Yvette Ishimwe

video
play-sharp-fill
 
Interviewer:: Merci encore d'avoir accepté de nous raconter ton récit de vie. Avant de commencer j'aimerais que tu te présentes à ceux qui auront la chance ou l'occasion de regarder ou d'écouter ton récit de vie. Yvette:: OK. Mon nom c'est Yvette Ishimwe, je suis née à Kigali d'une famille de quatre enfants donc je suis l'aînée avec mes deux petits frères et ma petite sœur et puis... C'est ça. Intervieweur:: Vous me dites que vous êtes née à Kigali, que vous êtes l'aînée de votre famille... Yvette:: Exact. Interviewer:: Avant de continuer avec votre famille, j'aimerais en savoir sur vos grands-parents des deux côtés. Est-ce que vous vous souvenez de vos grands-parents? Yvette:: Mes grands-parents maternels, je me souviens vraiment d'eux; par contre je n'ai pas connu mon grand-père paternel, parce que, apparemment, il est décédé quand j'étais encore très jeune ou même avant que je sois née mais j'ai connu ma grand-mère maternelle qui est décédée aussi quand j'avais l'âge..., si je me souviens bien, de 10 ans. Donc je me souviens d'elle très vaguement, ouais. Interviewer:: Quand tu te rappelles de tes grands-parents, parfois quand on se rappelle, quand on se souvient de quelqu'un, il y a un souvenir [inaudible] qu'on peut avoir. Qu'est-ce que tu peux nous dire de tes grands-parents maternels? Yvette:: Que ça soit mes grands-parents maternels ou ma grand-mère paternelle, je me souviens quand on allait en vacances, parce qu'on y allait à chaque été. Je me souviens comment ils nous attendaient avec impatience et surtout les petits plats traditionnels qu'ils nous préparaient même si on ne les aimait pas beaucoup. En tout cas, ils les faisaient tellement avec amour..., en tout cas, ça c'est la chose qui est restée gravée à ma mémoire comment ils voulaient nous faire plaisir, malgré que moi je... [rires.], j'aimais pas trop les plats, mais ça m'est resté dans ma mémoire, ouais. Interviewer:: Est-ce que tu te souviendrais aussi de la relation que..., puisque on parle surtout de tes grands-parents maternels, entretenaient avec tes parents? Yvette:: Ce que je sais c'est que maman c'était la préférée de son papa [rires] "..." Plus que ça ben, c'est une relation en tous cas assez normale. Interviewer:: Est-ce que toi tu as une relation, disons, particulière avec ta grand-mère ou ton grand père? Ou bien c'était juste de passage, leur rendre visite et puis rentrer. Yvette:: On leur rendait visite comme je l'ai dit à chaque année et puis je sais que quand il y a quelqu'un qui allait chez les grands parents, je prenais tout le temps la peine de leur écrire une lettre à chacun d'eux puis leur disant comment j'allais, où est ce que je suis rendu, en leur demandant de leurs nouvelles. Ça je sais que je prenais la peine de le faire au moins trois fois par année. Interviewer:: Si je reviens à ta famille maintenant [inaudible] fonctions de travail...ce que faisaient tes parents? Yvette:: Mon père était docteur et puis ma mère a toujours travaillé pour une ONG, un organisme non-gouvernemental qui s'occupait des enfants orphelins ou des enfants qui venaient de familles... qui ne pouvaient pas se prendre en charge. Elle était coordinatrice des projets. Interviewer:: Donc tu venais d'une famille où les deux parents travaillaient? Yvette:: Absolument, oui. Interviewer:: Comment est-ce qu'ils faisaient pour en même temps s'occuper de vous et continuer à travailler? Yvette:: Ma mère travaillait donc toujours de jour. Donc pendant que nous on était à l'école, donc quand on rentrait elle était toujours à la maison. Mon papa des fois il travaillait de nuit parce qu'il était médecin mais ce n'était pas régulier, donc c'était vraiment rare... donc ce qui fait que pratiquement tous les soirs on était avec les parents, ouais. Interviewer:: Est-ce que tu dirais que les deux s'occupaient de vous à part égale ou bien il y en a un qui était plus dans l'éducation des enfants que l'autre? Yvette: Mais ça dépendait de quoi exactement, comme je me rappelle que ma mère m'apprenait à faire des "trucs de filles'' comment coudre, comment... le lit, comment ranger les habits, comment balayer, comment nettoyer, comment... Ça mon père ne me l'a jamais appris par exemple, c'était plus le côté avec ma maman. Tandis que mon père était plus... me parlait d'histoire, il me montrait des trucs technologiques, vraiment de ce côté-là. Puis concernant tout ce qui avait rapport avec l'école, mon père c'était plus tout ce qui est mathématiques et ma mère c'était plus tout ce qui avait rapport avec la langue. Donc je savais que quand j'avais un devoir en maths c'était mon père, quand c'était quelque chose en français ou kinyarwanda, c'était ma mère. Interviewer:: Penses-tu que tu peux nous parler de comment tu les vois ensemble tes parents, comment... qu'est-ce que tu peux nous dire de leur vie en tant que papa et maman racontée par leur enfant. Yvette:: En tant que parents? Interviewer::"..." Yvette:: Je dirais que c'était des parents très stricts. [Rires] Je ne sais pas comment on appelle en français, le genre de parents qui te regardaient avec un œil puis tu savais c'était quoi l'erreur que tu avais fait sans qu'ils n'aient à parler et puis tu corriges l'erreur en même temps. C'était, en tout cas, je pense que... pas que je le regrette, mais je pense qu'on a reçu une éducation très stricte, ouais. Interviewer:: Il arrivait aussi qu'il vous manifeste de l'émotion, de l'amour, de la tendresse... Yvette:: Si, si, on était des enfants gâtés mais ce qui n'empêchait pas que quand on faisait des erreurs on était punis. Mais quand on ne faisait pas de petits dégâts on était des enfants choyés, on nous emmenait manger au resto au moins une fois par semaine, les samedis soir. On nous louait des films, pas pendant la semaine parce que justement on allait à l'école. Les samedis soir on allait dans les parcs, on allait faire des tours en avion, en tout cas on était plus que gâtés je dirais. Interviewer:: Je viens à parler plus maintenant de tes études, quand est-ce que tu as commencé ton école primaire et puis à la fin qu'est-ce que tu as suivi au secondaire... Yvette:: J'ai commencé avec la maternelle, j'avais trois ans; ensuite quand j'avais je pense cinq ans j'ai commencé l'école primaire. J'ai terminé à douze ans. J'ai commencé l'école secondaire à 13 ans. Donc, les 4 premières années c'était le tronc commun donc il n'y avait pas de direction précise et après quand je suis arrivée en cinquième année, puisque j'étudiais l'école secondaire au Bénin, en cinquième année, sixième et septième c'est là où on se spécialisait et j'avais continué en comptabilité. Interviewer:: Le choix, ou le fait d'aller en comptabilité, est-ce que c'était ton choix ou c'était le choix de la famille. Comment ça se fait de choisir...? Yvette:: Quand est arrivé le moment de choisir, je ne savais pas quoi [rires] choisir mais j'ai été"...", le fait que j'étais assez à l'aise en mathématique, je me suis dirigée vers la comptabilité. Parce qu'au début je voulais faire la médecine mais j'aimais pas... Il faillait quand même passer par la physique et puis je détestais la physique. Alors je me suis dit que j'allais faire quelque chose qui m'est facile puisque je n'ai pas à affronter la physique et je suis partie en comptabilité, ouais comme ça, ouais [rires]. Interviewer:: [Rires] Avant qu'on se rende au Bénin, à Kigali dans votre entourage, comment tu te souviens, quand tu fais un regard en arrière, comment tu vois ta vie avec l'entourage, avec les enfants de ton quartier, avec les enfants de l'école? Tu es l'enfant d'une famille, si je peux me le permettre, aisée, tes deux parents travaillent. Est-ce que c'était tout le quartier qui était comme ça ou il y avait une différence, comment tu décrirais ton entourage comparé avec ta famille?. Yvette:: Dans le quartier, je dirais que, aisée c'est relatif, mais on était"...". Il y avait des plus riches et des plus pauvres donc je dirais qu'on était peut-être au milieu. A l'école on était"...". J'allais quand même à l'école avec les enfants des ministres ainsi de suite. Donc je dirais que c'était une école avec un entourage, des camarades qui viennent de famille beaucoup plus aisée que nous. Interviewer:: Est-ce qu'après l'école on pouvait aller dans la cour jouer avec tout le monde? Yvette:: Ça non. [Rires] Ça non, donc quand on rentrait, justement la manière dont on nous a éduqués, on venait nous chercher à l'école et on rentrait directement à la maison. On n'avait pas le droit de passer nulle part à moins que vraiment... qu'on soit avec les parents ou qu'on aille visiter des cousins, des cousines, ou des amis de la famille avec les parents. Les seuls amis qu'on avait dans le quartier c'était vraiment nos voisins directs avec qui on pouvait parler à travers la clôture. Intervieweur:: Je ne sais pas si tu t'es déjà posée la question mais je vais en profiter pour te la poser:: penses-tu qu'il y avait une raison particulière à ça? Que les enfants vont à l'école et puis après l'école c'est la maison... Aussi longtemps que tu te souviennes ou maintenant si tu regardes ce serait quoi la raison? Yvette:: Ça, ça serait mon point de vue personnel. Non seulement il y a, je dirais, il y a l'éducation qui est en jeu parce qu'on ne veut pas que ces enfants côtoient, bien je dirais un truc"...". Mais n'importe qui"...". Et puis j'imagine qu'il y avait la question de la sécurité aussi. C'est les deux raisons qui me viennent en tête. Interviewer:: À un certain moment tu m'as dit que tu as fait ton secondaire au Bénin? Parle-moi de comment tu t'es rendu au Bénin. Yvette:: En fait après le génocide, l'ONG pour laquelle ma mère travaillait a ouvert une branche au Bénin. Je ne sais pas comment ça s'est passé, puis ma maman s'est retrouvée "...". En tous cas "...", devait être transférée du Rwanda vers là-bas, et puis on a dû partir avec elle. Interviewer:: Est-ce que tu te souviens de comment ça s'est préparé? Le départ pour quitter un pays vers un autre? Yvette:: La chose qui me vient en tête toujours c'est quand ma mère nous a annoncé qu'on allait partir. Elle nous a dit, parce qu'on allait à l'école à ce moment-là, je pense que ça faisait quelques semaines qu'on était retourné à l'école. Elle nous a dit: "Il va falloir que vous fassiez plus d'effort en français, parce que là où vous allez étudier ça ne sera qu'en français." J'étais excitée à l'idée de partir mais le fait que j'allais être dans une école, une atmosphère où il parlait que du français ou peut-être que je n'allais pas pouvoir m'exprimer comme il faut me faisait peur mais sinon à part ça, l'autre [?] c'est de quitter les gens avec qui tu as grandi, les cousines, les cousins, savoir que tu ne vas plus pouvoir les voir quand tu veux, ça aussi ça m'inquiétait un peu. Mais aussi l'idée du changement puis d'aller explorer autre chose m'enchantait. Interviewer:: Puis vous avez quitté le Rwanda, vous êtes partis au Bénin, comment tu as vécu justement l'installation dans un nouveau pays? Comment est-ce que vous avez vécu ça en tant que famille et puis en tant que toi-même? Yvette:: Moi et mes frères et sœurs, c'est sûr que le début a été difficile justement compte tenu de la langue parce que tu es dans un milieu où tu ne parles pas la langue, c'est pas toujours évident. Donc on est arrivé en janvier donc c'est en plein milieu scolaire, donc on devait s'adapter, suivre, apprendre le français, s'adapter, suivre en même temps, ce qui était beaucoup plus difficile. Changement de culture, donc c'était deux cultures complètement différentes, puis s'installer aussi ce qui était difficile aussi. Mais je dirais que, je ne sais pas parce que si c'était parce qu'on était jeunes ou parce que moi personnellement j'étais jeune mais ça m'a pas pris beaucoup de temps pour que je puisse me sentir presque comme chez moi. Interviewer:: Est-ce que vous étiez bien accueillis dans ce pays-là? Yvette:: Oui je me souviens que quand je suis arrivée à l'école on m'a présentée aux élèves de ma classe en tout cas chacun faisait tout pour m'aider, m'expliquer, me donner ses notes pour que je copie et puis je me disais, ça fait du bien parce que quand tu vas quelque part tu te sens quand même assez, tu te dis "est-ce que ça va aller", tout ça. Mais quand les gens viennent te voir à la pause, ils te disent "ne t'inquiète pas je vais te passer mes notes, tu vas copier. " Les professeurs venaient me voir pour me dire que si j'avais besoin d'explications:: "viens me voir", ça c'était rassurant. Mais le fait qu'on se retrouvait loin de la famille, loin, qu'on ne connaissait presque personne, ça c'était pas facile. Interviewer: Tu avais quel âge quand vous êtes partis au Bénin? Yvette: Treize ans. J'ai fêté ma treizième année, c'était en janvier, donc j'ai fêté ma 13ème année là-bas. Interviewer:: Tu as commencé au fait là-bas le secondaire? Yvette:: Oui, j'ai commencé vraiment là-bas le secondaire. Interviewer:: Comment est-ce que maman conciliait le travail et l'éducation des enfants? Yvette:: [Rires] Jusqu'à date, je me pose la question. Parce que non seulement le travail, l'éducation des enfants, et puis j'imagine que c'était elle qui devait faire le plus grand travail de savoir comment fonctionnent les choses, jusqu'à date, j'ai pas compris comment elle a fait avec quatre enfants, je pense pas, en tout cas si moi on me mettait à sa place, je pense pas que j'y arriverai. À date, je me pose la même question, je pense qu'elle serait la bonne personne à qui poser la question. Interviewer:: J'ai une question de curiosité, quand tu regardes ta vie maintenant comment elle se passe et de ta maman, est-ce qu'il y a quelque chose que tu dis:: "Je tiens ça de ma maman"? Yvette:: Oui beaucoup. Interviewer:: Comme quoi? Yvette:: Pas seulement de ma maman [?] mais de maman, je pense que le côté fonceur, je dois tenir ça de ma maman j'imagine, le côté débrouillard, le côté de vouloir toujours aller de l'avant malgré les obstacles qu'on rencontre, ça je suis sûre que je tiens ça de ma maman. L'autre côté c'est aimer la culture rwandaise ; ça je pense cent-pour-cent c'est d'elle, cent-pour-cent. Le peu de calme que j'ai je pense aussi je dois le tenir de ma maman [rires]... Lire, je me rappelle pas si mon papa aimait beaucoup lire, mais lire je sais que maman elle adore ça donc je dois tenir ça d'elle. Interviewer:: Qu'est-ce que tu tiendrais de Papa? Yvette:: De Papa? Ça serait de un, parce que étant médecin, il était plus coté mathématiques, chimie et tout ça, ça je dois tenir ça de mon papa. Mon papa apparemment aussi il était très fonceur aussi, donc ça aussi ça doit venir de lui... Quoi encore? Le côté qui veut que non seule ça ne soit pas moi seulement qui réussit mais que mon entourage aussi aille bien, donc le côté qui aide, le côté généreux, ça je pense aussi que je tiens ça de mon papa. Interviewer:: Pendant qu'on y est encore, si j'ai bien suivi ton récit, c'est à partir de 1994 que la famille n'est plus avec papa. Yvette:: Exactement. Interviewer:: Comment est-ce que vous avez vécu la période de 1994? Yvette:: Ça aussi, bon je dirais, pendant les atrocités, je pense pas qu'on prend la peine de savoir qu'est ce qui va se passer demain, je pense que tu vis du jour-au-jour. Même pas du jour au-jour, vraiment tu vis le moment présent puis ce qui va venir plus tard, on verra. Interviewer:: Est-ce qu'au moins vous avez vu venir? Yvette: Euh je pense que même moi étant jeune, j'ai vu des signes, mais jamais au grand jamais je ne me suis jamais imaginé qu'une telle chose arriverait.. Interviewer:: Quelle sont les signes quand même dont tu te souviendrais maintenant? Yvette:: Je dirais depuis deux-trois ans avant 1994, la sécurité n'allait pas bien, il y avait toujours des manifestations, le fait qu'à l'école on demandait aux Hutu de se lever puis on demandait l'autre ethnie de se lever et qu'on comptait, ça faisait partie des signes. Et puis le fait qu'on avait déjà été attaqués une fois nous chez nous à la maison avant 1994 aussi, ça devait être un signe qu'il y a quelque chose qui ne va pas, ouais. Interviewer:: Donc tu me dis qu'à l'école on demandait aux ethnies de se lever? Yvette:: Oui, on demandait à telle ethnie de se lever, on comptait puis on demandait aux autres de s'assoir et on demandera l'autre ethnie de se lever ainsi de suite. Au formulaire qu'on remplissait on devait mettre notre ethnie, donc nos noms, le nom de nos parents, où est ce qu'on est né et ainsi de suite puis également l'ethnie s'y retrouvait... Interviewer:: Comment est-ce qu'en tant qu'enfant, à l'âge scolaire on sait à quelle ethnie on appartient, est ce que toi tu le savais? Yvette:: Je ne sais pas comment je l'ai su, mais je le savais [rires], je le savais. C'est un formulaire qu'on remplissait depuis qu'on est jeune, je pense que quand on était à la maternelle on nous donnait le formulaire et on allait le faire remplir à la maison et puis on le rapportait. Mais quand on était à l'école primaire on le remplissait nous-mêmes, et puis quand il y avait une information qui manquait, là on nous demandait d'aller demander aux parents, genre; on revenait avec l'information manquante le lendemain au professeur. Interviewer:: Est-ce que tu trouves quand même que les professeurs, une fois qu'ils avaient su de quelle appartenance était tel enfant ou tel autre, est ce qu'ils avaient les différences dans la façon dont ils s'occupaient ou ils aidaient ou dont ils traitaient les enfants? Yvette:: Personnellement, j'étais trop jeune, je n'ai pas réalisé ça. Ça se peut, mais moi je n'ai pas réalisé ça personnellement. Interviewer:: Donc je reviens maintenant à la période-même de 1994 pendant le génocide, tu l'as vu venir mais comment est-ce que vous avez vécu ce temps? Yvette:: Vécu dans quel sens? Interviewer:: Ça s'est passé comment dans la famille, le passage, tu t'en es sortie, oui, mais il y en a d'autres membres de ta famille qui ne s'en ont pas sortis, je ne sais pas si tu pourrais quand même... Yvette:: Donc comment ça s'est passé, je me rappelle, c'était le soir quand ça a commencé on était en train de manger, il était vers 20h, il y avait mon oncle paternel qui était en vacances chez nous. Donc on mangeait à table et puis quand justement il y a eu le bruit de l'avion, moi j'ai pas réalisé que c'était le bruit de l'avion parce qu'on entendait tout le temps le genre de bruit, des grenades, par ici par-là, je me suis dit que c'était comme d'habitude. Et là, mon père nous a demandé d'aller nous coucher... Pas d'aller nous coucher mais d'aller sous les lits, parce qu'à chaque fois que c'était comme ça on nous demandait d'aller sous le lit jusqu'à ce qu'on vienne nous dire.... Puis là, quelques minutes plus tard, on nous a dit:: "Sortez, puis allez-vous coucher". Puis c'est seulement le lendemain quand ils nous ont réveillés parce que je préparais, je me rappelle que je préparais l'examen de fin d'études secondaires. Puis donc, je suivais des cours parce qu'on était en vacances de Pâques, mais je suivais des cours extras pour préparer mon examen, alors quand ils sont venus nous réveiller, moi je me suis réveillée vite pour aller me diriger vers la douche, parce que je croyais que j'étais en retard pour l'école. Et là mon papa m'a suivie pour me dire "non tu ne vas pas à l'école aujourd'hui" et puis j'ai vu qu'ils étaient en train de mettre les matelas dans le corridor, puis mon père nous a dit:: "Asseyez-vous, on va vous expliquer ce qui se passe". Alors ils ont mis les matelas, ils ont arrangé tout ça, ils ont dit:: "En fait, l'avion du président a été abattu et puis ça ne va pas du tout pour l'instant, on va rester ici jusqu'à ce que les choses aillent bien". En tout cas moi, j'étais tellement jeune que je ne voyais pas comment le danger était aussi grand; j'ai dit:: "Donc je ne vais pas à l'école? " Mon père a dit "non tu ne vas pas à l'école jusqu'à ce que ça aille mieux". J'ai dit:: "Ok, il n'y a pas de problème". Et puis on est resté là; donc quand l'avion a été abattu c'était le six la nuit, on est resté là jusqu'au 11. C'est le 11 qu'on nous a attaqués à la maison et je me rappelle que quand c'est arrivé mon père est sorti, on est restés, non"..." oui, on est restés avec ma maman et mes frères, sœur et mon oncle. Alors, juste avant que mon père sorte, il nous a dit:: "On va s'assoir ensemble, on va prier". On a pris quelques minutes, on a prié, puis mon père est sorti. Ma mère m'a dit de prendre mes frères et mes sœurs et on est allés sous le lit de mes parents puis donc elle a fermé et puis elle a dit:: "Je reviens vous chercher tantôt". Et puis donc on est restés là mais j'entendais du bruit, il y avait des bruits, je me rappelle que j'ai quitté le lit, je suis parti voir par la fenêtre puis j'ai vu comment on frappait mon père et tout ça et je suis revenu. Mais je n'ai rien raconté à mes frères donc je suis restée bouche bée. Et puis quelques minutes plus tard, il y a quelqu'un qui est rentré. Alors ma sœur m'as dit:: "Ah papa est de retour". Mais c'était pas papa, c'était quelqu'un d'autre. Il a commencé par fouiller, fouiller, fouiller... Et puis quand il a regardé sous le lit on était là. Il nous a demandé de sortir, alors on est sorti, il nous a demandé d'aller dehors, on a suivi. On était là donc je ne savais pas finalement ce qui était arrivé à ma mère, je savais pas comment allait mon père et tout ça. Puis mon oncle paternel je ne savais pas non plus, les domestiques, je ne savais pas. On est restés devant puis le monsieur m'a demandé:: "Est-ce que c'est toi l'aînée de la famille? " J'ai dit:: "Oui c'est moi l'aînée", alors il m'a dit:: "Où est-ce que tes parents rangent l'argent, les fusils et tout ça? " J'ai dit que je ne savais pas, j'ai dit que je n'avais jamais vu de fusils dans la maison, j'ai dit je ne sais vraiment pas. J'ai dit:: "Tu peux demander à maman ou à papa, moi je sais pas". Puis il a commencé à me taquiner:: "Oh les enfants de riches, c'est tout le temps la même chose". Il a raconté plein d'histoires puis il a dit:: "de toute façon ça sert à rien que tu saches ou pas, on va vous tuer et puis on va chercher dans la maison puis on va trouver". J'ai dit:: "En tout cas je ne peux rien vous dire parce que je ne sais pas". Alors il m'a dit:: "De toute façon, avant que toi on te tue, tu vas prendre le fusil et tu vas tuer tes frères". Alors moi j'ai dit:: "Écoute, je ne sais pas utiliser le fusil"; c'est ça que j'ai dit. Il dit:: "Non, non, si tu sais, les enfants d'Inkotanyi vous savez tous utiliser les fusils". Là, il me l'a donné, je me rappelle que c'était tellement lourd, il m'a dit:: "Tu vas y aller tu vas les tuer vite, vite et puis on va te tuer puis on va chercher ce que on a à faire et puis on va partir". Je me rappelle qu'il me l'avait donné puis je l'avais repris et j'ai dit:: "Écoute, fais ce que tu veux, moi je ne peux pas tuer mes frères". Le monsieur m'as dit:: "Ah ouais? De toute façon si tu ne les tue pas on va vous tuer tous". J'ai dit:: "En tout cas, faites ce que vous voulez, moi je ne tue pas mes frères". Alors il est resté là, puis quelques minutes plus tard, ma maman est sortie quelques minutes plus tard avec quelqu'un, je pense que c'est celui qui était le chef de toute la gang. Ils sont sortis puis ils ont dit à celui avec qui on était:: "Laissez-les, je me suis arrangé avec la dame, laissez-les partir, de toute les façons je ne pense pas qu'ils iront loin... ". Alors ma mère m'a dit:: "On va aller chez les voisins". Donc on est passés par la clôture, on est allé chez les voisins, évidemment quand eux ils ont entendu qu'on nous a attaqués, ils se sont enfuis, donc quand on est arrivé chez eux il n'y avait personne. Et puis entretemps, je pense qu'ils ont dit que mon père était décédé, donc ma mère n'arrêtait pas de pleurer, puis on ne comprenait pas... On était là puis on demandait:: "Maman, qu'est-ce qu'il y a, qu'est ce qui ne va pas? " Puis en tout cas, elle disait:: "ça va aller, ça va aller". [Larmes] [Arrêt temporaire de l'enregistrement] Donc c'est ça, puis après quand ma mère... Ma maman s'est calmée plus tard, elle nous a dit:: "En fait votre père est décédé". Et puis finalement, entretemps quand ma mère était sortie, il y a mon oncle paternel qui était aussi sorti mais on avait essayé de lui couper le bras donc il saignait. Donc après, on a essayé d'y mettre un tissu pour arrêter le sang et tout ça et puis on est resté là, on attendait à ce que les voisins rentrent, on est resté là puis beaucoup plus tard ils sont revenus. Alors le monsieur, où on était, il nous a dit:: "Vous n'allez pas pouvoir rester ici parce que de toutes les façons ils savent que vous êtes venus ici, s'ils le savent nous sommes les prochains. " Alors moi-même j'ai dit:: "Où est-ce que tu penses que je vais aller avec les enfants tout ça?" En tout cas, il a supplié le monsieur puis le monsieur a dit:: "O.K. pas de problème, vous aller dormir ici mais demain matin,il va falloir que vous vous arrangiez pour voir où est-ce que vous allez". Alors je pense que nous, on est parti nous coucher et je pense que durant la nuit, ma maman a essayé d'aller, avec mon oncle, d'aller chez les voisins pour voir s'il y avait quelque part où on pouvait nous accueillir mais finalement, ça je l'ai compris le lendemain, ça n'a pas marché.. Et puis je sais que là où on était, toute la famille s'apprêtait à quitter la maison pour aller à Butare. Donc maman leur disait:: "Est-ce que vous pouvez nous emmener avec vous? " Et tout ça, mais le monsieur:: "Écoute, on peut pas" et ainsi de suite et puis ma mère a dit:: "Est-ce que vous pouvez nous déposer au moins chez le grand frère à ma mère qui habitait à Kiyovu? " Et finalement, tout à coup, il y a eu une pluie. Il pleuvait fort, fort. Le monsieur a dit:: "Maintenant qu'il pleut, c'est sûr que les gens qui sont sur les barrières vont quitter les barrières, on va partir mais je vais vous déposer seulement chez mon oncle". Donc on arrive chez mon oncle, on frappe, on frappe, on frappe, il n'y a personne... Heureusement que dans la clôture en bas, il y avait un petit espace. Ma maman me dit:: "Arrange-toi pour passer là-bas pour voir s'il y a quelqu'un là-bas". Je passe, puis j'arrive en haut puis mon oncle n'était pas là, puis sa famille, il n'y avait seulement que le gardien, puis je le connais, puis il dit:: "Écoute, malheureusement vous ne pouvez pas rester ici parce quil y a quelqu'un qui surveille le quartier et il sait qu'ici dans la maison on est deux, s'ils vous trouvent ici, ils vont tous nous tuer". Alors je retourne ça, puis je raconte ça à ma maman puis aux autres. Mais entretemps, je pense que ma maman a eu l'idée... il y avait l'ami de la famille de mon oncle qui travaillait à la Croix-Rouge de Belgique qui n'était pas loin. Alors maman dit:: "Vous allez nous déposer là-bas et puis probablement que là, la Croix-Rouge..., ils vont nous accueillir". Donc là, ils nous ont déposés là, ils sont partis. Là, on a demandé à l'ami de la famille de mon oncle s'il était là, il est venu, il nous a vu et tout ça, parce qu'il nous connaissait et puis il nous a dit:: "Malheureusement là, ils n'accueillent pas de réfugiés". Il dit "il y a une autre branche de la Croix-Rouge de Belgique plus bas, on va vous envoyer là-bas". Puis maman dit:: "Avec les barrières qu'il y a..., on ne peut pas passer". Puis il a dit "OK". Il a pris une voiture de la Croix-Rouge, il nous a mis dedans puis il a dit:: "Écoute, on va passer comme si, nous... on s'est caché derrière..., on va faire comme si c'était la voiture de la Croix-Rouge qui passait... Si jamais ils nous arrêtent, malheureusement il y a rien qu'on va faire, mais si jamais on ne nous arrête pas, tant mieux". Mais il pleuvait toujours, donc à chaque fois qu'on passait il n'y avait personne, on est passé puis ils nous ont déposés là. Donc, ils nous ont déposés à la Croix-Rouge puis effectivement il y avait d'autres réfugiés là-bas, en tout cas on était à peu près une soixantaine à peu près qui vivaient là. Des familles, et ainsi de suite. Donc on nous a déposés là puis en tout cas, c'est là qu'on est resté, puis au début ça allait très bien, on avait à manger tout ça, mais à certains moments il n'y avait plus à manger, il s'est fait qu'on a dit qu'on allait s'organiser par famille. Donc chaque famille on a dit qu'on va faire un horaire des gens qui vont nettoyer, des gens qui vont faire la vaisselle, des gens qui vont préparer, des gens qui vont chercher à manger, des gens qui vont aller chercher de l'eau. Alors, parce que j'étais l'aînée de la famille donc on m'a dit pas de problème, préparer je peux le faire, mais sortir ma maman ne pouvait pas sortir, on m'a dit:: "Écoute, tu es l'aînée tu n'as pas le choix", alors j'ai dit "O.K". En tout cas, moi je pense que j'étais jeune... chercher de l'eau? Il n'y a pas de problème! Mais il fallait chercher de l'eau pour se laver, pour faire la vaisselle, pour préparer. Alors j'ai dit "écoute, je veux bien mais comment je vais faire? " On m'a dit:: "Il n'y a pas de problème on va s'arranger" et puis, ils ont dit:: "on va faire deux tours parce que tout le monde ne peut pas sortir en même temps". Parce que normalement, on disait un membre de la famille partout, j'ai dit:: "dans le premier tour je vais sortir avec eux, puis le deuxième tour je vais retourner, il n'y a pas de problème". Donc parce que là il y avait vraiment quelqu'un qui surveillait le quartier puis apparemment, c'est-à-dire qu'ils allaient nous tuer à la fin quand ils auront fini de tuer tout le monde, on sera comme le dessert, c'est pour cela que, parce qu'il n'y avait personne qui nous protégeait à la Croix-Rouge, c'était vraiment ce monsieur qui nous disait qu'ils allaient nous tuer vraiment à la fin. Et puis il y avait une barrière juste à l'entrée de la Croix-Rouge; donc à chaque fois qu'on allait chercher de l'eau, il nous accompagnait le monsieur, on allait chercher de l'eau puis on revenait. Donc j'allais avec le premier tour, je donnais de l'eau à ma maman, je revenais puis avec le deuxième tour et ainsi de suite. Une fois on sort puis ça commence par tirer. Donc quand ça tire, tout le monde court par ici par-là, je me rappelle que j'ai couru, je suis rentrée dans une maison je ne sais pas c'est où, je suis montée dans l'arbre, je me suis assise là et j'attendais, ça a tiré, ça a tiré, ça a tiré ... À un certain moment, je ne sais pas ce qui s'est passé, ça a arrêté. Moi, tranquillement, je suis redescendue, là où j'étais dans l'arbre, je cherchais le monsieur parce que je savais que c'était le monsieur qui allait me protéger, donc partout où il allait moi je le suivais de vue, puis quand c'est parti, quand ça s'est calmé, je suis descendue, puis j'ai suivi le monsieur. Puis tout le monde est sorti sauf un gars qui avait été atteint donc on l'a ramené à la Croix-Rouge, puis nous on a continué à chercher de l'eau puis on est revenus. Puis là, je crois que ma maman a eu peur puis elle a dit:: "là je pense que la prochaine fois tu pars pas toute seule". Puis à partir de là, j'y allais avec mon frère. Donc on y allait comme d'habitude puis une fois, en tous cas un matin apparemment, il y avait quelqu'un de la Croix-Rouge qui avait tiré sur la barrière qui était à l'entrée, là en tout cas tous les Interahamwe sont venus ils ont dit:: "finalement on vous garde pas pour la fin". On nous a tous fait sortir de la maison, on nous a emmenés dehors en tout cas ils nous ont dit:: "faites vos prières on va vous tuer". On était tous assis en rang et tout ça, je me rappelle que j'étais avec maman, puis ma sœur, mes frères je ne sais pas où ils étaient, en tout cas on était les derniers. Je ne me rappelle pas où étaient mes frères, on a commencé à prier et tout ça, puis ils ont commencé par tuer le premier, je pense que c'était une maman avec son bébé, le deuxième, puis le monsieur qui surveillait le quartier est venu. Il a dit:: "mais pourquoi vous tuez ces gens-là? " Puis ils ont dit:: "c'est pas eux qui ont tiré sur nous ? " Le monsieur a dit:: "non, non, non je connais la maison, j'ai fouillé, il n'y a pas de fusils ici" et tout ça, en tout cas, "je vous ai dit ces gens-là c'est vraiment vers la fin, vraiment la fin là qu'on va les tuer". Puis comme ça, il nous a laissés, on est rentrés, ça je pense que ça s'est passé deux fois. Puis la première fois, ils ont tué des gens mais la deuxième fois, il y a eu un blessé mais il n'y a personne qui est mort; donc on est restés là, puis en tout cas je continuais à sortir comme si j'étais habituée. Moi j'ai dit à maman:: "t'inquiète pas, moi je ne vais pas mourir". Pour moi j'étais sûre que je n'allais pas mourir, je ne sais pas pourquoi. On est restés là les trois; moi, je sortais à tous les jours chercher de l'eau, chercher la nourriture avec les autres. Même quand mes frères n'y allaient pas, moi j'y allais parce qu'en tout cas moi j'étais sûre qu'il n'y avait rien qui allait m'arriver. Donc je sortais à tous les jours. Là où on tuait les gens je voyais ça, en tout cas j'étais devenue comme si ça ne me disait rien, on pouvait tirer sur quelqu'un, moi je passais sans problème. Aussi longtemps qu'on ne me touchait pas, c'est ça qui me faisait peur. Puis ma maman me disait:: "Est-ce que tu as vu les morts? ". Je disais:: "Il y en a partout". Pour moi, c'était devenu tellement normal que quelqu'un tue quelqu'un, j'ai déjà vu une femme se faire violer puis pour moi c'était normal. Tout ce que je faisais, j'allais chercher de l'eau et je ramenais à la maison, parce que je ne voulais pas que ma famille meure de faim et tout ça. Puis finalement donc, le matin on s'est levés et il n'y avait pas de barrière à l'entrée ; je pense qu'il y a quelqu'un qui est parti à la porte et les gens qui étaient sur la barrière, ils n'étaient plus là. Puis je pense que quelqu'un a allumé la radio..., la radio ne fonctionnait pas. Puis on se demandait qu'est-ce qui se passait, et en tout cas, je pense que c'était le réflexe pendant la guerre, on a dit:: "on va se préparer, il y a sûrement quelque chose, on va quitter". On s'est habillé, on a commencé par chercher les petits trucs, parce qu'on croyait qu'on allait encore changer de lieu et pendant qu'on se préparait, il y a un soldat qui est venu. Je me rappelle que ma mère a crié, elle a dit:: "c'est Inkotanyi" [rires]. Puis maman a dit:: "en tout cas, ne prenez pas beaucoup de choses parce qu'ils sont là". Puis, je me rappelle que je ramassais des choses et je disais:: "maman, on prend ça? ", elle disait:: "non, non, non ne t'inquiète pas on est en sécurité". [Rires + larmes de joies] et puis elle nous a dit avec mes frères:: "ne vous inquiétez pas, tout va bien". Je me rappelle qu'on était les deuxièmes à sortir, il y avait un gars devant nous, puis c'était moi avec ma maman et puis elle m'a dit:: "Là où le monsieur vous dit d'aller, allez-y parce que lui c'est bon, on est en sécurité". [Rires] Puis donc, ils nous ont emmenés quelque part qu'on appelait [inaudible]. En tout cas, c'était tous les gens de Kiyovu, en tout cas le quartier. Ils nous ont emmenés là, ils nous ont fait une réunion pour nous dire que c'était fini la guerre et tout ça, et qu'on va rester là, parce qu'il y a des grenades partout. Tout ça, ce n'était pas sécuritaire. Jusqu'à ce qu'ils nous cherchent un emplacement sécuritaire. Donc je me rappelle qu'ils nous ont emmené de la nourriture, ils nous ont emmené à manger puis ils nous ont dit que le lendemain matin on va aller à Kicukiro. Kiyovu à Kicukiro c'était marcher. J'ai dit:: "maman on va marcher comment?" [Rires]. Maman a dit:: "là où on est rendu, il faut tout faire, marcher vous aller marcher". Maman, elle a dit:: "en tous cas, ne prenez pas beaucoup de choses parce que là on est en sécurité, ces gens-là vont nous nourrir là où on va arriver".. Le lendemain ils nous ont dit:: "c'est le temps de partir". On a ramassé nos affaires, oui, puis on est partis à Kicukiro. Puis chacun... on nous mettait par famille dans les maisons. On a dit:: "ca, c'est l'endroit sécuritaire, vous allez rester ici quelques jours jusqu'à ce qu'on sécurise le reste de la ville". Je pense que on est restés là-bas au moins... je pense une semaine, l'équivalent d'une semaine, puis ils nous ont dit:: "vous pouvez maintenant retourner dans vos maisons". Quand on est retournés dans la maison, en tout cas moi j'ai pas été"...", ma maman elle a été avec je ne sais plus qui "...", apparemment la maison, on ne pouvait pas vivre là parce que ce n'était pas beau, en tout cas moi je ne sais pas de quoi ça avait l'air; on nous a dit d'aller dormir chez ma tante, qu'on s'était retrouvés là justement quand ils ont ramené tout le monde on s'est retrouvé avec une de mes tantes, puis elle avait perdu ces enfants. C'était ma marraine, puis elle a dit:: "Tu vas aller avec tes sœurs et tes frères rester avec ta marraine puis moi avec un autre oncle qu'on avait retrouvé, on va aller nettoyer la maison puis une fois que ça sera prêt, vous allez revenir". Puis donc, je pense que je suis restée avec ma tante pendant deux jours, le temps qu'ils arrangent un peu la maison, puis après on est retourné à la maison. Interviewer:: Comment ça s'est fait la reprise de la vie après tout ça? Comment est-ce qu'à un certain moment vous vous retrouvez vivre à Kigali et comment est-ce que on vit après ça? Yvette:: Je pense que ça a été comme les deux côtés du miroir, me concernant en tout cas; j'étais une enfant gâtée qui était devenue tout d'un coup une adulte. J'ai compris que la vie ne serait plus comme avant. En tout cas je ne sais pas comment j'ai compris, mais c'était comme un miroir, oui. On est restés là, on a essayé de nettoyer la maison là où il y avait le sang, tous les livres qui étaient par terre parce qu'ils avaient tout dépouillé et tout ça. Donc on a nettoyé la maison et puis heureusement pas longtemps après, l'ONG de maman est revenue..., a redémarré; maman a dû retourner au travail. Donc parce que j'étais l'aînée de la famille, j'ai dû prendre les responsabilités de la maison, je devais m'assurer qu'il y avait quelque chose à manger, que je prépare, que je nettoie la maison, en tout cas... J'ai dû organiser mes frères, je savais que tel devait se lever et nettoyer telle chambre, tel devait se lever et faire ça, à telle heure on devait sortir aller chercher de l'eau puis en tout cas j'ai appris à préparer de moi-même, j'essayais de me rappeler de ce que les domestiques faisaient quand j'étais petite et que je les regardais. J'essayais de fabriquer, en tout cas, je sais que maman rentrait et tout était en ordre. Comment je l'ai fait? En tout cas j'ai pas compris, je savais qu'il fallait que ça fonctionne comme ça, parce que maman travaillait, elle ne pouvait pas être à deux endroits en même temps, donc j'ai vraiment appris ça toute seule. C'est sûr que quand maman arrivait, je m'assoyais à côté d'elle, je lui posais des questions:: "Comment faire ça? Comment je vais faire? Qu'est-ce que tu penses que je vais faire demain? ", puis elle parlait, mais je savais que je devais prendre la responsabilité pour que tout soit en ordre quand elle revient. Interviewer:: Maman a repris le travail, quand est-ce que vous les enfants vous avez repris l'école? Yvette:: Je pense qu'on a repris l'école, si je me rappelle bien, c'était deux mois plus tard, je pense en octobre? Oui, je pense que c'est en octobre qu'on a repris l'école. Deux mois plus tard. Interviewer:: Est-ce que tu es retournée à la même école? Yvette:: Oui je suis retournée à la même école. Bien sûr, 90% des visages, je ne les connaissais pas. Je me rappelle qu'il y a une fille avec qui j'ai été à l'école primaire. Quand je l'ai vue, c'était la première que j'ai vue, en tout cas je pense qu'on s'est embrassées, on est restées dans les bras pendant longtemps parce que c'était la seule que je connaissais de l'école. Puis la retrouver vivante, tout ça, ça faisait du bien. Et je me rappelle qu'il y a un professeur qui est venu et qui a dit:: "Non, non, non, tu ne peux pas être vivante" J'ai dit:: "oui je suis là" et je me rappelle plus tard il y a un garçon, en tout cas j'avais été avec lui à l'école en cinquième année, il était revenu, je ne l'ai pas reconnu parce qu'en tout cas, on l'avait coupé un peu partout. Je ne le reconnaissais pas puis la fille m'as dit: "Est ce que tu as reconnu Ange?" J'ai dit:: "Ange? C'est lui? Non". Je ne l'avais pas reconnu. En tout cas, je me suis sentie tellement mal de ne pas l'avoir reconnu, quelqu'un avec qui vous avez vécu avant, en plus que les autres, surtout les gens venant de l'extérieur, donc c'était comme quelqu'un qui faisait [partie?] de la famille. Ne pas reconnaître cette personne-là, en tout cas ça m'a vraiment beaucoup touché. Mais, c'est sûr que quand l'école a commencé, les gens qui étaient au Rwanda après la guerre, on se tenait tous ensemble. Les gens qui venaient du Burundi, ils étaient à part. Les gens qui venaient de l'Ouganda, à part. Tout le temps, tout le temps comme ça. Puis je me rappelle que les conversations c'était:: "Comment tu as survécu? Qu'est ce qui s'est passé? Comment ça va? Est-ce que tu as encore des parents? Est-ce que tu as encore des sœurs? ". C'était ça, en tout cas au moins les deux premières semaines on ne parlait que de ça. Que de ça. Interviewer:: Quand vous avez repris l'école, tu es allée en cinquième année ou en sixième? Yvette:: Sixième. Interviewer:: En sixième année. Et les professeurs, est ce qu'ils étaient quand même là? Est ce qu'ils étaient morts ou partis? Tu nous as dit que la plus part de tes collègues, les élèves n'étaient pas là. Yvette:: Oui. Interviewer:: Mais qu'est-ce qu'il en est des professeurs? Yvette: Je pense que les professeurs qui m'enseignaient avant, juste après la guerre, je pense qu'il n'y en avait seulement un. Il n'y en avait seulement qu'un. Parce que il y avait cinq classes de sixième, puis on avait à peu près cinq professeurs, il n'y avait qu'un qui était là. Interviewer:: Comment était la relation entre... Bon tu nous as dit qu'ils se tenaient à part selon qu'ils étaient là ou ailleurs. Puis les professeurs, comment est-ce qu'ils voyaient ces enfants, d'après vous, quand vous faites un regard en arrière, comment les professeurs reçoivent ces enfants après la guerre? Yvette: Mais j'imagine, en tout cas, je pense que non seulement pour les élèves mais pour les profs aussi ça n'a pas été facile, parce que non seulement, je cherche le mot en français "Guhahamuka". Interviewer: Traumatisés. Yvette: Le traumatisme, c'est ça. C'est des trucs qui revenaient souvent. Donc vous étudiez, vous entendez quelqu'un crier, tout ça. Non seulement ça nous affectait, mais je pense que ça affectait plus les professeurs qui devraient non seulement veiller à ce que le bien-être des élèves, leur donner le cours, donc la matière tout ça, les connaissances qu'ils devaient transmettre, tout en prenant soin de ces enfants qui n'allaient pas très bien. Donc c'était combiner ces trois choses, puis j'imagine eux aussi n'étaient pas dans un état ou en tout cas, je pense qu'en ce moment aussi, moralement et tout ça, ils n'avaient pas la capacité de combiner ces trois rôles là. J'imagine qu'ils ont dû faire, ils n'avaient pas le choix en fait. Interviewer:: En tout cas, je voulais savoir en tant qu'enfants de 12 ans que vous étiez, vous aviez quand même la confiance aux professeurs. Yvette:: Confiance"...", moi je me disais:: "il fallait aller à l'école", puis on se disait:: "la vie continue, tu n'as pas le choix". Tu devais te battre, confiance ou pas, tu y allais. Que ça te plaise ou pas, tu te disais "Oui, ce qui s'est passé s'est passé". Maintenant j'ai compris:: qu'on le veuille ou pas, la vie a continué, il fallait se battre pour survivre et continuer à vivre. Interviewer:: Tant qu'on parle de l'école, est ce qui il y a un professeur qui, toujours avec un regard en arrière, t'aurait influencée, que tu aurais apprécié, ou qui t'aurait appréciée, est ce que tu penses qu'il y a un professeur en particulier dont tu gardes un souvenir? Yvette:: À l'école primaire, ce professeur-là, le fait qu'après la guerre, il est venu après moi me demandant:: "Tu es vivante? Je suis content que tu sois là". Ça, ça m'a touchée, c'est comme si à l'école, en dehors de mes amies, j'avais un adulte que je connais ou en tout cas quelqu'un à qui je pouvais m'adresser, quelqu'un qui me connaissait avant. Puis les mots qu'il m'a dits m'ont rassurée. "S'il y'a quoi que ce soit, je suis-là, je peux t'aider", tout ça. Ça m'a quand même touchée mais pas que ça m'a profondément..., ça m'a touchée mais ce n'était pas si profond que ça, je pense aussi qu'en ce moment-là, je pense que ce n'était pas l'essentiel. Je me disais que je devais vivre et puis le reste ce n'était pas si important que ça. Interviewer:: Quel était la motivation pour aller à l'école, à ce moment?. Yvette:: Moi je regardais comment ma maman se battait puis je me disais "si elle continue de se battre comme ça, moi en tant que quelqu'un qui était l'aînée de la famille, j'avais...", je me disais que j'avais le devoir non seulement d'aller à l'école pour réussir, mais aussi pour l'aider. Je me disais elle ne pouvait pas continuer à faire ça toute seule. Moi c'était ça qui me motivait. Et puis je me disais "moi j'ai eu la chance de garder ma maman, il y avait des gens qui n'avaient pas leurs mamans"; donc si moi je l'ai et qu'elle s'occupe encore de nous, je me disais... "il fallait que je fasse l'impossible pour avancer, pour réussir afin d'alléger ses tâches". C'était vraiment ça qui me motivait, parce que je me rappelle qu'avant la guerre, moi aller à l'école c'était aller à l'école. Je me rappelle que quand j'occupais la place de 19ième et plus bas, pour moi c'était parfait. Aussi longtemps que ce n'était pas 20ième parce que je disais 20ième c'est quand même un peu loin, 19 et plus bas c'était parfait. Je ne voulais jamais être première, deuxième, tout ça. Ça, ça ne me concernait pas parce que pour moi l'école, c'était rencontrer mes amis, tout ça. Mais comme je savais qu'on allait me gronder à la fin du trimestre, je faisais tout pour ne pas être 20ième. Mais après la guerre, juste après la guerre, j'étais la première de ma classe parce que là je comprenais plus l'utilité de l'école par rapport à avant. C'est pour ça que j'ai dit qu'avant et après c'était comme les deux faces du miroir. Interviewer:: Penses-tu avoir atteint ton objectif? Yvette:: Non. Non, pas encore [rires...]. J'espère toujours l'atteindre un jour, mais non je ne l'ai pas encore atteint. Interviewer:: Je comprends bien que la vie a repris, maman a repris le travail, les enfants ont repris l'école. Jusque-là, qu'est-ce que vous avez appris de Papa? Est-ce que vous avez eu son corps? Est-ce que vous avez pu l'enterrer? Yvette:: Non, on n'a jamais eu son corps, on n'a jamais pu l'enterrer. Les [dires ?] disent qu'il se trouve à Nyanza de Kicukiro mais on a vraiment, on a aucune confirmation. On a essayé, on sait que la personne qui a tué mon père est toujours à Kigali. Quand on est partis dans le Gacaca, apparemment, moi je n'étais pas là, il était présumé innocent. Ça se poursuit, ce n'est pas encore terminé. Mais à date, à moins qu'il n'accepte sa faute puis qu'il nous dise ce qui s'est passé, où est ce qu'il est présentement, à date on ne sait pas. Interviewer:: Est-ce que vous pensez que vous allez toujours essayer d'avoir la vérité de cette personne-là, ou bien? Yvette:: Si je parle de moi? En tout cas, je ne pense pas que moi j'aurais la force de poursuivre ça, puis de un en tous cas, je ne pense pas que j'ai cette énergie-là. Puis en tout cas, j'apprécie les gens qui sont à Kigali et qui suivent ça, c'est tant mieux s'ils le font, mais personnellement, je ne pense pas que j'ai cette énergie-là. La seule motivation qui m'inciterait à le faire c'est de savoir où se trouve le corps de mon père mais le reste, aller dans le Gacaca et tout ça, c'est bien mais moi je pense pas que j'ai assez d'énergie pour faire ça. Même si j'étais sur place au Rwanda je ne pense pas que j'aurais vraiment l'énergie pour le faire. Interviewer:: Je ne voudrais pas vous pousser trop, mais tu dis que la chose qui t'intéresserait le plus serait de savoir où se trouve le corps. Comment est-ce que vous comptez le savoir? Yvette:: Justement, l'idéal serait que l'assassin l'avoue, et puis qu'il nous dise ce qui s'est passé exactement après que nous on ait quitté la maison, pour qu'on le sache. Ça serait le seul moyen ou que tout d'un coup, il y a des gens qui passaient ou qui étaient là, qui le savent, qui nous diraient... Ça serait le seul moyen. Si vraiment, le seul moyen c'est de passer par cette personne-là, je doute vraiment que je sois en mesure de le faire. Moi non. Interviewer:: Tu n'es jamais retournée au Rwanda depuis? Yvette:: Si, je suis retournée en 1997. Interviewer:: As-tu rencontré ces personnes-là? Yvette:: Non. Interviewer:: Penses-tu qu'un jour tu vas vouloir les rencontrer? Yvette:: C'est une bonne question, je ne sais pas. On se dit toujours de les rencontrer, mais rencontrer quelqu'un qui va te dire:: "Non je n'ai pas fait ça" alors que la personne a fait ça, ça aussi, en tout cas je suis réticente. Je ne suis pas si sûre. Mais des fois je me dis:: "J'aimerais rencontrer cette personne puis le regarder". En tout cas, qu'on se voie face-à-face, au moins que je lui pose quelques questions, mais je pense que ça me fâcherait plus, ça me rendrait encore plus... S'il me disait:: "Non je n'ai pas fait ça", moi je pense que, je ne sais pas si je pourrais le supporter, en tout cas. Sachant qu'il a fait ça puis qu'il me dise non, c'est vraiment le côté que je doute fort. Je trouve ça trop, je pense que c'est le degré de méchanceté le plus élevé. On ne demande pas plus, on veut au moins savoir c'est où le corps pour qu'on puisse l'enterrer et tout ça. Mais rencontrer quelqu'un qui saurait peut-être où se trouve ce corps-là et puis ne pas te le dire, ça je suis pas sûre que..., je pourrais pas le supporter. Interviewer:: Tu es retournée en 1997? Je pense que tu avais 17 ans? Comment tu as vécu le retour? Yvette:: J'avais vécu là-bas quelques mois avant d'aller au Bénin, mais je pense que j'ai plus..., je n'ai pas vraiment pensé à ce qui s'était passé. J'essayais vraiment de regarder le bon côté, de voir ma famille que j'avais pas vue, mes oncles, mes tantes, mes cousins... Je pense pas que..., j'essayais de ne pas faire allusion à ça. Puis à date, je doute toujours de retourner, je ne sais pas comment ça va se passer. Interviewer:: Est-ce que tu l'envisages? Yvette:: Oui. Mais quand? Je ne sais pas. Interviewer:: Quel est la motivation d'y aller encore, qu'est ce qui te motive à aller encore là-bas? Yvette:: Le Rwanda restera toujours, que je le veuille ou pas, mon pays. Ça c'est un. J'ai toujours de la parenté là-bas ça, c'est deux. Mais l'autre chose que je veux vraiment aller faire le jour que je pourrais puis que je vais avoir le courage de faire c'est d'aller puis, non seulement d'y aller au mois d'avril, en tout cas ça, ça serait l'idéal, j'aimerais revivre ce mois-là comme je l'ai vécu en 1994. Peut-être pour moi ça serait une sorte de thérapie je ne sais pas mais pour moi c'est ça que je vais faire, essayer de vivre, donc de me rappeler chaque jour ce que je faisais, au moins vivre quelques jours de ce mois-là. Interviewer:: Revisiter les places? Yvette:: Visiter les places, aller dans les Mémoriaux, retourner dans le quartier voir ça, oui. Tout ça, ça serait la chose que j'envisage. Quand? Je ne sais pas. Interviewer:: On a parlé de votre départ au Bénin, je vous ai ramenée au Rwanda mais je ne vous ai pas demandé, je suis partie en vous tutoyant puis en vous vouvoyant, comment ça s'est fait finalement que tu te retrouves à Montréal? Quand est-ce que tu as quitté la famille? Et pourquoi? Yvette:: Je suis venue à Montréal en 2001. Je pense que c'était une folie, mais j'ai toujours aimé le Canada. Pourquoi? Je ne sais pas. J'entendais toujours parler le français de Montréal mais j'avais un cousin qui habitait ici et puis il m'a dit:: "Écoute, c'est beau ici, c'est bien, tu vas t'y plaire, viens". Quand je suis venue, j'étais venue pour... J'ai dit:: "Je vais essayer peut-être pendant une année, si j'aime je vais rester, si je n'aime pas ça, tant pis". Et finalement c'as fait bientôt neuf ans. [Rires] Interviewer:: Si on comprend bien, tu as aimé. [Rires] Yvette: Oui, en tout cas oui, je dirais que oui, j'ai beaucoup aimé. Interviewer:: Je suis curieuse de reposer la question une autre fois, comment ça se vit un deuxième départ, si ce n'est pas un troisième?. Yvette:: C'est comme je dis, c'était la première fois, pardon, que je quittais ma famille, je me disais c'était une folie, je n'avais même pas encore dix-huit ans, c'était comme une aventure. C'était absolument une aventure. Je ne savais pas dans quoi je m'embarquais, je n'avais pas d'attentes. Je me suis dit:: "Je vais y aller, puis on verra". J'avais aucune attente, je ne savais pas dans quoi je m'embarquais et j'ai dit:: "Je vais y aller, si ça marche, tant mieux, si ça marche pas, écoute on va essayer autre chose". Interviewer:: La fille aînée qui voulait se battre pour aider sa mère, comment est-ce que tu t'es sentie quand tu partais? Est-ce que tu partais pour l'aider? Est-ce que tu partais pour t'exploiter, exploiter ton maximum encore, comment est-ce qu'elle elle a reçu ça? Yvette:: Je pense qu'en tout cas c'était dur, de me laisser, en tout cas, parce que c'était la première fois qu'elle se sépare d'un de ces enfants. Je pense que jusqu'au dernier jour, elle ne réalisait pas ou peut-être qu'elle espérait que je vais revenir. Mais moi je me disais... si le fait de ne pas être à côté d'elle ne veut pas dire que je ne l'aide pas du tout. Puis je me disais:: "je veux aller là, je veux partir pour..." Comme on dit "il faut reculer pour mieux sauter". Je me suis dit que c'est dans ce sens-là que je l'ai fait. C'était une folie, parce que j'étais jeune puis je n'avais pas de plan précis et tout ça, mais c'était dans le but vraiment d'avancer et puis de devenir quelqu'un, de pouvoir atteindre mes objectifs, c'était dans ce but-là. C'était vraiment de la folie dans le sens où quitter ses parents à moins de 18 ans pour aller au Canada, un pays, je ne sais pas à combien de milliers "..." de tes parents, c'est une folie. Jusqu'à date je ne pense pas que mes enfants le feraient. [Rires] Interviewer:: Tu me disais comment tu t'es sentie quand tu as quitté, je vais te demander aussi comment tu t'es sentie quand tu es arrivée. On commence par où? On fait quoi? Comment est-ce que tu as fait, une fois arrivée à Montréal, pour savoir où aller et quoi faire? Yvette:: Parce que j'étais avec mon cousin, c'était avoir quelqu'un qui allait t'aider à faire ça, faire ça. Ça, ça m'a aidé, et puis parce que j'étais encore mineure et j'ai repris l'école secondaire. Ça, c'était facile. Donc c'est ça qui a facilité mon intégration parce que quand tu commences à l'école, tu te crées des contacts. J'ai commencé l'école, donc j'étais à la fin de mon école secondaire, donc j'ai fait mon école secondaire, et je me rappelle, j'ai commencé en secondaire 4 et puis quand j'ai fini l'école tout le monde cherchait du boulot et puis j'ai dit "let's go! On cherche du boulot". Je me rappelle je ne savais pas par où commencer, je me rappelle que j'ai été acheter quelque chose chez Zellers, puis il y avait un line-up, il y avait une longue file. J'ai dit ces gens-là, ils doivent chercher des caissières. [Rires]. Et je suis repartie à la maison, j'ai imprimé mon CV, je suis revenue, je les ai donné ça, j'ai dit:: "je pense que vous cherchez du monde". Ça j'ai dit à la personne parce qu'il y avait une longue file d'attente. Et c'était vrai, parce que quand j'ai déposé mon CV comme aujourd'hui, deux jours plus tard ils m'ont appelée, ils m'ont fait l'entrevue, lundi j'ai commencé. Et donc après ça je travaillais là-bas l'été; en septembre j'ai repris l'école. Ils m'ont gardée à temps partiel parce que j'allais à l'école. Donc j'allais à l'école le matin et je travaillais quelques soirs là-bas et la fin de semaine. Puis par l'école, il y a eu un projet avec la Banque de Montréal, parce qu'ils voulaient intégrer les plus jeunes enfants dans le milieu financier. Donc ils prenaient les écoles de Montréal, et puis ils choisissaient maximum trois élèves par école et puis j'ai été choisie. Et puis quand j'ai été choisie, je faisais le stage une fois par semaine. J'allais travailler à la banque comme stagiaire, comme ça j'apprenais qu'est-ce que les gens faisaient à la banque. Et quand j'ai fini l'école secondaire justement, ils m'ont appelée pour me demander si justement je chercher un emploi. Finalement j'ai dit oui, il y avait une fille qui s'occupait du stage, elle m'a dit:: "je vais garder ton CV [Curriculum vitae] si jamais tu cherches un emploi". Et puis quand il y a eu un poste qui s'est ouvert elle m'a dit:: "écoute, il y a des emplois qui sont sortis, je vais envoyer ton CV [Curriculum vitae], donc attends-toi qu'on t'appelle si jamais tu es choisie". Finalement ils m'ont appelée et j'ai eu le poste à la BMO [Banque de Montréal], donc je travaillais là. Donc c'était ça, mon intégration. Interviewer:: C'était des plus faciles, on peut dire. Yvette:: En tout cas, je ne me plains pas. Ça n'a pas été aussi difficile que ça. Interviewer:: Est-ce que tu as trouvé que la rentrée dans une nouvelle école... Je ne sais pas dans quelle école tu as été, comment tu t'es sentie accueillie, quand t'es arrivée et que tu devais aller à l'école justement, par les nouvelles, les nouveaux collègues de l'école. Yvette:: J'étais à l'école Secondaire La Voie, et ça n'as pas été aussi difficile parce que je comprenais la langue, donc les gens parlaient, je comprenais très bien ce qu'ils disaient. Ça n'a pas était aussi difficile que ça. Mais à part mon côté timide qui prend tout le temps le dessus... Mais ça a été, ça s'est tellement bien passé que la deuxième année, j'étais la présidente du conseil étudiant, donc pour dire que probablement s'ils m'ont choisie, c'est que je me suis débrouillée pas mal j'imagine. Non, ça n'a pas été si difficile que ça. Je dirais ça a été plus facile que la première fois, mais je me dis aussi que la langue a facilité, parce que je comprenais la langue, donc je suis rentrée dans [inaudible]. Interviewer:: J'imagine aussi que l'école La Voie aussi c'était des plus faciles, c'était quartier multi-ethnique. Yvette: Absolument, oui. Interviewer:: Donc ça a été plus facile d'avoir ta place là-dedans? Yvette:: Oui, ça a été plus facile, oui. C'était vraiment multiculturel, c'est vrai. Mais je me rappelle qu'il y avait aussi la directrice adjointe qui m'a beaucoup aidée, parce qu'à chaque fois elle passait me voir pour me demander si ça va:: "Est-ce que t'as un problème? ". À chaque jour je pense qu'elle venait me voir, puis ça aussi ça me rassurait... Quand il y a quelqu'un à qui tu peux aller t'adresser s'il y a quoi que ce soit qui ne va pas, je pense que ça aussi ça m'a rassurée, oui. Interviewer:: Est-ce que tu penses qu'elle le faisait pour tout le monde ou bien il y avait une raison particulière pourquoi elle s'intéressait à toi? Yvette:: Je ne pense pas qu'elle le faisait pour tout le monde mais en tout cas il n'y avait pas une journée où je passais sans la voir, je me rappelle pas. C'est sûr il y avait des jours où elle était pas là, où il y avait des activités mais surtout au début, elle me voyait à chaque jour, ou elle se mettait devant son bureau, tu sais, quand les élèves sortaient puis quand je passais, je disais bonjour, elle m'appelait, elle me disait:: "Est-ce que ça va? Est-ce que t'as un problème? ", tout ça... Si j'avais une question, c'était ma personne-ressource. Interviewer:: Je serais curieuse de savoir si les collègues de l'école, de la classe ou l'administration, si tu as eu le courage ou l'occasion de leur parler de ton vécu au Rwanda? Yvette:: Oui, avec la directrice adjointe je ne suis pas partie en détails, je lui ai dit que je suis rwandaise. Elle m'a demandé si j'ai vécu le génocide, j'ai dit oui, c'est tout. Mais je me rappelle il y a une fois, c'était le cours d'histoire je pense, où on parlait des guerres et tout ça, et puis, ils m'ont demandé de raconter ce qui s'est passé au Rwanda. Puis là-bas non plus je ne suis pas partie en détails mais j'ai raconté ce qui s'est passé, puis j'ai glissé mon vécu personnel, ouais donc ça j'ai eu à le raconter au moins une fois. Interviewer:: Penses-tu qu'une fois que nos collègues savent notre vécu, est-ce que ça change notre relation? Est-ce que c'est la même chose? D'après toi, est ce que ça change quelque chose qu'on connaisse le vécu personnel ou bien ça ne change rien?. Yvette:: C'est sûr que ça change quelque chose quand tu sais ce qu'une telle personne a vécu, surtout si c'est quelque chose de difficile. Mais pas qu'on passe par-dessus mais qu'on n'ait pas pitié de la personne, c'est sûr que ça change quelque chose. Interviewer:: On a compris que l'intégration à l'école et au travail c'est l'un des plus faciles, je n'ai même pas demandé si t'es passée par les organismes communautaires, il me semble que non? Yvette:: Si, j'en ai fait partie quand même. J'en ai fait partie une fois justement. Si je me rappelle bien, c'était le premier été, je travaillais déjà et puis en face de là où je travaillais justement il y avait un centre jeunesse, puis je me suis dit:: "je vais aller voir ce qu'ils font là-bas", puis je suis rentrée. Ils m'ont dit oui, ils font des activités pour intégrer les jeunes et tout cas, par curiosité j'ai dit:: "je vais y aller". Puis j'ai été... on était un groupe de jeunes. Oui, on faisait des activités, on faisait des petits jobs, je suis pas restée longtemps, je pense que je suis restée les deux mois d'été seulement. J'étais juste curieuse de passer pour voir ce qu'ils faisaient. Interviewer:: Donc à part ça, tu n'as pas eu besoin des centres communautaires. Yvette:: Non, pas du tout. Pas vraiment. Interviewer:: Est-ce que tu es quand même impliquée ou tu participes dans des groupes de Rwandais qui sont à Montréal? Yvette:: Oui, je fais partie d'Insangano. Interviewer:: Qui est-ce? Yvette:: C'est une troupe de danse où on fait des danses traditionnelles du Rwanda et avec d'autres activités. On a un journal communautaire, on fait la fête de Noël des enfants et ainsi de suite. Et puis je fais partie aussi d'Insangano,je pense c'est depuis 2003, non 2004, je fais partie d'Insangano. Je fais partie aussi de Pag-Rwanda, qui est, depuis 2005-2006, c'est les deux groupes communautaires auxquels... J'ai déjà fait partie du comité fondateur du centre culturel rwandais aussi, je pense que c'est tout. Interviewer:: À part ça, est-ce-que vous pensez qu'il y a d'autres communautés de Rwandais à Montréal à votre connaissance? Yvette:: Je sais qu'il y a une autre troupe de danse, Ihozo. Mais je n'en sais pas plus. Mais je sais qu'ils existent. Interviewer:: À votre connaissance, pensez-vous que les divisons qu'il y eu entre les ethnies au Rwanda, on les retrouve à Montréal? Yvette:: Absolument. Oui. Interviewer:: Ça se manifeste? Faut être Rwandais pour le savoir? Ou bien... Yvette:: Est-ce qu'il faut être Rwandais pour le savoir? Parce que je suis Rwandaise, je ne sais pas si les gens qui voient.... Mais en tant que Rwandais, oui je le sais. Est-ce qu'il faut être absolument pour le savoir, je ne sais pas. Peut-être oui, je ne sais pas. Interviewer:: Est-ce que ce sont des groupes qui ont quand même des hostilités ou bien c'est juste que des groupes qui existent qui se tiennent sans plus ni moins d'hostilités que ça soit. Yvette:: Je pense que c'est sans plus ni moins, et puis le fais que les deux ethnies soient unies, je ne pense pas que c'est quelque chose qui va se faire en deux ans ou en cinq ans, si ça doit se faire en tout cas ça va prendre du temps puis ça va être une éducation puis ça sera vraiment à long terme puis je pense que c'est pas quelque chose qu'il faut forcer ou pousser non plus, il faut vraiment donner le temps au temps. Interviewer:: Pensez-vous que depuis que vous êtes au Canada, votre impression sur votre pays ou votre communauté aurait changé ou c'est resté la même chose? Yvette:: Non, je dirais que ça a changé, surtout quand je regarde plus les jeunes, les jeunes ont cette volonté-là de faire en sorte que notre pays aille de l'avant. On veut vraiment que ça aille mieux pour le pays, on veut que le pays vraiment aille de l'avant, on veut que le Rwanda de demain soit un autre Rwanda que celui qu'on a connu. Interviewer:: Parce que justement entre Rwandais à Montréal, il y a des rencontres? Où vous parlez de votre pays, ce qui s'est passé, y'a des moments où vous vous rencontrez pour parler de ça? Yvette:: Au sein d'Insangano, on l'a déjà fait parce qu'on avait ce qu'on appelait “Tuganire”, donc on s'assoyait et puis on parlait de justement ce qui s'est passé, non seulement de ce qui s'est passé mais on pouvait aborder toutes sortes de sujets, mais on parlait souvent de ce qui s'est passé au Rwanda, de l'éducation d'aujourd'hui par rapport à l'éducation de nos parents ou de nos grands-parents, oui. On y a fait allusion à plusieurs reprises. Interviewer:: Si je comprends bien, Isangano c'est plus une rencontre entre les jeunes, et les plus âgés, dans votre connaissance est ce qu'eux aussi ils ont des rencontres? Yvette:: Oui, il y a l'association des Mamans “Urumuri”, j'imagine qu'ils font ce genre de rencontres-là, oui. Mais plus que ça, je ne sais pas. Interviewer:: Quand on parlait de votre travail et de vos études on était rendu à la BMO [Banque de Montréal], est-ce que vous êtes toujours à la BMO [Banque de Montréal], est ce que vous comptez poursuivre la carrière ou les études? Yvette:: J'ai quitté la BMO [Banque de Montréal], peu longtemps après 2003 et depuis je travaille pour Bell depuis 2003 et j'ai poursuivi mes études en comptabilité, en gestion-comptabilité. Oui je pense ça va plus dans le domaine financier, oui. Interviewer:: Avec un retour en arrière et puis quand vous vous voyez justement après 9 ans à Montréal, un sentiment d'accomplissement, un sentiment d'encore un parcours? Yvette: Je ne pense pas que je vais parler d'échec, mais je me dis que, du moins j'espère que je suis sur le bon chemin. Il y a un long parcours encore devant moi. Interviewer:: Je ne pourrais pas terminer sans vous demander votre opinion sur la façon dont les médias ont traité et traitent encore ce qui s'est passé dans le Rwanda. D'après vous, quel serait votre opinion là-dessus? Yvette:: Ce qui me dérange le plus et m'affecte le plus ça serait plus le négationnisme. Le fait qu'avec justement ce qui s'est passé, tout ce qui a était filmé, les gens qui ont vécu, les victimes qui ne cessent pas de témoigner que les gens osent encore dire qu'il n'y a pas eu de génocide, ça je ne le supporte pas. Interviewer:: Avez-vous vu l'histoire ou les événements du Rwanda exprimés dans les médias? Comme dans le film, dans un théâtre, avez-vous eu l'occasion de le voir et quel est votre impression là-dessus? Yvette:: Quand je regarde les films sur les génocides, oui c'est sûr qu'un film ne peut pas relater ce qui s'est passé en trois mois et puis dans tout le pays... est-ce qu'il représente vraiment, ou on essaye de représenter la réalité, mais je me dis il y a encore du travail là-dessus. Interviewer:: Est-ce que vous aimeriez faire partie de ces personnes qui feraient partie, qui essayent ces performances-là? Yvette:: Être actrice? Interviewer:: Genre... Yvette:: Mon Dieu que non! Interviewer:: [rires] Yvette:: [Rires] Non, les caméras, je ne pense pas que..., je n'aime pas les caméras et ils doivent pas m'aimer non plus. Interviewer:: À part la caméra, le fait d'être actrice ou acteur de sa propre histoire, quel est votre sentiment là-dessus? Quelle est votre opinion là-dessus? Yvette:: Personnellement non, j'apporterais les idées sur un projet que quelqu'un d'autre voudrait réaliser, mais moi je ne pense pas que mes talents me le permettent, on ne sait jamais mais bon, pour l'instant, je penserais pas. Interviewer:: Avant de finir, qu'est que tu aimerais que les Montréalais qui ne sont pas Rwandais sachent de toi? Yvette:: De moi? Interviewer:: De ton vécu..
Yvette:: L'avenir a pour base le passé.
Donc ça veut dire que ce qui s'est passé, qu'on le veuille ou pas, ça va influencer ce que je fais et ce que je vais faire. Ça veut dire qu'à chaque décision ou chaque geste que je pose je fais un retour sur ce que j'ai vu et ce que j'ai vécu et je me dis, oui ce que j'ai vécu c'était une atrocité mais en même temps je me dis que ça a éveillé un côté en moi qui me dit que la vie ne s'est pas arrêtée, la vie continue et puis, il faut pas survivre, il faut vivre. Je me dis que quel que soit les obstacles qu'on rencontre dans la vie, quel que soit qui qu'on rencontre sur le chemin, faut pas hésiter d'aller de l'avant et je me dis, comme on dit en anglais, last but not the least, je me dis "je pense que si je suis ce que je suis, si je suis là où je suis, tout est grâce à Dieu". Je me dis "partout tout ce que j''ai vécu, tout ce que je fais, tout ce que je réalise, si je n'avais pas Dieu, si j'avais pas la prière, je ne serais pas ici". Sans aucun doute. Interviewer:: Je te remercie beaucoup. Yvette:: Ça me fait plaisir. Interviewer:: Je te souhaite la meilleure des chances. Yvette:: Merci, c'est gentil.