S.I.:: Oscar! A.M.:: Oscar!
S.I.:: Ça c'Est le fichier d'Oscar
pourriez nous parler de vous, en nous donnant
votre nom, âge, et nous parler un peu de
votre famille? A.M.:: Je m’appelle Anita
Muhimpundu, j’ai 27 ans, je suis rwandaise,
et je viens d’une grande famille de six
enfants; plus Papa et Maman ça fait huit.
Et on est tous ici au Québec. S.I.:: Et quel
est votre état matrimonial? A.M.:: Pas mariée.
S.I.:: Pas mariée, O.K. Vous avez dit que
vos parents sont ici. Est-ce que vous avez
encore vos grands-parents? A.M.:: J’ai encore
une grand-mère qui est encore vivante. Les
deux parents du côté de ma mère, le grand
papa est mort quand ma mère était plus jeune,
donc elle aussi ne l’a pas beaucoup connu.
Donc nous les enfants on ne l’a pas connu
vraiment. [00:01:18] La grand-maman… la
maman de ma mère est encore en vie jusqu’à
maintenant et je l’ai connue tout au long
de ma vie. Tout récemment justement, elle
était au Canada, elle est partie récemment
au Rwanda. Du côté de Papa, je n’ai pas
beaucoup connu… j’ai connu ses parents
peut-être un an; lorsqu’on habitait au
Rwanda on allait les visiter. Sa maman, elle
est décédée quand j’étais encore jeune,
j’avais peut-être sept ans, je ne l’ai
pas beaucoup connue. Mais son papa je le connais
très bien, je me souviens encore des activités
qu’on faisait. Et puis il est décédé
pendant le génocide. S.I.:: O.K. Donc si
je comprends bien, pour l’instant vous avez
votre grand-mère maternelle. A.M.:: Oui,
tout à fait. S.I.:: Quelle relation vous
diriez que votre grand-mère a avec vos parents?
En fait, quels souvenirs avez-vous de vos
grands-parents en interaction avec vos parents?
[00:02:24] A.M.:: Ma grand-maman du côté
de ma mère, bon, elle, elle a eu quatre enfants.
Un garçon qui est l’aîné, puis trois
filles. Donc elle est très protectrice, c’est
un homme. Dans le sens que vu qu’elle a
perdu son mari très jeune, elle a vraiment
un sens de leadership d’organisation de
la famille. Pour moi, quand je pense à ma
grand-mère, je vois la force, je la vois
comme la chef de la famille d’une certaine
façon. Donc avec mère… elle est très
proche avec ses enfants, énormément. Et
elle a toujours le dernier mot. Même sur
ma mère, c’est elle qui a toujours le dernier
mot sur… Elle essaie toujours de garder
la famille ensemble. Vraiment, c’est la
force. Elle inspire la force pour moi. S.I.::
Donc, pouvez aussi me parler de vos parents
maintenant? Donc, quel genre de personnes
ils sont? Quelles sont leurs occupations?
A.M.:: O.K. donc. Mes parents… Mon papa,
il s’appelle Joseph. [00:03:26] Lui a travaillé
toujours dans la construction. Au Rwanda il
était architecte, et ici il travaille toujours
dans la construction, et puis c’est un pasteur
aussi. Donc il est autant dans la construction
qu’à l’église, très actif. Il est très
proche de sa communauté, puis il est très
proche avec ses enfants. Je trouve qu’il
est très proche avec nous, avec ses sentiments.
Maman, elle, elle était éducatrice au Rwanda,
plus professeure en maternelle, je dirais.
Et ici aussi elle a continué à travailler
dans une garderie, auprès des enfants, ainsi
de suite. Et… quoi dire? [rire]. On est
proche avec les parents, mais c’est sûr
que … à la culture, sais pas « amp;nbsp;…
amp;nbsp;». S.I.:: Ce n’est pas aussi expressive…?
A.M.:: C’est comme ça. On est proche avec
les parents mais ce n’est pas… Il y a
des choses qui ne se disent pas comme… barrière
parent-enfant, comme partout dans notre communauté,
la plupart des parents. [00:04:35] S.I.::
Et aussi, pouvez-vous nous parler de vos frères
et sœurs, vous avez dit que vous avez…
A.M.:: On est six enfants. S.I.:: Six enfants,
je comprends, O.K. A.M.:: On est six enfants.
Un grand frère qui est l’aîné, quatre
filles, et ensuite un dernier, le petit frère.
Richard, Jeannette, moi-même la troisième,
ma petite sœur Anne-Lise, Nelly, et David.
On est très, très proches, malgré qu’il
ait une certaine période, avec les circonstances
du Rwanda, où on a été séparés pendant
trois ans. Mais je trouve qu’on a une bonne
relation, on est très, très proches. On
s’encourage, on s’entraide énormément.
Et puis on est comme des meilleurs amis des
uns et des autres, ça je trouve ça extraordinaire.
S.I.:: Est-ce que vous diriez qu’il y a
un de vos frères et sœurs que vous diriez
qu’il a une influence particulière sur
vous? Peut-être une relation plus proche,
particulière avec vous? A.M.:: Je pense ma
petite sœur Anne-Lise, qui a une relation
particulière avec moi. [00:05:38] On se complète
tous d’une certaine façon, dans le sens
qu’il y a un moment donné que c’est mon
grand frère qui va m’inspirer dans certaines
circonstances, un moment donné c’est ma
grande sœur, un moment donné c’est ma
petite sœur, ça dépend. Donc, on est proches,
des fois c’est celui qui est disponible
qui nous inspire ou qui nous fortifie. Mais
je dirai que j’ai une relation particulière
avec ma petite sœur qui vient tout de suite
après moi, Anne-Lise, parce que justement,
pendant la séparation avec Maman et les autres
frères et sœurs, c’était juste moi puis
elle avec Papa. Donc il y a comme un petit
côté comme peut-être maternel de ma part
envers elle. Puis en même temps on est très
complémentaires d’une certaine façon,
des fois elle va dire quelque chose puis je
vais la compléter, des fois je pense quelque
chose puis elle me complète. Il y a quelque
chose qui s’est créé là pendant cette
période, je ne peux pas expliquer c’est
quoi, mais c’est une bonne relation, je
dirai. dirai. S.I.:: Est-ce que vous pensez
que ça a toujours été le cas, depuis que
vous êtes jeune, ou c’est justement à
cause de cette période où c’est seulement
vous deux avec votre père qui étaient ensemble,
séparés des autres frères et sœurs? En
fait c’est plus pour un peu que vous nous
parliez de votre enfance, où est-ce que vous
avez grandi, donc comment vous avez grandi
avec vos frères et sœurs? [00:06:57] A.M.::
Si je parle de mon enfance, je suis née au
Burundi en 1982, et quand j’étais petite,
on est partis au Rwanda. Papa travaillait
au Burundi, donc il a eu une promotion au
Rwanda, il est parti travailler au Rwanda,
j’avais un an quand on est arrivés au Rwanda.
Et je n’ai pas beaucoup de souvenirs quand
j’étais plus jeune, parce que je pense
que j’étais encore trop jeune, je vais
pas mentir. Le seul souvenir que j’ai du
Rwanda, bien entendu je jouais avec des voisins,
des amis, des enfants et tout, les odeurs,
les clôtures des maisons, les couleurs des
portes, des choses comme ça. Et à sept ans,
j’ai pu commencer l’école première année.
À sept ans, je me souviens du chemin qu’on
faisait pour aller à l’école; je me souviens
de mon professeur qui était très sévère,
vieux, vieux, vieux, mais il était très,
très sévère. Et j’ai vraiment très peu
de souvenirs du Rwanda, parce que j’ai quitté
à huit ans le Rwanda pour retourner au Burundi.
[00:08:01] Sinon, mon enfance, je peux dire
que c’était comme les autres enfants amp;nbsp;:
beaucoup de jouets… la plupart des souvenirs
je les ai du Burundi, pas nécessairement
du Rwanda. S.I.:: Pouvez-vous me parler de
vos souvenirs justement au Burundi, donc je
suppose que c’est après être revenu du
Rwanda que vous avez le plus de souvenir du
Burundi. Donc, pouvez-vous me parler de vous,
de vos études, de… A.M.:: O.K. Lorsque
je suis arrivé au Burundi, bon, comme je
vous ai dit j’étais au Rwanda, j’ai fait
la première année. Pendant les vacances,
ma mère m’a envoyé au Burundi pour rejoindre
ma petite sœur, qui tais partie un an avant
dans un mariage de ma tante, et qui était
restée, parce qu’elle n’allait pas à
l’école encore. Donc, au Burundi il y avait
les deux petites sœurs de ma maman et sa
maman. Donc mes tantes et ma grand-mère,
qui habitaient au Burundi. Et du côté de
Papa il y avait ses deux tantes, c’est des
sœurs, donc les «shangazi», comme on les
appelle, les deux tantes de Papa. J’étais
au Burundi, donc on avait quand même une
partie de la famille qui était au Burundi.
[00:09:03] Lorsque j’ai quitté le Rwanda
à sept ans et que je suis arrivée au Burundi,
j’ai… Ben, chez les grand-mamans, on est
tellement gâté que… c’était vraiment
comme… le temps passait vite. [00:09:16]
Il y avait beaucoup d’activités, beaucoup
de petites gâteries. J’étais la chouchou
de mes grands-mamans, je me souviens très,
très bien. Et en même temps c’était comme
une réunion avec ma petite sœur parce que
ça faisait longtemps que je ne l’avais
pas vue, et puis vu que nous deux on n’allait
pas à l’école… Moi ça faisait juste
un an que j’allais à l’école, ça faisait
un an que je ne l’avais pas vu. Mes souvenirs
c’était nos jeux, nos activités; on passait
beaucoup de temps ensemble à la maison. Donc
c’était particulier de la rejoindre. En
fait, l’autre chose qui était peut-être
un petit peu difficile, c’est la séparation
des parents longtemps. Parce que je suis arrivée
au Burundi, je pense que c’était en ’90,
et il y avait des trucs qui commençaient
au Rwanda. Donc Papa nous a dit de rester
là-bas en attendant parce que ce n’était
pas très sécuritaire. [00:10:02] Il perdait
son travail, il y avait beaucoup de petites
menaces comme ça. Mais vu qu’on était
jeune on n’a pas compris ces choses-là.
On est restées là-bas, chez les deux tantes.
[00:10:11] Puis la séparation, de ne pas
comprendre pourquoi tes parents sont loin
peut-être qui m’a marqué un petit peu,
mais j’avais toujours hâte de retrouver
mes parents. Puis ça passait tellement vite
que je… C’était long mais vite dans le
sens que j’étais un enfant, c’était
différent, j’étais gâtée mais je n’étais
pas avec Maman et Papa. Donc moi puis ma sœur,
automatiquement, on a commencé à se souder
pour être plus fortes, pour s’encourager
et tout ça. Heureusement, mes tantes avaient
des enfants. Il y a justement celle qui s’était
mariée pendant que ma petite sœur était
partie, la tante Gorette, qui avait un petit
garçon, [Amand?], et sa grande sœur qui
avait deux filles de l’âge de ma petite
sœur. Donc, automatiquement, je devenais
une grande sœur de ces trois petites filles
puis un petit cousin. C’était quand même
une bonne harmonie, beaucoup d’enfants dans
une petite maison. J’ai commencé l’école.
[00:11:15] J’allais à une école à Cibitoke,
ça s’appelait Cibitoke, quartier Cibitoke,
j’ai fait deuxième à cinquième année.
J’allais pas à la même école que ma sœur
parce que ma sœur, elle, elle… vu qu’elle
était plus jeune on ne voulait pas l’amener
dans une école plus loin de la maison. Elle
allait à Libre, où est-ce que ma tante enseignait.
Donc j’étais comme plus… [inaudible,
un petit suivi?]. Puis les deux filles de
ma tante aussi allaient à cette école-là.
Donc… Les souvenirs de l’école, bon.
Là j’étais jeune, les enfants sont insouciants.
Je jouais, je m’amusais, c’était vraiment
agréable. Je pense que je n’ai pas de traumatisme
de quand j’étais jeune comme tel. À part
un moment donné, ma tante est venue enseigner
à mon école… les deux sœurs de ma mère
étaient enseignantes, entre parenthèses
[sourire]. Doc la plus jeune, qui avait un
petit garçon, est venue enseigner à mon
école, et en cinquième année est devenue
ma professeure. Je me suis vraiment fait niaiser
par les étudiants. Elle n’était vraiment
pas sévère, elle n’avait pas de leadership,
fait que les jeunes la niaisaient beaucoup.
[00:12:18] Donc moi je m’amusais avec ça,
j’ajoutais un petit peu pour la donner un
peu du fil à retordre, puis je me souviens
qu’elle était tellement douce que les jeunes
l’adoraient, en même temps, genre les étudiants
qui disent ‘’Madame, est-ce que je peux
t’amener ta mallette jusqu’à la maison?’’.
Il y avait toujours des petites filles, des
petits garçons qui l’aimaient beaucoup,
qui prenaient les mallettes de correction
jusqu’à la maison pour la raccompagner.
Puis ce qui me revient à l’esprit lorsque
je pense à cette période-là c’est que
pendant la récréation, on jouait dehors
puis elle, elle m’appelait dans le bureau
des professeurs. Elle me donnait du yogourt,
ikivuguto. J’étais jeune, je bois, je bois,
je bois, avec les amandazi, les beignets,
et je retournais dehors entrain de mâchouiller,
puis là les enfants voient que je venais
de manger dans le bureau des professeurs.
Et là je me faisais tabasser un peu, c’était
comme, ils rigolaient, ils me bousculaient.
Puis des fois j’essayais d’en sortir quelques-uns
pour donner à mes amis, mais elle me dit
‘’Non, essuies-toi la bouche, tu n’as
pas le droit’’. [00:13:20] C’est comme
un petit peu du favoritisme mais c’est ma
tante, mais ça je sais que les enfants ont…
mes amis n’aimaient pas ça du tout. Puis
moi j’étais comme innocente, je sortais
avec la trace de lait [rires] puis… Je me
suis un peu fait niaiser pendant cette période-là.
C’était la cinquième année, j’étais
quand même assez grande, mais c’est…
gâtée, pourrie et tout… on ne remarquait
pas que ça pouvait affecter les autres qui
étaient moins nantis que nous. Sinon, c’est
le rôle de grande sœur qui me revient souvent
dans cette période-là. Rendue à la maison,
là c’était plus la princesse, c’était
comme O.K., on supervise, on aide un petit
peu grand-maman, on aide les deux tantes avec
les autres enfants. Donc j’ai développé
tout de suite un sens de protectrice envers
les plus jeunes que moi à cette période-là.
Et du moment où est-ce que ça me tentais
pas, j’avais envie de faire l’enfant puis,
j’étais la grande sœur, je me faisais
rappeler à l’ordre. C’est juste que,
ce n’était pas quelque chose de sévère,
à ce moment-là j’étais comme ‘’Je
veux ma maman!’’. [00:14:22] Maman n’était
pas là. C’était une période un peu difficile
mais qui m’a permis d’être qui je suis
en ce moment, parce que jusqu’à maintenant
c’est comme… je les considère comme mes
petites sœurs, pas mes petites cousines.
Et avec ma sœur c’est comme… ça a fortifié
les liens d’une certaine façon. S.I.::O.K.
Donc c’était les trois ans dont vous nous
parliez que vous avez passé seulement avec
votre sœur, et vous avez dit avec votre père
aussi? A.M.:: Mon papa est venu après, peu
après. S.I.::O.K. Est-ce que vos frères
et sœurs aussi sont venus vous rejoindre?
Ou ils sont restés au Rwanda? A.M.:: En fait,
vu que moi je suis venue au Burundi rejoindre
m sœur et mes tantes et mes grands-parents,
mon grand frère et ma grande sœur, ils étaient
au Rwanda, à l’école, avec mes deux parents.
Et il y a ma maman qui venait d’avoir un
cinquième enfant, la petite Nelly. Et c’est
sûr que les parents n’allaient pas venir
parce que leurs vies étaient au Rwanda. Nous,
on était comme en vacances, mais vu que ça
n’allait pas très bien, mon père voulait
qu’on reste là-bas. [00:15:27] Je pense
qu’en ’92 ça s’est vraiment aggravé,
surtout dans notre secteur où est-ce qu’on
habitait. Il y avait des gens qui menaçaient
Papa, des choses comme ça. Il avait même
été emprisonné une fois, ça a duré comme
24 heures. Quand même, c’était assez pour
que Papa commence à vouloir protéger la
famille et tout. Ils ont attaqué des maisons,
ils ont brûlé des maisons dans mon quartier
où est-ce que j’habitais, c’était…
On dirait que j’ai une bonne mémoire…
On habitait au Rwanda dans le coin, c’était
Kicukiro? Je suis pas sûre, ouais, c’était
Kicukiro où est-ce qu’on habitait. Je me
souviens, c’était pas loin d’un cimetière,
donc il y avait des gens qui se cachaient
dans le cimetière pendant la nuit, puis ils
attaquaient des maisons pendant que les gens
dormaient. Tu sais c’était quand même
assez dangereux, puis mon père était…
c’était très clair qu’il faisait partie
des gens qui étaient recherchés pour se
faire tuer pendant cette période-là de temps.
Donc en ’92, lorsque…avec le recul je
me dis ‘'Mais c’était quand même assez
tôt ‘92’’. [00:16:32] Mais il y avait
des choses qui se passaient. Et qu’est ce
qui s’est passé c’est que Papa… Il
y avait le grand-frère de Maman qui habitait
ici au Canada depuis déjà quelques années,
ça faisait au-delà de cinq ans qu’il était
ici, qui a fait tout son possible pour faire
venir ici Maman avec les enfants, pour, justement,
éviter des violences éventuelles. Donc Maman
elle est venue avec les enfants, elle est
arrivée ici en février ’92. Et là Papa
a trouvé des moyens pour nous rejoindre au
Burundi pour venir ici. Donc cette période-là
de ’90 à ’95… en fait on était séparés
avec Maman pendant cinq ans, mais de ’92
à ’95, c’est là qu’on était avec
Papa, dans cette période-là. Puis Maman
était ici. S.I.:: O.K. donc après votre
cinquième année vous avez passé vos deux
autres années au Burundi avec votre père
et votre sœur, et ensuite vous êtes venus
ici? [00:17:33] A.M.:: C’était un peu plus
compliqué que ça, parce que quand Papa est
arrivé, il est arrivé chez nos deux tantes
qui avaient des enfants les plus jeunes, et
lui, il était dans le processus de nous faire
venir au Canada pour rejoindre Maman. [00:17:46]
Mais c’était plus compliqué, je ne sais
pas, les papiers ou quoi que ce soit, parce
qu’au Burundi c’était sécuritaire mais
pas au Rwanda. Pourtant au Burundi aussi on
vivait des périodes très, très, très difficiles,
surtout les Rwandais immigrants. On se faisait
aussi rejeter au Burundi, surtout à l’école.
Et Papa… en faisant la demande, on lui a
proposé d’aller au Kenya pour accélérer
le processus. Donc on s’est séparé de
nos deux tantes, mais il y a une tante qui
est venue avec nous. On est parti au Kenya,
et au Kenya on a passé à peu près un an
et demi avec Papa, moi puis ma petite sœur,
et ma tante et son petit garçon. On a passé
du temps au Kenya, un an et demi, toujours
nos valises prêtes parce qu’on pouvait
partir n’importe quand au Canada. Donc c’était
vraiment une période particulière et, après
trois mois, Papa a dit ‘’Ben, écoute,
on ne va pas rester là entrain de rien faire,
vous allez aller à l’école’’. Fait
que là on est allés à l’école pendant
un an au Kenya. Je me souviens en fait un
an d’école, donc nouvelle langue, nouveaux
amis, nouvelle nourriture, tralala. [00:18:50]
C’était un petit peu difficile, mais quand
on est enfant, je pense qu’on s’adapte
rapidement. S.I.:: Est-ce que vous qualifiez
ça comme une période qui a été quand même
difficile pour vous? Ou donc un peu comme
c’était une période où vous ne pouviez
pas vraiment vous installer parce que vous
pouviez partir à n’importe quel moment…
En plus vous êtes séparés d’une partie
de votre famille, et en plus il faut s’adapter
à un nouveau pays? pays?. A.M.:: Je pense
que c’est avec le recul que tu réalises
que c’est difficile. Dans le moment… c’est
très particulier hein, tu sais. Je ne sais
pas comment je peux exprimer ça, dans le
sens que… Au Burundi, on avait une Bonne
qui faisait un petit peu tout, qui nous aidait
à organiser. Mais ma grand-mère, des fois,
la donnait congé pour qu’on fasse nous-même
notre lit, nos ménages, et tout ça. Donc,
au Burundi on était très gâtés donc on
était… Mais il y a des moments où est-ce
qu’on faisait des trucs. Au Kenya, il n’y
a pas de Bonne, fait que, automatiquement,
tu dois faire des choses et tout. [00:19:53]
Papa et ma tante ils étaient occupés en
train d’essayer de trouver des papiers,
puis remplir, faire des entrevues et tout
ça, tout ça. Fait que moi je me suis encore
retrouvée grande sœur mais cette fois-ci,
c’est nous qui faisions tout là. On cuisinait,
on lavait nos linges, on marchait pour aller
à l’école. C’était [le dynamisme?]
mais… C’était plus difficile au Kenya
qu’au Burundi mais, encore une fois, on
apprend à travers cette situation-là. Je
me souviens encore quand j’étais au Kenya,
ma petite sœur elle avait… c’était en
quoi, c’était en ’93 à peu près. On
allait à l’école, et déjà nous vu qu’on
était en voie de venir au Canada, je me souviens
à l’école tout le monde avait les cheveux
rasés, même les filles, même les professeurs.
Les cheveux courts, les cheveux très, très
courts. Et nous, Papa avait demandé s’il
pouvait nous laisser avec les tresses, puisqu’on
venait éventuellement au Canada, pour éviter
que ça soit éventuellement un choc pour
nous. [00:20:57] Au Burundi on tressait les
cheveux, mais pas au Kenya, parce que cette
école-là, c’était une école plus privée
et plus stricte, donc tout le monde avait
des têtes rasées à part nous. Fait qu’on
était devenues les risées des amis, ‘’Ah
les immigrantes’’, tralala tralala. Puis
on se faisait des petites tresses tellement
petites, tellement couchées que ça avait
l’air comme si on n’avait pas de cheveux,
mais c’était des petites tresses couchées.
Mais n’empêche, ça avait une couette [rires],
fait qu’on se faisait tirer les couettes
dans la classe, des choses comme ça. Et je
me souviens que ma sœur était tellement
paresseuse, mais elle était aussi jeune.
Mais tellement paresseuse. On devait quitter
plus tôt pour aller à l’école, donc des
fois je me réveillais, je la débarbouillais,
et là je la mettais sur mos dos puis on partait
à l’école, parce que j’avais peur d’arriver
en retard, parce qu’on nous frappait à
cette école-là. On nous frappait quand on
arrivait en retard, des choses comme ça.
Fait que là je disais ‘’Non, non, moi
je ne mange pas de bâton aujourd’hui là’’.
Je préférais mieux la porter sur mon dos,
puis on courait, on allait à l’école,
on arrivait, je la déposais dans sa classe,
puis moi j’arrivais dans ma classe. C’était…
Avec le recul j’en ris parce que c’est
tellement drôle de voir cette image-là.
[00:21:59] C’était un an et demie mais
c’était intense, c’était particulier.
Et je me souviens aussi des petits trucs au
Kenya, des amis. Mais toute ces choses-là
que j’ai raconté depuis l’enfance, c’était
autant dans la communauté que dans l’église.
Donc il y a aussi quelque chose qui nous permettait
d’avoir la foi, d’avoir la confiance,
de se dire bientôt ça va finir, on va rejoindre
Maman, ou ça va aller. Donc on avait toujours
cette foi-là, on avait confiance. S.I.::
Est-ce que votre père était aussi pasteur
au Rwanda? A.M.:: Oui, oui. S.I.:: Est-ce
que quand vous êtes allés au Kenya est ce
qu’il a pu être pasteur? A.M.:: Il a pas
été pasteur au Kenya, mais il était très
actif à l’église, donc il était comme
un, comme je peux dire ça… un officier
de l’église, on appelle ça un officier
de l’église. Donc il participait dans beaucoup
d’activités, dans les prières, dans les…
il était responsable des réunions de prière,
des choses comme ça. Donc ce qui fait qu’on
a quand même continué à rester dans l’église,
grandir dans l’église, dans la chorale,
des choses de la chorale. [00:23:08] Je me
souviens que des fois la chorale venait chez
nous répéter. [00:23:10] C’est tellement
beau…c’est dans une langue que je ne comprenais
pas parce que c’était dans leur langue
maternelle, au Kenya. Mais j’ai encore comme
des petits bouts de chansons qui me viennent
à l’esprit. Je les chante, mais je ne sais
pas ce que ça veut dire en kikuyu. Mais je
pense que c’est l’église vraiment à
cette période-là qui nous a permis d’avoir
la foi que bientôt on allait rejoindre Maman,
et tout ça. S.I.:: Est-ce que c’est votre
père qui était dans la chorale? Ou c’est
vous qui étiez dans la chorale? A.M.:: Mon
père était dans la chorale, mais vu qu’on
était toujours dans la maison avec eux, on
a fini par joindre la chorale malgré nous
[rires]. Sans savoir comment, on connaissait
de petites chansons, on nous a dit ‘’Mais
est-ce que vous voulez faire un solo?’’
On avait des petites voix, fait que des fois
on faisait des petits solos à l’église.
Fait que tranquillement, moi je commençais
à aimer le chant, je commençais à aimer
chanter et tout. Et ça a dure pas longtemps,
mais quand même je peux pas dire qu’on
faisait partie de la chorale, mais ils nous
donnaient une place dans la chorale. On pouvait
peut-être performer trois fois par années,
mais quand même, on pratiquait toujours avec
eux. [00:24:12] S.I.:: Donc avec un père
qui était pasteur, je comprends que la religion
avait une grande place dans votre vie. Comment
est-ce que vous diriez que ça a influencé
votre vie, et aussi vous en tant que personne
que vous êtes devenue? devenue?. A.M.:: La
religion ça m’a beaucoup… ça m’a influencé
positivement, ben, j’avais la foi, j’ai
grandi dans une religion adventiste, je suis
adventiste du septième jour, on prie le samedi.
On respecte un petit peu comme, si je peux
me permettre, les Juifs. De vendredi soir
au coucher du soleil à samedi soir au coucher
du soleil on est supposé d’être dans le
Sabbat, donc automatiquement, c’était vraiment
une journée de repos total. Donc on ne faisait
pas de télé, pas de ménage, c’était
vraiment un moment où on pouvait lire, rigoler.
Justement la chorale venait dans cette période-là,
donc on chante, on rend gloire à Dieu, et
tout ça. Vu que Papa ne nous a jamais forcés
à aller à l’église, c’était comme
naturel, c’était comme une nationalité
pour moi. [00:25:13] Comment je peux dire
ça? C’est comme inné. Je ne peux pas dire
que je suis devenue chrétienne, je suis née
là-dedans, et je m’identifie comme chrétienne.
Et c’est des valeurs vraiment importantes,
personnellement je roule sur ces valeurs-là.
Le respect, la patience, l’amour, l’aide
à l’autre, le service, et tout ça. Des
choses qui me motivent moi en tant que personne
présentement parce que c’est des choses
que j’ai vues, puisque j’ai vécu avec,
et je pense qui me permettent d’être qui
je suis d'un certain sens. D’ailleurs, je
pense que si on n’avait pas eu la religion,
ça aurait été très, très difficile pour
nous les enfants de ne pas comprendre pourquoi
on n’est pas avec Maman, de ne pas comprendre
pourquoi… plein de petites injustices quand
on est enfant, il y a du favoritisme qui se
passe aussi quand on est plus jeune. Des fois,
ma tante qui est trop occupée pour te donner
un câlin, tu sais, de petites frustrations
des enfants. Mais je pense que ça nous a
aidés beaucoup à traverser cette période-là.
[00:26:15] On n’était pas les petites filles
qui priaient chaque soir en disant ‘’Oh
merci Seigneur!’’, on avait une foi un
peu… On croyait en Dieu, on savait que tout
allait bien. Même si quelque chose nous faisait
mal, on disait que ça va aller, je pense
que ça va aller. On se donnait le courage
comme ça mais ce n’était pas forcé, c’était
pas quelque chose qu’on s’obligeait à
faire. Et l’autre chose qui est particulière,
c’est que lorsqu’on était au Burundi,
les deux tantes étaient catholiques. Fait
qu’ils nous emmenaient à l’église le
dimanche, puis le côté de Papa, qui était
adventiste, on allait à l’église samedi.
Fait que nos fins de semaine c’était à
l’église. Et on a pu comparer les deux,
avoir une certaine ouverture d’esprit envers
d’autres religions aussi. Parce que je me
souviens, la deuxième fois que j’ai été
à l’église catholique, je voyais qu’eux
autres ils recevaient l’hostie à chaque
dimanche. Je me disais ‘’Mais nous on
le fait une fois par trois mois, tu ne gaspilles
pas le corps du Christ!’’. En même temps
je posais des questions, puis je comprenais.
Puis là, un moment donné elle m’a dit
‘’Mais, si tu veux aller, tu peux en prendre’’.
Puis, j’ai été en prendre, j’ai dit
‘’Mais le vôtre ne goûte rien!’’.
[00:27:16] Enfants, on faisait des petites
comparaisons comme ça, et ça m’a permis
quand même de grandir dans une religion malgré
une période difficile. Puis, avec le recul
maintenant, je trouve que c’est une des
choses qui nous a aidés à rester fortes.
S.I.::Et là si on revient sur votre parcours,
dont vous étiez rendue que quand vous étiez
au Kenya, vous alliez à l’école, donc
par la suite, qu’est-ce qui s’est passé?
A.M.:: Au Kenya après l’école ou…? S.I.::
Oui, je veux dire que vous avez passé un
an et demi au Kenya, donc ensuite vous avez
quitté le Kenya pour aller où? A.M.:: On
a quitté le Kenya pour venir ici parce qu’effectivement
c’était… le processus a été plus accéléré
parce que Papa faisait les démarches depuis
le Rwanda, ensuite au Burundi pendant un an,
ensuite au Kenya pendant un an. Donc au Kenya
ça a vraiment débloqué, on a pu traverser
l’Afrique vers l’Amérique, si je peux
me permettre, et on est arrivés en ’95.
[00:28:24] Mars ’95, je me souviens très
bien. Il faisait tellement froid. Mais le
Kenya a passé très vite parce que les adultes
travaillaient, les enfants on rentrait à
la maison tard, fait que les moments de jouer
c’était plus les fins de semaine, après
les messes, après les églises et tout, puis
au Kenya on allait juste à l’église adventiste,
parce que les tantes et les grand-mères n’étaient
pas là. Au Kenya, j’ai appris le swahili
là-bas, l’anglais, entre autres, je l’ai
appris là-bas. S.I.:: Donc, juste pour clarifier,
votre mère, avec vos autres frères et sœurs,
ont quitté le Rwanda avant ’94. A.M.::
Oui. S.I.:: Et votre père était au Burundi
en ’94. A.M.:: Oui. Il était au Burundi
en ’94. S.I.:: O.K. Il n’était pas au
Rwanda. A.M.:: Il n’était pas au Rwanda,
mais au Kenya on est arrivés en mi-’93.
[00:29:25] S.I.:: donc vous étiez au Kenya.
A.M.:: On était au Kenya. S.I.:: Et donc,
si on parle de votre arrivée au Canada maintenant,
quelles étaient vos impressions justement
quand vous dites que vous êtes passés de
l’Afrique à l’Amérique, comment ça
vous a… comment vous avez trouvé ça? ça?.
A.M.:: Quand on était en Afrique, les gens
qui te parlent du Canada, ça a tellement
l’air beau et tout. Ma mère me disait ‘’Oh,
le lait c’est gratuit’’. Mes petits
frères et mes petites sœurs… mon grand
frère et ma grande sœur me disaient ‘’Oh,
t’ouvres un robinet, il y a du lait, t’ouvres
un autre robinet il y a de l’eau, il y a
des soldats partout!’’. Donc on était
dans un monde un peu irréel quoi. Puis ils
en mettaient là, ils en mettaient à un point
que nous on croyait que c’était le paradis,
quoi. Mais je pense que mon grand-frère faisait
exprès pour nous faire hâter puis tout ça,
parce qu’il a toujours été humoriste mon
grand frère, il avait toujours un petit sens
de l’humour, vraiment… Depuis qu’il
était jeune, il disait des choses assez flyées,
merci. [00:30:34] Mais quand on est arrivée
au Canada en ’95, papa nous avait fait toutes
jolies toutes poupounes, des petits lulus,
des petites robes, de petites sandales. Fait
qu’on arrive à l’aéroport, heureusement
l’avion avait atterri super loin il y a
eu une navette qui est venue nous chercher.
Dans la navette je vois des gens qui sortent
leurs manteaux, et tout ça, et qui sortent
leurs foulards. Nous on est là, dans la navette
on gèle, t’sais! Et la navette a roulé
pendant dix minutes d’où est-ce que l’avion
était jusqu’à l’aéroport, t’sais
où est-ce qu’on doit sortir dans la navette.
Encore une fois, heureusement c’était comme
un tunnel, tu ne voyais pas dehors, tu ne
sens pas vraiment le froid, mais on sentait
que c’était frileux. Et, on a traversé
de la navette à l’intérieur, Maman était
en haut, elle nous regardait, elle disait
‘’Oh mon Dieu, ils vont mourir’’.
Elle avait plein de manteaux avec elle, et
moi j’étais comme… Et là, on arrive,
plein de monde qui viennent nous voir, les
amis de Maman avec des pommes, avec des poires,
avec des ci, tous les fruits du Canada, c’est
correct. [00:31:44] On goûte nos fruits,
Maman nous donne nos manteaux, on dit ‘’Non,
non, non’’ parce qu’on était tellement
excités, tellement comme… on ne savait
même plus c’était quoi l’émotion, ça
faisait trois ans qu’on n’avait pas vu
Maman, Maman est rendue toute costaude, toute
grosse, elle était toute mince avant. Elle
était rendue aux cheveux longs, j’étais
comme ‘’Ce n’est pas ma mère ça’’
[Rires]. Fait que t’sais, on était comme
plus concentrés sur les retrouvailles que
sur les manteaux. Donc là on sort de l’aéroport
et là, le premier petit vent là, j’étais
comme ‘’C’est quoi ce pays-là, c’est
quoi cette affaire-là? Est-ce qu’on est
dans le frigo? Mais il me semble qu’il faisait
froid mais là, qu’est ce qui s’est passé
en peu de temps?’’. Mais c’est vraiment
directement dans les os là, surtout quand
tu viens du soleil, là, c’est vraiment
dans les os. Et je me souviens que ma mère
faisait tout pour nous couvrir pour nous protéger,
et mon père était comme ‘’Ah chérie…’’.
T’sais, on était comme vraiment dans un
autre monde, puis tout le monde autour de
nous nous couvrait, puis nous, on était comme…
Mais cinq minutes après, crois-moi, on grelotait
puis si on n’avait pas fait attention on
se serait retrouvés à l’hôpital, dans
le sens que c’était très froid. Il n’y
avait pas de neige, je pense qu’il faisait
six degrés, mais c’était agressif. [00:32:49]
C'était très agressif comme accueil. Mais
après ça, on s’intégrait très tranquillement.
S.I.:: Et, c'était comment les retrouvailles,
bon je comprends donc à l'aéroport, mais
par la suite dans les jours qui ont suivi,
premièrement avec votre famille, mais aussi
la découverte d'un nouveau pays? A.M.:: C'était,
c'était... parce que ma mère est arrivée
ici en ' 95 avec mon grand frère, ma grande
sœur, mon petit frère, ma petite sœur.
Donc, quand elle a quitté le Rwanda elle
était enceinte de mon petit frère, David,
qui est né ici. Elle est arrivée en février,
et mon petit frère est né au mois de mai.
Fait qu'elle avait quand même une grossesse
assez avancée. Fait qu'on est arrivés ici,
notre petit frère avait 3 ans. On ne l'avait
pas vu. Quand on est arrivé ici, c'était
vraiment gâter le petit frère, je me souviens,
il était tout petit, tout dodu. On ne le
lâchait pas. [00:33:51] C'était vraiment
comme récupérer tout le temps perdu à ce
nouveau-né. On ne le laissait pas. Il avait
3 ans, mais pour nous c'était un bébé.
On se l’arrachait, c'était chacun son tour.
Et mon grand frère qui voulait absolument
nous montrer toute la ville le même jour,
on était épuisé. Ma sœur qui nous expliquait
chaque petit détail de la maison "Ça c'est
une brosse à dent", on sait. Mais c'était
comme... ils avaient tellement hâte de nous
revoir qu'ils voulaient comme nous intégrer
tout de suite dans la même journée. Nous
on était épuisés, on était dépassés,
c'était une grande maison, c'était ci, c'était
ça. On est vraiment restés comme [mine impressionnée],
tout ce qu’ils nous montraient c’était
comme ‘’Wow, wow’’, pendant deux jours
on était dans le ‘’Wow’’. Et c’était,
il y a des choses des fois que tu n’as pas
de mots pour décrire parce que… tu suis.
On t’amène là, tu y vas et tu regardes.
On t’amène là, tu y vas et tu regardes.
Tu suis où est-ce que les gens te dirigent.
On a fait deux mois avec Papa à la maison
parce que les autres travaillaient, allaient
à l’école et tout. [00:34:55] Même plus
que ça, parce qu’on est arrivés au mois
de mars, on a commencé l’école au mois
de mai. On a commencé l’école au mois
de mai, en accueil, parce qu’on avait perdu
le français. On parlait maintenant anglais
et swahili, avec un petit peu la langue maternelle.
Et on a été en accueil, moi puis ma petite
sœur Anne-Lise, on était dans la même classe.
Donc c’est particulier entre autres notre
relation moi puis ma petite sœur parce qu’on
a toujours presque été dans la même classe,
plus ou moins. En accueil on était dans la
même classe, même prof. Et on a appris le
français, ça nous a pris sept mois avant
que notre français revienne. Et après ça,
c’est le train-train quotidien, moi j’ai
commencé… je suis rentrée en sixième
année, elle est rentrée en cinquième année.
On a toujours été dans les mêmes écoles,
on avait plus ou moins les mêmes professeurs,
parce que c’était presque la même année.
J’étais un an avant elle, mais c’était
les mêmes professeurs, des fois on avait
les mêmes matières carrément. [00:35:58]
Fait qu’on s’entraidait donc… S.I.::
Fait qu’à l’arrivée au Canada vous êtes
venus tout de suite habiter à Montréal?
A.M.:: Oui. S.I.:: Parce que c’est là que
votre famille était. A.M.:: Oui. S.I.:: Et
vous êtes restés à Montréal jusqu’à
maintenant, ou un moment donné… A.M.::
On est toujours resté à Montréal jusqu’à
maintenant. Avant on habitait à St-Léonard,
on est arrivés à St-Léonard, on s’est
installés là-bas. Il y a à peu près six
ans, on a déménagé. Depuis ’95 à 2000
je crois, on était à St-Léonard ; lorsqu’on
est arrivés, on est restés dans la même
maison. Et après 2000 on a déménagé maintenant
dans une autre ville. Ben, un autre quartier
plutôt je devrais dire, de Montréal, Parc-Extension.
Et on vieillit, on grandit, on se sépare,
ça va très, très vite. Mais on est toujours
restés à Montréal. S.I.:: Donc si je comprends
bien, quand vous êtes arrivés ici à Montréal,
donc après quelques mois d’adaptation,
vous avez commencé les études. [00:37:01]
Est-ce qu’on peut dire que votre occupation
principale après c’était l’étude? Est-ce
que vous pouvez nous parler un peu de ça?
A.M.:: Oui, bien sûr, j’étais jeune, puis
l’occupation c’était plus les études.
En accueil, à l’école secondaire. Moi
je me souviens que j’ai voulu travailler
plus jeune, parce qu’il y a un ami à moi
qui travaillait, fait qu’il m’a fait rentrer
dans sa job. Ma mère n’était pas tout
à fait d’accord avec ça, parce que ‘’T’es
faite pour aller à l’école, tu n’as
pas encore l’âge pour travailler’’,
mais moi c’était comme juste le trip de
faire comme mon ami. J’ai commencé à travailler
à 17 ans. Non, à 16 ans, j’étais en secondaire
cinq. Non, j’étais en secondaire quatre.
Puis je me disais, je me préparais pour mon
prom, mon bal de finissant. Donc c’est une
des motivations, je travaillais pour mon prom
[bal de finissant], je le voyais tellement
grand, tellement gros. Et j’ai commencé
à travailler à 16 ans. On s’intègre très
vite hein, à Montréal, surtout quand tu
as déjà des gens sur place qui vont t’aider.
[00:38:06] On s’est intégré très, très
rapidement. S.I.:: Je comprends que c’était
plus facile pour vous, surtout quand vous
êtes très jeune, est-ce que vos parents
ont trouvé ça aussi facile? Tantôt vous
avez dit que le frère de votre mère habitait
déjà à Montréal, donc je suppose que c’est
la raison pour laquelle vos parents ont choisi
la ville de Montréal? Donc est-ce que vous
trouvez que l’intégration a été aussi
facile pour vos parents? A.M.:: Je pense que,
pas aussi facile que nous les enfants, parce
que nous les enfants comme… on grandit dans
la société. Tu es vraiment, tu palpes toutes
les [inaudible] de la société et tu t’adaptes.
Les parents sont comme dans un autre monde.
Ils arrivent ici, ils ont comme le côté
professionnel, puis ils n’ont pas vécu
toutes les difficultés des études ici, puis
la recherche de travail et ainsi de suite.
Mon père c’était un petit peu difficile,
pourquoi? Parce qu’il avait cette habitude-là
d’aller visiter les gens en Afrique, parce
qu’il était pasteur. Ici à Montréal c’est
différent, le dynamisme est différent. [00:39:07]
On ne peut pas vraiment aller chez les gens
sans appeler, des choses comme ça. [00:39:11]
Donc il fallait qu’il calme un petit peu
ce côté-là. L’église, c’était des
Haïtiens, donc on ne comprenait pas vraiment
ce qu’ils disaient, la moitié des adventistes
ici à Montréal c’est des Haïtiens. Des
fois on allait à l’église et c’était
constamment en créole. Nous on chantait nos
chants dans notre langue, on lisait la Bible
dans notre langue. Au niveau de l’église,
c’était un challenge pour mon père. Parce
que mon père se disait ‘’Mais…on est
venus ici, mais il y a d’autres Rwandais
sûrement qui sont ici, là! On peut ouvrir
une église rwandaise et leur permettre de
louer et d’adorer et tout ça. Parce qu’ici
on ne comprendra rien’’. Parce que c’était
en français, mais le créole ressemble à
du français. Fait que, tranquillement on
a commencé à comprendre le créole, on a
commencé à parler créole. On a commencé
à manger créole et tout, à danser créole.
Et mon père, avec son idée, il a ouvert
une église qui était au début pour les
rwandais, mais il y a tellement d’amis haïtiens
qui sont venus nous aider que l’église
est devenue francophone et maintenant c’est
une église qui est francophone. [00:40:16]
On a même pas fait un mois en kinyarwanda,
on avait d’autres visiteurs, fait qu’on
a ouvert pour tout le monde. Côté professionnel
ça a été un peu plus difficile pour Papa
parce qu’il avait une bonne qualification
au Rwanda, il avait travaillé avec les plus
grosses compagnies, il avait travaillé dans
les plus grosses banques, les plus grosses
églises au Rwanda. Maintenant, rendu ici,
il fallait qu’il recommence l’école,
qu’il apprenne le français… Ben, il parlait
français, mais je veux dire ce n’était
pas pour s’exprimer à l’aise. Donc c’était
un peu plus difficile côté professionnel.
Il a fait des cours, il a voulu rester dans
le même domaine, ensuite il a voulu se lancer
en entreprise personnelle. Il a ouvert une
garderie avec Maman. Ils ont travaillé dedans
pendant quelques années mais c’était tellement
épuisant, c’était tellement gros que je
pense qu’ils ont arrêté quelques années
après, peut-être quatre ans après, mais
ça nous a quand même aussi… ça nous a
comme… ça faisait partie de notre jeunesse,
notre enfance ici… Pendant une période
qu’on allait à l’école, ils avaient
une garderie, mais ce n’était pas à la
maison, fait qu’on était toujours entourés
d’enfants, on aime les enfants chez nous.
[00:41:33] Ça fait un autre dynamisme. Puis
ils ont arrêté après ça. Papa a eu un
travail au niveau de la construction. Ils
se sont intégrés quand même, jusqu’à
maintenant je peux dire qu’ils ont quand
même réussis à s’intégrés un petit
peu dans leur domaine, mais ce n’était
pas facile. Ce n’était pas facile. Ils
ont commencé à zéro comme tous ceux qui
arrivent ici au Canada. S.I.:: Donc c’était
plus facile pour vous parce que vous étiez
jeune, mais est-ce que pour vous vous diriez
que tout s’est bien déroulé? Est-ce qu’il
y avait une période qui était peut-être
plus difficile pour vous? Aussi, il faut tenir
compte que c’était un nouveau pays, donc
avec peut-être des enfants qui ont une culture
différente… Est-ce qu’à un moment donné
vous avez trouvé ça difficile? A.M.:: C’est
sûr. C’est sûr qu’il y a des périodes
où est-ce que tu te demandes ce que tu fais
ici. Il y a des périodes où est-ce que…
surtout les enfants, on est très, très méchants
entre nous. Puis en accueil surtout, quand
on venait d’arriver, on parlait en anglais.
[00:42:39] On parlait très, très peu de
français, dans le sens que nos amis nous
disaient des choses et on ne comprenait rien,
ils étaient peut-être une petit peu plus
avancé que nous. Il y a un petit espagnol
qui m’appelait toujours ‘’Chocolate’’
[prononciation espagnole], et là je demande
à ses amis ‘’Pourquoi tu m’appelles
toujours chocolate’’? T’sais des petites
choses de racisme quand on est jeune, mais
ça ne m’a jamais comme affecté, parce
moi quand il m’a dit chocolate que j’ai
su que c’était en espagnol, j’ai été
demander à quelqu’un d’autre comment
est-ce que je pouvais répondre en espagnol.
Et là on m’a dit ‘’leche’’. Ça
veut dire le lait. Lui il m’appelait chocolat,
moi je l’appelais le lait. Donc à chaque
fois qu’il m’appelait chocolate moi je
l’appelais leche. Mais ce n’était pas
méchant, c’était juste pour dire ‘’Moi
aussi je comprends ta langue! Je peux m’exprimer
aussi!’’. Fait que c’est des petites
choses comme ça mais, encore une fois, le
parcours qu’on avait eu ça m’avait rendue
peut-être un petit peu plus forte pour ne
pas me laisser écraser par les autres. Et
puis, surtout, mes parents dénigraient les
autres. Ce n’était pas comme agressif,
mais c’était plus comme ‘’Je dois me
protéger, là. Ou ne dois pas laisser les
gens me blesser’’. Tu deviens comme un
petit adulte en toi. [00:43:42] Je comprenais
qu’il ne comprend pas qui je suis et je
ne voulais pas l’insulter parce que
la religion, on dit c’est méchant, ce n’est
pas gentil, et tout. Mais d’un autre côté,
je me disais ‘’Aussi longtemps qu’il
ne me frappe pas, je n’ai pas de problème
avec ça’’. Mais on a eu des petits moments
difficiles comme ça avec… quand on est
jeune, les enfants sont méchants. On se dit
des mots, des gros mots qui peuvent blesser
les autres enfants, mais c’est normal je
pense. Il n’y a rien qui m’a traumatisé
en arrivant ici, à part le froid. Mais maintenant
c’est mon meilleur ami, là. J’adore l’hiver.
Oui, oui, oui. J’adore l’hiver. Je ne
dirais pas que c’est ma saison préférée,
mais dans les deux saisons, c’est ma saison
préférée, l’hiver. S.I.:: O.K. Donc à
part justement les connaissances que vous
aviez fait déjà dans vos classes, et aussi
à part vos frères et sœurs, est-ce que
vous aviez des connaissances, d’autres rwandais
de votre âge, peut-être qui étaient là
justement après l’école, que vous voyiez
peut-être en fin de semaine. [00:44:44] Donc
avec qui c’était plus facile les relations
étant donné que c’était un peu plus la
même culture, donc qui vous a aidé à vous
adapter? adapter?. A.M.:: Oui, je sais que
ma grande sœur Jeannette elle faisait partie
d’un groupe de danse rwandaise. Mon grand-frère
Richard faisait partie d’un groupe de soccer.
Fait qu’on allait les encourager, donc on
a vu des Rwandais, on a grandi avec des rwandais
mais
on n’avait pas la culture rwandaise moi
puis ma petite sœur, dans le sens qu’on
avait grandi au Burundi et au Kenya. Donc,
moi je ne voulais pas trop m’intégrer dans
les Rwandais. Je ne sais pas pour quelle raison.
Je n’ai jamais compris pourquoi mais je
voulais juste comme observer ce qu’ils faisaient,
puis les aider, les encourager, mais je ne
voulais pas embarquer là-dedans. Je détestais
la danse rwandaise, personnellement je détestais
danser. Je trouvais ça beau, tellement magnifique,
mais moi je ne me sentais pas à l’aise
de faire cette danse-là. Et ma sœur qui
allait dans les pratiques et qu’on accompagnait,
qu’on voyait les amis, les jeunes et tout…
mon grand-frère qui allait au soccer, il
y avait beaucoup de fans et tout. Donc, on
a quand même côtoyé la communauté, et
moi c’est vraiment plus tard que j’ai
intégré la communauté, c’est à peu près
en 2000 que j’ai intégré la communauté,
que je me suis engagée au niveau de la communauté.
[00:45:58] Parce que j’ai vu un spectacle
qui m’a bouleversé, j’étais vraiment
touchée, j’étais comme ‘’Wow, on a
une belle culture! Oh c’est magnifique!’’.
Puis j’étais juste comme… je voulais
faire un petit peu du bien, je voulais comme
aider dans l’avancement de la culture et
je me suis intégrée. Depuis 2000 jusqu’à
présentement je peux dire que je suis plus
ou moins intégrée dans ma communauté ici
à Montréal. S.I.:: Donc par la suite vous
vous êtes fait des amis rwandais, maintenant
vous avez un grand cercle d’amis rwandais?
A.M.:: Oui, il n’y a pas de problème avec
ça. C’est toujours bien de socialiser dans
notre langue, de faire des jokes, des inside,
des choses comme ça. Et surtout de parler
de la culture, surtout de retrouver des choses
parce que comme je te dis, on n’a pas grandi
au Rwanda, fait que c’est comme quelque
chose qui nous manque de comprendre certaines
expressions sopecya, si je peux me permettre,
de comprendre certaines expressions ou certaines
périodes, certaines anecdotes de ceux qui
ont grandi au Rwanda. Ça nous manque un peu.
Nous c’était au Burundi, c’est sûr qu’il
y a d’autres réalités au Burundi qu'eux
autres n’ont pas connu, mais il y a aussi
des Rwandais ici qui ont grandi au Burundi
qu’on peut échanger certaines choses. [00:47:10]
Mais je trouve que ça a agrandi les horizons
dans la communauté, dans la culture, justement
pour combler un petit vide, peut-être, qui
nous manquait. Ben, personnellement. Je parle
pour moi, là, qui me manquait, parce que
je n’avais pas grandi au Rwanda. S.I.::
Justement, en parlant du fait que vous n’avez
pas grandi au Rwanda, donc la communauté
ça a fait un vide que vous sentez en vous,
est-ce que depuis que vous êtes venue ici,
êtes-vous retournée au Rwanda? A.M.:: Oui,
je suis retournée en 2007, et c’était
un voyage que ça faisait comme trois ans
que j’avais préparé. J’avais… Comme
j’avais dit au début de l’entrevue, au
Burundi il y avait deux tantes de Papa. Il
y en a une en particulier qui était comme
ma mère. C’était vraiment une sage, là.
Elle, peu importe les minutes que je passais
avec elle, elle me donnait toujours une leçon
de vie. C’était comme un mentor, c’était
comme une marraine. Je ne sais pas comment
dire ça. Elle me disait toujours ‘’Tu
vois, le partage c’est important. Tu vois,
quand tu vois quelqu’un qui n’a pas de
chaussures et que tu as une paire que tu n’utilises
pas, tu peux la donner’’. [00:48:14] T’sais,
elle m’avait inculqué des choses comme
ça, et pour moi étant loin d’elle, ne
pas avoir cette nourriture-là sur les valeurs
de la vie, ça me manquait beaucoup. Puis
je me disais ‘’Il faut que je retourne
au Rwanda coûte que coûte la voir, parce
que, t’sais, tu as toujours des grand-mères
‘’gâteau’’, qui te gâtent beaucoup.
Tu as des grand-mères sévères, tu as des
grands-parents sévères ou ‘’gâteau’’,
whatever. Mais il y a toujours une qui te
manque d’une façon particulière, surtout
les leçons de vie ou quoi que ce soit. Et
c’est grâce à elle que je suis devenue
très mature très jeune, à cause justement
de ces leçons de vie. Je ne m’intéressais
pas aux petites choses, ‘’Ah moi, j’ai
la plus belle robe’’, ou des choses comme
ça. Non, c’était vraiment comme ‘’Oh
mais j’ai une robe qui ne me fais plus,
tu la veux?’’. Puis je la donnais à une
amie. Puis des fois ma tante me disais ‘’Mais
c’est ta robe! Tu ne donnes pas tes affaires
aux autres!’’ Mais pour moi, c’était
comme ‘’Moi je n’en ai pas besoin, je
ne la porte plus, je ne l’aime plus ou elle
est plus petite’’ ou quoi que ce soit,
puis c’était des choses comme ça. C’était
comme vraiment des valeurs qu’elle m’a
transmises. [00:49:16] Donc, lorsque j’ai
été en 2007 au Rwanda, ça faisait trois
ans que je préparais mon voyage. Elle est
décédée en 2006. Malgré ça, je voulais
quand même aller au Rwanda pour lui rendre
un dernier hommage. C’était vraiment très
émouvant comme période, surtout que c’était
elle qui avait élevé mon père, qui avait
payé ses études. Elle aussi c’était comme
un homme. Elle s’était mariée, mais elle
n’avait jamais eu d’enfants. Fait que
tous les enfants de tout le monde, c’était
ses enfants. Même les enfants du quartier
c’était ses enfants. Elle avait une grande
générosité, elle était tellement proche
des gens, surtout les pauvres. C’était…
c’était vraiment une… en tout cas. Et
lorsque j’ai été au Rwanda… Bien entendu,
le Rwanda a beaucoup changé. Il y a des endroits
que je me souvenais, comme le chemin qu’on
faisait pour aller à l’école quand j’étais
en première année. [Inaudible], la petite
forêt. [00:50:19] Ce n’était pas vraiment
une petite forêt, c’était comme… Il
y avait plein d’arbres, les enfants traversaient
pour aller à l’école. On a passé par
là, c’était comme des souvenirs qui revenaient.
Des rues, des coins de rues, des ronds-points.
Des magasins qui étaient encore debout, malgré
que j’ai quitté en ’90 à peu près,
puis en 2007 il y avait des petits points
encore qui étaient là, puis je me retrouvais.
Des odeurs de nourriture qui tout d’un coup…
Il y a plein de choses qui se réveillaient
quand je suis retournée. J’ai vraiment
aimé l’expérience mais je n’ai jamais
eu la chance d’aller dire au revoir à ma
grand-mère sur le tombeau, parce que c’était
trop loin puis ça n’a pas abandonné, mais
j’y retournerai puis je vais aller là-bas
me recueillir sur… S.I.:: Donc vous avez
des plans d’y retourner, est-ce que vous
envisagez même que vous pouvez y retourner
de façon permanente? Est-ce que vous y pensez
parfois? [00:51:10] A.M.:: J’y pense beaucoup.
J’y pense beaucoup. Est-ce qu’y penser
ça veut dire le faire, non. Pas nécessairement.
Mais si je pouvais, j’irais au deux ans,
passer au moins un mois ou deux mois minimum.
Si je pouvais, j’irais passer tout l’été.
Si je pouvais, j’irais passer six mois.
Six je pouvais, j’irais passer un an. J’ai
comme quelque chose qui m’attire vers le
Rwanda, mais je me dis que dans la vie on
ne sait jamais. [00:51:41] Mais j’ai quand
même cette petite ouverture-là qu’éventuellement,
peut-être, je pourrais travailler là-bas
pour une période indéterminée, je pourrais
aller aider d’une certaine façon, contribuer
d’une certaine façon. [00:51:55] J’y
pense beaucoup. S.I.:: Est-ce que vous pensez
peut-être que la raison qui vous garde est
que votre famille est ici? S’il y avait
peut-être certains de votre famille qui étaient
au Rwanda, est-ce que vous pensez que dans
ce cas vous seriez déjà partie, ou vous
auriez des idées plus concrètes quant au
retour au Rwanda? A.M.:: Je n’en ai aucune
idée. Dans le sens que c’est sûr que je
suis vraiment chanceuse d’avoir toute ma
famille ici, d’ailleurs chaque jour je remercie
Dieu de nous avoir permis de… malgré les
séparations puis t’sais les questions,
et tout ça, on est encore en vie. On est
encore ensemble, mais on a aussi d’autres
personnes au Rwanda. Des deux grand-mères,
celle qui est décédée, sa petite sœur
est encore en vie. Elle est encore au Rwanda.
C’est quand même des gens que… Pendant
la période que j’étais au Burundi, mes
tantes du côté de ma mère et mes deux grand-mamans
du côté de mon père, je passais du temps
avec ces deux familles là, donc je la connais
très, très bien. Mon cœur est au Rwanda,
je ne sais pas pour quelle raison. J’ai
de la famille, mais pas très, très proche,
j’ai cette grand-mère-là, j’ai une cousine
que j’ai rencontré justement en 2007 que
j’ai vraiment appréciée, on a vraiment
cliqué. [00:53:04] On a vraiment beaucoup
cliqué. J’appelle au Rwanda une fois par
mois, facilement. Juste pour avoir des nouvelles
des gens, juste pour savoir comment ils vont,
si on peut faire quelque chose ici, des choses
comme ça, je garde des petits contacts au
Rwanda. Rwanda. S.I.:: Sinon, à part le Rwanda,
est-ce que vous pouvez vous imaginer habiter
à Montréal le reste de votre vie? A.M.::
[Sourire] Montréal, c’est chez moi. [00:53:28]
S.I.:: Donc on peut dire aussi que vous vous
êtes appropriée la ville? Est-ce que vous
pouvez dire que vous êtes plus chez vous
à Montréal qu’au Rwanda? Ou [inaudible]
au Rwanda il y a toujours ce vide en vous,
vous voulez connaître le Rwanda? Comment
est-ce que vous balancez ça, Montréal et
Rwanda? Rwanda?. [00:53:46] A.M.:: Ça c’est
une très bonne question que tu me poses,
je n’ai jamais vraiment pensé comme ça,
mais quand je me vois dans dix, vingt, trente,
quarante ans, je me vois à Montréal. J’ai
grandi à Montréal, j’ai connu mes premières
peines à Montréal, mes petits mauvais coups
à Montréal. Fait que les gens tous les gens
qui ont grandi en Afrique, ils ont connu toute
la période de l’internat en Afrique, tous
les petits mauvais coups, ils ont connu ça
au Rwanda ou en Afrique. Moi, j’ai connu
ça ici. Parce que mon adolescence… je suis
arrivée à 13 ans, fait que mon adolescence
je l’ai vécue à Montréal. Tous mes petits
mauvais coups, toutes mes petites peines,
mes ci, mes ça, mes références, c’est
vraiment à Montréal. Malgré que j’aie
des bons souvenirs en Afrique, mais pour moi,
Montréal, c’est chez moi. [00:54:32] Puis
je me sens très à l’aise à Montréal.
D’ailleurs, mes parents, il y a deux ans
ils ont déménagé. Ils n’habitent plus
à Montréal. Et je n’arrive pas à partir,
je n’arrive pas à vouloir aller m’installer
là-bas et tout. [00:54:44] Pas parce que
je ne veux pas, mais parce que… Même que
les circonstances ont fait que je n’ai pas
encore eu la chance d’aller les visiter,
mes autres sœurs sont parties. Mais je ne
me vois pas ailleurs qu’à Montréal. Je
suis bien à Montréal. S.I.:: Est-ce que
vos parents sont retournés au Rwanda? A.M.::
Non, ils sont à Calgary présentement. S.I.::
Donc, c’est vraiment à Montréal que vous
vous voyez faire votre vie, avoir une famille
ici, avoir des enfants peut-être aussi? A.M.::
Oui. S.I.:: Qu’est-ce que vous allez leur
dire sur le Rwanda? A.M.:: Mes enfants? S.I.::
Oui. A.M.:: De belles choses. De belles choses,
parce que malgré la tragédie qu’il y a
eu au Rwanda, Papa ne nous a jamais appris
ces choses-là. Dans le sens qu’il ne nous
a jamais montré la différence politique.
Papa n’a jamais parlé de politique chez
nous. [00:55:38] D’ailleurs, c’est vraiment
après le génocide qu’on a su qu’on était
Tutsis. Ça c’est vraiment… C’est peut-être…
Ça nous a peut-être sauvé la vie au Burundi,
ces choses-là, parce qu’on se tenait et
avec les Hutus et avec les Tutsis, parce qu’on
avait aucun… c’était tout à fait naturel.
Il y a des moments donnés où est-ce que
des enfants tutsis venaient et nous voyaient
avec des Hutus et nous insultaient, puis nos
amis hutus nous défendaient. Mais nous on
ne savait pas pour quelle raison. On pensait
que c’était juste des petites cliques qui
se jalousaient entre eux. À la maison, Papa
ne nous a jamais dit ‘’Vous êtes Tutsis,
vous êtes Hutus’’. Quand on lui posait
la question, parce qu’à un moment donné,
à l’école, les amis nous posent des questions.
Papa nous disait ‘’Ben, vous êtes Rwandaises,
qu’est-ce que vous voulez de plus? Qu’est-ce
que tu veux que je te dise? T’es Rwandaise’’.
Et moi ce n’est pas des choses que j’aimerais
apprendre à mes enfants. Ça existe. Mes
enfants doivent savoir c’est quoi, quoi
que ce soit, mais ce n’est pas quelque chose
que je veux mettre de l’importance dessus,
et je pense que d’une certaine façon, je
n’aime pas particulièrement parler de politique.
[00:56:43] Il y a beaucoup de choses, il y
a beaucoup de questions autour de ce thème-là,
parce que mes parents n’étaient pas trop
dedans, donc ils sont mal placés pour m’informer.
J’ai cherché moi-même des réponses, à
comprendre et tout, mais il y a des choses
qu’il vaut mieux ne pas comprendre pour
ne pas se blesser plus davantage, ou ne pas
avoir une idée. En plus, qu’est-ce qui
s’est passé, pourquoi? Personne ne sait
pourquoi. Et ça a tellement détruit la communauté
que ce n’est pas quelque chose que j’aimerais
que mes enfants grandissent avec. Donc je
vais leur parler du Rwanda, de la paix, de
la fraternité, du partage, de la culture,
de la nourriture, des habits, des choses comme
ça. Je vais leurs parler de chez nous, mais
je ne vais pas leur parler de… je ne vais
pas mettre l’importance sur ces choses-là.
[00:57:33] S.I.:: Justement, peut-être qu’on
en a pas parlé… Si on revient un peu en
arrière, justement vous nous parlez du génocide
présentement, est-ce que vous auriez vous
savoir [inaudible] qu’est-ce qui s’est
passé à ce moment-là? Vous l’avez su
après? Ou comment vous avez vécu tout ça?
A.M.:: Quand ça s’est passé, nous on était
au Burundi avec mes tantes, donc ils nous
protégeaient beaucoup. On n’écoutait pas
la radio. Surtout en ’92, lorsque Maman
est arrivée au Canada, Papa a passé six
mois sans aucune nouvelle. Fait que mes tantes
avaient peur que Papa soit décédé pendant
cette période-là. Et on écoutait la radio
quand même, en cachette, pendant la nuit.
Et on savait que ça allait très mal au Rwanda,
et je me souviens avoir prié puis dit à
Dieu ‘’Je m’en fou, là, peu importe
ce que tu me donnes ou que tu ne me donnes
pas, je veux que mon papa soit en vie’’.
Et six mois après, lorsque Papa est arrivé,
il était tellement différent. [00:58:38]
Il avait maigri, il avait la barbe et tout,
et sur le coup je n’ai pas reconnu mon père,
parce que j’avais du mal après. Il vient
il dit ‘’Oh, ma fille’’, j’étais
comme ‘’Tu es qui?’’. Et Papa a passé
comme une semaine en train de dormir, peut-être
parce qu’il avait vu des choses, peut-être
parce qu’il avait passé des moments difficiles
d’épuisement et tout ça. On ne sait pas
dans quelles circonstances il est arrivé
au Burundi, il ne nous a jamais dit ça. Je
pense que je me suis perdue dans la question,
excuses-moi. S.I.:: Mais vous avez quand même
répondu à la question en disant un peu comment
vous avez vécu tout ça, donc même si vous
n’étiez pas là, vous avez quand même…
A.M.:: Oui, on l’a vécu d’une certaine
façon, quand même. Oui. S.I.:: Donc, on
parlait vraiment de la période génocide
en ’94, vous nous disiez comment vous étiez
au Burundi, mais vous vous inquiétiez pour
votre père qui était encore au Rwanda, vous
ne saviez pas s’il était encore en vie,
vous priiez pour lui. [00:59:43] Donc pouvez-vous
nous parler de ça, donc vraiment de cette
période, comment vous, vous l’avez vécue
justement même en étant au Burundi quand
même ça vous affectait beaucoup dans votre
vie? vie?. A.M.:: Oui, ça nous a affectés
un peu, surtout pour Papa, parce que c’était
directement pour Papa qu’on associait le
génocide. On ne savait pas que c’était
même un génocide ou pas. Parce que c’était
le seul qui restait au Rwanda de Papa, Maman
et les enfants. Donc, ça nous a inquiété
beaucoup quand Papa est arrivé, je me souviens
il était tellement épuisé, mais il ne voulait
pas en parler, il ne voulait pas en parler.
On était trop jeunes et il ne voulait pas
nous traumatiser ou quoi que ce soit, mais
je pense qu’il avait vu des choses assez
spectaculaires. Malgré que c’était en
’92, on avait vu des choses quand même
assez traumatisantes. Et je me souviens que
malgré cette période-là quand Papa est
arrivé, quand on habitait au Burundi, du
côté de ma mère avec les tantes, les sœurs
de Maman, au Burundi, la même chose s’est
passée. [01:00:49] Et lorsque la même chose
s’est passée, il fallait qu’on fuie,
parce qu’on avait une maison déjà mu Kigwati.
On avait une maison là-bas, et je me souviens
que c’était justement les Hutus qui traumatisaient
les Tutsis. Ben, c’était les Hutus et les
Tutsis, mais en plus, les Rwandais. Et les
Hutus et les Tutsis burundais traumatisaient
les Rwandais immigrants. Et nous, je me souviens
lorsque ma tante, elle a… La maison, c’est
dans la maison où est-ce que mon père habitait
avant que je sois née, au Burundi. Donc la
maison c’était vraiment une très, très,
très grande maison, très imposante, de loin
tu pouvais la voir. Et on avait comme un chemin
qui amenait vers la maison. Mais avec le temps,
les Burundais construisaient, construisaient
et fermaient la rue, fait qu’on était comme
rendus avec un petit espace que tu passais
quasiment sur le côté, parce qu’ils voulaient
peut-être qu’on quitte la place. Et je
me souviens pendant cette période-là on
était obligés de fuir, parce qu’ils nous
disaient qu’ils allaient brûler la maison
cette nuit-là, au Burundi. Et il y a un voisin
et un oncle, un cousin de Maman plutôt, qui
est venu nous chercher dans une grosse, grosse
camionnette, vraiment. [01:02:00] Une camionnette
comme pour l’armée, mais dans le temps
c’était pour les déménagements ou les
marchandises. Ils sont venus nous chercher
et il fallait qu’on s’habille en vert,
parce que c’était le Parti qui était au
pouvoir. Il fallait qu’on s’habille en
vers, et c’était un peu tard le soir, c’était
vraiment une période assez sombre. On le
faisait parce que tout le monde le faisait,
mais on ne savait pas qu’est-ce que ça
représentait. Donc, dans les fenêtres, il
fallait qu’on fasse ça comme ça [poing
en l’air fermé], parce que c’était leur
signe patriotique, là. Il fallait qu’on
fasse ça comme ça pour traverser la ville,
parce qu’on quittait le Kigwati pour le
Cibitoke. C’était quand même un bon dix
minutes en voiture. Et on voyait des gens
en dehors qui lançaient des roches sur des
maisons, qui brûlaient des maisons, qui criaient
et qui avaient des bâtons et tout ça. Pourtant
nous, là où est-ce qu’on habitait, c’était
quand même assez calme, on n’avait pas
ces choses-là. Chemin faisant, il y a beaucoup
de choses qui se sont passées dans le chemin,
il y a eu des cris, des choses comme ça.
[01:03:01] On entendait juste des cris et
des bruits, et des feux partout qu’on voyait.
On est arrivés à Cibitoke, mon oncle nous
a gardés dans sa maison, il nous a donné
une petite chambre. Donc c’était moi, ma
petite sœur, ma tante, ses deux filles, et
mon autre tante avec son garçon, et ma grand-mère.
Mon père lui, il nous avait laissé, il était
parti chez ses deux tantes, parce qu'il fallait
qu'on se sépare pour éviter que quelque
chose se passe, quoi. [01:03:28] Et peu après
on a déménagé dans un endroit un peu plus
tranquille, mais quand même c'était très
instable au Burundi pendant cette période-là.
Le génocide, on l'a vécu d'une autre façon
aussi. On n'était pas au Rwanda. Plus tard,
quand on est arrivés au Canada, Papa il est
retourné au Rwanda. Donc on est arrivé en
95, mars, je pense qu'en décembre mon papa
est retourné au Rwanda. Pour voir qu'est-ce
qu'il restait de son père et de sa maison.
Eux autres habitaient à Butare, la famille
de papa, et quand il est arrivé là-bas,
la maison était toute saccagée, plus de
toit, plus de fenêtres plus de porte. Et,
c'était vraiment désertique il y avait des
corps partout, et tout ça. Et il a été
dans la maison, où est-ce qu'il a trouvé
son papa? Il a été tué. Il a ramassé les
petits os...les choses qu'il trouvait et il
a pu enterrer son papa. [01:04:31] Je n'ai
pas beaucoup de souvenirs de mon grand-père
parce que je l'ai vu une courte période de
temps, je me souviens juste de son visage
et de sa photo qu'on avait à la maison. Papa,
vraiment, il a perdu presque toute sa famille
pendant le génocide. Parce qu'ils n'ont pas
voulu aller en ville, ils ont voulu rester
à la campagne parce qu'il avait vraiment
un grand terrain où est-ce qu'il vivait,
le grand-parent avait vraiment beaucoup de
terrains et tout ça. C'est des oncles que
je n'ai pas beaucoup connu, je connais juste
le demi-frère de Papa et sa demi-sœur, qui
étaient au Burundi avec lui. Mais des plus
proches, proches parents, Papa a vraiment
perdu toute sa famille. Et Maman, elle, a
perdu des oncles, des cousins, des nièces,
des neveux. Ça nous a touchés quand même
d'une certaine façon, parce que savoir que
dans l'album de photos il y a des gens que
tu ne peux plus compter, c'est des souvenirs
que tu ne peux plus considérer, ces gens-là.
[01:05:38] C'est un peu difficile, mais surtout
ceux qu'on a vus, qu'on avait rencontrés,
qu'on avait eu des souvenirs avec, c'était
plus difficile à faire le deuil. Surtout
quand tu ne peux pas savoir pourquoi, comprendre
ce qui s'est passé. Donc, je pense que chaque
Rwandais a vécu le génocide d'une certaine
façon. T'as perdu quelqu'un, soit un camarade
ou un collègue, ou un ami de famille, un
ami proche, proche. La famille, pour ne pas
aller trop loin. Mais je pense que chaque
personne a vécu le génocide d'une façon
ou d'une autre. Même ceux qui n'ont pas perdu
les leurs, proches, proches, ils ont quand
même perdu quelqu'un dans leurs familles.
S.I.:: C'était aussi plus dur pour vous parce
qu'en même temps, vous étiez au Burundi
et il y avait déjà quelque chose qui se
passait, donc... A.M.:: Oui mais on n'avait
pas vu des corps, heureusement, on n'a pas
vu des mutilations, on n'a pas vu des choses
atroces. Il n'y a rien qui arrive pour rien,
maintenant je peux le dire qu'il n'y a rien
qui arrive pour une raison, parce qu'on aurait
pu être au Rwanda, on aurait pu y passer,
parce que, plus tard, il y a un voisin qui
a dit à mon père "Vous étiez les premiers
sur la liste''. [01:06:43] Parce que ma maison
c'était la première, la vôtre c'était
la deuxième, et c'était moi le chef qui
est était supposé raser les gens. Et vous
étiez les premiers sur la liste. Et juste
en sachant ça, tu ne sais pas quoi dire à
la vie. Tu ne sais pas quoi dire à la vie.
Tu dis juste merci, parce que quand je suis
partie au Burundi en '90, c'est vraiment cet
Eté là que ça a commencé. Papa a commencé
à se faire enfermer des choses comme ça
injustement, et le monsieur expliquait à
Papa que "Toi, tu n'aurais même pas traversé
un mois au Rwanda avec la famille". Donc quand
on est croyant, on dit "Merci, mais pourquoi
tu as fait ça? Mais merci quand même". Parce
qu'on ne méritait pas d'être en vie plus
qu'une autre personne, mais on est reconnaissant
quand même au Seigneur, puis tu essaies d'être
reconnaissant toute ta vie envers les autres.
Il y en a beaucoup, proches, des amis qui
ont vécu des choses traumatisantes, qu'on
côtoie chaque jour puis on entend des choses.
Ça nous rappelle encore qu'on a failli y
passer, quoi. S.I.:: Même si [inaudible],
c'est quand même assez émouvant. [01:07:49]
Est-ce qu'il y a autre chose que vous voudriez
rajouter, pour conclure? Est-ce qu'il y a
peut-être un aspect que vous trouvez qu’on
n’a pas assez abordé? A.M.:: Non, je pense
qu'on a fait le tour, je pense qu'on a fait
le tour. Merci. S.I.:: Donc, ce n'est pas
quelque chose qu'on fait tous les jours, raconter
sa vie, est-ce que c'est quelque chose qu'il
vous est déjà arrivé de faire, est-ce que
vous le faites souvent? Est-ce que vous en
parlez de façon ouverte comme ça? A.M.::
C'est la première fois que genre j'en parle
de façon narrative, genre, ouvert, oui c'est
la première fois. Mais des fois on parle
de petites anecdotes, mais dans la famille
je pense qu'on n’a pas trop eu la place
pour parler de ça, parce qu'on savait que
Papa avait vécu des moments très, très,
très difficiles, et on attendait peut-être
des moments pour que lui puisse s'exprimer
là-dessus. On n’a jamais vraiment voulu
insister sur ce qui s'est passé ou quoi que
ce soit. Surtout que nous on n’était pas
là. C'est plus les gens de l'extérieur qui
nous racontaient leur histoire. [01:08:51]
Tu sais, lorsque tu n’as pas vécu le génocide
sur place, comme nous, nous étions à l’extérieur,
on a toujours l’impression qu’on n’a
pas souffert, on a toujours l’impression
que notre histoire n’est pas importante.
Et je me souviens que, c’est en faisant
justement le… en côtoyant les gens qui
font le projet que j’ai réalisé que chaque
histoire est importante de chaque personne.
Je n’étais pas là dans le moment, mais
les déplacements qu’on a eu, c’était
suite à ces choses-là. Et le fait d’en
parler ça te permet de voir aussi que tu
l’as vécu d’une certaine façon. Et ça
peut aussi exprimer des choses, des non-dits
ou juste pouvoir mettre des mots sur les choses.
Parce que souvent on ne va pas s’arrêter
et commencer à dire ‘’Oh, j’ai fait
ci, j’ai fait ça’’. Ça dépend d’une
question qu’une personne nous pose, et ça
nous permet de s’ouvrir. Et des fois en
racontant, tu réalises que… Je réalise
moi, personnellement, qu’il y a des choses
que je n’avais pas senties. [01:09:54] L’émotion
que maintenant je sens, cette émotion, je
ne savais ce qui c’était passé, et maintenant
en racontant, ça ouvre plus, c’est plus
clair pour moi. Donc c’était la première
fois que je le raconte comme ça et je pense
que c’est un bon cadre pour nous qui ont
vécu cette situation-là de pouvoir en parler,
de verbaliser des émotions. S.I.:: Vous avez
réussi vraiment à savoir qu’est-ce qu’on
ressent de l’intérieur, et s’approprier
ces histoires aussi. A.M.:: Tout à fait,
tout à fait. Merci au projet, parce que ça
nous… en tout cas, personnellement je sens
que mon histoire, petite que soit-elle ou
grande que soit-elle pour quelqu’un d’autre,
chaque histoire est une histoire quand même.
La petite ou la grande histoire, c’est quand
même une histoire. C’est grâce à ce projet-là
que j’ai compris que moi aussi j’avais
quelque chose à raconter dans le sens que
je pense que chaque Rwandais l’a vécu d’une
certaine façon. [01:11:03] Donc juste le
fait d’en parler, tu permets aux autres
de penser, de la petite histoire de chaque
personne, des choses comme ça. Ça permet
d’informer les gens qu’est-ce qui s’est
passé sur tous les aspects, comme un miroir
cassé. Chaque personne peut regarder dans
un miroir cassé, mais tu vois un objet différent
dans chaque miroir. Donc, l’histoire de
chacun et de chacune, ça devient comme un
casse-tête qui complète l’histoire de
qu’est-ce qui s’est passé au Rwanda.
S.I.:: Merci.