux, on gardait les veaux, kuragira, twaragiraga inyana le soir, [>> M.M: « …. »] euh quand j’y pense maintenant je trouve qu’on a eu quand même une enfance heureuse. >> M.M: Malgré que vous étiez perçus comme des familles riches? >> M.J.G: [rire] >> M.M: [rire], parfois, le rapport avec les enfants à côté, est-ce qu’on vous laissait, comment c’était, c’était facile d’aller jouer avec? De vous laisser partir n’importe où? [bruit de tasse] >> M.J.G: Non, pas n’importe où, ah non non non pas n’importe où, mais nos voisins, on n’avait pas de problèmes avec nos voisins directs, behn j’avais ma tante qui habitait dans 500 mètres de chez nous, donc c’est, c’est avec mes cousins qu’on était et puis avec d’autres voisins, mais on, on behn on n’allait pas très très loin, mais c’était vraiment dans notre voisinage immédiat. >> [M.M: « …. »] Oui. >> M.M: Au Rwanda on parle des ethnies, [M.J.G: rire] que c’était inévitable [>> M.J.G: oui c’est sûr], de quel groupe étiez-vous? >> M.J.G: [rire] D’après toi. [>> M.M: rire]
on était, on était parmi, on était des Tutsi, mais moi je l’ai su plus tard [rire], c’est pour ça que je dis que mes parents, mes parents n’étaient pas très bavards [>> M.M: On l’a su plus tard, c’est ça] vous aussi vous l’avez su plus tard? >> M.M: Mais oui, quand ça commençait à se [inaudible] >> M.J.G: Moi je te dis que quand j’ai commencé l’école primaire, je savais pas ce que ce que c’était [>> M.M: « …. »] mais par contre je sais que, je savais que j’étais Umwegakazi. >> M.M: Ça c’est intéressant par exemple [S.G: « … »] il y a des gens qui vont vieillir sans le savoir. >> M.J.G: Parce qu’il y avait une vieille femme, une voisine qui m’aimait beaucoup [rire] et on jasait beaucoup puis elle dit toi tu es une, wowe uri umwegakazi, toi tu es une umwegakazi, tu es comme moi. >> M.M: Ça veut dire quoi? Ça insinuait quoi Umwegakazi? >> M.J.G: Ça insinuait que c’était une femme qui avait du caractère, qui était active [rire], qui était partout en même temps [avec geste], puis moi aussi il paraît que j’étais pas mal active. >> M.M: « …. », tu montrais ton côté umwegakazi. >> M.J.G: Elle a dit toi tu es umwegakazi [avec geste] [>> M.M: Ah ça c’est bon], Abega ça je savais qu’on était abega, mais à part ça [>> M.M: pas grand-chose {en chuchotant}] pas grand-chose. Quand j’ai commencé, j’étais en deuxième année primaire, figurez-vous… >> M.M: Quand tu l’as su? >> M.J.G: Oui, mais pas directement, à chaque début de trimestre il y avait un enseignant, [>> M.M: « …. »] ça ça m’a marqué par exemple qui nous disait : « levez-vous abahutu ici, abahutu hano, de l’autre côté abanari [avec gestes]. >> M.M: Eh abanari? >> M.J.G: Abanari >> M.M: [« …. »] pour dire? >> M.J.G: De, de, de l’UNAR [Union nationale rwandaise, un parti politique associé aux réfugiés] c’était une façon de dire des cafards comme aujourd’hui, après. Abanari c’était comme … >> M.M: Donc c’était comme une …spécifique qui était relié à l’UNAR… >> M.J.G: …Qui appartenait à l’UNAR, l’UNAR, c’était le parti du roi… >> M.M: [« …. »] S.G: Ah, abanare >> M.J.G: Donc c’était une autre façon de diminuer les Tutsi, on les appelait abanari [>> M.M: « …. »] oui, de [inaudible] la tête des gens-là, des gens simples qui ne savaient même pas ce que ça voulait dire, abanari c’était une autre façon de diminuer encore les Tutsi. >> M.M: Puis les enfants comprenaient? >> M.J.G: Behn non, on ne comprenait rien [>> M.M: C’est ça] donc il a dit : abahutu hano, les Hutu ici [avec gestes] fyou tout le monde [rire] c’est ça que je te dis ce qui s’est passé dans ma tête, fyou tout d’un coup [avec gestes] [>> M.M: Tout le monde s’en va oui] maintenant que j’y pense je me demande comment ses enfants ont fait [>> M.M: Ont su] pour savoir qu’ils étaient des hutu ou des tutsi.[>> M.M: Oui] fyou les hutu ici [avec gestes], puis il a dit abanari, puis il y avait des, des [>> M.M: Ne sait pas où aller], c’est parce que les enfants là de huit ans, [>> M.M: « …. »], de sept-huit ans si tu n’es pas dans ce groupe, tu es dans l’autre, mais moi je savais que j’étais Umwega [>> M.M: « …. »], puis je doutais un tout petit peu. >> M.M: Il n’a pas parlé d’Abega? >> M.J.G: Behn non il n’a pas parlé d’Abega, mais je doutais, je me dis : est-ce que je vais là [avec gestes] vers le groupes des hutu, je vais là [avec gestes] vers le groupe d’abanari, pendant que je [inaudible] ,il me dit : toi là va-t’en par-là [avec gestes] vers le groupe d’abanari. [prend un mouchoir dans une boîte à coté d’elle] >> M.M: Lui il le savait? S.G: Ah mon Dieu… >> M.J.G: Behn, il le savait [se mouche] c’était, il était de la région, il le savait. « Toi qu’est-ce que tu attends encore ? Va-t’en par-là [en criant]. je suis partie mais avec des questions là plein dans ma tête [avec gestes]. Je suis allée demander à mes parents c’est quoi abanari? [ >> M.M: « …. »]. Une question qui tue, une question qui tue vraiment là [elle soupire].
Mais j’ai pas eu de réponse mais c’est par après, c’est entre, entre, entre enfants ou entre, [« … »] tu commences à comprendre plus tard là [>> M.M: inaudible], c’est pas clair la réponse des parents [>> M.M: « …. »] c’est ça. C’était, en fait ils voulaient, ils ne voulaient pas que les enfants parlent de ça, ils ne voulaient pas que l’enfant arrive et dit : « mon père m’a dit, ma mère m’a dit que », donc ils étaient vraiment embarrassés. >> M.M: Ils se protégeaient là-dessus aussi. >> M.J.G: Oui, ils étaient très embarassés ; donc c’était comme un flou, puis ils laissent tomber là, ils laissent tomber puis tu apprendras ça plus tard, puis je me rappelle la gêne qui fut là, la déception aussi. [>> M.M: « …. »] >> M.J.G: Voilà. J’ai répondu à la question? >> M.M: Oui oui, tu m’as ramené les enseignants >> M.J.G: Oui] je vais te demander de me parler des enseignants. [rire] Qu’est-ce que, de quoi tu te rappelles avec les enseignants que tu as eus? >> M.J.G: Au fait quand je parle, je pense aux enseignants c’est ce prof, ce monsieur qui me vient toujours à l’esprit, tout le temps là, c’est lui là, je le vois tout le temps. >> M.M: En deuxième année encore? >> M.J.G: En deuxième année je le vois, ça, ça ne peut pas s’effacer dans la mémoire d’un enfant de…, c’est comme si ça commence à tuer toute l’innocence qui est en toi, déjà vous séparez en… de toutes les façons il savait qui on était parce que tu te rappelles des fiches suiveuses [>> M.M: « …. »] il y avait l’ethnie et tout [>> M.M: « …. »], c’était comme pour nous humilier dès notre jeune âge-là, pour nous faire entrer dans notre petite tête que toi tu es ici et pas là. [>> M.M: « …. »] Oui. C’est vraiment euh ce monsieur-là là lui, oui. >> M.M: C’est lui que tu gardes pour le primaire? >> M.J.G: Oui pour le primaire, pour le reste ça a très bien été. En première année j’avais une enseignante très gentille, une voisine. En troisième année un autre monsieur très gentil, en quatrième c’était mon père, en fait, quand [rire] en cinquième un autre monsieur très gentil, ça a bien été en fait le primaire. >> M.M: Le primaire c’était combien de temps? >> M.J.G: [rire] Moi j’ai fait huit ans. >> M.M: Ok >> M.J.G: C’est six… >> M.M: Tu as eu six… >> M.J.G: J’ai eu six… >> M.M: Non huit professeurs, ah c’est vrai… >> M.J.G: J’ai eu huit, en fait neuf, parce que j’ai fait ma sixième année, je sais pas combien j’ai fait ma sixième année trois fois parce que j’ai fait ma sixième année je l’ai doublé, je l’ai redoublé, j’ai pas parvenu à passer l’examen, behn je l’ai passée mais j’ai pas été retenue, c’était la fameuse équilibre et tout. Alors là qu’est-ce qu’il fallait faire ? [ >> M.M: recommencer] Commencer à falsifier les choses-là puis j’ai été envoyée chez mes grand-parents et ça c’était le choc énorme [ >> M.M: « …. »] puis après, après l’école primaire de huit ans je me souviens j’ai [renifle] excuse-moi, [>> M.M: C’est correct] euh, c’est là que j’ai été acceptée au secondaire, et c’était pas facile non plus et pourtant j’étais la première. >> M.M: Justement comment tu es rentrée en secondaire? >> M.J.G: Behn, mon père a dû donner l’argent, il connaissait quelqu’un qui travaillait au Ministère de l’Éducation, il a donné un grand montant d’argent et justement mes parents ils travaillaient fort, ils mettaient de côté et tout, il a donné un gros montant d’argent et puis j’ai été acceptée dans une école secondaire minable qui venait de commencer justement, qui était dans notre région à Mubuga. >> M.M: Au secondaire… >> M.J.G: Au départ, c’était une école secondaire de trois ans pour, tu sais, pour former les enseignants auxiliaires, des chose comme ça, puis ça a été par après ça a été accepté que toutes les formations allaient être des formations de six ans, alors on a passé à six ans [>> M.M: six ans au secondaire] oui, oui. >> M.M: Tu as suivi une spécifique, une qualification particulière? >> M.J.G: Behn oui j’étais euh…oui j’ai [inaudible] pardon j’ai suivi Normale Primaire. >> M.M: Ce qui débouchait…? >> M.J.G: À enseigner au primaire [>> M.M: « …. »] alors c’est ça. >> M.M: Après six ans tu es partie à l’enseignement? >> M.J.G: Mais oui, deux ans [rire] j’ai enseigné pendant deux ans, c’était une loi, c’était la loi. >> M.M: Et comment ça se faisait pour trouver la job, la première fois? >> M.J.G: La job [étonnée]? C’était automatique [>> M.M: ah oui?] quand tu finissais ton secondaire en enseignement il fallait écrire la lettre à l’inspecteur scolaire [>> M.M: « …. »] l’inspecteur de secteur, >> M.M: « …. »] puis il t’engageait, il t’affectait à une école. >> M.M: …engagé, c’était au moins sûr on va être engagé… >> M.J.G: Ah oui oui c’était sûr là, c’était sûr parce qu’ils en avaient besoin, ils avaient quand même besoin d’enseignants quand même qualifiés >> M.M: [« …. »] oui. >> M.M: Que ça soit toi ou tes parents comment c’était pour concilier la maison et le travail? >> M.J.G: Euh bon, pour, pour mes parents on avait des domestiques [>> M.M: « …. »] qui restaient à la maison [>> M.M: « …. »], puis il y avait souvent aussi les membres de la famille qui venaient, qui repartaient. Ça a pas été compliqué, ça pas été très compliqué je pense
[rire] ça va. >> M.M: On est au Québec? [>> M.J.G.: Oui.] je ne peux pas me passer de te demander quand est-ce que tu as quitté la maison familiale? [rire] >> M.J.G: La maison familiale? >> M.M: Oui. >> M.J.G: Je suis arrivée en quatre…en août…18 août ’98 [1998] >> M.M: Donc pour ici là? >> M.J.G: Pour ici. >> M.M: C’était la première fois que tu quittais la maison de tes parents? >> M.J.G: En fait quand j’ai fini à l’uni, behn j’ai quitté la maison de mes parents pour aller à l’université, non-non pour aller travailler, pour aller travailler à Kibuye comme enseignante, au collège à Kibuye. >> M.M: Tu ne rentrais pas à la maison à ce moment-à? >> M.J.G: Non non j’étais logée là [>> M.M: « …. »] donc c’était la première fois, behn toute première fois c’est quand je suis allée à l’internat au secondaire >> M.M: « …. »] puis là, là c’était pas compliqué, puis après c’est quand je suis allée travailler, puis après je suis allée à l’université à Ruhengeri, à Nyakinama [ >> M.M: « …. »] puis…après le génocide, behn en fait quand j’ai commencé à travailler après l’université c’était à Butare aussi et mon père vivait à Kigali ; donc je n’étais pas avec lui toujours [>> M.M: « …. »]. S.G: Et comment vous avez trouvé ça les premières fois seule sans les parents? Mis à part l’expérience de l’internat mais d’être livrée à vous-même, est-ce que vous avez trouvez ça dur ou? >> M.J.G: Pas vraiment [S.G; non?], c’est parce que j’étais pas très loin des parents [S.G : « … »] au début quand je les ai, quand je suis partie travailler à Kibuye, non, c’était pas très compliqué parce que je pouvais rentrer quand je voulais S.G: Les fins de semaines? >> M.J.G: Oui-oui, [S.G: OK] oui les fins de semaines puis ils venaient me voir, euh il faut dire que j’ai quitté mes parents quand j’étais vraiment petite et je l’ai dit au début, j’avais douze ans pour aller chez mes grands-parents, pour moi c’était, ça a eté un choc terrible même s’il y avait ma grand-mère mais j’avais jamais vécu avec elle, il y avait ma tante aussi qui était enseignante, on vivait sous le même toit, j’avais une cousine puis une bonne, donc on était quand même toute une famille mais ça été très dur, très, très dure, à douze ans c’est très difficile parce que c’est un autre mode de vie, c’est un autre environnement, c’est, c’est ça, ça a eté très difficile et par après ça a pas été très compliqué. Voilà. Mais en même temps je, quand j’ai quitté quand j’étais adulte c’était quand même toute une expérience d’aller vivre loin des parents parce que [rire] il y avait la liberté, je vous ai dit que les parents étaient très protecteurs. Si j’étais resté tout le temps tout près d’eux là [rire, en faisant non de la tête] non, ça, non il fallait que je vive cette expérience d’adulte [>> M.M: « …. »] de vivre, m’occuper de ma vie [>> M.M: « …. »] oui, mais il faut dire que j’étais habituée à me déplacer, j’étais une sportive, je jouais au volleyball >> M.M: [« …. »], puis avec l’équipe on se déplaçait souvent >> M.M: « …. »] on allait jouer partout au pays, à l’extérieur du pays aussi, alors j’avais, j’aimais cette expérience de… S.G: Partir à l’aventure… >> M.J.G: Partir a l’aventure j’adorais ça, [>> M.M: rire] oui c’est sûr les parents étaient toujours inquiets, toujours inquiets [>> M.M: oui c’est ça] mais non j’aimais ça.. S.G: Surtout la fille, [>> M.M: « …. »] la seule fille >> M.J.G: Ah oui, la seule fille il fallait, qu’est-ce qui va lui arriver? Et tout, puis quand j’étais loin d’eux c’était tout une autre expérience à vivre [rire]. >> M.M: C’était toujours une expérience. >> M.J.G: Oui, [rire]. >> M.M: Le salaire qu’on vous donnait? ... >> M.J.G: [« … »] ? >> M.M: Le salaire >> M.J.G.: Oui quand tu as commencé à travailler, je sais pas si après l’université tu as travaillé là-bas aussi? >> M.J.G: Non, après l’université c’était à Butare à l’université [>> M.M: « …. »], après…bon j’ai travaillé après le secondaire. Bon c’était un gros salaire ... [rire]. >> M.M: C’est assez suffisant? >> M.J.G: Je savais pas quoi faire avec cet argent [rire] >> M.M: Malgré que tu habites une maison maintenant que tu ne rentres pas chez les parents? >> M.J.G: La première année, je rentrais chez mes parents, j’ai enseigné à l’école primaire de chez nous la première année [>> M.M: « …. »] puis je savais pas quoi faire avec l’argent parce que j’avais jamais géré l’argent [rire] ; j’ai jamais eu des responsabilités puis avec le gros montant, je penses que c’était comme douze-milles francs rwandais [>> M.M: oui], fait que ce montant je savais pas quoi faire, franchement.je me suis gâtée… >> M.M: C’était assez, c’était assez pas mal >> M.J.G: Ah oui, mes parents n’avaient pas vraiment besoin de moi [S.G: rire] non vraiment, mon père me disait de garder mon argent, d’économiser beaucoup, il a dit: « économise ton argent, achète-toi ce dont tu as besoin et puis surtout économise ton argent, tu en auras besoin [>> M.M: « …. », on ne sait jamais] oui pff, je sais…j’étais pas économe du tout [>> M.M: « …. »], donc j’ai jamais eu de souci envers l’argent. >> M.M: Après l’université tu n’as pas travaillé là-bas? >> M.J.G: Après l’université, j’ai travaillé à Butare, j’étais comme assistante-professeur. >> M.M: C’était encore plus un gros montant encore? >> M.J.G: Non, [S.G: rire] non, au contraire j’étais pauvre [rire]. >> M.M: Comment ça se peut? >> M.J.G: Non j’étais pauvre [rire]
>> M.M: Comment ça se peut que tu es rendue pauvre? >> M.J.G: Oui j’étais pauvre parce que j’avais plus de responsabilités [silence] [S.G: « … »] >> M.M: Pourquoi plus de responsabilités? >> M.J.G: Parce que [S.G: le loyer] fallait payer le loyer [>> M.M: à Butare?] oui, payer le loyer puis… >> M.M: [inaudible] quand tu as fini l’université? >> M.J.G: en ’97 [1997], en ’97 [1997], [>> M.M: « …. »] puis en même temps il y avait des, des enfants, des orphelins, des gens qui étaient vraiment dans le besoin là, je pouvais pas fermer les yeux devant ces gens [>> M.M: « …. »], puis mon père était rendu à Kigali parce qu’on ne pouvait pas habiter là où on était, il y avait rien [>> M.M: « …. »] au village il y avait rien donc [>> M.M: « …. »] on était à Kigali puis la vie était plus chère [>> M.M: « …. »] puis mon père travaillait seul, il était enseignant, il a continué. Il était enseignant à Kigali c’était pas dans, c’était pas comme avant y avait, on avait des orphelins chez nous donc c’était plus serré quoi, mais on y arrivait, mais c’était plus serré. >> M.M: Ta survie? >> M.J.G: Oui. >> M.M: Je vais te la poser… >> M.J.G: Quoi? >> M.M: La période qui a, qui est venue avec tant de problèmes, d’orphelins. >> M.J.G: Oui, après le génocide? >> M.M: Et du génocide aussi. >> M.J.G: Ah behn oui, [rire] non, non-non posez, posez-la-moi clairement… >> M.M: Parles-moi de cette période-là ’94 [1994] >> M.J.G: Uh ’94 [1994] oui, au fait quand ça s’est passé, j’étais à Kigali >> M.M: Tu avais quel âge? Tu étais où? >> M.J.G: J’avais vingt-neuf ans, j’étais à Kigali [ >> M.M: « …. »], j’avais quitté ma, chez nous on était en vacances de…de Pâques
[>> M.M: « …. »] j’avais quitté mercredi matin, très tôt le matin, j’allais à Kigali, j’avais des courses à faire, puis je, j’arrive à Kigali vers 10h du matin behn, j’avais des, behn des contacts à faire, j’avais des gens à voir et tout puis le soir paff, on a dit que le, le Président venait de s’écraser, l’avion venait de s’écraser. [>> M.M: « …. »] Puis moi dans ma tête, quelques heures auparavant je pouvais pas croire qu’il pouvait y avoir une catastrophe parce qu’il y avait les soldats de la mission des Nations-Unies, on avait signé les traités de paix à Arusha. [>> M.M: « …. »] Moi dans ma tête c’était plutôt…
behn je, dans ma tête je pensais que c’est, que c’est le bien qui allait arriver, qu’on allait s’en sortir là, mais quand on m’a dit, j’étais dans une famille amie, quand on a dit qu’il paraît que l’avion du président est en train de brûler, là là c’est le tableau noir qui s’est dessiné tout de suite [>> M.M: « …. »] pour moi c’était clair, >> M.M: « …. »] c’est comme si j’ai vu ce qui allait se passer [>> M.M: « …. »] et puis je, j’étais prête à ce moment-là, j’étais vraiment prête, je me disais si Habyarimana est mort tué, là c’est fini [S.G: « … »] je me disais : « même s’il était mort malade on allait payer », puis je dis : « cette fois ci s’ il est mort tué, là c’est fini [S.G: « …. »] c’était clair dans ma tête [>> M.M: « …. »]. Si je pouvais sortir, je serais sortie tout de suite, sortir du pays, je serais sortie mais là je ne pouvais pas, il paraît qu’il y a, behn des barrières qui ont été dressées puis on a commencé à entendre des coups de fusils toute la nuit [>> M.M: « …. »] alors, on a commencé à tuer déjà les gens >> M.M: « …. »] [S.G: « … »] puis, je, avec cette famille on s’est enfuie à Saint-Paul [>> M.M: « …. »] tout près de Sainte-Famille, on est resté là trois mois, on est arrivé le sept dans l’après-midi, on est sorti quelques jours avant la prise de Kigali, on a été évacué à Kabuga [>> M.M: « …. »] dans le zone contrôlée par le FPR . Alors pendant toute cette période, dans ma tête c’était clair que j’étais la seule survivante dans ma famille. [>> M.M: « …. »] S.G: Vous étiez avec qui justement pendant cette période-là? >> M.J.G: On était avec pleins de gens … S.G: Saint-Paul? >> M.J.G: Oui, avec pleins des gens qui habitaient dans le quartier [S.G: « … »] ou d’autres gens qui pouvaient être acheminés à Saint-Paul [S.G: « … »] et on était à peu près 1000 personnes,1500 je pense [S.G: « … »] oui, alors on attendait tous les jours d’être, d’être tué, on venait tous les matins, les miliciens, les soldats, on venait chercher, ils prenaient les jeunes gens, les hommes, ils les tuaient en bas, ils les fusillaient en bas. >> M.M: Saint-Paul, c’est quel genre de, de, d’endroit? >> M.J.G: C’est un centre pastoral, à Saint-Paul, c’est à côté de Sainte-Famille >> M.M: « …. »] alors il y avait, c’est un centre qui accueillait les gens pour je pense, des réunions ou des retraites, ça appartenait au diocèse de Kigali [ >> M.M: « …. »] puis il y avait un prêtre vraiment qui a été très génial [>> M.M: « …. »] qui, behn nous protégeait, il faisait de son mieux pour ne nous livrer pas, il faisait de son mieux pour qu’on survive, il intercédait auprès des miliciens il disait : «Il y a pas de, de, d’élément du FPR ici, c’est des pauvres gens qui se sont enfouis et tout» .On a quand même survécu, puis par après le FPR est venu évacuer les gens. >> M.M: Comment vous faisiez pour manger, pour survivre finalement à cette place à mille cinq cent personnes. >> M.J.G: Je te dis, on vivait, on survivait je sais pas comment, mais on survivait ; ce prêtre justement c’est lui qui, qui allait tous les matins chercher des vivres, chercher un peu d’eau, c’est sûr que c’était pas une grosse vie c’était de la survie [>> M.M: « …. »] on pouvait, on peut rester quelques jours sans manger! C’était pas ça le problème, le problème. [>> M.M: Après ça vous avez su que vous étiez capables] oui, le problème c’était la peur, l’insécurité et oui et puis les nouvelles qu’on entendait à gauche, à droite des familles décimées complètement, puis entendre tous les matins les miliciens qui venaient pour travailler là comme les salariés, behn oui ils étaient des salariés. >> M.M: Travailler? >> M.J.G: Mais, ils venaient tous les matins travailler puis après ça… >> M.M: Qu’est-ce qu’ils faisaient, qu’est-ce qu’ils venaient travailler en ce moment? >> M.J.G: Behn, ils venaient avec leurs machettes-là qui brillaient… >> M.M: C’était ça le travail? >> M.J.G: Ah oui, ils venaient chercher les gens, fouiller pour voir les agents du FPR, puis ils prenaient les jeunes gens, les hommes, ils les descendaient les assassiner en bas. >> M.M: C’était ça le travail? >> M.J.G: Oui, c’était ça leur travail, [silence][sourire] oui. S.G: Comment vous avez des nouvelles des autres ? Est-ce que c’est parce qu’il y avait d’autres personnes qui venaient à l’église? [>> M.J.G: Oui] se réfugier? [>> M.J.G: Tous les jours il y avait des gens qui…] c’est eux qui vous donnait les nouvelles Oui. >> M.J.G: Oui, tous les jours il y avait quelqu’un qui venait, qui nous disait telle famille c’est fini, telle famille c’est fini, telle famille c’est…puis il y avait d’autres nouvelles-là qui étaient plus difficiles à supporter, ouais. >> M.M: Tu te souviens quand est-ce que tu es rentrée dans cette église? >> M.J.G: À Saint-Paul? [>> M.M: « …. »] c’est le sept avril vers 3h, mais c’était pas encore clair là, je, on avait très peur, c’était pas encore clair et, puis arrivés là on était en dessus des lits upff, on vivait la peur et les enfants qui pleuraient, on ne voulait pas les entendre pleurer pff, c’était la peur, on était vraiment là [>> M.M: « …. »] on avait très, très peur.
>> M.M: Tu te souviens quand est-ce que vous avez quitté cette place? >> M.J.G: Au fait, moi j’ai quitté [>> M.M: et comment?] j’ai quitté pour aller à l’Hôtel des Mille Collines j’étais blessée [en montrant son épaule] [>> M.M: « …. »] on avait tiré sur mon épaule puis j’avais eu, j’ai eu une infection puis j’étais pas vraiment bien, j’étais très malade, puis il y a un militaire de,
de, de FAR, des Forces Armées [>> M.M: Rwandaise] oui euh, c’est, il venait, il y avait des militaires qui, qu’on avait envoyés à Saint-Paul supposément pour nous protéger, mais c’est eux qui informaient, [>> M.M: « …. »] qui surveillaient les entrées, qui surveillaient, qui, qui, qui venaient voir les gens qui, qui étaient là et tout mais lui « … » c’était quelqu’un de très gentil [>> M.M: « …. »] donc on voyait qu’il était vraiment, il en croyait, mais il avait [>> M.M: un coté humain, il était encore humain] oui il était humain, il avait toute sorte de, d’informations comme quoi on allait venir massacrer tous ces gens qui étaient là, puis il a demandé à une amie à moi si, qu’est-ce que, ce qu’il pouvait faire faire pour elle, parce qu’il n’avait pas vraiment de pouvoir, lui était subalterne, [>> M.M: « …. »] puis la fille a dit: « est-ce que tu peux nous acheminer à l’Hôtel des Mille Collines? » Parce que nous, on entendait que, on apprenait qu’ils étaient, avaient de l’eau [rire] [>> M.M: ils étaient mieux traités] il y avait de l’eau de la piscine [rire] [ >> M.M: oups,hahaha] puis il m’a demandé : «Est ce que tu veux aller à l’Hôtel des Mille Collines ?», behn je savais plus ce que, je savais plus ce que je.., je pensais plus à rien, j’ai dit : «Oh bon, on y va.» Puis on a embarqué dans son auto, on est allé jusqu’à l’Hôtel des Mille Collines, puis le lendemain, c’est, le FPR a évacué Saint-Paul là où j’étais [>> M.M: « …. »], puis on a, les gens sont venus pour nous apprendre que tous les gens qui étaient à Saint-Paul ont été massacrés, tous. Tous. >> M.M: Vous veniez d’échapper! >> M.J.G: Non, non, moi là je me suis effondrée. S.G: Quand vous avez appris la nouvelle? >> M.J.G: Oui, je me suis effondrée parce que pour moi c’était, c'était ma seule famille, la seule famille qui me reste parce qu’on avait tissé des liens là [>> M.M: « …. »] très très forts [>> M.M: « …. »] behn, vivre pendant trois mois vous devenez comme une seule personne, mais heureusement, c’était pas vrai. >> M.M: Aaah >> M.J.G: C’était pas vrai, puis le lendemain on a été évacué, le jour même on a été attaqué par les miliciens, pardon [prend un mouchoir et se mouche] >> M.M: À Mille Collines? >> M.J.G: [Acquiesce avec sa tête] [>> M.M: « …. »], ça était difficile, heureusement, il y avait des, des, des soldats de la MINUAR [Mission des Nations Unies au Rwanda],
puis il y avait des négociations en cours pour échanger des refugiés [>> M.M: « …. »], on avait des refugiés qui étaient du côté de la zone du FPR et des réfugiés du côté du Gouvernement, il y avait des négociations d’échange, heureusement on a été dans le lendemain [>> M.M: dans l’échange] on nous embarquait dans des camions et tout puis on nous a acheminés dans la zone contrôlée par le FPR [>> M.M: « …. »], puis c’était la fin de l’histoire[rire], oui. >> M.M: Vous étiez partis dans la zone contrôlée par le FPR [M-J-.G: oui, huh?] mais la guerre n’était pas finie? >> M.J.G: Behn non, behn non, on passait à côté des positions de la garde présidentielle, pff je me dis s’il y a quelque chose de, de, de ridicule c’est cette situation, je ne comprenais rien, quelques jours auparavant on n’était même pas capable de regarder par la fenêtre, puis on passe, mais [>> M.M: puis on s’en va dans la zone FPR], oui, ils savent qu’on y allait puis ils disaient, les miliciens disaient : «Dites à Kagame qu’on va le rencontrer un jour.» [rire] Puis par après, je, moi je priais pendant tout, tout ce parcours, je j’y croyais pas [>> M.M: « …. »], moi j’y croyais pas, puis je priais je me dis si on meurt au moins je vais être prête, [rire] [S.G: « … »] puis tout d’un coup je commençais à apercevoir les soldats du FPR. Ah, là c’est, ça changeait tout d’un coup, dans ma tête c’est, c’était bizarre là de croire qu’on est là en sécurité, c’est là que je commençais à pleurer. >> M.M: C’est là que tu as commencé à pleurer? >> M.J.G: à pleurer [fait oui avec la tête], à penser que je vais survivre, à m’en vouloir, c’est bizarre huh? Je m’en voulais d’avoir [>> M.M: « …. »] survécu [>> M.M: « …. »] alors je commençais à m’en vouloir là, sérieusement là je ne voulais plus vivre moi, je commencais à penser au gens qui sont morts ou bien je m’en voulais d’être là,
ça a duré quand même un bout de temps quand, ce sentiment. je me détestais, je ne m’aimais pas du tout, je me détestais, je, je voudrais que je ne voulais pas survivre à ça là. Finalement, j’ai réalisé que c’était vrai que j’étais là, c’est comme si j’ai trahi les miens, que j’ai trahi les autres là, behn finalement, c’était la réalité, c’était pas un rêve, oui. Mais pendant toute cette période quand on était à Kabuga [>> M.M: « …. »] c’est une banlieue de Kigali, j’étais pas bien [>> M.M: « …. »] non j’étais pas bien du tout, j’étais confuse,
j’étais franchement, j’étais confuse, je voyais les gens reprendre la vie, reprendre le goût de, de vivre, mais moi j’étais, j’étais je me sentais coupable de deux côtés. Je me disais : « Pourquoi je ne suis pas comme les autres ? Pourquoi je ne suis pas contente ?» Je ne suis pas contente d’avoir survécu, je me sentais coupable, je me dis : je ne suis pas normale. je ne suis pas, uh on va dire ça, [pense au mot] je ne suis pas reconnaissante. [>> M.M: « …. »] Je m’en voulais et puis en même temps je me disais: «Pourquoi être reconnaissante ? Pourquoi avoir vécu, survécu?» C’était confus quoi [>> M.M: Ouais], franchement, puis j’étais, j’étais, ma blessure s’était infectée, j’étais pas bien du tout, je pensais que j’ai eu la malaria aussi. [>> M.M: « …. »] Oui je me regardais, je ne m’aimais pas du tout, j’étais comme une, j’étais comme morte ou comme si j’étais dans un sommeil, dans un cauchemar et puis que je voulais pas me réveiller. Moi, je, à l’instant, quand on était à Kabuga, je voyais les gens se meubler, aller chercher des choses pour continuer à vivre [>> M.M: « …. »] parce qu’il y avait des choses, des maisons abandonnées, des choses laissées sur la route et tout [S.G: « … »], les gens, je, je voyais que les gens avaient comme envie de de de sortir de, [M.M: de se rebâtir] de se remettre mais moi je, j’avais même pas envie d’avoir deux vêtements là. Je me rappelle il y a quelqu’un de chez nous qui est passé, il était réfugié au Burundi puis ils sont passés, il avait une auto et il a dit : «Hein Josée tu es en vie?» Je dis : «Oui, je suis en vie.» Puis il a dit : «Qu’est-ce que, je vais m’en aller, mais demain je vais revenir qu’est-ce que tu aimerais avoir ?» Je dis : «J’ai besoin de rien.» [S.G: rit en arrière] Puis il m’a donné de l’argent, j’ai refusé, j’ai dit que j’en aurais pas besoin. [Rire] >> M.M: Franchement…. >> M.J.G: Franchement, il m’a donné de l’argent je, non, j’ai refusé, j’ai dit que j’en ai pas besoin, est-ce que tu as besoin de de des vêtements? J’ai dit non [secoue la tête en signe de non] j’ai dit j’ai besoin de rien.
Moi je pensais que que j’étais là comme ça, j’allais, je pensais pas comment j’allais vivre le lendemain ou non, je pensais pas à ça. >> M.M: C’était plus ton problème. >> M.J.G: [Rit en secouant la tête] non, non non. >> M.M: Combien de temps vous étiez restés à Kabuga finalement? >> M.J.G: À Kabuga…. >> M.M: Pour revenir je ne sais pas où? >> M.J.G: Tu sais quelque chose qui m’est arrivé après? [>> M.M: « …. »] L’oubli, l’amnésie. [>> M.M: « …. »] Je peux pas te dire combien de temps on est resté à Kabuga, je peux pas te dire quand nous sommes partis à Kabuga, quelle date que nous avons quitté Kabuga, non. C’était, pour moi quand j’y pense c’était comme une seule journée qui se prolongeait, [>> M.M: « …. »] moi la notion du temps je l’ai perdue complètement.
Ça m’a peut-être aidé [>> M.M: « …. »] à survivre mais ma mémoire à moi elle a été bloquée là. >> M.M: Où est-ce que tu t’es retrouvée quelque part je ne sais pas quand? >> M.J.G: Behn, les gens autour de moi ils s’agitaient [rire], ils cherchaient à manger, ils, moi j’étais là
j’étais dans un autre monde, heureusement j’ai, j'ai rencontré mon frère. >> M.M: Aaah… S.G: Ah behn, rencontez nous ça. >> M.M: Où ça et où? >> M.J.G: Il était en vie [en faisant oui avec la tête] >> M.M: Où ça et quand? >> M.J.G: Ou ça? Ça c’est [rire] tout d’un coup, je l’ai vu, ça faisait quatre ans que je l’avais pas vu. >> M.M: Ce que finalement j’allais te demander, [>> M.J.G: oui] là on a parlé de Saint-Paul, de Mille Collines [>> M.J.G: oui] de Kabuga que tu as oublié complètement, [>> M.J.G: oui] mais j’allais te dire : pendant tout ce temps tu étais seule, tu ne savais pas où était l’autre famille, ta famille finalement. >> M.J.G: Oui, je savais, je savais qu’ils étaient morts. >> M.M: Pour toi, ils étaient morts? >> M.J.G: Oui, sauf mon père >> M.M: Ah, tu savais que lui il n’était pas mort? >> M.J.G: Je l’ai appris après, au mois d’août, >> M.M: Quelle est donc >> M.J.G: On était revenu à Kigali, j’avais recommencé à m’habiller, à me laver, [>> M.M: à vivre seule] à vivre seule, à accepter ça, c’est même quand j’ai décidé, de porter le nom de mon père, [>> M.M: ok] je pensais m’appeller Gakwerere [>> M.M: « …. »] parce que nous on ne porte pas le nom de famille >> M.M: « …. »], et j’en parlais à mes amies, à mes copines, elles riaient, mais pour moi c’était sérieux, là la première chose que j’allais faire faire c’est une, behn quand ils allaient donner une carte d’identité, c’est de, de prendre le nom de famille.
Puis quelqu’un, j’ai rencontré, j’ai croisé quelqu’un à Kigali, j’étais avec une amie, justement la même personne qui m’a rencontrée à Kabuga, qui voulait me donner quelque chose, de l’argent, puis il m’a dit: « Josée, sais-tu que ton père est en vie? » [montrer une expression choquée] [rire] [>> M.M: Rêve, tu rêves] Non, non, mon dos s’est cassé en deux, j’étais plus capable de me tenir debout, je me suis assise sur l’asphalte [>> M.M: « …. »] j’ai commencé à pleurer [rire] et j’ai dit: «Non c’est pas mon père, c’est mon frère que tu as vu.» Celui qui a été tué le plus jeune [>> M.M: « …. »] je dis non, je veux pas t’entendre dire ça, je veux pas de mon père, je veux de mon frère [rire]. >> M.M: Le plus jeune? >> M.J.G: Oui. [prend un mouchoir pour s’essuyer les larmes] Non, ça a été, [rit] non, j’ai dit «Tu t’es trompé c’est pas lui.» « c’est mon frère » [>> M.M:...] « c’est lui, dis-mois que c’est mon frère.» Parce que pour moi là je pouvais pas m’imaginer mon père survivre à ça [>> M.M: « …. »] Il dit : « non, c’est ton père, il est en vie, il m’a donné, il m’a indiqué l’endroit où il était, puis deux jours après, j’ai pris, behn j'ai, il y avait des taxis quand même qui se déplaçaient, pas beaucoup [>> M.M: « …. »] qui s’en allaient dans toutes les directions j’ai pris le taxi, behn, le bus [>> M.M: « …. »] je suis allé jusqu’à lui, il était dans un camp à Gitarama
puis… >> M.M: Il était pas avec tes frères, il était pas avec ta mère? >> M.J.G: Non, il était seul. Il était seul, puis, c’est drôle, ça faisait lui aussi ça faisait deux jours qu’il avait appris que j’étais en vie [>> M.M: « …. »] donc, il y avait une fille à Saint-Paul qui, qui, je sais pas comment, elle est allée dans son coin, je pensais qu’elle cherchait les gens de sa famille, elle a reconnu mon père et lui a dit: « ta fille est en vie ». Mon père est, a eu la même, il a eu la même réaction que moi, c’est comme, il m’a dit qu’il a entendu comme [puffff] quelque chose souffler sur son visage, [>> M.M: « …. »] puis il a comme perdu connaissance, alors je suis allée le chercher.
Je l’ai pas reconnu et lui ne m’a pas reconnue, on avait tellement changé. [>> M.M: oui] Je pensais que lui il avait vieilli comme de 50 ans [>> M.M: « …. »] puis oh pauvre, pauvre bonhomme, je l’ai pris, puis et nous sommes allés sur la route, nous avons attendu les camions, tu vois les camions de la MINUAR [rire], nous avons embarqué dans des gros camions, moi en arrière et lui il a eu de la place à l’intérieur, en avant là, [>> M.M: « …. »] parce qu’il était très affaibli et puis on est rentré à Kigali
en fait. Mais j’avais des amis avec lesquels on a survécu, on avait pris un logement, [<< M.M:.. >>] pour moi c’était ma famille puis on l’a acceuilli comme si c’était leur père, on avait, j’avais trouvé un lit, des draps et un matelas, des draps, des vêtements neufs, des souliers >> M.M: tu avais commencé à vivre. >> M.J.G: J’avais tout prévu, j’avais tout acheté, j’avais demandé un peu d’argent aux gens puis c’était pas une honte de demander de l’argent, puis il est arrivé, il a pris une douche, j’ai brûlé tous les vêtements qu’il portait parce que c’était plein de poux, oui, [>> M.M: « …. »] j’ai tout brulé. Il s’est lavé, [>> M.M: « …. »] il s’est habillé, il a mangé, il a mangé pour la première fois, behn, pas pour la première fois mais ça faisait très longtemps que la notion de nourriture là c’était perdu, puis, c’était sa résurrection. Puis on a commencé à parler, à dire tout ce qui s’est passé, les horreurs qu’il a vécues, lui il a passé trois mois à Bisesero [>> M.M: « …. »] dans la, dans la brousse, nuit et jour
[inaudible] bon, Notre, mon frère nous a retrouvés, il est venu nous chercher puis on s’est installés dans une maison, puis avec rien, rien, vraiment rien, mais on n’était pas inquiets de ça, on vivait, on survivait avec très peu
[Rire] >> M.M: oh mon Dieu avec très peu on survivait, moi je partais le matin, behn en août, il y avait, il n'y avait pas grand-chose qui fonctionnait, behn ça commençait à fonctionner, mais
on survivait. C’était pas notre souci de manger ou de boire, on n’avait pas besoin de, on avait besoin de très peu, mais par contre la présence humaine c’était, ça était très bien, se retrouver, nous retrouver entre nous rescapés à raconter nos horreurs, aller à la messe prier, il y avait la messe qui se tenait pas loin de là où on était, on allait tous les soirs mon père et moi sur la route on parlait, on rentre à la maison puis on a pu prendre quelques orphelins à la maison,
puis c’est ça. >> M.M: Je ne sais pas si je peux te demander >> M.J.G: oui, vas-y] qu’est-ce que tu as appris, de ceux que tu n’as pas vus? Tu as vu ton père, >> M.J.G: Pardon. >> M.M: Tu as vu ton père. >> M.J.G: oui >> M.M: Tu as vu ton frère [ >> M.J.G: Oui. >>M.M: Qu’est-ce que tu as appris des autres? >> M.J.G: En fait, j’ai appris que ma mère a été tuée le jour même, c’était, non c’était le neuf avril, les gens commençaient à s’enfuir là, ça commençait à être difficile, les gens sortaient de chez eux pour aller dans des églises, dans des lieux publics comme ça, puis on les encourageaient à aller à l’église [>> M.M: « …. »] puis ma mère se préparait à aller à l’église aussi puis elle avait dit à mon père d’aller faire fuir les vaches [M-J.G et M.M rient]. >> M.M: On a ri mais c’était une valeur importante. >> M.J.G: C’était une valeur très très importante, elle a dit: « toi tu vas faire fuir les vaches avec le berger » il fallait envoyer les vaches dans les montagnes de, de Bisesero, loin, loin, loin, [>> M.M: « …. »] parce que les vaches aussi étaient, elles étaient concernées par le génocide. [>> M.M: Oui, oui] Alors mon père est sorti de la maison, il est parti vite [>> M.M: avec les vaches] avec les vaches, avec le berger et on en avait tout un troupeau [>> M.M: « …. »] surtout les veaux, les tout petits qui venaient de naître, il fallait les embarquer sur les épaules, puis aller, et puis mon frère, celui qui a été tué puis mon autre frère adoptif, ils étaient sortis aussi pour voir si, pour voir, ils allaient sur les, les les endroits les plus hauts pour voir, pouvoir observer ce qui se passait et ils ne sont pas revenus. Ils sont les gens, ils disaient : « les fugitifs-là », ils disaient : « vite partez » « soit soit allez à l’église ou à Bisesero dans les hautes montagnes » « mais ne revenez pas à la maison » et ils sont partis comme ça. Puis, ma mère se préparait à partir, il y avait une fille qui vivait, une cousine, qui était avec ma maman, puis il y avait une autre fille qui vivait chez nous, ah, cette fille a survécu,
c’est ma mère, c'est elle qui m’a dit. Ma mère lui a donné les clés de la maison, ma mère avait toujours, était toujours avec une trousse de clés, [Rire] elle a dit : « prends la clé, s’il y a quelqu’un qui survit, tu vas pouvoir leur ouvrir la maison, pendant qu’elle disait ça, il paraît qu’elle disait son chapelet, c’est cette fille qui m’a dit. Toute une attaque est venue chez nous >> M.M: « …. »], puis ma mère, ma cousine et cette fille sont sorties en courant, dans l’autre, dans l’autre, dans la direction opposée, puis ils ont, ils ont couru derrière elles, puis il y avait sur la colline opposée, il y avait un monsieur qui était là, qui leur disait : «Ils sont là, passez par là, passez par là, passez par là!» [>> M.M: « …. » ouch]. Puis quelque mètres après ils les ont abattues à la machette, ma mère et ma cousine,
puis cette fille, elle est allée, elle s’est cachée dans une famille des Hutu,
qu’est-ce que j’allais dire, puis ils sont allés chez nous, ils ont tout pris, tout, tout, tout, tout, tout, tout, les portes, les fenêtres, ce qu’ils n’ont pas pris, c’est le ciment qui tapissait le plancher, c’est cela qu’ils n’ont pas pu prendre. Puis c’est ça, ils ont tous pris, ils pensaient que même la vieille marmite avait de la valeur, ou une vieille corbeille avait de la valeur, il paraît qu’ils ont tous tout pris, puis il y avait un jerrican rempli de pétrole parce que nous on n’avait pas d’électricité au village. Le soir, on avait les chandelles pour éclairer la maison >> M.M: « …. »] puis ma mère achetait des grosses quantité [>> M.M: « …. »], de, de, de pétrole puis ils sont tombés sur ça et c’était confirmé que c’était pour brûler les Hutu [>> M.M: Oh].
Puis après ça ils attendaient mon père, ils sont allés à la recherche de à, à la recherche de mon père, de mes deux frères. [>> M.M: « …. »] Puis mon père après avoir caché les vaches, il voulait revenir et les gens ont dit : « Ne, ne retourne pas chez toi, ils attendent, ils t’attendent, ta femme, » « tes, les enfants qui étaient là, fini, ta maison oublie ça. » Alors mon père est resté à Bisesero dans les, dans les collines de Bisesero.
Alors c’est comme ça que ça m’a eté raconté.
>> M.M: Et pour le jeune garçon, ton frère, ton dernier? >> M.J.G: Mon dernier, mon dieu, il paraît que, mon père m’a dit que quelqu’un lui a dit que, en fait mon frère il fréquentait le Grand Séminaire, il commençait, il était dans sa première année de Grand Séminaire. Il paraît qu’il pensait, qu’il allait, qu’il pouvait aller se cacher dans, au presbytère dans une église pas loin des montagnes-là,
puis pendant qu’il voulait s’en aller là, il paraît qu’on l’a coupé en morceaux; il était très grand, très très grand, alors c’était le sort réservé aux gens qui étaient très grands : coupés en morceaux, on n’a jamais revu son corps, on a jamais revu le corps de ma mère.
>> M.M: Bon, on vient de parler de la période ’94 [1994], [>> M.J.G: oui] de toi et de ta famille;
j’aimerais en même temps te parler par rapport à tout finalement, au pays, ou à l’environnement, est-ce qu’il y avait des signes avant pour, qui montraient que ça pouvait arriver? >> M.J.G: Mais oui, c’est parce qu’il y a des choses, des événements dont on parlait pas, mais qui sont comme dans la, dans la, pas la continuité, mais dans le, le,
c’était comme dans le, même voie, qui allaient dans la même voie. Comme je vous ai dit, quand j’avais sept, sept-huit ans, quand on nous faisait lever et nous dire, abanari hano, abahutu hano c’était, c’est pas normal de parler aux enfants comme ça [>> M.M: « …. »] puis c’est pas normal d’indiquer les ethnies dans les, pourquoi ils mettaient les ethnies dans les cartes d’identités? Dans la fiche suiveuse d’un enfant à partir de six ans, première année, ça va te suivre toute ta vie, [>> M.M: « …. »] donc ça c’est pas normal, ça, ça… [un enfant en arrière qui appelle maman] alors c’est ça que je dis que c’est pas normal, ils savaient ce qu’ils faisaient. [>> M.M: « …. »] Mais moi, j’ai pas vécu les événements dans les années de la révolution, mes parents ont vécu ça, mais nous on a vécu dans la continuité de ce qui avait été commencé [>> M.M: « …. »] par exemple ces fiches suiveuses, nous suivent tout le temps jusqu’à l’obtention de ta carte d’identité, où c’était claire maintenant que tu étais hutu ou tutsi ou twa mais aussi le fait que ça nous empêchait d’accéder aux études [>> M.M: « …. »] ça c’était, c’est un, c’est le vrai génocide. [>> M.M: « …. »] Tu empêches à quelqu’un d’étudier c’est, c'est le tuer, il est déjà mort, C'est, c'est, c'était, moi je trouve que c’était le génocide, c’était, c’est, c'est l’aboutissement [>> M.M: « …. »], mais il était déjà là, il avait déjà commencé, ça c’était très frustrant d’empêcher les enfants d’étudier alors qu’ils ont les capacités, d’empêcher aux gens d’avoir accès aux aux services, au travail, empêcher quelqu’un de travailler, c’est, c’était, moi je trouve que c’était dans la continuité. [>> M.M: « …. »] Ça a jamais arrêté en fait, il y a les gens qui, à qui tu peux dire que ça a jamais arrêté qui peuvent pas te croire, mais moi je le sais, je le sens ça a été toujours comme ça, tout était surveillé. [>> M.M: « …. »] Accéder au secondaire, ce que tu vas apprendre au secondaire, la section que tu vas avoir au secondaire, tout était surveillé et l’université là c’était comme presque impensable d’y accéder, il y avait, il fallait tout une sorte de manœuvres pour pouvoir y avoir accès, c’était pas difficile, c’était pas très très facile du tout donc tout était surveillé, c’était, on nous donnait à compte-goutte, [>> M.M: « …. »] jusqu’à ce que, ils savaient, moi je penses qu ils savaient qu’à un moment donné ils allaient finir, finir l’histoire qu’ils avaient commencée. [>> M.M: « …. »] Oui.
>> M.M: Quand est-ce que tu as senti que finalement tu étais en sécurité, si c’est arrivé?
>> M.J.G: En, après, après le génocide,
pas en sécurité quand le FPR a pris le pouvoir franchement, je me suis sentie en sécurité, mais dire que je pensais que la mort était finie, que je pensais qu’on pouvait plus mourir [>> M.M: « …. »] là j’ai senti comme le poids tombe, mais malheureusement on a dû payer cher, très cher, mais après au moins je pouvais dire : je marche dans la rue, je marche la tête haute, j’ai pas honte de ce que je suis, là au moins je me suis dit :
je suis plus ou moins en sécurité, mais en même temps les vieux, les vieux démons là ça [>> M.M: ça revient ] ça revenait tout le temps, tout le temps, tout le temps, je voyais les conséquences, les orphelins,
puis non je pense que je m’etais trompé finalement. [>> M.M: « …. »] J’avais, j’ai commencé avoir peur aussi de, des gens qui étaient là quand même qui sortaient des prisons,
mais c’est quand je suis venue, je suis arrivée ici que à cent pour cent je [prend un mouchoir] mais, c’est un autre monde qui surgissait mais quand même la sécurité je l’avais à cent pour cent, [>> M.M: « …. »] oui.
>> M.M: Parlons de votre départ [>> M.J.G: je venais ici pour..] tantôt tu m’as dit : « je suis arrivée ici » comment est-ce que tu as eu l’idée de de venir ou de partir [ >> M.J.G: en fait…] de partir ? >> M.J.G: J’aurais aimé partir plus tôt c’est quand j’ai fini mon secondaire, j’avais une sœur, une enseignante qui, qui qui admire beaucoup [>> M.M: une religieuse?] une religieuse, qui admire beaucoup mes capacités. Elle, elle croyait qu’il faut que j’entreprenne mes études universitaires à tout prix [>> M.M: « …. »] et elle me disait : « tu es brillante, il faut absolument, mais en même temps elle savait que, elle me le disait pas ouvertement mais elle savait que c’était difficile, elle avait appris l’histoire du pays, elle savait que c’était très difficile. [>> M.M: « …. »]
Alors elle a même fait les démarches pour que je vienne étudier ici, faire l’université ici [>> M.M: Canada?] oui, mais ça ,il fallait que j’aille au Ministère de l’Éducation pour demander l’autorisation, c’était ça la règle parce que j’étais pas connue, comme tout était filtré alors tu ne pouvais pas quitter le pays comme ça pour aller étudier. Puis j’ai constitué le dossier, elle m’a beaucoup aidé, puis j’avais déjà l’inscription, on a constitué le dossier, on a deposé au Ministère de l’Éducation, pas de réponse puis une fois mon père est allé au Ministère, je penses qu’il avait quelque chose à vérifier par rapport à son dossier d’enseignant, puis quelqu’un a dit, un monsieur lui a parlé d’une certaine façon, mon père a été blessé beaucoup, un monsieur a dit : «Il paraît que vous voulez envoyer votre fille étudier au Canada?» Puis mon père a commencé à, il ne savait pas quoi dire,
alors il a dit : « oui, non », puis le monsieur a dit : « mais qui, pour qui vous prenez-vous? »
Et mon père a compris et puis en rentrant à la maison il m’a dit : « oublie ça ». [>> M.M: ils allaient pas te laisser partir] Alors j’ai oublié ça, puis je me rappelle quand je suis venue en ’99 [1999] la même religieuse est venue me voir par hasard, on on était à la, [>> M.M: c’était une rwandaise?] non, on était à la même place en même temps, elle est venue me voir elle m’a dit : « tu te rappelles du dossier ? », je lui ai dit : « je me rappelle, je me rappelle », oui, mais c’est par après que j’ai, j’ai eu une bourse quand même pour venir étudier ici. [>> M.M: aah] Oui. Et ça, ça, ça tombait bien parce que, ça a été comme une manne qui venait du ciel. >> M.M: Donc finalement tu as eu une bourse pour venir étudier [>> M.J.G: oui] à Montréal [>> M.J.G: Oui, à Montréal]
et puis tu es restée [>> M.J.G: oui] comment ça se fait? >> M.J.G: Behn je suis restée, oui je suis restée puis j’ai fait ma vie comme vous avez vu. >> M.M: Donc tu as decidé de rester à Montréal, [>> M.J.G: oui] pour quoi le choix, pourquoi Montréal exactement, pourquoi pas ailleurs, une autre ville? >> M.J.G: Parce que c’est à Montréal que je suis arrivée la première fois, c’est Montréal que je connaissais bien [ << M.M: « …. » ] puis c’est là que j’ai établi mes premières repères, j’avais tout mon monde à Montréal, tous mes amis, vous, vous entre autres c’est ça. >> M.M: Justement c'est
je voulais te parler de l’installation à Montréal, [>> M.J.G: au début] c’est, comment tu sais où aller, est-ce qu’il y a des gens qui t’ont aidée, est-ce qu’il y a des organismes, comment est-ce que tu as fait [>> M.J.G: Non, je savais même pas…] pour savoir quoi faire et où aller ? >> M.J.G: Oh, quand même comme je venais pour étudier, euh on m’a aidé [>> M.M: « …. »] à comprendre le système, à m’installer [>> M.M: l’université?] oui, behn l’organisme qui avait payé mes études, >> M.M: « …. »] puis l’université aussi il y avait des gens disponibles qui étaient prêts à nous informer, c’était, moi j’ai trouvé ça assez, assez génial l’accueil [>> M.M: « …. »] oui oui, c’était très bien [>> M.M: « …. »] puis j’avais, il y avait des Rwandais que je connaissais qui était venus >> M.M: « …. »] avant, avant moi, mais que j’ai trouvés à Montréal, qui m’ont accueillie, qui m’ont montré comment prendre le métro, >> M.M: « …. »] puis qui m’ont logée les premiers jours [>> M.M: « …. »] puis qui ont été très très gentils avec moi, puis après j’ai fait un réseau, tout un réseau d’amis [>> M.M: « …. »], puis c’est ça. Mais ça n’a pas été facile, c’est pas, c’était pas évident au début, [>> M.M: « …. »]
c’est comme si je me retrouvais toute seule. [>> M.M: « …. »] J’étais loin de mon réseau, d’un réseau que j’ai constitué après le génocide. >> M.M: « …. »] Le réseau que j’ai que j'ai constitué après le génocide, c’est c'est comme ci
c’était, en fait c’était comme une autre vie qu’on a commencée, [>> M.M: « …. »] donc c’est, c’est comme au fait les premiers pas on y apprend à parler, à marcher, à réfléchir, à penser, donc les personnes avec qui j’ai commencé cette deuxième vie, les personnes me manquaient beaucoup parce qu’on était comme, on avait comme une relation fusionnelle, on avait tout en commun, c’est comme un un bébé qui est séparée de sa mère, tout bébé tout petit, donc c’est comme, c’est comme c'est presque la même chose parce qu’on est vraiment vulnérable et impuissant après le génocide, c’est avec ces gens qu’on a refait quelque chose de, comment expliquer ça, on a comme mène une relation de symbiose, on était comme ça [en faisant un geste avec deux mains serré ensemble] on avait une histoire en commun, [>> M.M: « …. »] on avait tout en commun, alors quand j’ai quitté
tout ce réseau, tout cet environnement j’étais comme perdue, quand je suis arrivée tout était différent, c’était pas la même chose, donc j’ai ré-appris à vivre après,
c’est ça. S-G: Est-ce que vous avez retrouvé certaines personnes qui étaient avec vous à Saint-Paul ici à Montréal? >> M.J.G: Oui, après, par après j’ai retrouvé pas beaucoup, quelques personnes, oui S-G: Et, est-ce que ce rapport était là encore justement? Est-ce que vous [inaudible] >> M.J.G: Oui, quand on quand on se rencontre on parlait beaucoup, beaucoup, beaucoup, c’est comme, c’est les personnes, quand tu vois la personne, qui était avec, avec qui j’étais à Saint-Paul, elle a quelque chose de plus que les autres, [>> M.M: on est jaloux] [rire] c’est, «Hey tel était à Saint-Paul !» On a plein de chose à se dire [>> M.M: « …. »] et oui on a plein, il y a une complicité, on se comprend, on se comprenait, oui, malheureusement il y en avait pas beaucoup et j’ai constitué un réseau, tout un réseau d’amis. [>> M.M: « …. »]
>> M.M: Maintenant on te voit ici à Montréal, mariée, avec deux enfants. [>> M.J.G: oui]
Comment est-ce que tu as rencontré ton mari? Qu’est-ce que tu peux nous dire de lui? >> M.J.G: Je l’ai rencontré à l’université, c’est quelqu’un qui m’a aidée beaucoup, uh il m’a été référé par un de mes professeurs de mes cours parce que ce professeur pensait que j’avais des problèmes, [>> M.M: « …. »] il avait peut être detecté des problèmes de traumatismes, je ne sais pas [>> M.M: « …. »] et puis il m’a dit je vais te référer à ce monsieur, il va sans doute pouvoir t’aider, c’est un gars très gentil. Behn, puis on a commencé à se voir, comme ça il me donne tout son temps, il m’écoutait [>> M.M: « …. »] juste c’était pas quelqu’un qui faisait la consultation avec moi, [>> M.M: « …. »] non non, juste m’écouter et puis il y a eu la complicité qui est née, puis moi je le voyais comme un père, comme mon père comme un grand ami. [>> M.M: « …. »] Puis quand c’était plus sombre, les jours les plus sombres, juste m’écouter, me poser quelques questions, [>> M.M: « …. »] m'écouter il me laisse parler, puis ça m’aide beaucoup, ça m’aide à retrouver la lumière quand c’était des jours sombres, la lumière revenait et c’est né comme ça, l’amitié est née comme ça et puis après c’est de l’amitié, [>> M.M: « …. »] l’amour est né puis on s’est marié et on a eu deux beaux enfants. >> M.M: Ça fait combien de temps que vous êtes mariés? >> M.J.G: Euh, cette année ça va faire huit ans, on s’est marié en 2001 [>> M.M: « …. »].
>> M.M: Quand tu essaie de parler de « nous », est-ce qu’il y a un trait de personnalité que tu peux sortir comme ça. >> M.J.G: C’est quelqu’un qui est optimiste [>> M.M: « …. »]. Qui. qui met la joie partout où il est, ça a été un aspect qui pour moi est est très important. Je me vois pas vivre avec quelqu’un qui n’est pas optimiste, qui qui ne met pas la joie [>> M.M: « …. »] oui c’est ça. >> M.M: C’est un Rwandais, ton mari? >> M.J.G: Non, c’est, c’est Québécois, [>> M.M: aah], [rire] puis c’est quelqu’un qui est très généreux, très intelligent aussi, très brillant, il comprend beaucoup, [>> M.M: « …. »] il comprend beaucoup, tu n’as pas besoin de de parler beaucoup, de dire quoi que ce soit, lui il comprend, il peut même lire ce qui se passe en toi peut-être, donc avec lui j’ai pas d’inquiétude d’être, de risquer d’être incomprise pendant les moments difficiles ou quand je revis des périodes les plus sombres de ma vie ou de mon passé, il est capable de tout comprendre, de ne pas juger [>> M.M: « …. »] de me laisser vivre ça comme je veux, comme je peux,
il me laisse vivre quoi [>> M.M: « …. »] oui.
>> M.M: Éducation des enfants, comment est-ce que tu la vois [rire] tu as garçon et une fille? >> M.J.G: Oui, un garçon et une fille, c’est pas évident tout le temps [rire] parce que moi j’ai mes traditions rwandaise, africaine et rwandaise et du côté de son père il y a l’éducation nord-américaine, québécoise,
occidentale,
c’est pas évident tout le temps, mais en même temps c’est une richesse pour les enfants, parce que déjà on voit le résultat, [>> M.M: « …. »] oui, euh c’est pas des enfants, c’est des enfants équilibrés, intelligents, qui sont appréciés, toute ma vie est très appréciée, qui savent vivre avec les autres. Donc je, moi mon côté conservateur [>> M.M: « …. »] comme chez nous,
ça donne finalement quelque chose de bien la rencontre des deux, [>> M.M: « …. »] parce que c’est, mais en même temps ils sont dans un milieu aussi à l’école, c’est un milieu d’ici c’est pas rwandais, mais mon influence, comme mère il est, il est quand même là,
je suis fière de cette rencontre des deux mentalités, de deux cultures [>> M.M: « …. »] au départ qui n’ont rien en commun mais finalement qui se complètent comme il faut. [>> M.M: « …. »] Il suffit de, de voir leur ouverture,
de comprendre la société dans laquelle on est, de comprendre que les enfants ne vivront pas dans le monde dans lequel j’ai vécu. [>> M.M: « …. »] Même au Rwanda ça évolue beaucoup, [>> M.M: « …. »] l’univers dans lequel j’ai été élevée, toute a fait différent de l’univers dans lequel les enfants d’aujourd’hui sont élevés, [>> M.M: « …. »] il y a plus d’ouverture, oui. donc j’ai pas à imposer ce que, à l’enfant ce que j’ai eu, à mes enfants, non loin de là. >> M.M: « …. »] On élève les enfants pour l’avenir, pour eux surtout pour qu’ils puissent s’adapter à à cette société, s’adapter à être agréables envers les autres, être utiles, être compatissants, à être sensibles aux problèmes des autres. [>> M.M: « …. »] Oui, voilà. >> M.M: L’éducation des enfants, les filles et les garçons, parfois c’est différent, je ne sais pas si tu vois, au Rwanda éduquer une fille, puis éduquer un garçon, je sais pas si dans votre famille c’était la même chose, quand tu vois comment vous avez été éduqués, les valeurs, l’éducation qu’on transmettait à la fille, est-ce que c’était la même chose que ce qu’on transmettait au garçon? >> M.J.G: Non, non, mais je peux pas parler de moi, parce que chez nous c’était différent, chez nous j’ai pas senti que c’était différent, qu’il y avait des faveurs données aux garçons; au contraire [>> M.M: « …. »] donc on devait mériter ce qu’on, s’il fallait qu’on soit apprécié, il fallait mériter ça [>> M.M: « …. »]. J’ai jamais senti que j’étais inférieure aux garçons parce que je faisais mes preuves, j’étais j’étais bien à l’école, j’avais des bons résultats, il y avait rien qui me prédisposait à être inférieure aux garçons. Mais par contre j’ai vu, c’est sûr les garçons ils était plus favorisés que les filles, donc s’il fallait que, s’il fallait que l’un des enfants quittent l’école parce que les parents n’avaient pas les moyens, c’est la fille qui quittait l’école pour aller aider sa mère, donc moi j’étais pas dans, j’ai eu la chance de ne pas être dans ces conditions-là [>> M.M: « …. »] parce que mes parents, ils savaient déjà les bienfaits de l’école, de l’instruction, surtout que ma mère avait eu la chance d’étudier. Ils savaient que c’était très important que la fille, sa fille étudie, puis qu’on les dépasse, qu’on ait la meilleure situation. C’est sur eux, ils ont travaillé très fort, très très fort, ils voulaient qu’on les dépasse, je voyais ça [>> M.M: « …. »] donc ils voulaient à tout prix que j’aille jusque à l’université, [>> M.M: « …. »], oui. >> M.M: Et pour tes enfants, tu as un garçon et une fille [>> M.J.G: je trouve que...] ça va être la même chose? >> M.J.G: Oui, ça va être la même chose, on va leur offrir le meilleur de nous-mêmes, les meilleures conditions possible, dans la mesure du possible [>> M.M: « …. »], puis c’est ça, je vois pas de différence entre un garçon et une fille, franchement j’en vois pas, non. >> M.M: Qu’est-ce que tu ferais, umm comment des fois il y a des enfants qui sont un peu difficiles ou plus faciles et il y a des enfants qui font des choses qu’on n’apprécie pas dans la famille, qu’on le veuille ou pas, >> M.J.G: Oui. comment est-ce qu’on s’y prend? >> M.J.G: Oui, c’est sûr qu’on se met à la place de l’enfant finalement [>> M.M: rire], et on se dit : « qu’est-ce qui se passe dans sa petite tête »,
puis on ne fait pas des paquets d’histoires-là, on lui montre ce qu’il faut faire [>> M.M: « …. »] on lui parle, il faut écouter les enfants [>> M.M: « …. »] il faut les écouter et il faut leur parler. [>> M.M: « …. »] C’est sûr tous les enfants ils font les bêtises, les adultes aussi, en fait il y a quelque chose qui me chicote tout le temps quand un enfant fait une bêtise, on s’emporte, on est prêt à le punir, mais je me dis : les adultes, ils font des bêtises énormes, [>> M.M: « …. »] pis tout en sachant très bien qu’ils font des bêtises puis il y a personne qui
qui court après eux pour les [>> M.M: punir] punir, alors pourquoi c’est l’enfant celui qui est le plus faible, pourquoi s’acharner sur lui? Et pourtant essayer de comprendre la motivation qui est derrière son comportement et puis d’y aller comprendre ça et puis écouter l’enfant, puis ça va Peut-être c’est des choses qui sont dans notre environnement ou qui viennent de nous et quand on a compris là, on prend des mesures, on parle à l’enfant,
behn c’est, behn pour le moment ils sont encore jeunes [rire], on n’est pas encore confronté aux grands problèmes là, ils sont encore tout jeunes, on a pas de problème avec eux [>> M.M: « …. »] oui. >> M.M: Qu’est-ce que vous faites, la situation maintenant à Montréal, est ce que vous travaillez, votre mari travaille? >> M.J.G: Si, j’ai dû arrêter mes études de doctorat quand est né le plus jeune [>> M.M: « …. »]. J’ai tout mis à côté, j’ai trouvé que c’est important de, de me consacrer à, à mon enfant [>> M.M: « …. »] puis je ne le regrette pas du tout
et d’ici peu je compte reprendre là où j’étais [>> M.M: « …. »]. >> M.M: Est-ce que tu es allée au Rwanda depuis que tu es partie? Tu es retournée? >> M.J.G: Behn oui, je suis retournée. >> M.M: Comment tu vois là-bas maintenant?
>> M.J.G: C’est sûr qu’il y a beaucoup de choses qui changent pour le meilleur, je trouve [>> M.M: « …. »]
le pays évolue beaucoup [>> M.M: « …. »] puis j’ai l’impression que quand on quitte un endroit,
nous on pense qu’on va le retrouver dans les temps où on l’a quitté, [>> M.M: « …. »] mais c’est pas ça qui se passe. Alors nous on fait notre vie là où on est, moi je fais ma vie ici, behn je retourne là pour voir la famille, les amis, mais je sens que ma vie est ici [>> M.M: « …. »] même si tous les jours, tous les jours je pense au Rwanda chaque jour qui se passe je pense au Rwanda, je pense à ce petit pays que j’aime beaucoup, beaucoup, puis je suis beaucoup les nouvelles du Rwanda, tout ce qui se passe dans la région, je suis toujours au courant, ça fait partie de moi le Rwanda [>> M.M: « …. »] avec des bons souvenirs, des mauvais souvenirs, c’est, c’est une partie de moi le Rwanda [>> M.M: « …. »] et je suis toute les nouvelles, je m’interesse à tout mais en même temps j’aime ce pays aussi, ce pays d’accueil, j’aime les gens d’ici, j’aime l’ouverture des gens ici, j’aime leur authenticité. Mais finalement on confronte notre histoire, notre passé, notre éducation à la, à la culture de notre pays d’accueil, puis ça va, ça va très bien,
on sait faire, à faire la part des choses. Oui. >> M.M: Donc, je sais pas si ça vaut la peine d’après ce que tu viens de me dire de te poser la question suivante, tu aurais envisagé une fois de retourner vivre là-bas? >> M.J.G: J’y pense [rire] oui j’y pense, écoute, quand on quitte son pays à trente ans,
euh tu ne peux pas couper tout, c'est impossible. [>> M.M: « …. »] parfois ça me manque le soleil, les collines, les oiseaux qui parfois ça me manque beaucoup. [>> M.M: « …. »] Ça ne nous empêche pas de fonctionner, de vivre là où on est mais on ne sait jamais, on ne sait jamais, je, je, je reste ouverte [>> M.M: « …. »] mais j’ai pas de tiraillement par exemple, je me sens pas tiraillée mais je ferme pas les portes, peut-être, pourquoi pas, parce que c’est quand même notre pays, [rire] notre petit Rwanda, moi je l’adore notre pays [>> M.M: « …. »] oui c’est notre, c’est ma vie. >> M.M: Donc là tu es ouverte, tu ne sais pas, ça peut arriver ou pas arriver. M.J-G: Ça peut arriver ou ça peut pas arriver, je ne suis pas malheureuse ici, donc je suis bien ici, mais quand je vais là-bas je suis bien aussi. [rire]
J’ai pas de barrière, je sais, mon pays, quand j’y vais je suis la bienvenue, je suis bien accueillie, je suis bien là-bas, ici aussi c’est pareil, quand je rentre ici, je, j’ai envie de revenir. >> M.M: c’est un peu des deux côtés. [rire] >> M.J.G: Oui, donc j’ai deux pays en fait. [>> M.M: « …. »] yeah. >> M.M: Est-ce que tu connais des Rwandais qui seraient rentrés, décidé de partir pour aller vivre, s’établir là-bas? >> M.J.G: Oui, oui, j’en connais. oui, oui, j’en connais. >> M.M: As-tu des nouvelles de comment ça se passe une fois rentré là-bas? >> M.J.G: Euh, pas du tout, mais il y en a qui partent déjà avec des offres d’emplois [>> M.M: « …. »] puis qui sont bien, qui sont bien là-bas [>> M.M: « …. »] mais à part ça je, de toutes les façons s’ils étaient pas bien, ils reviendraient [>> M.M: « …. »] oui, mais c’est bien en même temps de pouvoir profiter de son pays, des expériences d’ici et vice-versa, [>> M.M: « …. »] oui.
>> M.M: Presque fini >> M.J.G: Merci beaucoup >> M.M: Puis j’aimerais savoir quand tu penses au Rwanda, [>> M.J.G: quand j’y pense?] est-ce qu’il y a quelque chose qui te manque, la chose, la plus précieuse? >> M.J.G: Le contact humain,
le contact humain, la chaleur, cette chaleur,
puis le temps, le temps. >> M.M: Le temps? >> M.J.G: Prendre, je trouve que je, au Rwanda, behn en Afrique en général, au Rwanda en particulier, le temps, prendre le temps de parler à quelqu’un sans courir, sans être précipité, sans être pressé, puis [>> M.M: « …. »] le contact humain qui est quand même très chaleureux, tu vois, disons s’improviser, aller quelque part sans avertir, [rire] [>> M.M: « …. » oui je comprends], puis c’est ça. et puis le soleil, le soleil, le paysage,
le paysage me manque beaucoup, surtout quand l’hiver dure longtemps [>> M.M: « …. »] oui le paysage, la chaleur,
ça me manque énormément, mais bon.
S.G: Est-ce que la, la commémoration s’en vient là. Avril? Est-ce que le mois d’avril pour vous c’est le mois qui est plus difficile que les autres [>> M.J.G: Oui] Est-ce-que, comment vous vivez ce mois-ci? >> M.J.G: J’y pense même pas, juste avant même que je ne pense que c’est le mois d’avril, je le sens en moi et puis je me dis, «Ah on est dans le mois d’avril.» C’est comme programmé, [>> M.M: « …. »] oui, c’est cyclique, c’est très difficile le mois d’avril, c’est des jours où je commence à vivre des cauchemars, à pleurer pour rien, à être irritable, à penser beaucoup, beaucoup aux gens qui sont morts, oui, c’est le mois d’avril comme maintenant j’ai hâte qu’il arrive, que la commémoration [>> M.M: finisse] finisse, puis qu’on passe à autre chose, oui c’est difficile le mois d’avril.
S.G: On parlait des enfants tout à l’heure, c’est peut-être la dernière question, [>> M.J.G: oui] est-ce que vous aimeriez que vos enfants quand ils seront plus grands, là ils sont assez jeunes, puissent regarder cette cassette? >> M.J.G: Oui, oui, oui. oui, absolument, s’ils le veulent, parce que si je suis plus là, ça va être un souvenir, un grand souvenir, ils vont savoir ce que j’ai vécu, ce que c’était leurs ancêtres, c’est, on a de la chance d’avoir des documents comme ça, mais si mes arrières, mes arrières grands-parents ou mes grands-parents ou même mes parents avaient laissé un document audovisuel-là, ça serait quelque chose de très précieux. [>> M.M: « …. »] >> M.M: Penses-tu que tu vas leur en parler un jour? >> M.J.G: Les enfants? >> M.M: Oui. >> M.J.G: Oui, oui, oui, j’ai hâte qu’ils grandissent, parce que déjà ma fille me demande tout le temps, ma blessure, elle dit qu’est-ce qui s’est passé? Je lui dis que j’ai été blessée par les méchants. Je veux pas que, je veux pas mentir, mais je veux pas tout dire parce qu’à son âge, elle peut pas comprendre, c’est pas bon. Alors, je laisse ça comme ça. Elle commence à nous poser des questions par rapport à ses grands-parents, mon grand-papa, ma grand-maman, du côté de papa, puis de mon côté. De mon côté quand même elle connaît mon père, son grand-père, mais elle demande: « ma grand-mère, comment était, comment elle est morte?» Behn je dis qu’elle a été tuée. «Par qui?» Ouuuf un problème, oui donc j’ai hâte qu’elle grandisse, qu’elle comprenne. Tu sais ma fille à l’école on parlait des guerres, mais à leur niveau, c’est son enseignante qui me l’a dit, elle a dit: «Ma maman a été blessée dans la guerre, on l’a blessée sur son bras.» [>> M.M: « …. »] Oui. >> M.M: Elle connaît déjà pas mal. >> M.J.G: Ah oui, au lieu de l’apprendre [>> M.M: « …. »] d’une, peut-être d’une mauvaise façon, d’apprendre peut-être d’une déformation plus tard, c’est mieux que je lui en parle [>> M.M: « …. »] que je lui donne ma version, ma version des faits, ce que j’ai vu, ce que j’ai vécu [>> M.M: « …. »] oui c’est important, je vais tout, tout dire. tout, tout, tout, tout. J’ai hâte qu’ils commencent à comprendre pour tout dire, je veux pas qu’il reste quelque chose de qui n’est pas clair, ça va être clair, clair, clair, oui je vais tout dire, tout, tout, tout.
>> M.M: En tout cas, je te remercie beaucoup, beaucoup. >> M.J.G: Mais merci à vous, vous m’avez permis de, de [rire] de m’ouvrir un peu. >> M.M: En même temps ça fait mal, ça fait [>> M.J.G: C'est comme] c’est dommage de dire que c’est intéressant à entendre. >> M.J.G: C’était comme, c’est comme un poids qui, behn un poids, ça tombe un peu, il y a comme une charge qui tombe, oui. >> M.M: Puis si tu as besoin d’ajouter quelque chose tu nous appelleras. [rire]
>> M.J.G: Mais merci beaucoup, merci pour le travail que vous faites, c’est très important et c’est intéressant [>> M.M: merci] Il faut qu’un jour, behn pas un jour, il faut que la vérité soit dite [>> M.M: « …. »] c’est sûr que ça va pas empêcher les les mensonges de fleurir comme c’est maintenant, les négationnistes maintenant mais quand même il faut qu’on parle, il y a un monsieur à Kigali qui travaille pour un organisme sur le dialogue et la paix, ils ont comme une façon de faire parler les gens, les deux groupes pour qu’ils parlent, il m’a dit, leur thème c’est: « umuryango utazimuye urazima ». J’ai un petit rhume [>> M.M: « …. »] S.G: Ça veut dire quoi? >> M.J.G: Umuryango utazimuye urazima [>> M.M: « …. »] kuzimura, c'est, en français c'est [>> M.M: c’est rapporter] c’est rapporter d’une façon négative [>> M.M: « …. »], S.G: Okay, okay. c’est kuzimura, je te confie un secret et tu vas le rapporter d'autre c'est kuzimura, mais ils disent umuryango utazimiye, si une famille ne, [>> M.M: ne parle pas] ne parle pas, ils s’éteignent >> M.M: « …. »]. S.G: Ah ok, ok. >> M.J.G: Oui, c’est par, par favoriser la parole pour se confronter ça, puis que les gens parlent, puis s’affrontent et puis si tu n’as pas parlé avec ton père [>> M.M: à ton père, tu ne saurais jamais ce que a dit ton grand-père] ton grand-père, c’est bon le kinyarwanda, moi, je t’encourage. >> M.M: En kinyarwanda on dit « utaganiriye na se ntamenya icyo sekuru yasize avuze ». S.G: Oooh. >> M.J.G: Le kinyarwanda là, parfois il y a des termes ici en québécois, je dis à Yvon, tu sais en kinyarwanda ce qu’on dit Je lui dit, puis il a dit : c’est exactement ça, exactement. Parfois, il y a des situations où, comme en kinyarwanda, on parle beaucoup par les proverbes, les actions [>> M.M: « …. »], des choses comme ça, il dit : tu sais en kinyarwanda pour résumer tout ça [>> M.M: « …. »] on dit ceci, ceci, ceci, j’essaie de traduire d’une façon en même endroit, il a dit : exactement ça. >>S.G: Non, mais c’est riche, c’est là que tu vois la richesse [>> M.J.G: C’est riche] d’une langue quand même hein? >> MJ.G: puis j’adore le kinyarwanda, j’adore ça. S.G: Vous allez me donner des cours de kinyarwanda, on cherche des professeurs? [rire] >> M.J.G: Ah oui, si je reviens vivre à Montréal, on va collaborer peut être. >> M.M: Bienvenue. S.G: Oui, oui. >> M.J.G: Tu sais c’est par les proverbes je trouve, tu accèdes directement à la culture [>> M.M: « …. »] imigani, ibyo bita gusigura ibirari by’insigamugani. Tu sais ce que c’est gusigura ibirari by’insigamugani? Donc, il y a comme un proverbe qu’on dit comme: yaje nk’iya Gatera [rire], ça on apprenait ça au secondaire [>> M.M: oui], tu devais expliquer d’où ça vient [>> M.M: « …. »], ça dit beaucoup, puis ça t’explique le contexte de l’époque >> M.M: « …. »] S.G: « … » on peut faire juste une classe avec les proverbes, >> M.J.G: Avec les proverbes, >> S.G: avec les proverbes, les plus utilisés. >> M.M: J’espère que tu as mis le proverbe là-dessus? S.G: Oui, oui. [rire] >> M.J.G: Ah oui, tu filmes encore? Coupe ça. [Rire] >> M.M: Josée, merci pour ton temps, c’est terminé.