Ruppert Bazambanza

J.S.: Est-ce que tu peux t'introduire un peu?
R.B.: Ah oui, je m'appelle Rupert Bazambanza, je viens du Rwanda.
Je suis illustrateur et infographiste.
Conférencier aussi.
Donc je fais des conférences genre artistiques, parce que je dessine sur place.
Je suis l'auteur d'une bande dessinée sur le génocide au Rwanda donc... vous voyez ici. J.S.: Quand est-ce que tu as fait ce livre là? R.B.: Heu... le livre je l'ai fait en... 2002, mais il est fini en 2004.
En 2004. Et ça raconte l'histoire vraie sur le génocide qu'on a vécu au Rwanda.
Donc tous les témoignages que vous allez voir dans son livre, dans ce livre, sont des histoires vraies. C'est pour ça qu'il y a des photos aussi des... des victimes du génocide au Rwanda.
C'est un livre qui parle d'une famille amie, d'une famille que j'ai vu disparaître durant
le génocide au Rwanda, que j'aimerais rendre hommage, immortaliser, pour que le monde n'oublie
jamais ce qu'on a vécu, et que ça ne revient jamais. J.S.: Est-ce qu'il y avait des rescapés de cette famille? R.B.: Heu... dans cette famille la seule personne qui a survécu c'est la mère, Rose Rwanga, que j'ai essayé de dessiner ici. Elle est présentement ici à Montréal, elle a pu venir se faire soigner au Canada.
J.S.: Ok. Et en... en quelle année est-ce que... est-ce qu'elle est venue au Canada? R.B.: Heu je pense que ça fait trois ans qu'elle est ici. [JS: Trois ans?] Oui, ça fait trois ans qu'elle est ici. C'est une femme qui a été... qui a vécu des choses horribles, parce que...
La différence entre elle et moi, c'est que moi je peux toujours faire une famille, tandis que pour elle tout est resté derrière. Donc sa vie est restée derrière elle. C'est ça le problème. En choisissant le titre de mon... de ma bande dessinée qui s'intitule, même en français "Sourire malgré tout". Justement ce sourire qui voulait signifier la vie qu'elle a vécue
avec sa famille. Parce qu'avant que le génocide emporte sa famille, c'était pas seulement des mauvaises choses qu'ils ont vécues ensemble. J'ai essayé d'être un peu optimiste, pour donner l'espoir. Parce que cette femme va toujours se rappeler de la belle vie qu'elle a vécue avec sa famille,
ce qui peut lui donner cette lueur de sourire. Ce n'est pas un sourire défini là, mais c'est une lueur.
Et c'est avec ce sourire même que nous les rescapés on essaye de se donner, parce que on se dit que la vie nous a épargnés, il faut la vivre. Même s'il y a des choses qui nous bloquent à s'épanouir, mais il faut qu'on ait quelque chose qui nous donne espoir. C'est ce qu'on a à partager avec les nôtres, qui sont partis, parce que tout n'était pas négatif avant qu'ils soient partis pour... Donc c'est ce sourire qu'on essaie d'avoir, pour que la vie continue, il faut être optimiste.
J.S.: Et est-ce que... elle a déjà lu ton livre clairement, et comment est-ce qu'elle
sent... [RB: Comment elle l'a pris?] Oui. R.B.: Elle a vu le livre. Bon, je peux pas dire qu'elle a tout lu, parce qu'elle sait que je maîtrise l'histoire, vu que j'ai vécu avec sa famille, c'était des voisins, vu que j'ai connu ses enfants.
Elle sait que vraiment je sais de quoi je parle. Mais elle n'a pas le courage de tout lire. Elle n'a pas trouvé le courage, de dire, oui, si la personne qui peut le dire, c'est
toi. J.S.: Wow. R.B.: C'est comme... elle m'a donné une carte de... J.S.: C'est une grande responsabilité n'est-ce pas, de... R.B.: Exactement. Parce que pour elle, ça serait comme très difficile de... de passer encore à travers toutes ces choses. Parce qu'elle sait que mon objectif, c'est d'immortaliser sa famille, donc elle n'a pas
trouvé le courage de lire le livre. Elle a feuilleté, comme ça. Voilà. C'est ça qui se passe quand... J.S.: Tu... comment est-ce que ça te fait sentir que.... que you know, c'est difficile pour elle de lire son histoire, son expérience, dans une forme de livre heu...
R.B.: Heu... moi je la comprends, je la comprends. Je la comprends parce que déjà, le fait d'accepter de contribuer à un livre... elle
a mis plus d'énergies pour rester en vie. Donc elle peut pas trouver d'autres énergies d'affronter toujours des choses qui lui ont fait mal. Elle a sa façon de commémorer, tous les jours, parce que présentement elle habite toute seule. Heu... c'est pour ça que tout ce qui va avec le génocide, chaque fois que ça arrive, ça la met dans des mauvais états. Ça la met vraiment dans des mauvais états. Ce qu'elle aime, c'est qu'on parle de souvenirs que l'on a de sa famille, sans qu'on arrive au génocide. Comme les fêtes dernières qu'on passait ensemble.
Des bons moments comme ça, c'est ça qui... qu'elle aime entendre, plutôt que de commencer à reparler de tout ce qui est génocide. J.S.: C'est difficile. R.B.: Ça la rend malade, complètement. Surtout qu'elle a le problème de... [tousse] du cœur, donc elle est vraiment suivie de
près par les médecins. [JS: Oh wow] C'est ça qui arrive, c'est une femme qui a 63 ans aujourd'hui. J.S.: Hum... Et... lorsque vous êtes ensemble, avec... lorsqu'elle est avec ta famille, vous ne parlez
pas de vos mémoires ou de... ou de vos expériences ensemble? R.B.: Heu... Quand on est ensemble, on parle, comme j'ai dit, de ce qui s'est passé avant le génocide.
Je me rappelle une fois, on avait localisé l'endroit où on avait enterré sa fille.
Bon, ça a été facile à localiser par rapport à son mari et ses deux fils, qui sont morts
avant sa fille, et que, je l'explique dans le livre... Et puis il fallait déterrer le corps pour l'enterrer dans la dignité. On l'a suppliée de ne pas venir pendant qu'on déterrait.
Parce que quand on déterre, excuse-moi... quand on déterre, pour elle c'est une scène d'horreur. On ne voulait pas qu'elle soit là. Elle nous a demandé de filmer ce cérémonial. Et on se demandait comment on allait lui montrer ça. Donc on l'a fait, on a filmé, bon... Après, on l'a mis dans un cercueil, on a célébré la messe et l'enterrement.
Quelques jours plus tard elle a demandé qu'on regarde le film! On se sentait vraiment inconfortables de regarder ce film-là avec elle. Mais elle, elle voulait vraiment le voir. Bon... [tousse] nous avons essayé de voir si vraiment elle était forte pour ça.
On a mis la cassette. Elle est restée figée comme ça, mais elle a tout regardé.
C'est... c'est mieux des fois pour que ça passe une fois pour toute. Parce que quelques mois plus tard, elle a connu la même expérience avec son fils, son mari et tout. Parce qu'on avait découvert une fosse commune, là où ils avaient été enterrés [tousse]. Là c'était encore plus traumatisant que... l'expérience de sa fille, vu qu'il y avait
plusieurs corps dans une fosse commune, il fallait cette fois-ci les identifier.
Il fallait qu'elle soit là. Parce que tu vois, les corps qui sont maganés, seule la mère peut savoir si c'est son fils
ou son mari. Des choses comme ça. Ça a été une des plus grandes expériences, les plus difficiles, qu'elle a vécues après
le génocide. Sauf que ça l'a soulagée un peu. Ça l'a soulagée de dire: "Là je peux faire mon deuil, parce que là cette fois-ci je sais qu'ils sont morts". Parce qu'avant, ils ne savaient pas où ils avaient été
enterrés, peut-être qu'il y avait espoir comme quoi quelqu'un puisse se sauver, échapper. Mais après avoir vu les corps, donc elle a fait une croix sur ça.
Elle a dit: "Ils sont partis, je reste toute seule". C'est ça qui arrive.
Oui. J.S.: Wow. Et... ça fait combien de temps que ta famille connaît Rose? Est-ce que c'est depuis que tu es un enfant? R.B.: Hum... Même avant que je naisse, mes parents étaient amis... [JS: Avec la famille, avec elle et sa famille?]
Avec la famille des Rwanga. Oui, ils étaient tous amis. Jusqu'au génocide. Ça a été une amitié vraiment qui est restée longtemps, qu'on doit continuer à garder, tant qu'elle sera toujours en vie. Et puis je trouve que c'est dans des situations comme telles que l'amitié vraiment en vaut
la peine. Oui. Parce qu'on sait pas qu'un jour on va être tout seul sans famille, c'est là qu'il faut avoir des amis, sinon sur qui tu peux compter? Tu comprends? Voilà.. J.S.: Alors tu étais ami avec. Avec ses fils, ses...
R.B.: Toute la famille était amis, les parents étaient amis, les enfants étaient amis, donc... Quand on a vécu toutes ces horreurs ensemble, c'est comme si on a tout partagé,
quasiment. On a partagé les fins d'année, on a partagé les joies, on a partagé des moments difficiles, mais on n'avait jamais connu de moments aussi difficiles que le génocide. Malheureusement, on n'a pas tous connu la même fin, parce qu'ils sont tous partis. Devant le monde entier, comme on dit toujours, qui était là et... on ne savait pas qui allait s'en sortir, tu comprends? Sincèrement, j'ai pas fait grand-chose. Mais ils sont partis.
C'est pour ça que moi, en faisant ce travail, le livre, c'est une responsabilité, c'est
un devoir personnel. Comment tu peux rester les bras croisés après une chose comme ça?
Peut-être s'ils auraient restés, ils auraient peut-être fait la même chose. C'est pour
ça que c'était une façon aussi de retrouver la paix. Sinon nous on se sentait les lâches. Parce que lorsqu'ils commençaient à... à amener le monde, et le monde n'a pas fait grand-chose, le monde il a pas fait des choses. Pourtant, en tant que rescapé, si j'ai rien
fait... ça dépend des autres aussi. Parce qu'un génocide, ça peut arriver partout. Ça peut arriver partout. Si les rescapés de l'Holocauste n'auraient pas fait quoi que
ce soit pour en parler, peut-être le monde n'aurait jamais dit: "plus jamais". Même
s'ils ne l'ont pas respecté. Mais je me dis que c'est grâce à tous ces rescapés qui ont témoigné que., qui ont fait toutes ces choses que le monde au moins a voulu faire quelque chose. Mais c'était pas assez. Là il faut continuer, il faut continuer. Parce
que ça revient encore. Ça revient au Darfour, ça a failli revenir au Kenya, tout récemment. Y a aucune place qui peut dire que... elle est protégée complètement. Tant qu'il y a des humains, il y a des bonnes choses mais il y a aussi des mauvaises choses. On ne sait pas comment ça peut arriver, parce que c'est avec des petites choses à tous les jours, qu'on laisse passer. Parce qu'il n'y a aucun pays au monde qui n'a pas de racisme. Le racisme
est partout. Mais ce racisme-là peut se développer. Tu vois, c'est très... il faut en parler.
J.S.: As-tu des... des souvenirs de... de ton enfance, avec... avec les fils ou les...
Rose, et la famille, que tu pourrais raconter? RB.: Hum... les souvenirs... Je me rappelle
une fois, on passait les fêtes de fin d'année, mais on commençait à avoir de la tension
dans le pays. Et c'était après le multipartisme en Afrique, donc c'était fini la politique
d'un parti unique, tu comprends. Ça, ça a dérangé beaucoup l'ancien dictateur, avec
aussi la guerre qui avait commencé dans le pays, des anciens réfugiés rwandais qui...
qui voulaient rentrer, parce que le Président qui était sur place ne voulait pas qu'ils
rentrent. Après trente ans, ils sont rentrés par la force. Trente ans d'exil. Donc... tout
ça a causé des choses dans notre pays... J.S.: Ok... Tu avais quel âge lorsque ça
c'est... R.B.: Heu... ce que je suis en train de dire ou le génocide? J.S.: Non, ce que tu es en train de... de me raconter. R.B.: Ah, ce que je suis en train de raconter, là j'avais comme 17 ans. [JS: 17 ans?] Oui. [tousse] Là on avait fait une fête de fin d'année, mais il y avait justement le racisme, dans l'air. Il fallait fêter sans que les
gens autour le sachent, sans attirer l'attention. Pourtant on voulait mettre de la musique au
fond comme tout le monde, mais il fallait que ça soit un peu silencieux et.... On n'était
pas à l'aise, parce qu'il fallait tout le temps jeter un coup d'œil dans les fenêtres, pour voir s'il y a pas des miliciens qui... qui arrivent lancer des grenades à travers
les vitrines. C'était vraiment fréquent partout. Il y avait des miliciens partout
qui travaillaient pour le régime raciste, qui détestait tout ce qui était Tutsi ou Hutu. Chaque fois qu'ils voyaient que c'était la fête, ils nous envoyaient des grenades dans la vitrine. Mais imagine-toi fêter dans ce climat-là. Vous voulez fêter mais vous
pensez qu'on va vous envoyer des grenades aussi. Pourtant c'était la fin de l'année,
il fallait fêter. Donc c'était un des souvenirs là... que j'ai avec cette famille [JS: Avec eux]. Sinon bon y'a des souvenirs d'enfance, comme vous disiez, quand on allait voler des goyaves, les fruits, chez les prêtres. [Rires] Des choses comme ça, des comme ça, des souvenirs
comme ça. J.S.: Ok. Est-ce que tu peux me parler un peu de... de ton enfance? Peut-être... You know... hum... laisse-moi voir... Des choses que tu aimais faire lorsque tu étais petit, des sports... R.B.: Heu... moi quand j'étais petit, ce que j'aimais faire, c'était dessiner. J.S.: Dessiner? Ok... c'est évident! R.B.: Oui. J'adorais dessiner, feuilleter
des bandes dessinées... je ne lisais pas les textes, mais j'adorais ça. C'est comme si je comprenais sans lire. Et puis j'adorais dessiner. Mais le problème c'est que dans
mon pays, c'était pas encouragé de faire des dessins. J.S.: Et pourquoi? R.B.: À cause que c'était pas un métier qui pouvait être ton avenir au Rwanda. Le Rwanda c'était un pays qui avait besoin de...
de satisfaire les besoins primaires. Donc les affaires comme l'art, la musique, et tout ça, ça venait vraiment après. [ J.S.: Secondaire] Oui, non, plus que secondaire... [ J.S.: Plus que secondaire!] Ben oui, ça pouvait pas te nourrir. Mais moi j'avais un talent que je voulais pas enterrer, que je ne voulais pas gâcher. Je le développais comme ça...
et heureusement, mon père... lui il ne me décourageait pas. Mais tous ses amis lui
disaient: "Ah ton fils, faut l'orienter autrement". J.S.: Et ta mère, est-ce qu'elle s'entendait bien avec ton père? R.B.: Ben mes parents quand même ils m'ont pas mis la pression là-dessus. [tousse] Ils voyaient que j'aimais ça, mais chaque fois à l'école j'avais des messages comme quoi il faut l'empêcher de dessiner, il faut surveiller, il dessine... tu vois toutes ces choses... J.S.: Wow! C'était drôle R.B.: Moi c'est comme si je voulais pas montrer ces messages mais j'étais obligé. Jusqu'à ce que même ils ont [inaudible] mon dessin, de plus en plus, mes bandes dessinées que je regardais... Ils trouvaient que je dessinais
beaucoup. Donc ils voulaient pas que je m'oriente dans le domaine artistique, mais mes parents ils ont vu que ma volonté était plus forte. Ben ils ont laissé tomber. C'est ça qu'il
faut faire, c'est ton destin, tu vas le faire. Ça va te nourrir ou a va pas te nourrir, que Dieu te garde, c'est tout! [C'est laissé à vous] Et regarde aujourd'hui, je fais des
choses qui sont super bien payées. J.S.: C'est ton travail. R.B.: C'est pour ça qu'il n'y a pas beaucoup de rescapés qui ont fait finalement en dessin. Même jusqu'à présent je peux dire que je suis le seul rescapé qui a pu faire une bande dessinée sur le génocide [JS: Du Rwanda]. Non seulement il n'y avait pas beaucoup d'artistes au Rwanda, mais aussi, plusieurs personnes vraiment sont morts au Rwanda. Donc ça, ça
diminue les chances d'avoir des illustrateurs qui vont faire des choses comme ce que moi j'ai fait. Dans ce sens. J.S.: Ok. Wow. Et... comment est-ce que ta
mère, you know, comment est-ce qu'elle se sent maintenant à propos de ton livre?
R.B.: Heu... ma mère, elle a été impressionnée parce que... avant de le faire, j'ai jamais
consulté personne. C'est... c'est arrivé, moi j'avais cette ambition-là... Après avoir
quitté le Rwanda, je voulais sortir tout ça. Mais je ne savais pas que je voulais faire une bande dessinée, moi j'avais jamais fait de bande dessinée. Je savais que je pouvais dessiner, il me manquait quelques formations par ci par là... Bon, j'ai pris une formation en infographie-design, après j'ai mis tout sur le papier. Quand ça a commencé
à sortir je prenais le goût même si c'était difficile pendant la conception. C'était
difficile parce que j'ai découvert une thérapie en voulant m'exprimer, tu vois. En voulant
vraiment témoigner, j'ai découvert une thérapie. À chaque scène je m'arrêtais, je me disais:
"Est-ce que vraiment on a vécu tout ça?". C'est comme si je venais de trouver le temps de réaliser tout ce qu'on venait de vivre. J'avais jamais eu ce temps-là. Parce qu'au Rwanda, ce qu'on faisait après le génocide, enterrer nos morts, déterrer, les enterrés dans la [?]. C'était tout le temps des enterrements, des choses comme ça. On... on était en train
de reprendre... à vivre. Mais oui, parce que la vie était continue pendant la guerre.
T'as des morts tout le temps à-côté de toi. C'est comme si tu es mort aussi, quelque part. Tu vois que la vie t'épargne, mais tu sais pas quoi faire, tu sais pas quoi faire.
Après tu sais qu'il faut enterrer les gens, tu sais qu'il faut... faire attention aux
miliciens qui vous guettent encore... Quand ils quittent le pays tu sais, tu sens qu'il y a quand même tout un poids qui vient de... de partir un peu, là tu peux réaliser ce que tu as vécu. C'est en faisant ma bande dessinée que j'ai réalisé tout ça. Je
dessinais des choses, je regarde:"Mais est-ce que c'est une fiction ça ou c'est une réalité vraiment?" De plus en plus, je vois ces scènes, je... je m'arrêtais
sur les dessins, y'a des choses que je voulais pas dessiner... Je me disais: "Mais pourquoi je veux pas les dessiner?". C'est une thérapie. Veut ou veut pas, c'est une thérapie. Parce
qu'une thérapie c'est quoi, c'est sortir toutes ces affaires-là... Tu peux pas le sortir plus que ça, parce qu'il y a des images, et y'a tout... [tousse] Donc moi... tout ça
c'était en moi, mais aujourd'hui je peux le partager.... Je peux prendre. C'est pour ça que même, j'inviterais tout le monde qui a des problèmes comme ça... c'est pas
seulement les génocides... ça peut être seulement une seule personne, quelque chose que tu as vécu dans ta famille, comme des enfants qui sont violés, des choses comme ça, qui n'arrivent pas à le partager verbalement, comme ça, mais qui peuvent, avec des petits
dessins, ou avec la musique... Donc la thérapie, l'art dans la thérapie. Quelque chose que j'ai découvert qui marche bien.. J.S.: Est-ce que tu... As-tu dessiné lors du [inaudible] guerre... lors... quand le
génocide a commencé... R.B.: Si j'ai dessiné pendant la guerre? J.S.: Est-ce que tu as dessiné? R.B.: Pendant le génocide? Non... Bon, je pouvais dessiner sur le sol, sur le sol... Parce que.... on n'avait pas accès au matériel
de dessin. Quand nous avons quitté nos maisons pour se réfugier on n'avait rien. On avait
juste les habits qu'on portait ce jour-là. C'est tout. Il fallait d'abord manger avant
de chercher le matériel de dessin. Mais heureusement. Mais heureusement, le Rwanda n'était pas un pays asphalté comme ici, on pouvait dessiner sur le sol. Avec un morceau de bois tu fais
des petits dessins, tu vas effacer après. C'est tout. C'était les seuls dessins qu'on faisait. J.S.: Et même heu... avant la génocide... R.B.: À un moment donné quand même, ok, la question était bonne, que tu m'as posée... À un moment donné j'ai pensé que bon, on allait tous mourir, au centre, là où on se cachait. C'est pas comme je voulais vraiment dessiner, mais c'était comme, laisser des messages. Sur les maisons, ou sur les arbres. Malheureusement je n'avais rien qui pouvait
m'aider à laisser un message mais l'idée m'a traversé l'esprit. Comme:"Ils vont nous exterminer, personne ne saura même c'est qui qui l'a fait". Ou que des réfugiés
qui étaient là ont été réfugiés. Parce que les prêtres nous avaient laissés au Centre. Moi je me disais que peut-être, après la guerre, ils vont dire:"Ah, les réfugiés
que vous avez laissés ici se sont sauvés, ou ils ont été amenés par les rebelles..."
Des choses comme ça. Mais moi ça me [inaudible]. J'étais pas la seule personne qui a eu cette
idée-là, comme de laisser des messages sur le plancher ou sur un mur, ou sur un arbre, quelque chose comme ça, mais on n'avait rien pour le faire. Sincèrement. Ça c'est ce
genre... ce que j'aurais aimé faire, mais qu'est-ce que j'aurais dessiné dans ce temps-là...? Parce que moi j'ai vu que pour dessiner faut avoir tout son... toute sa concentration. Là j'en avais pas. Je me demande même si j'aurais été capable de dessiner, tellement
on tremblait... on avait tout le temps peur. Quand tu as peur, la main est fragile. Comment
j'aurais pu dessiner quelque chose qui aurait été représentatif? Je sais pas. J.S.: Ok, et en pensant du... de ce que tu as expériencé avec ta famille durant le
génocide, est-ce que tu peux m'expliquer comment les jours avant que la....le génocide
a commencé, comment c'était pour ta famille? R.B.: Heu... comment c'était dans ma famille
avant que le génocide commence? On vivait sous une pression. Une pression, une tension,
qui avait été causée, comme j'ai dit, par... la guerre qui avait été commencée, en 90,
comme je l'ai dit par les rebelles du FPR, le Front Patriotique Rwandais. Et comme j'ai
dit, c'est des réfugiés Tutsi qui avaient été chassés en 59, qui ont décidé de rentrer par force parce que le gouvernement sur place, je me répète quoi, ne voulait pas qu'ils rentrent. Cette guerre a créé beaucoup de tensions parce que le régime
sur place a dit que ah, c'est une guerre des Tutsi, contre les Hutu... Chaque Hutu doit
surveiller un Tutsi, et tout ce qui ressemble à un Tutsi, tout Tutsi qui s'est pris pour
un Hutu, des choses comme ça quoi. Donc ça, ça créait des tensions dans le pays, dans
la famille, chez mes amis, comme ça. Parce que le gouvernement, vraiment, nous ont montés
les uns contre les autres, contre nos voisins, contre tout le monde. Donc c'est comme si on était des étrangers dans notre propre pays. Étrangers, c'est comme... quand quelqu'un te faisait un geste, il fallait le remercier comme si c'était une faveur, alors que vous avez tous les mêmes droits. C'est... c'est comme s'il fallait laisser passer les gens
devant toi, même dans les autobus, fallait les laisser s'asseoir avant toi... On voulait
provoquer personne pour un moment. Il y en a qui se sentent malades... il faut faire
attention, comme si on était des étrangers, on n'était plus des humains. Et d'ailleurs il y avait des expressions, des termes, on nous appelait plus des humains, on était
des cafards, des serpents, des choses comme ça. Tu pouvais bousculer quelqu'un par accident, tu t'excuses, mais lui va lâcher un mot: "c'est un serpent, c'est un cafard". Mais
on était quand même optimistes. On pensait que tout cela allait partir, vu qu'il y avait
des négociations entre le gouvernement et les rebelles, et que les Nations Unies commençaient à venir au Rwanda. On pensait qu'on était en train de vivre la fin, mais on pensait
que la fin allait être aussi pire. C'est ça. Quelque part, c'était la fin, mais très
tragédique [tragique?]. C'était... ça a été plus tragédique [tragique?] qu'on l'imaginait quoi. Donc c'est dans ce climat qu'on a vécu, avant le génocide. Je t'ai parlé des grenades
qu'on lançait dans les maisons... Il fallait dormir avec ça sur son cœur. C'est pas évident.
Des mauvaises nouvelles qu'on entendait de par-ci par-là, des gens qu'on tuait ou qui
disparaissaient. Tout ça. C'était des situations très, très difficiles. J.S.: Et tu habitais où, en quelle ville? R.B.: Moi j'habitais à Kigali [tousse],
la capitale du Rwanda. Parce que le Rwanda était un petit pays. J'ai oublié de situer
le Rwanda... c'était le cœur de l'Afrique, comme on dit, c'était vraiment la... Côté
climatique et out, environnement, c'était vraiment le meilleur pays au monde, oui. Donc
un petit pays de 28000 km carrés, avec sept millions d'habitants. C'était ça le
Rwanda. J.S.:[...] Et lorsque tu penses avant le génocide, avant la guerre, est-ce que tu as des souvenirs positifs de... de ton enfance
de... lorsque tu es adolescent, avant que la violence a commencé? R.B.: Mes plus beaux souvenirs c'est... À l'âge où on était inconscients. Je peux
dire. Parce que c'est à l'âge où... c'est comme si on vole. On connaît pas la réalité
qu'il y a autour de nous. Comme un enfant... dès qu'il y a un petit enfant, [inaudible]
pour tout le monde, c'était ça les beaux souvenirs. Parce qu'on jouait beaucoup avec la nature, comme il faisait tout le temps bon, beau au Rwanda... Le Rwanda c'est un pays où y'a le printemps perpétuel, comme on dit, c'est 25 degrés toute l'année. On avait droit au soleil chaque jour, à la même heure, et le soleil se couchait à la même heure. Pour un enfant là, dans un endroit comme ça.... T'as personne qui kidnappait
les enfants. On allait partout. Nos parents là ne se souciaient jamais de savoir ce qu'on a fait la journée, où on était. Donc heu... je peux dire que les plus beaux souvenirs justement, c'est l'enfance. J.S.: Et tu penses que... Est-ce que tu penses que tes frères et tes sœurs se sentent comme ça aussi. R.B.: Oui, effectivement. C'est quand on a été conscients, quand on a su ce qui se
passe dans notre pays, les problèmes des ethnies, des choses comme ça... Ça a coupé
l'ambiance. On a commencé à voir la réalité, à se méfier des gens. On savait que des
gens qu'on pensait qui nous aimaient, on a trouvé qu'ils ne nous aimaient pas... jusqu'au
génocide. Même d'autres personnes qu'on pensait qu'ils étaient bien avec nous, on les a vus nous attaquer. Ça a été de déception en déception, jusqu'à la fin quoi.
J.S.: Comme des voisins, des amis aussi... R.B.: Des voisins, des gens que tu pensais
que c'était des vrais amis... À un moment donné tu vas demander de [inaudible] Ah, vous êtes Tutsi, non. Alors là on se dit plus rien, c'est de votre faute, vous avez descendu l'avion... Tu t'imagines? Descendre de l'avion c'était... si ça a été fait, ça a été fait par deux personnes, c'était la faute de tout le monde. Y'a même des paysans
qui n'avaient jamais vu d'avion de leur vie et qui ont payé pour cet avion-là qui a été descendu parce que... Y'avait un dictateur là, ils n'étaient pas tous extrémistes,
mais lui voulait les rendre tous extrémistes. Il a failli réussir. Parce qu'il y a un génocide
qui a emporté un million de Tutsi. Dans cent jours... Il fallait que tout le monde, quelque
part, participe. Donc des paysans qui n'ont jamais vu l'avion, qui ont été tués, parce qu'ils ont descendu l'avion. "C'est de votre faute, vous avez descendu l'avion. Même si ce sont vos frères qui l'ont fait." Ils en savaient rien les paysans.
J.S.: Et alors, tu es resté là jusqu'à quel âge, au Rwanda?
R.B.: Moi j'ai quitté le Rwanda en 1997. J.S.: Et tu avais quel âge? R.B.: Trois en plus tard. 19 ans plus trois, 21 ans. Heu non, 22 ans, 22 ans! 19+3!
J.S.: Et tu es arrivé à Montréal la première fois?
R.B.: Montréal, ouais. Bon je suis passé de New York, de New York à Montréal, ouais..
J.S.: C'était quoi ta première pensée à ton arrivée au Canada?
R.B.: Bon premièrement je voulais aller en Occident. En Occident parce que... Ce n'est
pas que j'accuse l'Occident mais l'Occident avait plus de moyens donc, parce que nous on a été en contact avec l'Occident pendant le génocide. Les soldats belges sont allés
au Rwanda, les soldats français, même les casques bleus qui étaient dirigés par un
général canadien, Dallaire. Tout ça représentait l'Occident. Ils avaient tout le matériel
possible. Ils débarquent. On était en contact avec eux parce qu'ils sont venus dans le Centre
où j'étais, mais ils ont évacué juste les Occidentaux. Mais à cette époque on se demandait "mais où était le monde?". Ces soldats font ça, est-ce que les autres derrière pensent comme eux? Parce qu'ils sont venus évacuer juste les Occidentaux. On pensait que le monde s'en foutait complètement. Moi, en arrivant ici, je voulais savoir qu'a
fait l'Occident, c'est quoi qu'il veut. Moi je voyais des gens qui filmaient un peu mais...
Il y avait les Nations Unies sur place. Mais les Nations Unies représentaient le monde.
On peut pas dire que le monde n'a pas su, parce qu'il y avait des gens sur place. Ces
armées belges et françaises qui sont venues, c'est sûr qu'elles ont donné des comptes-rendus. Bon moi en arrivant ici, même à New York où je suis passé, je voulais vraiment savoir
ce qui... ce qui les occupait, qu'est ce qui les empêche de faire attention à ce qui se passe dans un pays pauvre. J'avais jamais connu ce système là de pays riches et tout.
C'est sûr qu'avec mon premier voyage là, j'ouvrais vraiment les yeux, je voulais voir "qu'est ce qui se passe? qu'est ce qui se passe?". J'arrive à Montréal, j'ai vécu la même chose à New York -mais je suis francophone,
je pouvais pas poser des questions à New York, une ambulance passe, les pompiers, tout
le monde dégage. Ça m'avait fait peur, je pensais que c'était la guerre. Pour moi, tout ce qui arrivait comme ça c'était comme la guerre. J'arrive à Montréal, je vois
la même chose. Des sirènes dans la rue, des voitures de police, tatata, tatatatata,
tout le monde s'écarte, après c'est l'ambulance. Quand j'ai posé la question au taximan "c'est
quoi ça, cette affaire là?Il y a une guerre qui se prépare? ", parce qu'au Rwanda j'avais jamais vu ça. Bon il me dit là "c'est une urgence! C'est quoi ta question?". Le taximan n'a pas bien compris pourquoi je posais la question. Quelque par, une vie est en danger.
Ça, ça m'a surpris. Une vie est en danger, tout le monde réagit comme ça? Ben oui.
Moi j'ai pensé que j'avais mal entendu parce qu'il avait dit "une" vie est en danger.
Peut-être une vie ou plusieurs. Donc j'ai compris que l'Occident connaissait l'urgence.
Ça paralyse la ville, tu vois. Je ne pensais pas qu'ils le savaient autant. Moi j'pensais
que ça pressait as quand y'avait des problèmes, tu comprends. Quand je pense qu'au Rwanda on a attendu pendant trois mois. Ben c'était une urgence, sincèrement
c'était une urgence. Ça c'est une des choses qui m'ont profondément déçu. On montre l'importance de l'urgence, ils n'ont pas réagi comme ça. Imagine-toi comme au Darfour ça
fait quoi, bientôt trois ans, y'a un génocide. [il soupire]. S'il y avait une ambulance,
qui serait en train de rouler en combien de... Des choses comme ça. C'est pour ça que j'ai envie qu'on parle aussi du Darfour. Je fais des caricatures, je fais des choses comme
ça. J.S.: C'est affreux. R.B.: Ouais. J.S.: Est-ce que tu veux prendre une pause? R. B.: Ouais..
Je suis l'auteur d'une bande dessinée sur le génocide au Rwanda donc... vous voyez ici. J.S.: Quand est-ce que tu as fait ce livre là? R.B.: Heu... le livre je l'ai fait en... 2002, mais il est fini en 2004.
En 2004. Et ça raconte l'histoire vraie sur le génocide qu'on a vécu au Rwanda.
Donc tous les témoignages que vous allez voir dans son livre, dans ce livre, sont des histoires vraies. C'est pour ça qu'il y a des photos aussi des... des victimes du génocide au Rwanda.
C'est un livre qui parle d'une famille amie, d'une famille que j'ai vu disparaître durant
le génocide au Rwanda, que j'aimerais rendre hommage, immortaliser, pour que le monde n'oublie
jamais ce qu'on a vécu, et que ça ne revient jamais. J.S.: Est-ce qu'il y avait des rescapés de cette famille? R.B.: Heu... dans cette famille la seule personne qui a survécu c'est la mère, Rose Rwanga, que j'ai essayé de dessiner ici. Elle est présentement ici à Montréal, elle a pu venir se faire soigner au Canada.
J.S.: Ok. Et en... en quelle année est-ce que... est-ce qu'elle est venue au Canada? R.B.: Heu je pense que ça fait trois ans qu'elle est ici. [JS: Trois ans?] Oui, ça fait trois ans qu'elle est ici. C'est une femme qui a été... qui a vécu des choses horribles, parce que...
La différence entre elle et moi, c'est que moi je peux toujours faire une famille, tandis que pour elle tout est resté derrière. Donc sa vie est restée derrière elle. C'est ça le problème. En choisissant le titre de mon... de ma bande dessinée qui s'intitule, même en français "Sourire malgré tout". Justement ce sourire qui voulait signifier la vie qu'elle a vécue
avec sa famille. Parce qu'avant que le génocide emporte sa famille, c'était pas seulement des mauvaises choses qu'ils ont vécues ensemble. J'ai essayé d'être un peu optimiste, pour donner l'espoir. Parce que cette femme va toujours se rappeler de la belle vie qu'elle a vécue avec sa famille,
ce qui peut lui donner cette lueur de sourire. Ce n'est pas un sourire défini là, mais c'est une lueur.
Et c'est avec ce sourire même que nous les rescapés on essaye de se donner, parce que on se dit que la vie nous a épargnés, il faut la vivre. Même s'il y a des choses qui nous bloquent à s'épanouir, mais il faut qu'on ait quelque chose qui nous donne espoir. C'est ce qu'on a à partager avec les nôtres, qui sont partis, parce que tout n'était pas négatif avant qu'ils soient partis pour... Donc c'est ce sourire qu'on essaie d'avoir, pour que la vie continue, il faut être optimiste.
J.S.: Et est-ce que... elle a déjà lu ton livre clairement, et comment est-ce qu'elle
sent... [RB: Comment elle l'a pris?] Oui. R.B.: Elle a vu le livre. Bon, je peux pas dire qu'elle a tout lu, parce qu'elle sait que je maîtrise l'histoire, vu que j'ai vécu avec sa famille, c'était des voisins, vu que j'ai connu ses enfants.
Elle sait que vraiment je sais de quoi je parle. Mais elle n'a pas le courage de tout lire. Elle n'a pas trouvé le courage, de dire, oui, si la personne qui peut le dire, c'est
toi. J.S.: Wow. R.B.: C'est comme... elle m'a donné une carte de... J.S.: C'est une grande responsabilité n'est-ce pas, de... R.B.: Exactement. Parce que pour elle, ça serait comme très difficile de... de passer encore à travers toutes ces choses. Parce qu'elle sait que mon objectif, c'est d'immortaliser sa famille, donc elle n'a pas
trouvé le courage de lire le livre. Elle a feuilleté, comme ça. Voilà. C'est ça qui se passe quand... J.S.: Tu... comment est-ce que ça te fait sentir que.... que you know, c'est difficile pour elle de lire son histoire, son expérience, dans une forme de livre heu...
R.B.: Heu... moi je la comprends, je la comprends. Je la comprends parce que déjà, le fait d'accepter de contribuer à un livre... elle
a mis plus d'énergies pour rester en vie. Donc elle peut pas trouver d'autres énergies d'affronter toujours des choses qui lui ont fait mal. Elle a sa façon de commémorer, tous les jours, parce que présentement elle habite toute seule. Heu... c'est pour ça que tout ce qui va avec le génocide, chaque fois que ça arrive, ça la met dans des mauvais états. Ça la met vraiment dans des mauvais états. Ce qu'elle aime, c'est qu'on parle de souvenirs que l'on a de sa famille, sans qu'on arrive au génocide. Comme les fêtes dernières qu'on passait ensemble.
Des bons moments comme ça, c'est ça qui... qu'elle aime entendre, plutôt que de commencer à reparler de tout ce qui est génocide. J.S.: C'est difficile. R.B.: Ça la rend malade, complètement. Surtout qu'elle a le problème de... [tousse] du cœur, donc elle est vraiment suivie de
près par les médecins. [JS: Oh wow] C'est ça qui arrive, c'est une femme qui a 63 ans aujourd'hui. J.S.: Hum... Et... lorsque vous êtes ensemble, avec... lorsqu'elle est avec ta famille, vous ne parlez
pas de vos mémoires ou de... ou de vos expériences ensemble? R.B.: Heu... Quand on est ensemble, on parle, comme j'ai dit, de ce qui s'est passé avant le génocide.
Je me rappelle une fois, on avait localisé l'endroit où on avait enterré sa fille.
Bon, ça a été facile à localiser par rapport à son mari et ses deux fils, qui sont morts
avant sa fille, et que, je l'explique dans le livre... Et puis il fallait déterrer le corps pour l'enterrer dans la dignité. On l'a suppliée de ne pas venir pendant qu'on déterrait.
Parce que quand on déterre, excuse-moi... quand on déterre, pour elle c'est une scène d'horreur. On ne voulait pas qu'elle soit là. Elle nous a demandé de filmer ce cérémonial. Et on se demandait comment on allait lui montrer ça. Donc on l'a fait, on a filmé, bon... Après, on l'a mis dans un cercueil, on a célébré la messe et l'enterrement.
Quelques jours plus tard elle a demandé qu'on regarde le film! On se sentait vraiment inconfortables de regarder ce film-là avec elle. Mais elle, elle voulait vraiment le voir. Bon... [tousse] nous avons essayé de voir si vraiment elle était forte pour ça.
On a mis la cassette. Elle est restée figée comme ça, mais elle a tout regardé.
C'est... c'est mieux des fois pour que ça passe une fois pour toute. Parce que quelques mois plus tard, elle a connu la même expérience avec son fils, son mari et tout. Parce qu'on avait découvert une fosse commune, là où ils avaient été enterrés [tousse]. Là c'était encore plus traumatisant que... l'expérience de sa fille, vu qu'il y avait
plusieurs corps dans une fosse commune, il fallait cette fois-ci les identifier.
Il fallait qu'elle soit là. Parce que tu vois, les corps qui sont maganés, seule la mère peut savoir si c'est son fils
ou son mari. Des choses comme ça. Ça a été une des plus grandes expériences, les plus difficiles, qu'elle a vécues après
le génocide. Sauf que ça l'a soulagée un peu. Ça l'a soulagée de dire: "Là je peux faire mon deuil, parce que là cette fois-ci je sais qu'ils sont morts". Parce qu'avant, ils ne savaient pas où ils avaient été
enterrés, peut-être qu'il y avait espoir comme quoi quelqu'un puisse se sauver, échapper. Mais après avoir vu les corps, donc elle a fait une croix sur ça.
Elle a dit: "Ils sont partis, je reste toute seule". C'est ça qui arrive.
Oui. J.S.: Wow. Et... ça fait combien de temps que ta famille connaît Rose? Est-ce que c'est depuis que tu es un enfant? R.B.: Hum... Même avant que je naisse, mes parents étaient amis... [JS: Avec la famille, avec elle et sa famille?]
Avec la famille des Rwanga. Oui, ils étaient tous amis. Jusqu'au génocide. Ça a été une amitié vraiment qui est restée longtemps, qu'on doit continuer à garder, tant qu'elle sera toujours en vie. Et puis je trouve que c'est dans des situations comme telles que l'amitié vraiment en vaut
la peine. Oui. Parce qu'on sait pas qu'un jour on va être tout seul sans famille, c'est là qu'il faut avoir des amis, sinon sur qui tu peux compter? Tu comprends? Voilà.. J.S.: Alors tu étais ami avec. Avec ses fils, ses...
R.B.: Toute la famille était amis, les parents étaient amis, les enfants étaient amis, donc... Quand on a vécu toutes ces horreurs ensemble, c'est comme si on a tout partagé,
quasiment. On a partagé les fins d'année, on a partagé les joies, on a partagé des moments difficiles, mais on n'avait jamais connu de moments aussi difficiles que le génocide. Malheureusement, on n'a pas tous connu la même fin, parce qu'ils sont tous partis. Devant le monde entier, comme on dit toujours, qui était là et... on ne savait pas qui allait s'en sortir, tu comprends? Sincèrement, j'ai pas fait grand-chose. Mais ils sont partis.
C'est pour ça que moi, en faisant ce travail, le livre, c'est une responsabilité, c'est
un devoir personnel. Comment tu peux rester les bras croisés après une chose comme ça?
Peut-être s'ils auraient restés, ils auraient peut-être fait la même chose. C'est pour
ça que c'était une façon aussi de retrouver la paix. Sinon nous on se sentait les lâches. Parce que lorsqu'ils commençaient à... à amener le monde, et le monde n'a pas fait grand-chose, le monde il a pas fait des choses. Pourtant, en tant que rescapé, si j'ai rien
fait... ça dépend des autres aussi. Parce qu'un génocide, ça peut arriver partout. Ça peut arriver partout. Si les rescapés de l'Holocauste n'auraient pas fait quoi que
ce soit pour en parler, peut-être le monde n'aurait jamais dit: "plus jamais". Même
s'ils ne l'ont pas respecté. Mais je me dis que c'est grâce à tous ces rescapés qui ont témoigné que., qui ont fait toutes ces choses que le monde au moins a voulu faire quelque chose. Mais c'était pas assez. Là il faut continuer, il faut continuer. Parce
que ça revient encore. Ça revient au Darfour, ça a failli revenir au Kenya, tout récemment. Y a aucune place qui peut dire que... elle est protégée complètement. Tant qu'il y a des humains, il y a des bonnes choses mais il y a aussi des mauvaises choses. On ne sait pas comment ça peut arriver, parce que c'est avec des petites choses à tous les jours, qu'on laisse passer. Parce qu'il n'y a aucun pays au monde qui n'a pas de racisme. Le racisme
est partout. Mais ce racisme-là peut se développer. Tu vois, c'est très... il faut en parler.
J.S.: As-tu des... des souvenirs de... de ton enfance, avec... avec les fils ou les...
Rose, et la famille, que tu pourrais raconter? RB.: Hum... les souvenirs... Je me rappelle
une fois, on passait les fêtes de fin d'année, mais on commençait à avoir de la tension
dans le pays. Et c'était après le multipartisme en Afrique, donc c'était fini la politique
d'un parti unique, tu comprends. Ça, ça a dérangé beaucoup l'ancien dictateur, avec
aussi la guerre qui avait commencé dans le pays, des anciens réfugiés rwandais qui...
qui voulaient rentrer, parce que le Président qui était sur place ne voulait pas qu'ils
rentrent. Après trente ans, ils sont rentrés par la force. Trente ans d'exil. Donc... tout
ça a causé des choses dans notre pays... J.S.: Ok... Tu avais quel âge lorsque ça
c'est... R.B.: Heu... ce que je suis en train de dire ou le génocide? J.S.: Non, ce que tu es en train de... de me raconter. R.B.: Ah, ce que je suis en train de raconter, là j'avais comme 17 ans. [JS: 17 ans?] Oui. [tousse] Là on avait fait une fête de fin d'année, mais il y avait justement le racisme, dans l'air. Il fallait fêter sans que les
gens autour le sachent, sans attirer l'attention. Pourtant on voulait mettre de la musique au
fond comme tout le monde, mais il fallait que ça soit un peu silencieux et.... On n'était
pas à l'aise, parce qu'il fallait tout le temps jeter un coup d'œil dans les fenêtres, pour voir s'il y a pas des miliciens qui... qui arrivent lancer des grenades à travers
les vitrines. C'était vraiment fréquent partout. Il y avait des miliciens partout
qui travaillaient pour le régime raciste, qui détestait tout ce qui était Tutsi ou Hutu. Chaque fois qu'ils voyaient que c'était la fête, ils nous envoyaient des grenades dans la vitrine. Mais imagine-toi fêter dans ce climat-là. Vous voulez fêter mais vous
pensez qu'on va vous envoyer des grenades aussi. Pourtant c'était la fin de l'année,
il fallait fêter. Donc c'était un des souvenirs là... que j'ai avec cette famille [JS: Avec eux]. Sinon bon y'a des souvenirs d'enfance, comme vous disiez, quand on allait voler des goyaves, les fruits, chez les prêtres. [Rires] Des choses comme ça, des comme ça, des souvenirs
comme ça. J.S.: Ok. Est-ce que tu peux me parler un peu de... de ton enfance? Peut-être... You know... hum... laisse-moi voir... Des choses que tu aimais faire lorsque tu étais petit, des sports... R.B.: Heu... moi quand j'étais petit, ce que j'aimais faire, c'était dessiner. J.S.: Dessiner? Ok... c'est évident! R.B.: Oui. J'adorais dessiner, feuilleter
des bandes dessinées... je ne lisais pas les textes, mais j'adorais ça. C'est comme si je comprenais sans lire. Et puis j'adorais dessiner. Mais le problème c'est que dans
mon pays, c'était pas encouragé de faire des dessins. J.S.: Et pourquoi? R.B.: À cause que c'était pas un métier qui pouvait être ton avenir au Rwanda. Le Rwanda c'était un pays qui avait besoin de...
de satisfaire les besoins primaires. Donc les affaires comme l'art, la musique, et tout ça, ça venait vraiment après. [ J.S.: Secondaire] Oui, non, plus que secondaire... [ J.S.: Plus que secondaire!] Ben oui, ça pouvait pas te nourrir. Mais moi j'avais un talent que je voulais pas enterrer, que je ne voulais pas gâcher. Je le développais comme ça...
et heureusement, mon père... lui il ne me décourageait pas. Mais tous ses amis lui
disaient: "Ah ton fils, faut l'orienter autrement". J.S.: Et ta mère, est-ce qu'elle s'entendait bien avec ton père? R.B.: Ben mes parents quand même ils m'ont pas mis la pression là-dessus. [tousse] Ils voyaient que j'aimais ça, mais chaque fois à l'école j'avais des messages comme quoi il faut l'empêcher de dessiner, il faut surveiller, il dessine... tu vois toutes ces choses... J.S.: Wow! C'était drôle R.B.: Moi c'est comme si je voulais pas montrer ces messages mais j'étais obligé. Jusqu'à ce que même ils ont [inaudible] mon dessin, de plus en plus, mes bandes dessinées que je regardais... Ils trouvaient que je dessinais
beaucoup. Donc ils voulaient pas que je m'oriente dans le domaine artistique, mais mes parents ils ont vu que ma volonté était plus forte. Ben ils ont laissé tomber. C'est ça qu'il
faut faire, c'est ton destin, tu vas le faire. Ça va te nourrir ou a va pas te nourrir, que Dieu te garde, c'est tout! [C'est laissé à vous] Et regarde aujourd'hui, je fais des
choses qui sont super bien payées. J.S.: C'est ton travail. R.B.: C'est pour ça qu'il n'y a pas beaucoup de rescapés qui ont fait finalement en dessin. Même jusqu'à présent je peux dire que je suis le seul rescapé qui a pu faire une bande dessinée sur le génocide [JS: Du Rwanda]. Non seulement il n'y avait pas beaucoup d'artistes au Rwanda, mais aussi, plusieurs personnes vraiment sont morts au Rwanda. Donc ça, ça
diminue les chances d'avoir des illustrateurs qui vont faire des choses comme ce que moi j'ai fait. Dans ce sens. J.S.: Ok. Wow. Et... comment est-ce que ta
mère, you know, comment est-ce qu'elle se sent maintenant à propos de ton livre?
R.B.: Heu... ma mère, elle a été impressionnée parce que... avant de le faire, j'ai jamais
consulté personne. C'est... c'est arrivé, moi j'avais cette ambition-là... Après avoir
quitté le Rwanda, je voulais sortir tout ça. Mais je ne savais pas que je voulais faire une bande dessinée, moi j'avais jamais fait de bande dessinée. Je savais que je pouvais dessiner, il me manquait quelques formations par ci par là... Bon, j'ai pris une formation en infographie-design, après j'ai mis tout sur le papier. Quand ça a commencé
à sortir je prenais le goût même si c'était difficile pendant la conception. C'était
difficile parce que j'ai découvert une thérapie en voulant m'exprimer, tu vois. En voulant
vraiment témoigner, j'ai découvert une thérapie. À chaque scène je m'arrêtais, je me disais:
"Est-ce que vraiment on a vécu tout ça?". C'est comme si je venais de trouver le temps de réaliser tout ce qu'on venait de vivre. J'avais jamais eu ce temps-là. Parce qu'au Rwanda, ce qu'on faisait après le génocide, enterrer nos morts, déterrer, les enterrés dans la [?]. C'était tout le temps des enterrements, des choses comme ça. On... on était en train
de reprendre... à vivre. Mais oui, parce que la vie était continue pendant la guerre.
T'as des morts tout le temps à-côté de toi. C'est comme si tu es mort aussi, quelque part. Tu vois que la vie t'épargne, mais tu sais pas quoi faire, tu sais pas quoi faire.
Après tu sais qu'il faut enterrer les gens, tu sais qu'il faut... faire attention aux
miliciens qui vous guettent encore... Quand ils quittent le pays tu sais, tu sens qu'il y a quand même tout un poids qui vient de... de partir un peu, là tu peux réaliser ce que tu as vécu. C'est en faisant ma bande dessinée que j'ai réalisé tout ça. Je
dessinais des choses, je regarde:"Mais est-ce que c'est une fiction ça ou c'est une réalité vraiment?" De plus en plus, je vois ces scènes, je... je m'arrêtais
sur les dessins, y'a des choses que je voulais pas dessiner... Je me disais: "Mais pourquoi je veux pas les dessiner?". C'est une thérapie. Veut ou veut pas, c'est une thérapie. Parce
qu'une thérapie c'est quoi, c'est sortir toutes ces affaires-là... Tu peux pas le sortir plus que ça, parce qu'il y a des images, et y'a tout... [tousse] Donc moi... tout ça
c'était en moi, mais aujourd'hui je peux le partager.... Je peux prendre. C'est pour ça que même, j'inviterais tout le monde qui a des problèmes comme ça... c'est pas
seulement les génocides... ça peut être seulement une seule personne, quelque chose que tu as vécu dans ta famille, comme des enfants qui sont violés, des choses comme ça, qui n'arrivent pas à le partager verbalement, comme ça, mais qui peuvent, avec des petits
dessins, ou avec la musique... Donc la thérapie, l'art dans la thérapie. Quelque chose que j'ai découvert qui marche bien.. J.S.: Est-ce que tu... As-tu dessiné lors du [inaudible] guerre... lors... quand le
génocide a commencé... R.B.: Si j'ai dessiné pendant la guerre? J.S.: Est-ce que tu as dessiné? R.B.: Pendant le génocide? Non... Bon, je pouvais dessiner sur le sol, sur le sol... Parce que.... on n'avait pas accès au matériel
de dessin. Quand nous avons quitté nos maisons pour se réfugier on n'avait rien. On avait
juste les habits qu'on portait ce jour-là. C'est tout. Il fallait d'abord manger avant
de chercher le matériel de dessin. Mais heureusement. Mais heureusement, le Rwanda n'était pas un pays asphalté comme ici, on pouvait dessiner sur le sol. Avec un morceau de bois tu fais
des petits dessins, tu vas effacer après. C'est tout. C'était les seuls dessins qu'on faisait. J.S.: Et même heu... avant la génocide... R.B.: À un moment donné quand même, ok, la question était bonne, que tu m'as posée... À un moment donné j'ai pensé que bon, on allait tous mourir, au centre, là où on se cachait. C'est pas comme je voulais vraiment dessiner, mais c'était comme, laisser des messages. Sur les maisons, ou sur les arbres. Malheureusement je n'avais rien qui pouvait
m'aider à laisser un message mais l'idée m'a traversé l'esprit. Comme:"Ils vont nous exterminer, personne ne saura même c'est qui qui l'a fait". Ou que des réfugiés
qui étaient là ont été réfugiés. Parce que les prêtres nous avaient laissés au Centre. Moi je me disais que peut-être, après la guerre, ils vont dire:"Ah, les réfugiés
que vous avez laissés ici se sont sauvés, ou ils ont été amenés par les rebelles..."
Des choses comme ça. Mais moi ça me [inaudible]. J'étais pas la seule personne qui a eu cette
idée-là, comme de laisser des messages sur le plancher ou sur un mur, ou sur un arbre, quelque chose comme ça, mais on n'avait rien pour le faire. Sincèrement. Ça c'est ce
genre... ce que j'aurais aimé faire, mais qu'est-ce que j'aurais dessiné dans ce temps-là...? Parce que moi j'ai vu que pour dessiner faut avoir tout son... toute sa concentration. Là j'en avais pas. Je me demande même si j'aurais été capable de dessiner, tellement
on tremblait... on avait tout le temps peur. Quand tu as peur, la main est fragile. Comment
j'aurais pu dessiner quelque chose qui aurait été représentatif? Je sais pas. J.S.: Ok, et en pensant du... de ce que tu as expériencé avec ta famille durant le
génocide, est-ce que tu peux m'expliquer comment les jours avant que la....le génocide
a commencé, comment c'était pour ta famille? R.B.: Heu... comment c'était dans ma famille
avant que le génocide commence? On vivait sous une pression. Une pression, une tension,
qui avait été causée, comme j'ai dit, par... la guerre qui avait été commencée, en 90,
comme je l'ai dit par les rebelles du FPR, le Front Patriotique Rwandais. Et comme j'ai
dit, c'est des réfugiés Tutsi qui avaient été chassés en 59, qui ont décidé de rentrer par force parce que le gouvernement sur place, je me répète quoi, ne voulait pas qu'ils rentrent. Cette guerre a créé beaucoup de tensions parce que le régime
sur place a dit que ah, c'est une guerre des Tutsi, contre les Hutu... Chaque Hutu doit
surveiller un Tutsi, et tout ce qui ressemble à un Tutsi, tout Tutsi qui s'est pris pour
un Hutu, des choses comme ça quoi. Donc ça, ça créait des tensions dans le pays, dans
la famille, chez mes amis, comme ça. Parce que le gouvernement, vraiment, nous ont montés
les uns contre les autres, contre nos voisins, contre tout le monde. Donc c'est comme si on était des étrangers dans notre propre pays. Étrangers, c'est comme... quand quelqu'un te faisait un geste, il fallait le remercier comme si c'était une faveur, alors que vous avez tous les mêmes droits. C'est... c'est comme s'il fallait laisser passer les gens
devant toi, même dans les autobus, fallait les laisser s'asseoir avant toi... On voulait
provoquer personne pour un moment. Il y en a qui se sentent malades... il faut faire
attention, comme si on était des étrangers, on n'était plus des humains. Et d'ailleurs il y avait des expressions, des termes, on nous appelait plus des humains, on était
des cafards, des serpents, des choses comme ça. Tu pouvais bousculer quelqu'un par accident, tu t'excuses, mais lui va lâcher un mot: "c'est un serpent, c'est un cafard". Mais
on était quand même optimistes. On pensait que tout cela allait partir, vu qu'il y avait
des négociations entre le gouvernement et les rebelles, et que les Nations Unies commençaient à venir au Rwanda. On pensait qu'on était en train de vivre la fin, mais on pensait
que la fin allait être aussi pire. C'est ça. Quelque part, c'était la fin, mais très
tragédique [tragique?]. C'était... ça a été plus tragédique [tragique?] qu'on l'imaginait quoi. Donc c'est dans ce climat qu'on a vécu, avant le génocide. Je t'ai parlé des grenades
qu'on lançait dans les maisons... Il fallait dormir avec ça sur son cœur. C'est pas évident.
Des mauvaises nouvelles qu'on entendait de par-ci par-là, des gens qu'on tuait ou qui
disparaissaient. Tout ça. C'était des situations très, très difficiles. J.S.: Et tu habitais où, en quelle ville? R.B.: Moi j'habitais à Kigali [tousse],
la capitale du Rwanda. Parce que le Rwanda était un petit pays. J'ai oublié de situer
le Rwanda... c'était le cœur de l'Afrique, comme on dit, c'était vraiment la... Côté
climatique et out, environnement, c'était vraiment le meilleur pays au monde, oui. Donc
un petit pays de 28000 km carrés, avec sept millions d'habitants. C'était ça le
Rwanda. J.S.:[...] Et lorsque tu penses avant le génocide, avant la guerre, est-ce que tu as des souvenirs positifs de... de ton enfance
de... lorsque tu es adolescent, avant que la violence a commencé? R.B.: Mes plus beaux souvenirs c'est... À l'âge où on était inconscients. Je peux
dire. Parce que c'est à l'âge où... c'est comme si on vole. On connaît pas la réalité
qu'il y a autour de nous. Comme un enfant... dès qu'il y a un petit enfant, [inaudible]
pour tout le monde, c'était ça les beaux souvenirs. Parce qu'on jouait beaucoup avec la nature, comme il faisait tout le temps bon, beau au Rwanda... Le Rwanda c'est un pays où y'a le printemps perpétuel, comme on dit, c'est 25 degrés toute l'année. On avait droit au soleil chaque jour, à la même heure, et le soleil se couchait à la même heure. Pour un enfant là, dans un endroit comme ça.... T'as personne qui kidnappait
les enfants. On allait partout. Nos parents là ne se souciaient jamais de savoir ce qu'on a fait la journée, où on était. Donc heu... je peux dire que les plus beaux souvenirs justement, c'est l'enfance. J.S.: Et tu penses que... Est-ce que tu penses que tes frères et tes sœurs se sentent comme ça aussi. R.B.: Oui, effectivement. C'est quand on a été conscients, quand on a su ce qui se
passe dans notre pays, les problèmes des ethnies, des choses comme ça... Ça a coupé
l'ambiance. On a commencé à voir la réalité, à se méfier des gens. On savait que des
gens qu'on pensait qui nous aimaient, on a trouvé qu'ils ne nous aimaient pas... jusqu'au
génocide. Même d'autres personnes qu'on pensait qu'ils étaient bien avec nous, on les a vus nous attaquer. Ça a été de déception en déception, jusqu'à la fin quoi.
J.S.: Comme des voisins, des amis aussi... R.B.: Des voisins, des gens que tu pensais
que c'était des vrais amis... À un moment donné tu vas demander de [inaudible] Ah, vous êtes Tutsi, non. Alors là on se dit plus rien, c'est de votre faute, vous avez descendu l'avion... Tu t'imagines? Descendre de l'avion c'était... si ça a été fait, ça a été fait par deux personnes, c'était la faute de tout le monde. Y'a même des paysans
qui n'avaient jamais vu d'avion de leur vie et qui ont payé pour cet avion-là qui a été descendu parce que... Y'avait un dictateur là, ils n'étaient pas tous extrémistes,
mais lui voulait les rendre tous extrémistes. Il a failli réussir. Parce qu'il y a un génocide
qui a emporté un million de Tutsi. Dans cent jours... Il fallait que tout le monde, quelque
part, participe. Donc des paysans qui n'ont jamais vu l'avion, qui ont été tués, parce qu'ils ont descendu l'avion. "C'est de votre faute, vous avez descendu l'avion. Même si ce sont vos frères qui l'ont fait." Ils en savaient rien les paysans.
J.S.: Et alors, tu es resté là jusqu'à quel âge, au Rwanda?
R.B.: Moi j'ai quitté le Rwanda en 1997. J.S.: Et tu avais quel âge? R.B.: Trois en plus tard. 19 ans plus trois, 21 ans. Heu non, 22 ans, 22 ans! 19+3!
J.S.: Et tu es arrivé à Montréal la première fois?
R.B.: Montréal, ouais. Bon je suis passé de New York, de New York à Montréal, ouais..
J.S.: C'était quoi ta première pensée à ton arrivée au Canada?
R.B.: Bon premièrement je voulais aller en Occident. En Occident parce que... Ce n'est
pas que j'accuse l'Occident mais l'Occident avait plus de moyens donc, parce que nous on a été en contact avec l'Occident pendant le génocide. Les soldats belges sont allés
au Rwanda, les soldats français, même les casques bleus qui étaient dirigés par un
général canadien, Dallaire. Tout ça représentait l'Occident. Ils avaient tout le matériel
possible. Ils débarquent. On était en contact avec eux parce qu'ils sont venus dans le Centre
où j'étais, mais ils ont évacué juste les Occidentaux. Mais à cette époque on se demandait "mais où était le monde?". Ces soldats font ça, est-ce que les autres derrière pensent comme eux? Parce qu'ils sont venus évacuer juste les Occidentaux. On pensait que le monde s'en foutait complètement. Moi, en arrivant ici, je voulais savoir qu'a
fait l'Occident, c'est quoi qu'il veut. Moi je voyais des gens qui filmaient un peu mais...
Il y avait les Nations Unies sur place. Mais les Nations Unies représentaient le monde.
On peut pas dire que le monde n'a pas su, parce qu'il y avait des gens sur place. Ces
armées belges et françaises qui sont venues, c'est sûr qu'elles ont donné des comptes-rendus. Bon moi en arrivant ici, même à New York où je suis passé, je voulais vraiment savoir
ce qui... ce qui les occupait, qu'est ce qui les empêche de faire attention à ce qui se passe dans un pays pauvre. J'avais jamais connu ce système là de pays riches et tout.
C'est sûr qu'avec mon premier voyage là, j'ouvrais vraiment les yeux, je voulais voir "qu'est ce qui se passe? qu'est ce qui se passe?". J'arrive à Montréal, j'ai vécu la même chose à New York -mais je suis francophone,
je pouvais pas poser des questions à New York, une ambulance passe, les pompiers, tout
le monde dégage. Ça m'avait fait peur, je pensais que c'était la guerre. Pour moi, tout ce qui arrivait comme ça c'était comme la guerre. J'arrive à Montréal, je vois
la même chose. Des sirènes dans la rue, des voitures de police, tatata, tatatatata,
tout le monde s'écarte, après c'est l'ambulance. Quand j'ai posé la question au taximan "c'est
quoi ça, cette affaire là?Il y a une guerre qui se prépare? ", parce qu'au Rwanda j'avais jamais vu ça. Bon il me dit là "c'est une urgence! C'est quoi ta question?". Le taximan n'a pas bien compris pourquoi je posais la question. Quelque par, une vie est en danger.
Ça, ça m'a surpris. Une vie est en danger, tout le monde réagit comme ça? Ben oui.
Moi j'ai pensé que j'avais mal entendu parce qu'il avait dit "une" vie est en danger.
Peut-être une vie ou plusieurs. Donc j'ai compris que l'Occident connaissait l'urgence.
Ça paralyse la ville, tu vois. Je ne pensais pas qu'ils le savaient autant. Moi j'pensais
que ça pressait as quand y'avait des problèmes, tu comprends. Quand je pense qu'au Rwanda on a attendu pendant trois mois. Ben c'était une urgence, sincèrement
c'était une urgence. Ça c'est une des choses qui m'ont profondément déçu. On montre l'importance de l'urgence, ils n'ont pas réagi comme ça. Imagine-toi comme au Darfour ça
fait quoi, bientôt trois ans, y'a un génocide. [il soupire]. S'il y avait une ambulance,
qui serait en train de rouler en combien de... Des choses comme ça. C'est pour ça que j'ai envie qu'on parle aussi du Darfour. Je fais des caricatures, je fais des choses comme
ça. J.S.: C'est affreux. R.B.: Ouais. J.S.: Est-ce que tu veux prendre une pause? R. B.: Ouais..

J.S.:: Alors si tu veux tu peux t'introduire encore parce que c'est une nouvelle cassette.
R.B.:: Hum, Rupert Bazambanza, je viens du Rwanda.
Je suis l'auteur de la bande dessinée sur le génocide perpétré en 1994.
L'histoire que j'ai illustrée moi-même, je vous présente la copie [il montre la BD].
Ça c'est une version française. J.S.:: Et tu as la version anglaise aussi?
R.B.:: Et il y a la version anglaise [il montre cette autre version]. J.S.:: Avec mes notes sur le côté! R.B.:: Ouais. Donc je suis à Montréal depuis 1997. Je suis un illustrateur activiste, activiste illustrateur. Ça veut dire que je condamne, je témoigne, mais j'utilise un vecteur artistique.
J.S.:: Alors j'étais intéressée à savoir, tu l'as fait en quelle année?
C'est à dire en 2005? R.B.:: En... Le livre est sorti en 2004, mais moi je l'ai produit en 2002. Ça m'a pris à peu près deux ans de travail pour mettre au point le livre, ce qui a d'ailleurs
été une thérapie pour moi, parce que j'ai découvert une thérapie en faisant une bande
dessinée. C'était pas prévu au départ parce que moi je voulais témoigner, je voulais condamner tout ce qu'on avait vécu au Rwanda et j'ai découvert que ça m'a aidé à dépasser certaines choses. Ce sont des choses que j'ai découvert en réalisant ma bande dessinée. J.S.:: Et lorsque tu as réalisé ta bande dessinée, c'était quoi la réaction de ta
mère, de ta famille quand tu leur a dit que tu allais produire une bande dessinée sur
la Rwanda? R.B.:: C'est sûr que ma famille a été impressionnée, j'peux dire, parce que je venais quelque part
d'accomplir un rêve aussi. Parce que pour moi cette bande dessinée, pour ma famille, c'est d'abord un devoir parce
qu'on a perdu notre papa pendant le génocide et beaucoup d'amis, plusieurs membres de la famille, au deuxième degré surtout. Donc c'est quelque chose qui a été bien accueilli, c'était comme un rêve que je venais d'accomplir parce que ma famille m'a toujours vu dessiner étant petit. Et dans mon pays c'était pas quelques chose de facile parce que l'art, le dessin, c'était
pas quelque chose qui pouvait te nourrir. Au Rwanda c'était pas un métier qui était encouragé. Donc à chaque fois que je fais le dessin au Rwanda, c'est comme si je le faisais en
cachette un peu. Peu de personnes m'encourageaient. Heureusement, mon père était modéré. Il disait:: "si c'est ça que tu aimes, fais le mais fais-le bien." Tu vois? Bon j'ai persévéré comme ça. Donc quand ma famille m'a vu faire une bande dessinée sur le génocide, qui est le plus
grand génocide de l'histoire, je suis parmi les rares rescapés qui ont pu illustrer cette
tragédie, ma famille m'a fait un coup de chapeau. C'était pour dire, ben finalement on voit pourquoi tu dessinais. C'était pour parler ou t'exprimer à la place des personnes qui ne pourront plus le faire.
Bon là je parle des gens qu'on a perdus pendant le génocide. Donc ça a été un soulagement dans ce sens. Et j'invite d'ailleurs plusieurs personnes, surtout dans mon pays, qui font de l'art à
ne pas avoir peur de le faire. Parce qu'on ne sait jamais, on sait jamais. Si t'as un talent, il ne faut jamais enterrer son talent. C'est ça que je peux dire.
J.S.:: Ok. Alors c'est l'histoire d'une famille que tu connaissais, les [Rwanga]. Et alors Rose, c'est l'histoire de Rose, est ce qu'elle a déjà lu ta bande dessinée?
R.B.:: Hum Madame Rose, qui d'ailleurs est présentement à Montréal, bon c'est une
femme qui a été beaucoup secouée par le génocide.
Elle a tout perdu. Bon, c'est sûr qu'elle a lu mon livre. Elle a beaucoup aimé voir que j'avais immortalisé ses enfants qui étaient mes amis.
Parmi tous mes amis d'enfance que j'ai parlé là, c'était vraiment parmi les meilleurs.
Ça a été comme une surprise parce que quand je faisais mon livre, j'étais pas pour la consulter souvent, vu que c'est une histoire que moi-même j'ai vécue, j'étais là donc
heu... Elle savait très bien que je maîtrisais bien l'historie parce que c'était mon histoire
aussi. Vu que je fais partie des personnages de ma bande dessinée, elle a beaucoup, beaucoup aimé ça. Ça a même donné des larmes aux yeux. Elle a dit:: "mon Dieu, y'a beaucoup de Rwandais qui sont morts, qui ont pas eu la même chance, mais au moins on va entendre parler d'eux."
Et ça, ça me fait plaisir. Parfois quand je vais dans des réunions, des entrevues, comme ce qu'on fait là, où
quelqu'un peut me dire:: "donc Wilson a fait ceci, cela" mais Wilson c'est quelqu'un qui est mort et on parle de lui aujourd'hui. La famille on en parle, des journaux qui m'ont approché en ont parlé, je sais pas combien
de gens qui ont lu ces journaux là, ils ont pris connaissance de ces gens là, qui ne sont plus de ce monde pourtant. Donc c'était l'un des principaux objectifs: immortaliser et condamner les tragédies comme
ça, l'injustice, la réaction du monde aussi qui nous a vus mourir mais qui a croisé les
bras. J.S.:: Pourquoi tu n'as pas choisi de faire une bande dessinée sur ton expérience personnelle
et de ta famille? R.B.:: Pourquoi je n'ai pas choisi de raconter mon histoire personnelle...
Bon, pour plusieurs raisons. Premièrement, la vie m'a donné une deuxième chance, parce que je continue à vivre.
Donc mon histoire continue mais pour les autres leur histoire est finie. Moi je pense que c'est mieux de commencer par ces histoires qui sont finies pour arriver
à des histoires qui continuent. Moi je suis toujours ici, mon histoire je peux toujours la faire, moi j parfois j'en
parle, mais les autres n'ont pas cette option là. C'est pour ça qu'il faut d'abord rendre hommage aux disparues avant de revenir à nous-mêmes.
C'est ça les, les raisons. J.S.:: Dans ta bande dessinée, il y a tellement d'informations sur la situation au Rwanda
et ce qui s'est passé avant que le génocide est déroulé.
Est ce que tu as fait des recherches pour les faits ou est-ce que c'était juste ta
mémoire? Comment tu as apporté cette information dans la bande dessinée? R.B.:: Ben ce qui s'est passé là, bon quand je dis l'histoire je l'ai vécue hein.
Quand ça arrive, ça commence quelque part. Bon, ça n'a pas commencé dès ma naissance, ça a commencé avant que je naisse.
Parce que c'est une histoire qui quelque part a commencé en 1959 donc la première fois c'est mes parents qui m'ont parlé de leur histoire, triste histoire de 1959.
Là où ils se sont faits aussi attaqués, dans les familles, les maisons aussi ont été
brûlées, des choses comme ça. Bon, pour moi c'était comme une histoire. Je leur disais:: "en tous cas, vous n'avez pas été chanceux, nous nous faisons partie
du nouveau monde." Nous avons grandi dans un système racial. Il y avait les radios il y avait les médias, on entendait des choses qui se passaient par-ci par-là, dans des familles. Donc l'information vient comme ça, jusqu'au génocide où on était quand même assez
jeune pour comprendre ce qui se passe. Bon on a vécu quelque chose de plus dur que ce que mes parents avaient vécu en 1959.
Donc ça n'avait aucune comparaison. Quand j'ai regardé après le génocide, moi je pense pas que j'allais survivre, c'est
après le génocide que j'ai réalisé que j'avais beaucoup d'informations, que je n'avais rien oublié. J'ai remonté toute l'histoire, telle que nos parents nous l'ont racontée, mais aussi
l'histoire du génocide telle qu'on l'a vécu. Toute l'information moi je l'avais vue comme ça quoi. Je peux pas dire que j'ai consulté des médias ou des livres comme ça..
J.S.:: C'était dans ta mémoire.
R.B.:: C'était notre histoire.
J.S.:: Tu as parlé un peu dans ton livre des conflits qu'il y avait en 59.
Pourquoi tu n'as pas mis plus d'infos sur ces faits qui sont arrivés avant le génocide? R.B.:: Sur 59? J.S.:: Oui, parce qu'il y avait... R.B.:: Bon c'est sûr que 59, heu... Bon, vu que j'étais pas né pour moi c'est une histoire qui m'a été racontée mais
racontée aussi par des gens qui l'ont vécue. Ce que je peux dire de 59, bon les gens qui connaissent pas c'est quoi 59, c'est que le
Rwanda a connu son premier génocide, qui n'a pas été déclaré génocide. Mais d'après nous les Rwandais on considère que ça a été le premier génocide au Rwanda.
Et c'est d'ailleurs le même génocide qui a permis le deuxième parce qu'à cette époque
y'a des Rwandais qui ont appris à tuer et à profiter de leurs crimes.
Quand 1994 est arrivée, ils ont fait, ils ont pensé qu'il fallait répéter l'histoire.
Mais cette fois-ci à une grande échelle. Donc ce qui s'est passé en 59 c'est que la masse hutu, le Rwanda était composé des
Hutu, des Tutsi et des Batwa, donc la monarchie qui a toujours régné au Rwanda on disait
qu'elle était tutsi. Sauf que ça aussi faut bien regarder ça parce que y'a des parties du Rwanda qui étaient menées par des chefs hutu. Surtout au Nord du pays. C'est pas seulement les Tutsi qui ont été des nobles, il y a des Hutu aussi.
Mais avec 59, la population qui était là à l'époque, la population qui était majoritaire,
qui était hutu, a revendiqué, a réclamé l'indépendance, la république, les élections,
toutes ces choses là. Bon, avec le référendum, moi je peux dire que c'était facile à obtenir tout ce qu'ils
souhaitaient. La seule chose qu'on n'a pas compris; pourquoi commettre des massacres?
Parce qu'il y a plusieurs pays qui ont connu des révolutions tranquilles, comme les Québec,
on parle de révolution tranquille au Québec. Pourquoi le Rwanda n'a pas connu une révolution tranquille comme ça? Pourquoi il a fallu massacrer les gens pour les écarter du pouvoir et surtout tuer les
civils? Et que la communauté internationale encore une fois était là. Parce qu'il y a les Nations Unies qui étaient venues encore une fois au Rwanda pour favoriser
cette transition de pouvoir. À cette époque les Nations Unies ont assisté au massacre, la Belgique aussi.
Et ils ont laissé les leaders qui ont conduit une révolution, une révolution sanglante, prendre le pouvoir. Ils menaient le pays. Ça, ça a donné un très mauvais exemple à la population. Parce que la population qui en avait profité, je peux dire à cette époque la population hutu parce que la révolution était vraiment pour les Hutus à cette époque, c'est là qu'ils ont appris à tuer et à s'approprier des biens des Tutsi qui ont fui le pays ou
qui sont morts. Donc c'est ça quand on parle de 59. C'est pour ça que moi les choses que j'ai apprises sur 59 c'est grâce à mes parents
qui m'ont dit comment ils avaient perdu leurs parcelles, comment ils avaient perdu des membres de leur famille, des choses comme ça. J'aurais pas pu en parler plus parce que mon livre c'était sur l'histoire du génocide
de 94. Je voudrais plus laisser, laisser plus d'espace au génocide de 94 que moi j'ai vécu depuis
le début. J.S.:: Ok. J'ai aussi "...", j'avais une question sur:: tu m'as raconté un petit peu comment
les Belges sont rentrés, ont fait un système de classification des Hutu, des Tutsi et des
Batwa. Alors dans ton livre j'ai noté que tu pouvais noter si c'était à un Tutsi que tu parlais
ou à un Hutu parce que les nez, les faces étaient dessinées comme ça.
Est ce que c'était un choix conscient, est ce que c'était ["..."] exprès que tu
as fait ça, que c'était plus facile pour ceux qui lisaient votre livre, est-ce que
c'était comme sans penser, juste habituel? R.B.:: Bon c'est une bonne question. C'est sûr qu'en faisant ma bande dessinée, je voudrais plus informer la communauté internationale,
plus que les Rwandais. Parce que les Rwandais ils avaient déjà vécu ça.
Pour la communauté internationale, un pays qui vient de vivre un génocide entre les Hutu et les Tutsi, c'était très catégorique pour les autres, pour la communauté internationale.
C'était qu'au Rwanda il y a trois ethnies, Hutu, Tutsi et Twa et que ces trois ethnies
sont différentes physiquement. Pourtant ce qui est étonnant c'est qu'au Rwanda on n'a pas des ethnies.
C'est surprenant de le dire comme ça parce que si vous regardez dans le dictionnaire
le mot ethnie, vous allez comprendre qu'il n'y a pas des ethnies au Rwanda.
Pourquoi parce qu'une ethnie c'est un groupe de personnes qui partagent la même langue,
la même religion, la même terre, les mêmes valeurs je peux dire.
On dit rien de physique. C'est surtout au niveau des valeurs, des langues, des religions, des choses comme ça. Les Rwandais ont partagé toutes ces choses là, toutes. Les religions..., les langues..., tout était pareil. Comment se fait-il qu'un pays qui n'avait pas des ethnies a connu un génocide à cause
des ethnies? Ça, c'est le rôle de la colonisation belge. Parce que quand les Belges sont entrés au Rwanda..., à cette époque y'avait comme
devise "diviser pour régner". Il fallait occuper la population pour qu'ils ne remarquent
pas votre présence. On a dit au Rwanda qu'il y avait trois groupes. Mais ce n'était pas des ethnies. C'était trois groupes qui étaient différenciés par les métiers. Donc il y avait des éleveurs, qui sont devenus des Tutsis d'après les Belges parce que physiquement
ils étaient grands, ils étaient minces, c'était des bergers. Donc les Belges ont trouvé que les bergers ne ressemblaient pas aux agriculteurs qu'ils
vont appeler des Hutu parce qu'ils étaient moins... ils n'étaient pas plus grands...
ils étaient moyens. Bon ils étaient musclés de nature, ça demandait pas des exercices là.
Bon ils étaient là, ils travaillaient dans le champ et tout. Il y avait un autre groupe qui était les Batwa. Ils étaient les plus petits de tous. Je peux les comparer avec des autochtones du Canada. Pourquoi? Parce que c'était un peuple qui n'aimait pas s'intégrer beaucoup, qui préférait rester dans les forêts, qui vivait de la chasse et de la poterie.
Ce troisième groupe devenait des Batwa. Pourtant au Rwanda, nous on n'avait pas des ethnies mais on avait ce qu'on appelait des
clans. Ce qu'on appelle des Banyiginya, des Basindi des Bega, ce sont comme des totems des Amérindiens, chaque clan était représenté par un animal. Disons les crapauds pour les Abega, les têtes couronnées ce sont des oiseaux là qu'on
trouve plus en Afrique, pour représenter les Abanyiginya toutes ces choses là.
Mais ces clans étaient dans tous ces trois groupes. C'est ça qui était impressionnant. Y'avait comme des Abashambo, des choses comme ça chez les agriculteurs, chez les éleveurs,
chez les chasseurs ou les potiers ou les Batwa.
Mais quand les Belges sont arrivés ils ont dit:: "non, il faut créer trois groupes parce qu'ils sont pas pareils physiquement". C'est pour ça que même qu'il y a des Tutsi
ou des Bahutu surtout qui ressemblaient un peu à l'un ou l'autre des groupes, qui ont
été passés pour des Tutsi alors qu'ils sont des Hutu. C'était des cas rares, là, mais c'est déjà arrivé. Dans des cas comme ça des fois ils comptaient le nombre de vaches qu'une personne possédait pour vraiment être sûr c'était un Tutsi ou c'était un Hutu. Donc c'était pas sûr. Mais pour les Belges il fallait le faire parce qu'il y avait une raison. Donc heu, c'est comme ça qu'on s'est retrouvés avec ethnies alors qu'on n'était pas supposés
d'en avoir. Donc on a connu un génocide à cause de ces ethnies là, une erreur telle que la Belgique
a reconnue après le génocide quoi.. J.S.:: Alors si tu as fait ces dessins comme ça, pas pour les Rwandais mais pour ceux
qui connaissaient pas l'histoire et ce que les Belges ont fait. C'est pour ceux qui étaient, qui ne connaissaient pas un peu de l'histoire du Rwanda. R.B.:: Ouais. Justement je l'ai fait pour que les lecteurs qui vont lire mon livre puissent
avoir les victimes et les bourreaux ou des choses comme ça, parce que finalement, notre histoire au Rwanda a été catégorisée entre Hutu et Tutsi. Si tu parles d'un, livre sur le génocide, il faut que les gens qui lisent sachent un peu, qu'ils [inaudible] cette différence
que les Belges ont profitée. Sauf que moi je les utilise pas dans les mêmes objectifs que les Belges, parce qu'on était physiquement quelque part différents mais on ne remarquait
pas ça. Mais aujourd'hui on le fait, les gens vont penser aux ethnies. Ben...
Donc l'histoire a été changée. Ce qui est bien c'est que le Rwanda est passé au dessus de ça présentement et il a aboli les identités raciales que la Belgique avait laissées à
l'époque. J.S.:: En quelle année est ce que ça s'est fait? R.B.:: Depuis la fin du génocide, depuis que le FPR, le Front Patriotique Rwandais, a pris le pouvoir. Ils ont aboli ces cartes
d'identités raciales qui étaient au Rwanda depuis la colonisation. Donc les Belges les ont laissées, la première république les a gardées, la deuxième république les a gardées parce que je peux dire que les anciennes républiques au Rwanda ont profité pour une
des ethnies. Pourquoi? Parce que la révolution qui a été faite au Rwanda, je peux dire que ça a été une révolution hutu. Depuis c'est devenu comme mélangé politique. Tous
les dirigeant on gouverné sans préparer beaucoup de programmes et tout. Ils se disaient
Hutu et tous les Hutu se ralliaient derrière eux. C'est pour ça que les cartes d'identité et toutes ces choses là, ça a aidé beaucoup à ces dirigeants là. Au lieu de prêcher
des bonnes idées, ils disaient juste qu'ils étaient là pour représenter la masse hutu. C'était cette étape là qu'il fallait que le Rwanda dépasse, de voter des ethnies.
Le jour où le Rwanda va dépasser ce problème, je pense que ce sera un grand pas, un très
grand pas. Mais avec les cartes d'identité raciale qui existaient à cette époque, ça
ne pouvait pas arriver. C'est pour ça que je dis que le Rwanda d'aujourd'hui est en
bonne voie, parce qu'il n'insiste pas sur le problème des ethnies. Voilà.
J.S.:: Alors quand ta famille était au Rwanda, est-ce qu'ils faisaient partie, ta famille
entière, est-ce qu'ils faisaient partie des Hutu, des Tutsi, ou du troisième groupe?
C'était quoi le... R.B.:: Oh ben c'est sûr que depuis que mon
père a été tué, même en 59 il y a eu des troubles, c'est sûr qu'on était partie
d'un groupe de Tutsi, c'est pour ça qu'on a subi toutes ces choses là, que notre maison a été incendiée, qu'on a fui, tout ça. Donc ça c'était apparent, c'était heu...
évident. C'était pas facile à vivre, c'était pas facile à vivre, parce que des fois on
comprend des choses quand on sait ce qu'on a fait pour mériter tout ça. Mais dans le
cas de ce qui nous est arrivé, on n'avait rien fait. Donc c'est quoi la question qu'on
doit se poser? Qu'est ce qu'on aurait pu faire pour améliorer la situation? Rien, tu vois.
Des fois quand t'as fait une faute on te dit:: "fais ceci, cela", peut-être on doit
te tolérer. Mais dans notre cas il y avait rien à faire.
On nous aimait pas comme ça, c'est tout. Tu es né comme ça, tu es né comme ça.
C'est ça qui fait que la situation est difficile et c'est d'ailleurs ça qui fait qu'un génocide vraiment qui est lâche, parce qu'il y a cette sélection qui veut que les gens qui meurent
pendant le génocide, d'une mort vraiment atroce, parce qu'ils pensent, des fois ils vont blâmer même Dieu parce qu'ils pensent "pourquoi on nous a créés différents des autres?". Parce qu'eux autres vont nous faire comprendre qu'on n'est pas bien, que vous n'êtes pas des humains, que vous n'êtes pas nés à la bonne place, que vous êtes des indésirables. Il faut vous massacrer, tu vois. C'est pour ça qu'on n'était plus
des humains, on va vous traiter de cancrelats, de serpents, toutes ces choses là. Jusqu'au
moment où vous commencez à penser, vous dites des citoyens de seconde zone, vos droits viennent après les autres. Ça entre dans la tête. Du moment où t'arrives dans un
pays de droits, comme ici, des fois t'as peur de réclamer tes droits. Chaque chose qui
se fait pour toi, tu penses que c'est une faveur, tu peux te faire exploiter facilement. C'est l'une des conséquences, c'est l'une des choses qu'il faut guérir. Il faut y aller
petit à petit pour un jour te dire::"ha, je suis comme les autres" parce que dans
notre pays on nous avait appris à ne pas penser comme ça. Au niveau des écoles, ce
n'est pas un bon exemple. Si un Tutsi avait des notes plus élevées, il passait pas et
dans... il y avait plusieurs choses comme ça. Bon tu vois dans un service public, quelqu'un
va venir te passer devant. Pas la peine de faire la queue, c'était pas comme ça. Si c'est un Hutu qui arrive, qui connaît qui travaille là bas, un Hutu il va passer avant
toi. Avec le temps tu penses que c'est normal mais pourtant c'était pas normal. Il faut
sortir de là pour dire:: "ha, ça c'était pas normal," tu comprends? Tu penses aussi
que les autres [inaudible] de ton pays qui ont les mêmes droits que toi te donnent des faveurs parce qu'ils t'ont cédé ceci, cela, mais pourtant c'était pas ça. Voilà. J.S.:: Et alors les Rwandais que tu connais ici à Montréal ou dans des autres places, mais pas du Rwanda, mais qui sont des rescapés qui sont partis du pays, est ce qu'ils encore
s'identifient comme des Tutsi ou Hutu ou... Est ce que tu les voies avec cette distinction
ou est-ce que c'est oublié parce que le Rwanda a abandonné ces titres?
R.B.:: .... Ben les Rwandais de Montréal, c'est sûr qu'on nous reproche de vivre dans
deux communautés distinctes. Bon ça c'est un reproche qui est fait ici aux Rwandais
et sur les Rwandais aussi. C'est, tu vas voir qu'à Montréal on a deux communautés. Communautés
rwandaises mais une en majorité peut être tutsi, avec quelques Hutu modérés et l'autre
comme hutu... Des fois on ne sait pas ce qui se passe dans l'une ou l'autre communauté.
Mais les deux communautés vont se déclarer officielles. Je ne sais pas au niveau officiel,
national, laquelle des deux communautés ils vont considérer comme légitime. Mais ça
c'est à cause de plusieurs choses. Parce que les Rwandais qui sont au Canada, nous sommes ici pour différentes raisons. Moi je suis venu comme réfugié du génocide, rescapé du génocide, mais il y a aussi ceux qui ont commis le génocide qui sont ici. Bon c'est sûr qu'on ne va pas former la même communauté ici parce qu'on est Rwandais.
Le Canada a accueilli tout le monde, des fois c'est difficile de vérifier la validité
de l'histoire. Mais nous on se connaît. On se connaît et on sait des fois qui a fait
ceci ou qui a fait cela. Bon, on n'a pas d'obligation d'être ensemble non plus. Mais des Rwandais qui sont corrects, soit des Hutu ou des Tutsi, comme je vous ai dit un se regarde plus comme
ça, des fois on se revoit ensemble. On a une communauté quand même où tous ces gens là vivent, vont tous venir. Mais il y a une autre communauté où on sait pas ce qui se passe dedans parce que dans ces communautés là y'a quand même des gens
qui ont fait des choses terribles. Tout comme il y a des innocents aussi qui restent avec eux. Juste ils n'ont pas voulu reconnaître le régime sur place au Rwanda ou qui ont
des raisons de rester dans ces communautés là. Donc dès qu'on se voit en ethnies ici...
Je dirais que quand même nous suivons ce que le Rwanda essaye de faire présentement.
Je vois que des Rwandais ici commencent à... je dis les Rwandais qui n'ont pas fait les
crimes, ils commencent à s'entendre pas mal.. J.S.:: [...] Une question qui est un peu différente, c'est pas sur le même sujet. J'étais vraiment
intéressée dans [...], l'aspect du, des Hutu qui tuaient mais les femmes, les femmes
hutue qui participaient dans le génocide. J'ai vu dans ton livre que tu parlais d'une
femme qui était comme une head du groupe. R.P.:: Ok, le chef.
J.S.:: Le chef du groupe. Et c'était vraiment intéressant de voir les femmes décrit comme,
you know, qui a tué, qui a encouragé mais elle-même était peut-être une mère et
étant une mère elle était décrite comme un homme qui a tué. Alors pourquoi tu as
décidé de mettre une femme, pas de mettre parce que ce n'est pas la fiction mais...
R.P.:: Ouais bon. C'est sûr que cette femme qui s'appelle Angeline, bon nous on l'appelait
Angeline hein, c'est l'une des femmes justement qui nous ont déçus et surpris. Parce que
des fois on dit que les femmes donnent la vie en douleur. Bon ce sont les femmes qui
donnent comme la vie, d'après ce qu'on voit partout. C'est pour ça qu'on suppose que
les femmes comprennent le respect de la personne plus que les hommes, parce que une femme qui
va mettre au monde, te porter un enfant pendant neuf mois, elle accouche avec toute la douleur
qui va avec. C'est l'une des personnes qui vont protéger les vies. C'est pour ça que les hommes peut-être font plus de guerres que les femmes. Bon voir l'exception c'est sûr ça déçoit à cause de tout ça. On se dit:: "ha, une
femme qui se met à tuer comme ça les enfants des autres femmesen sachant très bien ce que ça représente pour eux. " Bon cette femme a été un monstre. Un monstre. Malheureusement
elle est tombée sur notre quartier. Y'avait pas beaucoup de femmes qui tuaient comme ça
mais dans mon quartier c'est cette femme qui conduisait le mouvement, qui conduisait, qui a tué beaucoup de gens sans pitié et tout. Malheureusement j'ai même pas appris si elle
avait été prise ou jugée comme plusieurs responsables du génocide. Personne n'a pas
ses traces. On ne sait pas si elle se cache, si elle est morte mais je ne comprends pas
vraiment pourquoi elle a pu en arriver là. En plus c'était une femme qui avait travaillé
dans l'enseignement donc elle avait toutes les raisons pour ne pas être une tueuse.
Parce qu'elle a travaillé dans l'éducation, c'était une mère de famille, toutes ces
choses qui fait qu'on a la compassion, la tolérance pour les enfants, elle les avait
déjà. Mais elle est devenue une tueuse redoutable. C'est pour ça que je n'aurais pas dû passer
à côté, c'est pour ça que je l'ai bien montrée dans mon livre et son rôle. Tout en espérant qu'un jour elle va être repérée, parce que moi j'ai utilisé les vrais noms
dans mon livre parce que c'est une histoire vraie. Je dénonce et je condamne. Il y a
même des gens qui sont dans mon livre qui ont commencé à être jugés. Comme le préfet
de la ville de Kigali, le personnage que vous allez voir à la dernière page [il feuillette
le livre]. Alors Madame Rose a perdu sa fille, c'est cette page [il montre la page], il est
présentement au [inaudible], je sais que son procès a commencé mais je ne sais pas si c'est fini. C'est pour vous montrer que c'est une histoire vraie. Quand j'ai fait
mon livre il n'était pas encore jugé, il n'était même pas encore pris, arrêté. Mais là il est jugé. Je ne connais pas la sentence là mais je sais au moins qu'il est
à [inaudible] au tribunal international. J.S.:: Penses-tu que mettre le nom réel des
personnes a un impact sur ceux qui vont être jugés?
R.B.:: Pour moi c'est très important parce qu'une histoire vraie c'est une histoire vraie.
Pourquoi une histoire vraie si je ne peux pas utiliser les noms réels? Pour moi ça
n'aurait comme aucun sens. S'il y a des personnes qui vont dire qu'est ce que j'ai écrit sur
lui n'était pas vrai, qu'il vienne me le dire. Parce que justement on aimerait qu'ils
se manifestent. Il y a beaucoup de témoins qui ont vécu ça parce que j'étais pas seul dans ces centres de réfugiés. J'étais avec plusieurs personnes, malheureusement la majorité n'est plus là mais il y a des rescapés qui étaient là, qui peuvent témoigner. Parce
que quand je parle de ces centres de réfugiés, que ce soit le centre CELA, que ce soit le centre Saint-Paul, que ce soit le centre Sainte-Famille, il y avait des réfugiés là-bas. C'est l'histoire
aussi. S'il y a des personnes qui pensent que je l'ai condamné dans mon livre alors
qu'il est innocent, qu'il vienne le dire parce que je suis prêt à dire::"ok, si vous
dites que vous êtes innocent, on va aller devant la justice."
J.S.:: Et aussi sur le sujet des femmes quand on les [inaudible] du sexe féminin, tu as
parlé un peu de la fille, Hyacinthe, et tu as montré une scène, ça donne l'impression
qu'elle était violée, ça a l'air que c'était peut-être le prêtre qui avait la..., l'intention.
Alors est-ce que c'était difficile pour toi d'approcher ce sujet dans le livre?
R.B.:: Donc oui..., les viols contre les femmes ça a été un des plus grands crimes qui
ont été commis pendant le génocide malheureusement c'est comme si la justice ne punit pas pour
ça. Vu qu'il y a eu beaucoup de crimes de massacres, les viols c'est comme devenu un
petit crime. Pourtant c'est un crime qui est puni par la loi partout dans le monde. Quand
j'ai parlé de ça sur la personne d'Hyacinthe, la fille de Rose, c'est parce que souvent
sa mort a été causée par ça, par ce refus qu'elle a fait à ce prêtre qui voulait coucher
avec elle et que la fille voulait pas. Donc le prêtre pour se venger, au moment où Hyacinthe
était poursuivie par les miliciens qui voulaient lui tirer dessus avec sa mère, elles ont
remarqué que quelques filles tutsie qui étaient menacées avaient pu se diriger à l'appartement
du prêtre et que le prêtre avait ouvert pour les autres filles. Toutes les filles
qui étaient dans cet appartement là étaient à l'abri parce que c'est un prêtre qui était à l'abri des miliciens, des génocidaires, ils ne pouvaient pas entrer dans son appartement. Mais quand Hyacinthe et sa mère sont venues se cacher là, il a dit non parce qu'il pensait
toujours à Hyacinthe qui n'avait pas voulu accepter ses avances. Pour moi ça aussi c'est un crime. C'est pour ça que le génocide est difficile à punir. Parce qu'il y a plusieurs associations: il y a les bourreaux qui ont tué avec les mains, ceux qui ont dénoncé, dont ce prêtre là qui pense qu'il n'est pas coupable, que ce
n'est pas lui qui a tué, qui va annoncer toutes sortes de prétextes comme "mon appartement
était petit" des choses comme ça. Hyacinthe a été tuée presqu'en face de son appartement.
Parce qu'elle a payé pour ça, elle n'a pas voulu se faire agresser sexuellement..
Moi j'aimerais qu'un jour ce prêtre comprenne que c'est un crime parce qu'il continue à
réclamer son innocence en France. Même le [trial chamber] là a voulu le juger mais
la France n'a pas voulu le donner. On se pose toujours la question. S'il est innocent...
Regarde, ce qu'on demande ce n'est pas qu'il aille se faire pendre, on demande pas qu'on le pende. On demande qu'il aille s'expliquer en justice comme ça la justice pourra nous
dire s'il est innocent ou pas. S'il est innocent, pourquoi il a peur d'aller en justice? Pourquoi le France ne l'envoie pas? Tout ça c'est des questions qu'on se
pose mais je sais, comme Rose attend ce jour, de pouvoir aller témoigner dans ce procès.
Elle a fait plusieurs démarches pour que ce prêtre soit trainé devant la justice,
elle a même été en France et en Suisse. Parce qu'elle sait que c'est un des responsables
de la mort de sa fille. Ce n'est pas la seule personne qui est responsable parce qu'il y
a le bourreau qui a tiré dessus, lui on sait pas où il est, mais le prêtre aussi a contribué
grandement. Au niveau des viols je sais qu'il y a plusieurs filles qui se sont faites violer.
Malheureusement, la culture rwandaise fait que les filles n'aiment pas en parler en public.
C'est pour ça que les coupables en profitent, qu'ils sont toujours en liberté. Ils savent que les victimes ne vont pas dénoncer ce crime vu qu'elles ont peur de dire qu'elles
se sont fait violer. J.S.:: Et c'est... cette vue des femmes, ces
femmes qui ne veulent pas parler de leur viol, ça continue encore, c'est la honte que les
femmes sentent... R.B.:: La honte, ouais. J.S.:: La honte. Est ce que tu penses que c'est aussi pourquoi les femmes ne parlent
pas? Parce que la culture rwandaise regarde négativement les femmes qui ont été violées. R.B.:: C'est pas que la culture rwandaise va regarder négativement les femmes qui ont
été violées. C'est parce que dans la culture rwandaise il faut savoir qu'on est à l'époque,
on est... non... [il réfléchit] Nous avons encore la mentalité qui dit qu'une fille
est supposée de se marier vierge. Et qu'une fille doit quitter sa famille pour son mari
et pas pour vivre dans un appartement. Donc on a une culture qui est catholique, je vais
le dire, mais qui évite les contacts directs ou les actes sexuels entre des personnes qui
ne sont pas mariées. Donc oui dire:: "j'ai connudes relations sexuelles" ça diminue
les chances de trouver un mari. C'est pas qu'on va te condamner pour ça mais c'est
quand tu vas dire:: "ha je ne veux pas que mon mari sache que j'ai déjà connu ça." J.S.:: Même si... R.B.:: Même si ce n'était pas de sa faute. Moi je peux dire que c'est dans ce sens là. J.S.:: Ça existe encore?
R.B.:: Cette mentalité, oui. Dans des régions ça existe encore.
J.S.:: C'est comme ça autour du monde aussi, dans différentes cultures.
R.B.:: Exactement. Mais ça veut pas dire qu'on va condamner la fille parce qu'elle s'est faite violer. Non c'est différent. C'est une question de complexes, complexes. Sinon y'a personne qui va les punir pour ça ou les condamner pour ça.
J.S.:: Ça change aussi un peu du sujet. Tu as parlé lorsque le livre commence, tu as
montré la ségrégation des Tutsi et des Hutu dans la salle de classe. Et que la professeure
a mis les Hutu dans une partie et les Tutsi dans l'autre partie. Tu as parlé un peu de
ça alors est-ce que tu as connu ça aussi? R.B.:: Ça c'était très fréquent au Rwanda.
Mais ce qui a été décevant, c'est cette façon de le faire devant les élèves. Parce
que tous les enfants qui ont moins de 16, 18 ans, bon disons 16 ans, si l'école a besoin
de connaître les identités, je pense que ça appartient aux parents de venir l'affirmer parce qu'il faut des papiers. L'ancien régime tenait beaucoup à ces choses là. Mais moi
je me dis que c'était le devoir des parents de venir et dire. Mais le régime qui encourageait
ces pratiques avait d'autres objectifs. Pour eux il fallait montrer aux enfants dès l'âge
tendre qu'ils sont différents. Mais les enseignants savaient comment dealer avec ça. On disait::
"non toi, non toi t'es pas un Hutu, tu vas là" donc juste en les regardant ils pouvaient
dire "non ti tu vas là, toi tu vas là," créer ces groupes dans une classe pour que
les deux groupes se regardent. Mais les enfants, tu sais que les enfants sont innocents, si
l'enseignant continue à faire ça parce que dans le programme de l'école c'est écrit comme ça, c'est sûr que les enfants vont finir par se voir différents. Des fois on
disait s'il y a avait des Batwa qu'ils restent assis. Y'en avait pas beaucoup des Batwa dans
les écoles. C'est comme si ce n'était pas important que les Batwa entrent dans ce sujet
là. C'était entre les Hutu et les Tutsi. Ce genre de pratiques qui ont commencé en
bas âge ont continué. Dans les écoles secondaires ou universitaires les enfants ne se posent
plus la question tu es hutu ou tu es tutsi, non, ils savent. Mais là ils sont rendus
à une autre étape:: "il faut que je me méfie de lui, on me l'a toujours montré."
Au niveau des institutions publiques et tout, la même chose. Donc ça a commencé en bas
âge pour que tout le monde se méfie de tout le monde. C'est pour ça que le génocide
au Rwanda a été rapide. Dans trois mois [il claque des doigts] parce qu'on savait qui tuer. On savait qui était quoi. Le Rwandais n'avait plus besoin de carte d'identité,
il savait. J.S.:: Alors la dernière question pour aujourd'hui
c'est parler un peu de comment tu vois, qu'est-ce que tu penses de ceux qui sont pas Rwandais, qui sont pas des rescapés, qui ont produit des bandes dessinées sur le génocide?
R.B.:: Je n'en ai pas vu beaucoup. J'en ai vu une seule qui a été faite par un Français
[nom de l'auteur]. Moi, je trouve que bon, j'apprécie d'abord ce qu'ils ont fait parce qu'ils auraient pu choisir d'autres thèmes. Tout ce qui immortalise les nôtres, qui donne
la visibilité à notre génocide, moi j'apprécie des gens qui le font, même le travail que
tu fais là. J'ai vu la bande dessinée et je trouve justement qu'il y a une vision externe de l'événement. Une vision externe d'un monde extérieur qui
essaye de créer des choses sur notre pays en se posant aussi des questions:: "comment
un peuple peut en arriver là?" Bon la différence avec ce que moi je fais c'est que me je me
pose pas la question comme telle, je raconte ce que j'ai vécu. C'est sûr qu'on n'est
pas dans le même état d'esprit quand on dessine. Moi quand je dessine ou quand je parle de ces choses là, des fois j'arrive à m'emporter parce que chaque chose que je
veux parler ou que je veux écrire je le visualise.. Je le visualise avec des vraies images tandis que les autres je pense qu'il faut se renseigner,
faut essayer même de se poser la question est-ce que ça peut être possible, ce qu'ils
ont entendu. Moi j'ai pas cette peur de me dire "est-ce que c'est vrai?"
parce que je n'ai pas à convaincre qui que ce soit. Moi je témoigne de ce que j'ai vu. Qu'on me croit ou pas, je l'ai vu comme ça.
Tandis que quelqu'un qui écrit sur ton pays, qui dessine des choses là-dessus, des fois
je me dis qu'il doit se poser des questions en se disant "il faut que j'arrive à prouver pourquoi j'ai dit ça, il me faut des preuves, il faut que je questionne plusieurs personnes." Donc moi je peux dire c'est plus une histoire personnelle, pour les autres ce n'est pas
une histoire personnelle parce qu'ils sont obligés de questionner les autres personnes. Tandis que moi ça sort de moi, j'ai pas d'autres intermédiaires.
J'en n'ai pas besoin parce que c'est mon histoire.
J.S.:: Wow. J'ai aussi noté que ton livre ça dit que c'est traduit en anglais et c'est traduit en français. So, quelle est la langue dans laquelle tu l'as écrit? R.B.:: Bon moi je peux dire que je l'ai écrit en français même s'il a été corrigé.
Parce que nous on avait notre langue maternelle qui était le kinyarwanda.
Bon c'est sûr qu'on demande aux gens d'écrire dans leur langue maternelle. Mais notre langue maternelle, j'ai trouvé qu'il manquait certaines expressions faciles à trouver en français. C'est pour ça que je me suis senti plus à l'aise à l'écrire en français parce que
moi je voulais le partager avec le monde. Ça aurait été difficile de le traduire dans d'autres langues à partir du kinyarwanda,
notre langue maternelle, parce qu'en kinyarwanda on a plusieurs synonymes qui peuvent sonner
de la même façon mais ne pas dire la même chose. On parle souvent avec des paraboles aussi, des paraboles, ce qui aurait pu compliquer les choses. Donc heu c'est pour ça qu'utiliser le français, ça a beaucoup aidé pour la traduction en
anglais. Y'a une expression par exemple quand on dit à une fille qu'elle est belle, on va pas
le dire comme tous les autres. Parmi les compliments qu'on va donner à une fille qui est belle, "tu ressemble à l'eau de ruisseau" ça c'est pour dire qu'une fille est belle.
Ou qu'elle a les yeux d'une vache ou d'un veau. [ils rient ensemble] Ici tu le dis à une femme elle ne va pas
aimer ça. Tu le traduis ici mais ça n'a plus le même sens, ça n'a plus le même sens.
C'était des choses comme ça que je voulais éviter, parce qu'il y en avait plein. Rien que pour expliquer la méchanceté d'une personne, l'innocence de l'autre... En kinyarwanda il y a toujours des termes qui ne vont pas se traduire de la même façon.
C'était tout un défi. Donc pour répondre à ta question c'était en français..
Je suis l'auteur de la bande dessinée sur le génocide perpétré en 1994.
L'histoire que j'ai illustrée moi-même, je vous présente la copie [il montre la BD].
Ça c'est une version française. J.S.:: Et tu as la version anglaise aussi?
R.B.:: Et il y a la version anglaise [il montre cette autre version]. J.S.:: Avec mes notes sur le côté! R.B.:: Ouais. Donc je suis à Montréal depuis 1997. Je suis un illustrateur activiste, activiste illustrateur. Ça veut dire que je condamne, je témoigne, mais j'utilise un vecteur artistique.
J.S.:: Alors j'étais intéressée à savoir, tu l'as fait en quelle année?
C'est à dire en 2005? R.B.:: En... Le livre est sorti en 2004, mais moi je l'ai produit en 2002. Ça m'a pris à peu près deux ans de travail pour mettre au point le livre, ce qui a d'ailleurs
été une thérapie pour moi, parce que j'ai découvert une thérapie en faisant une bande
dessinée. C'était pas prévu au départ parce que moi je voulais témoigner, je voulais condamner tout ce qu'on avait vécu au Rwanda et j'ai découvert que ça m'a aidé à dépasser certaines choses. Ce sont des choses que j'ai découvert en réalisant ma bande dessinée. J.S.:: Et lorsque tu as réalisé ta bande dessinée, c'était quoi la réaction de ta
mère, de ta famille quand tu leur a dit que tu allais produire une bande dessinée sur
la Rwanda? R.B.:: C'est sûr que ma famille a été impressionnée, j'peux dire, parce que je venais quelque part
d'accomplir un rêve aussi. Parce que pour moi cette bande dessinée, pour ma famille, c'est d'abord un devoir parce
qu'on a perdu notre papa pendant le génocide et beaucoup d'amis, plusieurs membres de la famille, au deuxième degré surtout. Donc c'est quelque chose qui a été bien accueilli, c'était comme un rêve que je venais d'accomplir parce que ma famille m'a toujours vu dessiner étant petit. Et dans mon pays c'était pas quelques chose de facile parce que l'art, le dessin, c'était
pas quelque chose qui pouvait te nourrir. Au Rwanda c'était pas un métier qui était encouragé. Donc à chaque fois que je fais le dessin au Rwanda, c'est comme si je le faisais en
cachette un peu. Peu de personnes m'encourageaient. Heureusement, mon père était modéré. Il disait:: "si c'est ça que tu aimes, fais le mais fais-le bien." Tu vois? Bon j'ai persévéré comme ça. Donc quand ma famille m'a vu faire une bande dessinée sur le génocide, qui est le plus
grand génocide de l'histoire, je suis parmi les rares rescapés qui ont pu illustrer cette
tragédie, ma famille m'a fait un coup de chapeau. C'était pour dire, ben finalement on voit pourquoi tu dessinais. C'était pour parler ou t'exprimer à la place des personnes qui ne pourront plus le faire.
Bon là je parle des gens qu'on a perdus pendant le génocide. Donc ça a été un soulagement dans ce sens. Et j'invite d'ailleurs plusieurs personnes, surtout dans mon pays, qui font de l'art à
ne pas avoir peur de le faire. Parce qu'on ne sait jamais, on sait jamais. Si t'as un talent, il ne faut jamais enterrer son talent. C'est ça que je peux dire.
J.S.:: Ok. Alors c'est l'histoire d'une famille que tu connaissais, les [Rwanga]. Et alors Rose, c'est l'histoire de Rose, est ce qu'elle a déjà lu ta bande dessinée?
R.B.:: Hum Madame Rose, qui d'ailleurs est présentement à Montréal, bon c'est une
femme qui a été beaucoup secouée par le génocide.
Elle a tout perdu. Bon, c'est sûr qu'elle a lu mon livre. Elle a beaucoup aimé voir que j'avais immortalisé ses enfants qui étaient mes amis.
Parmi tous mes amis d'enfance que j'ai parlé là, c'était vraiment parmi les meilleurs.
Ça a été comme une surprise parce que quand je faisais mon livre, j'étais pas pour la consulter souvent, vu que c'est une histoire que moi-même j'ai vécue, j'étais là donc
heu... Elle savait très bien que je maîtrisais bien l'historie parce que c'était mon histoire
aussi. Vu que je fais partie des personnages de ma bande dessinée, elle a beaucoup, beaucoup aimé ça. Ça a même donné des larmes aux yeux. Elle a dit:: "mon Dieu, y'a beaucoup de Rwandais qui sont morts, qui ont pas eu la même chance, mais au moins on va entendre parler d'eux."
Et ça, ça me fait plaisir. Parfois quand je vais dans des réunions, des entrevues, comme ce qu'on fait là, où
quelqu'un peut me dire:: "donc Wilson a fait ceci, cela" mais Wilson c'est quelqu'un qui est mort et on parle de lui aujourd'hui. La famille on en parle, des journaux qui m'ont approché en ont parlé, je sais pas combien
de gens qui ont lu ces journaux là, ils ont pris connaissance de ces gens là, qui ne sont plus de ce monde pourtant. Donc c'était l'un des principaux objectifs: immortaliser et condamner les tragédies comme
ça, l'injustice, la réaction du monde aussi qui nous a vus mourir mais qui a croisé les
bras. J.S.:: Pourquoi tu n'as pas choisi de faire une bande dessinée sur ton expérience personnelle
et de ta famille? R.B.:: Pourquoi je n'ai pas choisi de raconter mon histoire personnelle...
Bon, pour plusieurs raisons. Premièrement, la vie m'a donné une deuxième chance, parce que je continue à vivre.
Donc mon histoire continue mais pour les autres leur histoire est finie. Moi je pense que c'est mieux de commencer par ces histoires qui sont finies pour arriver
à des histoires qui continuent. Moi je suis toujours ici, mon histoire je peux toujours la faire, moi j parfois j'en
parle, mais les autres n'ont pas cette option là. C'est pour ça qu'il faut d'abord rendre hommage aux disparues avant de revenir à nous-mêmes.
C'est ça les, les raisons. J.S.:: Dans ta bande dessinée, il y a tellement d'informations sur la situation au Rwanda
et ce qui s'est passé avant que le génocide est déroulé.
Est ce que tu as fait des recherches pour les faits ou est-ce que c'était juste ta
mémoire? Comment tu as apporté cette information dans la bande dessinée? R.B.:: Ben ce qui s'est passé là, bon quand je dis l'histoire je l'ai vécue hein.
Quand ça arrive, ça commence quelque part. Bon, ça n'a pas commencé dès ma naissance, ça a commencé avant que je naisse.
Parce que c'est une histoire qui quelque part a commencé en 1959 donc la première fois c'est mes parents qui m'ont parlé de leur histoire, triste histoire de 1959.
Là où ils se sont faits aussi attaqués, dans les familles, les maisons aussi ont été
brûlées, des choses comme ça. Bon, pour moi c'était comme une histoire. Je leur disais:: "en tous cas, vous n'avez pas été chanceux, nous nous faisons partie
du nouveau monde." Nous avons grandi dans un système racial. Il y avait les radios il y avait les médias, on entendait des choses qui se passaient par-ci par-là, dans des familles. Donc l'information vient comme ça, jusqu'au génocide où on était quand même assez
jeune pour comprendre ce qui se passe. Bon on a vécu quelque chose de plus dur que ce que mes parents avaient vécu en 1959.
Donc ça n'avait aucune comparaison. Quand j'ai regardé après le génocide, moi je pense pas que j'allais survivre, c'est
après le génocide que j'ai réalisé que j'avais beaucoup d'informations, que je n'avais rien oublié. J'ai remonté toute l'histoire, telle que nos parents nous l'ont racontée, mais aussi
l'histoire du génocide telle qu'on l'a vécu. Toute l'information moi je l'avais vue comme ça quoi. Je peux pas dire que j'ai consulté des médias ou des livres comme ça..
J.S.:: C'était dans ta mémoire.
R.B.:: C'était notre histoire.
J.S.:: Tu as parlé un peu dans ton livre des conflits qu'il y avait en 59.
Pourquoi tu n'as pas mis plus d'infos sur ces faits qui sont arrivés avant le génocide? R.B.:: Sur 59? J.S.:: Oui, parce qu'il y avait... R.B.:: Bon c'est sûr que 59, heu... Bon, vu que j'étais pas né pour moi c'est une histoire qui m'a été racontée mais
racontée aussi par des gens qui l'ont vécue. Ce que je peux dire de 59, bon les gens qui connaissent pas c'est quoi 59, c'est que le
Rwanda a connu son premier génocide, qui n'a pas été déclaré génocide. Mais d'après nous les Rwandais on considère que ça a été le premier génocide au Rwanda.
Et c'est d'ailleurs le même génocide qui a permis le deuxième parce qu'à cette époque
y'a des Rwandais qui ont appris à tuer et à profiter de leurs crimes.
Quand 1994 est arrivée, ils ont fait, ils ont pensé qu'il fallait répéter l'histoire.
Mais cette fois-ci à une grande échelle. Donc ce qui s'est passé en 59 c'est que la masse hutu, le Rwanda était composé des
Hutu, des Tutsi et des Batwa, donc la monarchie qui a toujours régné au Rwanda on disait
qu'elle était tutsi. Sauf que ça aussi faut bien regarder ça parce que y'a des parties du Rwanda qui étaient menées par des chefs hutu. Surtout au Nord du pays. C'est pas seulement les Tutsi qui ont été des nobles, il y a des Hutu aussi.
Mais avec 59, la population qui était là à l'époque, la population qui était majoritaire,
qui était hutu, a revendiqué, a réclamé l'indépendance, la république, les élections,
toutes ces choses là. Bon, avec le référendum, moi je peux dire que c'était facile à obtenir tout ce qu'ils
souhaitaient. La seule chose qu'on n'a pas compris; pourquoi commettre des massacres?
Parce qu'il y a plusieurs pays qui ont connu des révolutions tranquilles, comme les Québec,
on parle de révolution tranquille au Québec. Pourquoi le Rwanda n'a pas connu une révolution tranquille comme ça? Pourquoi il a fallu massacrer les gens pour les écarter du pouvoir et surtout tuer les
civils? Et que la communauté internationale encore une fois était là. Parce qu'il y a les Nations Unies qui étaient venues encore une fois au Rwanda pour favoriser
cette transition de pouvoir. À cette époque les Nations Unies ont assisté au massacre, la Belgique aussi.
Et ils ont laissé les leaders qui ont conduit une révolution, une révolution sanglante, prendre le pouvoir. Ils menaient le pays. Ça, ça a donné un très mauvais exemple à la population. Parce que la population qui en avait profité, je peux dire à cette époque la population hutu parce que la révolution était vraiment pour les Hutus à cette époque, c'est là qu'ils ont appris à tuer et à s'approprier des biens des Tutsi qui ont fui le pays ou
qui sont morts. Donc c'est ça quand on parle de 59. C'est pour ça que moi les choses que j'ai apprises sur 59 c'est grâce à mes parents
qui m'ont dit comment ils avaient perdu leurs parcelles, comment ils avaient perdu des membres de leur famille, des choses comme ça. J'aurais pas pu en parler plus parce que mon livre c'était sur l'histoire du génocide
de 94. Je voudrais plus laisser, laisser plus d'espace au génocide de 94 que moi j'ai vécu depuis
le début. J.S.:: Ok. J'ai aussi "...", j'avais une question sur:: tu m'as raconté un petit peu comment
les Belges sont rentrés, ont fait un système de classification des Hutu, des Tutsi et des
Batwa. Alors dans ton livre j'ai noté que tu pouvais noter si c'était à un Tutsi que tu parlais
ou à un Hutu parce que les nez, les faces étaient dessinées comme ça.
Est ce que c'était un choix conscient, est ce que c'était ["..."] exprès que tu
as fait ça, que c'était plus facile pour ceux qui lisaient votre livre, est-ce que
c'était comme sans penser, juste habituel? R.B.:: Bon c'est une bonne question. C'est sûr qu'en faisant ma bande dessinée, je voudrais plus informer la communauté internationale,
plus que les Rwandais. Parce que les Rwandais ils avaient déjà vécu ça.
Pour la communauté internationale, un pays qui vient de vivre un génocide entre les Hutu et les Tutsi, c'était très catégorique pour les autres, pour la communauté internationale.
C'était qu'au Rwanda il y a trois ethnies, Hutu, Tutsi et Twa et que ces trois ethnies
sont différentes physiquement. Pourtant ce qui est étonnant c'est qu'au Rwanda on n'a pas des ethnies.
C'est surprenant de le dire comme ça parce que si vous regardez dans le dictionnaire
le mot ethnie, vous allez comprendre qu'il n'y a pas des ethnies au Rwanda.
Pourquoi parce qu'une ethnie c'est un groupe de personnes qui partagent la même langue,
la même religion, la même terre, les mêmes valeurs je peux dire.
On dit rien de physique. C'est surtout au niveau des valeurs, des langues, des religions, des choses comme ça. Les Rwandais ont partagé toutes ces choses là, toutes. Les religions..., les langues..., tout était pareil. Comment se fait-il qu'un pays qui n'avait pas des ethnies a connu un génocide à cause
des ethnies? Ça, c'est le rôle de la colonisation belge. Parce que quand les Belges sont entrés au Rwanda..., à cette époque y'avait comme
devise "diviser pour régner". Il fallait occuper la population pour qu'ils ne remarquent
pas votre présence. On a dit au Rwanda qu'il y avait trois groupes. Mais ce n'était pas des ethnies. C'était trois groupes qui étaient différenciés par les métiers. Donc il y avait des éleveurs, qui sont devenus des Tutsis d'après les Belges parce que physiquement
ils étaient grands, ils étaient minces, c'était des bergers. Donc les Belges ont trouvé que les bergers ne ressemblaient pas aux agriculteurs qu'ils
vont appeler des Hutu parce qu'ils étaient moins... ils n'étaient pas plus grands...
ils étaient moyens. Bon ils étaient musclés de nature, ça demandait pas des exercices là.
Bon ils étaient là, ils travaillaient dans le champ et tout. Il y avait un autre groupe qui était les Batwa. Ils étaient les plus petits de tous. Je peux les comparer avec des autochtones du Canada. Pourquoi? Parce que c'était un peuple qui n'aimait pas s'intégrer beaucoup, qui préférait rester dans les forêts, qui vivait de la chasse et de la poterie.
Ce troisième groupe devenait des Batwa. Pourtant au Rwanda, nous on n'avait pas des ethnies mais on avait ce qu'on appelait des
clans. Ce qu'on appelle des Banyiginya, des Basindi des Bega, ce sont comme des totems des Amérindiens, chaque clan était représenté par un animal. Disons les crapauds pour les Abega, les têtes couronnées ce sont des oiseaux là qu'on
trouve plus en Afrique, pour représenter les Abanyiginya toutes ces choses là.
Mais ces clans étaient dans tous ces trois groupes. C'est ça qui était impressionnant. Y'avait comme des Abashambo, des choses comme ça chez les agriculteurs, chez les éleveurs,
chez les chasseurs ou les potiers ou les Batwa.
Mais quand les Belges sont arrivés ils ont dit:: "non, il faut créer trois groupes parce qu'ils sont pas pareils physiquement". C'est pour ça que même qu'il y a des Tutsi
ou des Bahutu surtout qui ressemblaient un peu à l'un ou l'autre des groupes, qui ont
été passés pour des Tutsi alors qu'ils sont des Hutu. C'était des cas rares, là, mais c'est déjà arrivé. Dans des cas comme ça des fois ils comptaient le nombre de vaches qu'une personne possédait pour vraiment être sûr c'était un Tutsi ou c'était un Hutu. Donc c'était pas sûr. Mais pour les Belges il fallait le faire parce qu'il y avait une raison. Donc heu, c'est comme ça qu'on s'est retrouvés avec ethnies alors qu'on n'était pas supposés
d'en avoir. Donc on a connu un génocide à cause de ces ethnies là, une erreur telle que la Belgique
a reconnue après le génocide quoi.. J.S.:: Alors si tu as fait ces dessins comme ça, pas pour les Rwandais mais pour ceux
qui connaissaient pas l'histoire et ce que les Belges ont fait. C'est pour ceux qui étaient, qui ne connaissaient pas un peu de l'histoire du Rwanda. R.B.:: Ouais. Justement je l'ai fait pour que les lecteurs qui vont lire mon livre puissent
avoir les victimes et les bourreaux ou des choses comme ça, parce que finalement, notre histoire au Rwanda a été catégorisée entre Hutu et Tutsi. Si tu parles d'un, livre sur le génocide, il faut que les gens qui lisent sachent un peu, qu'ils [inaudible] cette différence
que les Belges ont profitée. Sauf que moi je les utilise pas dans les mêmes objectifs que les Belges, parce qu'on était physiquement quelque part différents mais on ne remarquait
pas ça. Mais aujourd'hui on le fait, les gens vont penser aux ethnies. Ben...
Donc l'histoire a été changée. Ce qui est bien c'est que le Rwanda est passé au dessus de ça présentement et il a aboli les identités raciales que la Belgique avait laissées à
l'époque. J.S.:: En quelle année est ce que ça s'est fait? R.B.:: Depuis la fin du génocide, depuis que le FPR, le Front Patriotique Rwandais, a pris le pouvoir. Ils ont aboli ces cartes
d'identités raciales qui étaient au Rwanda depuis la colonisation. Donc les Belges les ont laissées, la première république les a gardées, la deuxième république les a gardées parce que je peux dire que les anciennes républiques au Rwanda ont profité pour une
des ethnies. Pourquoi? Parce que la révolution qui a été faite au Rwanda, je peux dire que ça a été une révolution hutu. Depuis c'est devenu comme mélangé politique. Tous
les dirigeant on gouverné sans préparer beaucoup de programmes et tout. Ils se disaient
Hutu et tous les Hutu se ralliaient derrière eux. C'est pour ça que les cartes d'identité et toutes ces choses là, ça a aidé beaucoup à ces dirigeants là. Au lieu de prêcher
des bonnes idées, ils disaient juste qu'ils étaient là pour représenter la masse hutu. C'était cette étape là qu'il fallait que le Rwanda dépasse, de voter des ethnies.
Le jour où le Rwanda va dépasser ce problème, je pense que ce sera un grand pas, un très
grand pas. Mais avec les cartes d'identité raciale qui existaient à cette époque, ça
ne pouvait pas arriver. C'est pour ça que je dis que le Rwanda d'aujourd'hui est en
bonne voie, parce qu'il n'insiste pas sur le problème des ethnies. Voilà.
J.S.:: Alors quand ta famille était au Rwanda, est-ce qu'ils faisaient partie, ta famille
entière, est-ce qu'ils faisaient partie des Hutu, des Tutsi, ou du troisième groupe?
C'était quoi le... R.B.:: Oh ben c'est sûr que depuis que mon
père a été tué, même en 59 il y a eu des troubles, c'est sûr qu'on était partie
d'un groupe de Tutsi, c'est pour ça qu'on a subi toutes ces choses là, que notre maison a été incendiée, qu'on a fui, tout ça. Donc ça c'était apparent, c'était heu...
évident. C'était pas facile à vivre, c'était pas facile à vivre, parce que des fois on
comprend des choses quand on sait ce qu'on a fait pour mériter tout ça. Mais dans le
cas de ce qui nous est arrivé, on n'avait rien fait. Donc c'est quoi la question qu'on
doit se poser? Qu'est ce qu'on aurait pu faire pour améliorer la situation? Rien, tu vois.
Des fois quand t'as fait une faute on te dit:: "fais ceci, cela", peut-être on doit
te tolérer. Mais dans notre cas il y avait rien à faire.
On nous aimait pas comme ça, c'est tout. Tu es né comme ça, tu es né comme ça.
C'est ça qui fait que la situation est difficile et c'est d'ailleurs ça qui fait qu'un génocide vraiment qui est lâche, parce qu'il y a cette sélection qui veut que les gens qui meurent
pendant le génocide, d'une mort vraiment atroce, parce qu'ils pensent, des fois ils vont blâmer même Dieu parce qu'ils pensent "pourquoi on nous a créés différents des autres?". Parce qu'eux autres vont nous faire comprendre qu'on n'est pas bien, que vous n'êtes pas des humains, que vous n'êtes pas nés à la bonne place, que vous êtes des indésirables. Il faut vous massacrer, tu vois. C'est pour ça qu'on n'était plus
des humains, on va vous traiter de cancrelats, de serpents, toutes ces choses là. Jusqu'au
moment où vous commencez à penser, vous dites des citoyens de seconde zone, vos droits viennent après les autres. Ça entre dans la tête. Du moment où t'arrives dans un
pays de droits, comme ici, des fois t'as peur de réclamer tes droits. Chaque chose qui
se fait pour toi, tu penses que c'est une faveur, tu peux te faire exploiter facilement. C'est l'une des conséquences, c'est l'une des choses qu'il faut guérir. Il faut y aller
petit à petit pour un jour te dire::"ha, je suis comme les autres" parce que dans
notre pays on nous avait appris à ne pas penser comme ça. Au niveau des écoles, ce
n'est pas un bon exemple. Si un Tutsi avait des notes plus élevées, il passait pas et
dans... il y avait plusieurs choses comme ça. Bon tu vois dans un service public, quelqu'un
va venir te passer devant. Pas la peine de faire la queue, c'était pas comme ça. Si c'est un Hutu qui arrive, qui connaît qui travaille là bas, un Hutu il va passer avant
toi. Avec le temps tu penses que c'est normal mais pourtant c'était pas normal. Il faut
sortir de là pour dire:: "ha, ça c'était pas normal," tu comprends? Tu penses aussi
que les autres [inaudible] de ton pays qui ont les mêmes droits que toi te donnent des faveurs parce qu'ils t'ont cédé ceci, cela, mais pourtant c'était pas ça. Voilà. J.S.:: Et alors les Rwandais que tu connais ici à Montréal ou dans des autres places, mais pas du Rwanda, mais qui sont des rescapés qui sont partis du pays, est ce qu'ils encore
s'identifient comme des Tutsi ou Hutu ou... Est ce que tu les voies avec cette distinction
ou est-ce que c'est oublié parce que le Rwanda a abandonné ces titres?
R.B.:: .... Ben les Rwandais de Montréal, c'est sûr qu'on nous reproche de vivre dans
deux communautés distinctes. Bon ça c'est un reproche qui est fait ici aux Rwandais
et sur les Rwandais aussi. C'est, tu vas voir qu'à Montréal on a deux communautés. Communautés
rwandaises mais une en majorité peut être tutsi, avec quelques Hutu modérés et l'autre
comme hutu... Des fois on ne sait pas ce qui se passe dans l'une ou l'autre communauté.
Mais les deux communautés vont se déclarer officielles. Je ne sais pas au niveau officiel,
national, laquelle des deux communautés ils vont considérer comme légitime. Mais ça
c'est à cause de plusieurs choses. Parce que les Rwandais qui sont au Canada, nous sommes ici pour différentes raisons. Moi je suis venu comme réfugié du génocide, rescapé du génocide, mais il y a aussi ceux qui ont commis le génocide qui sont ici. Bon c'est sûr qu'on ne va pas former la même communauté ici parce qu'on est Rwandais.
Le Canada a accueilli tout le monde, des fois c'est difficile de vérifier la validité
de l'histoire. Mais nous on se connaît. On se connaît et on sait des fois qui a fait
ceci ou qui a fait cela. Bon, on n'a pas d'obligation d'être ensemble non plus. Mais des Rwandais qui sont corrects, soit des Hutu ou des Tutsi, comme je vous ai dit un se regarde plus comme
ça, des fois on se revoit ensemble. On a une communauté quand même où tous ces gens là vivent, vont tous venir. Mais il y a une autre communauté où on sait pas ce qui se passe dedans parce que dans ces communautés là y'a quand même des gens
qui ont fait des choses terribles. Tout comme il y a des innocents aussi qui restent avec eux. Juste ils n'ont pas voulu reconnaître le régime sur place au Rwanda ou qui ont
des raisons de rester dans ces communautés là. Donc dès qu'on se voit en ethnies ici...
Je dirais que quand même nous suivons ce que le Rwanda essaye de faire présentement.
Je vois que des Rwandais ici commencent à... je dis les Rwandais qui n'ont pas fait les
crimes, ils commencent à s'entendre pas mal.. J.S.:: [...] Une question qui est un peu différente, c'est pas sur le même sujet. J'étais vraiment
intéressée dans [...], l'aspect du, des Hutu qui tuaient mais les femmes, les femmes
hutue qui participaient dans le génocide. J'ai vu dans ton livre que tu parlais d'une
femme qui était comme une head du groupe. R.P.:: Ok, le chef.
J.S.:: Le chef du groupe. Et c'était vraiment intéressant de voir les femmes décrit comme,
you know, qui a tué, qui a encouragé mais elle-même était peut-être une mère et
étant une mère elle était décrite comme un homme qui a tué. Alors pourquoi tu as
décidé de mettre une femme, pas de mettre parce que ce n'est pas la fiction mais...
R.P.:: Ouais bon. C'est sûr que cette femme qui s'appelle Angeline, bon nous on l'appelait
Angeline hein, c'est l'une des femmes justement qui nous ont déçus et surpris. Parce que
des fois on dit que les femmes donnent la vie en douleur. Bon ce sont les femmes qui
donnent comme la vie, d'après ce qu'on voit partout. C'est pour ça qu'on suppose que
les femmes comprennent le respect de la personne plus que les hommes, parce que une femme qui
va mettre au monde, te porter un enfant pendant neuf mois, elle accouche avec toute la douleur
qui va avec. C'est l'une des personnes qui vont protéger les vies. C'est pour ça que les hommes peut-être font plus de guerres que les femmes. Bon voir l'exception c'est sûr ça déçoit à cause de tout ça. On se dit:: "ha, une
femme qui se met à tuer comme ça les enfants des autres femmesen sachant très bien ce que ça représente pour eux. " Bon cette femme a été un monstre. Un monstre. Malheureusement
elle est tombée sur notre quartier. Y'avait pas beaucoup de femmes qui tuaient comme ça
mais dans mon quartier c'est cette femme qui conduisait le mouvement, qui conduisait, qui a tué beaucoup de gens sans pitié et tout. Malheureusement j'ai même pas appris si elle
avait été prise ou jugée comme plusieurs responsables du génocide. Personne n'a pas
ses traces. On ne sait pas si elle se cache, si elle est morte mais je ne comprends pas
vraiment pourquoi elle a pu en arriver là. En plus c'était une femme qui avait travaillé
dans l'enseignement donc elle avait toutes les raisons pour ne pas être une tueuse.
Parce qu'elle a travaillé dans l'éducation, c'était une mère de famille, toutes ces
choses qui fait qu'on a la compassion, la tolérance pour les enfants, elle les avait
déjà. Mais elle est devenue une tueuse redoutable. C'est pour ça que je n'aurais pas dû passer
à côté, c'est pour ça que je l'ai bien montrée dans mon livre et son rôle. Tout en espérant qu'un jour elle va être repérée, parce que moi j'ai utilisé les vrais noms
dans mon livre parce que c'est une histoire vraie. Je dénonce et je condamne. Il y a
même des gens qui sont dans mon livre qui ont commencé à être jugés. Comme le préfet
de la ville de Kigali, le personnage que vous allez voir à la dernière page [il feuillette
le livre]. Alors Madame Rose a perdu sa fille, c'est cette page [il montre la page], il est
présentement au [inaudible], je sais que son procès a commencé mais je ne sais pas si c'est fini. C'est pour vous montrer que c'est une histoire vraie. Quand j'ai fait
mon livre il n'était pas encore jugé, il n'était même pas encore pris, arrêté. Mais là il est jugé. Je ne connais pas la sentence là mais je sais au moins qu'il est
à [inaudible] au tribunal international. J.S.:: Penses-tu que mettre le nom réel des
personnes a un impact sur ceux qui vont être jugés?
R.B.:: Pour moi c'est très important parce qu'une histoire vraie c'est une histoire vraie.
Pourquoi une histoire vraie si je ne peux pas utiliser les noms réels? Pour moi ça
n'aurait comme aucun sens. S'il y a des personnes qui vont dire qu'est ce que j'ai écrit sur
lui n'était pas vrai, qu'il vienne me le dire. Parce que justement on aimerait qu'ils
se manifestent. Il y a beaucoup de témoins qui ont vécu ça parce que j'étais pas seul dans ces centres de réfugiés. J'étais avec plusieurs personnes, malheureusement la majorité n'est plus là mais il y a des rescapés qui étaient là, qui peuvent témoigner. Parce
que quand je parle de ces centres de réfugiés, que ce soit le centre CELA, que ce soit le centre Saint-Paul, que ce soit le centre Sainte-Famille, il y avait des réfugiés là-bas. C'est l'histoire
aussi. S'il y a des personnes qui pensent que je l'ai condamné dans mon livre alors
qu'il est innocent, qu'il vienne le dire parce que je suis prêt à dire::"ok, si vous
dites que vous êtes innocent, on va aller devant la justice."
J.S.:: Et aussi sur le sujet des femmes quand on les [inaudible] du sexe féminin, tu as
parlé un peu de la fille, Hyacinthe, et tu as montré une scène, ça donne l'impression
qu'elle était violée, ça a l'air que c'était peut-être le prêtre qui avait la..., l'intention.
Alors est-ce que c'était difficile pour toi d'approcher ce sujet dans le livre?
R.B.:: Donc oui..., les viols contre les femmes ça a été un des plus grands crimes qui
ont été commis pendant le génocide malheureusement c'est comme si la justice ne punit pas pour
ça. Vu qu'il y a eu beaucoup de crimes de massacres, les viols c'est comme devenu un
petit crime. Pourtant c'est un crime qui est puni par la loi partout dans le monde. Quand
j'ai parlé de ça sur la personne d'Hyacinthe, la fille de Rose, c'est parce que souvent
sa mort a été causée par ça, par ce refus qu'elle a fait à ce prêtre qui voulait coucher
avec elle et que la fille voulait pas. Donc le prêtre pour se venger, au moment où Hyacinthe
était poursuivie par les miliciens qui voulaient lui tirer dessus avec sa mère, elles ont
remarqué que quelques filles tutsie qui étaient menacées avaient pu se diriger à l'appartement
du prêtre et que le prêtre avait ouvert pour les autres filles. Toutes les filles
qui étaient dans cet appartement là étaient à l'abri parce que c'est un prêtre qui était à l'abri des miliciens, des génocidaires, ils ne pouvaient pas entrer dans son appartement. Mais quand Hyacinthe et sa mère sont venues se cacher là, il a dit non parce qu'il pensait
toujours à Hyacinthe qui n'avait pas voulu accepter ses avances. Pour moi ça aussi c'est un crime. C'est pour ça que le génocide est difficile à punir. Parce qu'il y a plusieurs associations: il y a les bourreaux qui ont tué avec les mains, ceux qui ont dénoncé, dont ce prêtre là qui pense qu'il n'est pas coupable, que ce
n'est pas lui qui a tué, qui va annoncer toutes sortes de prétextes comme "mon appartement
était petit" des choses comme ça. Hyacinthe a été tuée presqu'en face de son appartement.
Parce qu'elle a payé pour ça, elle n'a pas voulu se faire agresser sexuellement..
Moi j'aimerais qu'un jour ce prêtre comprenne que c'est un crime parce qu'il continue à
réclamer son innocence en France. Même le [trial chamber] là a voulu le juger mais
la France n'a pas voulu le donner. On se pose toujours la question. S'il est innocent...
Regarde, ce qu'on demande ce n'est pas qu'il aille se faire pendre, on demande pas qu'on le pende. On demande qu'il aille s'expliquer en justice comme ça la justice pourra nous
dire s'il est innocent ou pas. S'il est innocent, pourquoi il a peur d'aller en justice? Pourquoi le France ne l'envoie pas? Tout ça c'est des questions qu'on se
pose mais je sais, comme Rose attend ce jour, de pouvoir aller témoigner dans ce procès.
Elle a fait plusieurs démarches pour que ce prêtre soit trainé devant la justice,
elle a même été en France et en Suisse. Parce qu'elle sait que c'est un des responsables
de la mort de sa fille. Ce n'est pas la seule personne qui est responsable parce qu'il y
a le bourreau qui a tiré dessus, lui on sait pas où il est, mais le prêtre aussi a contribué
grandement. Au niveau des viols je sais qu'il y a plusieurs filles qui se sont faites violer.
Malheureusement, la culture rwandaise fait que les filles n'aiment pas en parler en public.
C'est pour ça que les coupables en profitent, qu'ils sont toujours en liberté. Ils savent que les victimes ne vont pas dénoncer ce crime vu qu'elles ont peur de dire qu'elles
se sont fait violer. J.S.:: Et c'est... cette vue des femmes, ces
femmes qui ne veulent pas parler de leur viol, ça continue encore, c'est la honte que les
femmes sentent... R.B.:: La honte, ouais. J.S.:: La honte. Est ce que tu penses que c'est aussi pourquoi les femmes ne parlent
pas? Parce que la culture rwandaise regarde négativement les femmes qui ont été violées. R.B.:: C'est pas que la culture rwandaise va regarder négativement les femmes qui ont
été violées. C'est parce que dans la culture rwandaise il faut savoir qu'on est à l'époque,
on est... non... [il réfléchit] Nous avons encore la mentalité qui dit qu'une fille
est supposée de se marier vierge. Et qu'une fille doit quitter sa famille pour son mari
et pas pour vivre dans un appartement. Donc on a une culture qui est catholique, je vais
le dire, mais qui évite les contacts directs ou les actes sexuels entre des personnes qui
ne sont pas mariées. Donc oui dire:: "j'ai connudes relations sexuelles" ça diminue
les chances de trouver un mari. C'est pas qu'on va te condamner pour ça mais c'est
quand tu vas dire:: "ha je ne veux pas que mon mari sache que j'ai déjà connu ça." J.S.:: Même si... R.B.:: Même si ce n'était pas de sa faute. Moi je peux dire que c'est dans ce sens là. J.S.:: Ça existe encore?
R.B.:: Cette mentalité, oui. Dans des régions ça existe encore.
J.S.:: C'est comme ça autour du monde aussi, dans différentes cultures.
R.B.:: Exactement. Mais ça veut pas dire qu'on va condamner la fille parce qu'elle s'est faite violer. Non c'est différent. C'est une question de complexes, complexes. Sinon y'a personne qui va les punir pour ça ou les condamner pour ça.
J.S.:: Ça change aussi un peu du sujet. Tu as parlé lorsque le livre commence, tu as
montré la ségrégation des Tutsi et des Hutu dans la salle de classe. Et que la professeure
a mis les Hutu dans une partie et les Tutsi dans l'autre partie. Tu as parlé un peu de
ça alors est-ce que tu as connu ça aussi? R.B.:: Ça c'était très fréquent au Rwanda.
Mais ce qui a été décevant, c'est cette façon de le faire devant les élèves. Parce
que tous les enfants qui ont moins de 16, 18 ans, bon disons 16 ans, si l'école a besoin
de connaître les identités, je pense que ça appartient aux parents de venir l'affirmer parce qu'il faut des papiers. L'ancien régime tenait beaucoup à ces choses là. Mais moi
je me dis que c'était le devoir des parents de venir et dire. Mais le régime qui encourageait
ces pratiques avait d'autres objectifs. Pour eux il fallait montrer aux enfants dès l'âge
tendre qu'ils sont différents. Mais les enseignants savaient comment dealer avec ça. On disait::
"non toi, non toi t'es pas un Hutu, tu vas là" donc juste en les regardant ils pouvaient
dire "non ti tu vas là, toi tu vas là," créer ces groupes dans une classe pour que
les deux groupes se regardent. Mais les enfants, tu sais que les enfants sont innocents, si
l'enseignant continue à faire ça parce que dans le programme de l'école c'est écrit comme ça, c'est sûr que les enfants vont finir par se voir différents. Des fois on
disait s'il y a avait des Batwa qu'ils restent assis. Y'en avait pas beaucoup des Batwa dans
les écoles. C'est comme si ce n'était pas important que les Batwa entrent dans ce sujet
là. C'était entre les Hutu et les Tutsi. Ce genre de pratiques qui ont commencé en
bas âge ont continué. Dans les écoles secondaires ou universitaires les enfants ne se posent
plus la question tu es hutu ou tu es tutsi, non, ils savent. Mais là ils sont rendus
à une autre étape:: "il faut que je me méfie de lui, on me l'a toujours montré."
Au niveau des institutions publiques et tout, la même chose. Donc ça a commencé en bas
âge pour que tout le monde se méfie de tout le monde. C'est pour ça que le génocide
au Rwanda a été rapide. Dans trois mois [il claque des doigts] parce qu'on savait qui tuer. On savait qui était quoi. Le Rwandais n'avait plus besoin de carte d'identité,
il savait. J.S.:: Alors la dernière question pour aujourd'hui
c'est parler un peu de comment tu vois, qu'est-ce que tu penses de ceux qui sont pas Rwandais, qui sont pas des rescapés, qui ont produit des bandes dessinées sur le génocide?
R.B.:: Je n'en ai pas vu beaucoup. J'en ai vu une seule qui a été faite par un Français
[nom de l'auteur]. Moi, je trouve que bon, j'apprécie d'abord ce qu'ils ont fait parce qu'ils auraient pu choisir d'autres thèmes. Tout ce qui immortalise les nôtres, qui donne
la visibilité à notre génocide, moi j'apprécie des gens qui le font, même le travail que
tu fais là. J'ai vu la bande dessinée et je trouve justement qu'il y a une vision externe de l'événement. Une vision externe d'un monde extérieur qui
essaye de créer des choses sur notre pays en se posant aussi des questions:: "comment
un peuple peut en arriver là?" Bon la différence avec ce que moi je fais c'est que me je me
pose pas la question comme telle, je raconte ce que j'ai vécu. C'est sûr qu'on n'est
pas dans le même état d'esprit quand on dessine. Moi quand je dessine ou quand je parle de ces choses là, des fois j'arrive à m'emporter parce que chaque chose que je
veux parler ou que je veux écrire je le visualise.. Je le visualise avec des vraies images tandis que les autres je pense qu'il faut se renseigner,
faut essayer même de se poser la question est-ce que ça peut être possible, ce qu'ils
ont entendu. Moi j'ai pas cette peur de me dire "est-ce que c'est vrai?"
parce que je n'ai pas à convaincre qui que ce soit. Moi je témoigne de ce que j'ai vu. Qu'on me croit ou pas, je l'ai vu comme ça.
Tandis que quelqu'un qui écrit sur ton pays, qui dessine des choses là-dessus, des fois
je me dis qu'il doit se poser des questions en se disant "il faut que j'arrive à prouver pourquoi j'ai dit ça, il me faut des preuves, il faut que je questionne plusieurs personnes." Donc moi je peux dire c'est plus une histoire personnelle, pour les autres ce n'est pas
une histoire personnelle parce qu'ils sont obligés de questionner les autres personnes. Tandis que moi ça sort de moi, j'ai pas d'autres intermédiaires.
J'en n'ai pas besoin parce que c'est mon histoire.
J.S.:: Wow. J'ai aussi noté que ton livre ça dit que c'est traduit en anglais et c'est traduit en français. So, quelle est la langue dans laquelle tu l'as écrit? R.B.:: Bon moi je peux dire que je l'ai écrit en français même s'il a été corrigé.
Parce que nous on avait notre langue maternelle qui était le kinyarwanda.
Bon c'est sûr qu'on demande aux gens d'écrire dans leur langue maternelle. Mais notre langue maternelle, j'ai trouvé qu'il manquait certaines expressions faciles à trouver en français. C'est pour ça que je me suis senti plus à l'aise à l'écrire en français parce que
moi je voulais le partager avec le monde. Ça aurait été difficile de le traduire dans d'autres langues à partir du kinyarwanda,
notre langue maternelle, parce qu'en kinyarwanda on a plusieurs synonymes qui peuvent sonner
de la même façon mais ne pas dire la même chose. On parle souvent avec des paraboles aussi, des paraboles, ce qui aurait pu compliquer les choses. Donc heu c'est pour ça qu'utiliser le français, ça a beaucoup aidé pour la traduction en
anglais. Y'a une expression par exemple quand on dit à une fille qu'elle est belle, on va pas
le dire comme tous les autres. Parmi les compliments qu'on va donner à une fille qui est belle, "tu ressemble à l'eau de ruisseau" ça c'est pour dire qu'une fille est belle.
Ou qu'elle a les yeux d'une vache ou d'un veau. [ils rient ensemble] Ici tu le dis à une femme elle ne va pas
aimer ça. Tu le traduis ici mais ça n'a plus le même sens, ça n'a plus le même sens.
C'était des choses comme ça que je voulais éviter, parce qu'il y en avait plein. Rien que pour expliquer la méchanceté d'une personne, l'innocence de l'autre... En kinyarwanda il y a toujours des termes qui ne vont pas se traduire de la même façon.
C'était tout un défi. Donc pour répondre à ta question c'était en français..
Length: 35m 32s and 56m 28s
Original Language: French
Interviewer: Jessica Silva
Transcriber: Pauline Pourailly
Transcription: BAZAMBANZA_Ruppert_FR_Transcription_Video_1_et_3
Translator: Caroline Martel
Translation: BAZAMBANZA, Rupert_EN_Translation_Video_1_and_3
*Note: Session 2 is not available